L’espace construit
La notion d’objet architectural comprend non seulement le bâtiment, qui en est la représentation concrète, mais aussi l’espace délimité ou suggéré par ce bâtiment. Un bâtiment vu de l’extérieur est un objet au sein d’un milieu. Vu de l’intérieur, ce même bâtiment est un contenant qui enveloppe des objets, des lieux ou des individus. Ces individus, usagers du bâtiment, habitent le lieu défini par l’espace construit. La relation entre le bâtiment et l’espace construit est une des qualités de l’objet architectural. Bien que notre recherche soit focalisée sur l’objet architectural, nous ne perdons pas de vue l’aspect urbain induit par l’espace construit.
Le bâtiment : générateur de l’éclairage
L’éclairage naturel est un des phénomènes physiques qui participent à la relation intérieur/extérieur. L’éclairage naturel est le résultat de l’interaction entre le bâtiment et la lumière. Cette interaction peut être vue comme la transformation de la lumière naturelle par l’enveloppe pour créer l’éclairage de l’espace intérieur. Cette transformation, créée par les différents éléments de l’enveloppe, lie si étroitement la lumière à l’objet architectural qu’elle en devient un élément propre. Les ouvertures conditionnent l’apport de lumière provenant de l’extérieur par leurs formes et leurs matériaux. Elles transforment la lumière selon les différentes longueurs d’ondes qu’elles absorbent, transmettent ou réfléchissent. Ces ouvertures sont généralement associées à d’autres phénomènes physiques : aéraulique, thermique, visibilité. Par exemple, le volet italien mobile, ou volet à portisol, est une réponse de filtre adaptatif au climat, et permet une régulation lumineuse et thermique .
Ambiance lumineuse
L’ambiance lumineuse est une des composantes des ambiances architecturales et urbaines, au même titre que l’ambiance sonore ou olfactive. Elle résulte de notre perception de l’éclairage et de l’espace construit, lors de l’usage de cet espace construit. On peut décrire cette ambiance à travers les effets lumineux qui la composent. Le rôle de l’ambiance lumineuse dépend du sens qu’elle donne à l’espace.
Ambiances architecturales et urbaines : Les ambiances architecturales et urbaines expriment de manière structurée la relation de l’homme à son milieu. C’est une notion qui représente la globalité de notre perception de l’environnement. Elles sont décomposées en ambiances sensorielles pour permettre une étude pratique. L’homme et le milieu La relation de l’homme au milieu est un élément fondamental de la notion d’ambiance architecturale et urbaine. La définition de la réalité sensible (chôra), propriété ontologique, se distingue du lieu physique (topos) et de l’idée sous-tendue par ce lieu (eidos) [Nussaume, 2000]. Cette réalité sensible, « l’écoumène », est la relation entre l’homme et son environnement dont il est à la fois organisateur et usager. On retrouve cette notion chez Platon avec l’association topos/chôra qui considère le lieu sensible, contrairement à Aristote ou Descartes qui ne voient que le topos. Cette relation dépend du lieu physique, du sens donné à ce lieu et des impressions qu’il nous procure. Cette réalité sensible ne se réduit pas à une simple réalité physique, ni purement subjective puisque justement ce sont les deux composantes qui en définissent l’idée. Si l’on essaye de considérer alternativement les deux notions pour les étudier, on est justement privé de la relation entre les deux. Notion d’ambiances architecturales et urbaines [Augoyard, 1998] Les ambiances architecturales et urbaines rassemblent sous un même terme la perception du milieu et l’influence de l’environnement au niveau physique et social. Cette notion peut être appréhendée comme une formalisation de la réalité sensible (l’écoumène). C’est un ensemble de phénomènes répondant aux conditions suivantes (fig. 1.5) :
– Les signaux physiques sont repérables et décomposables.
– Ces signaux interagissent avec la perception et l’action des sujets, et les représentations sociales et culturelles.
– Ces phénomènes composent une organisation spatiale construite.
– Le complexe [signaux/percepts/représentations] est exprimable.
Ambiances sensorielles: L’ambiance d’un lieu est appréhendée par des canaux sensoriels distincts. Ces canaux décomposent l’ambiance en ambiances sensorielles qui sont facilement identifiables (visuelle, sonore, tactile, etc.). Elle est ensuite recomposée par l’esprit qui nous permet de l’apprécier dans son ensemble. C’est bien la réunion et l’imbrication de ces ambiances sensorielles qui créent l’ambiance globale. Une étude des ambiances sensorielles distinctes permet de caractériser l’ambiance précisément selon des indices de confort [Mudri, 1996]. D’autres approches permettent de qualifier les ambiances sensorielles par des enquêtes sociologiques ou des observations anthropologiques.
Usage du bâtiment : génération de l’ambiance lumineuse : L’usage du bâtiment implique la perception de l’objet architectural par un observateur. La perception visuelle de l’objet architectural se fait à travers la perception du bâtiment et de l’éclairage généré par celui-ci (Éclairage 1.1.2). La perception de l’éclairage établit une des relations entre l’homme et l’objet architectural, et fournit les conditions d’émergence de l’ambiance lumineuse. C’est donc au cours de l’usage qu’il y a génération de l’ambiance lumineuse par le biais de la perception visuelle. C’est en ce sens que l’éclairage est un révélateur d’expérience du lieu [Millet, 1996]. L’expérience vécue d’un lieu remplace toutes les descriptions, et c’est la confrontation d’expériences qui permet de dégager une analyse objective du lieu [Chelkoff et Thibaud, 1992]. L’ambiance est notre appréhension de l’expérience du lieu. Mouvement de l’usager Le mouvement de l’usager participe à la génération de l’ambiance lumineuse [Tahrani, 2006, Sarradin, 2004]. Par exemple, dans la Church of light, Tadao Ando nous livre sa vision spectaculaire de la religion (fig. 1.6). Après un cheminement qui met en état d’attente et de recueillement, une perspective impressionnante incite à focaliser le regard sur la croix de lumière naturelle tout en proposant une ouverture sur l’extérieur, sur le monde, et fait participer la nature comme composante de l’église [Nussaume, 2000].
Description de l’ambiance lumineuse : effets lumineux : La description des qualités de l’ambiance lumineuse dépend de l’aspect, fonctionnel ou esthétique, que l’on souhaite évaluer. Les qualités fonctionnelles sont mesurées par l’intensité et la direction de la lumière reçue à l’aide d’instruments de mesure (Éclairage 1.1.2). Les qualités esthétiques sont évaluées de manière subjective par rapport à l’impression ressentie à travers la perception d’une ambiance lumineuse. La perception humaine est difficilement descriptible par un appareil de mesure. Un outil qualificatif, l’effet, permet de décrire l’espace perçu à travers la caractérisation de la lumière. Cet outil utilise l’expérience directe du lieu afin de montrer les sensations provoquées, les observations suscitées et la compréhension des intentions des concepteurs.
Notion d’effet ambiance [Augoyard et Torgue, 1995]: Un ensemble d’effets d’ambiance est la représentation formelle de l’ambiance architecturale. L’effet d’ambiance est lié à une cause circonstancielle qui décrit la relation entre la source d’un phénomène physique et l’interprétation de l’observateur. Cet effet d’ambiance est un outil conceptuel qui permet l’analyse des ambiances architecturales et urbaines. Il permet de qualifier le lien entre la perception et le milieu, suivant les attitudes neurophysiologiques, la culture, l’état d’esprit de l’observateur.
Effets lumineux : Un effet lumineux est la relation entre un espace éclairé et la perception visuelle de l’observateur. Les effets lumineux peuvent être présentés selon l’élément qui en est la source. Les effets solaires sont sans conteste les plus évidents et les plus marqués. Tahrani [Tahrani, 2006] propose une classification de ces effets selon qu’ils sont liés à la forme délimitée par la lumière, à la psychologie de l’observateur, au déplacement de l’observateur ou aux mouvements de la lumière. Le travail des détails, par exemple sur les cannelures des colonnes grecques, permet de traduire le mouvement du soleil en effets de rythmes lumineux par le jeu des rayons rasants. Les effets lumineux dûs aux autres sources de lumière naturelle (le ciel et l’environnement urbain), sont peut-être plus difficiles à déceler car ils baignent notre quotidien de leurs subtiles nuances. Quant aux effets lumineux dus aux sources artificielles, ils sont les plus spectaculaires, et sont utilisés principalement la nuit pour perpétuer l’animation lumineuse de la scène urbaine [Chelkoff et Thibaud, 1992].
Rôle de l’ambiance lumineuse : La lumière comprend un grand nombre d’informations, qui donne du sens et de la mesure à l’espace architectural. L’ambiance lumineuse est donc un révélateur de l’architecture, au sens matériel et symbolique [Millet, 1996]. On distingue les notions de lumière par le latin lux, la lumière spirituelle qui s’approche de l’illumination, de la clairvoyance ou de l’émotion, et lumen la lumière physique qui est parfaitement rationnelle [Fontoynont, 1998].
Mise en forme: La lumière procède à une réelle mise en forme de l’espace par la révélation des structures et des matières. Millet [Millet, 1996] évoque même l’idée d’un volume de lumière qui vient construire l’espace. C’est la cohérence entre la morphologie du bâtiment et la lumière qui détermine les propriétés structurantes de la lumière. L’église de Ronchamp est un contre-exemple de cohérence entre la structure et la lumière. La lumière filtrée par les vitraux n’est volontairement pas en accord avec la structure lourde et massive, pour créer une impression de contraste et donc de légèreté (fig. 1.7). La lumière peut aussi dématérialiser la structure comme dans l’église Myyrmaki de Juha Leiviska (fig. 1.7), où le jeu d’ombres et de lumière fait en quelque sorte « disparaître » la structure.
Symbolique: Les temples égyptiens et grecs seraient les premières constructions où le rôle de l’éclairage n’est plus seulement fonctionnel. La lumière est utilisée pour la création d’une atmosphère propice à l’adoration des dieux. Cette mise en lumière ajoute une dimension esthétique, voire divine, à l’aspect fonctionnel de l’éclairage. La dimension esthétique est supportée par des effets d’ambiance, qui sont des composantes perceptibles de l’expression architecturale. Si ces effets sont faciles à mettre en place avec un éclairage artificiel, ils sont beaucoup plus difficiles à réaliser avec la lumière naturelle. C’est le résultat d’une grande cohérence entre les éléments architecturaux : forme, matière, orientation. Le couvent de la Tourette par Le Corbusier (fig. 1.8) est un exemple de mise en œuvre de cet effet.
Traduction d’une intention d’ambiance
Le processus de conception par l’intention d’ambiance peut s’apparenter à une traduction des intentions d’ambiance dans le projet architectural. L’ensemble des opérations est donc une traduction d’intentions d’ambiance en une configuration matérielle (volumes et matières) dans un cadre donné (environnement), et ce, quels que soit le type et la forme des intentions. Le problème est la liaison entre l’ambiance et les paramètres physiques de la configuration matérielle. La recherche de cette relation est généralement soutenue par des simulations, qu’elles soient graphiques ou numériques, qui valident une configuration élaborée à l’aide de l’intuition et de l’expérience.
Maîtrise du bâtiment par l’éclairage naturel
La maîtrise de l’ambiance lumineuse tout au long du processus de création architecturale est un des moyens permettant la conception par l’intention d’ambiance. Cette maîtrise demande au concepteur d’avoir conscience de la relation entre la configuration matérielle qu’il met en place et l’ambiance lumineuse qu’elle génère. Ceci demande une étude pratique de la relation environnement – ambiance lumineuse par la représentation et la manipulation de la lumière dans le projet architectural. Cette étude permet la compréhension du phénomène physique d’éclairage et du phénomène psychologique de perception. Il est difficile de concevoir une ambiance lumineuse dans l’absolu car elle est liée à la conception de la forme géométrique et au choix des matériaux. Une intention d’ambiance lumineuse est générée par l’expérience du concepteur et basée sur une configuration géométrique. L’expression de cette intention d’ambiance permettra la conception par l’intention d’ambiance lumineuse. Certains outils intègrent actuellement les intentions d’ambiance pour en accompagner la conception. Cette intégration demande un traitement informatique des intentions afin de déduire un ensemble de configurations spatiales. La simulation inverse de phénomènes physiques est un des moyens permettant d’accomplir ce traitement (fig. 2.2). La préoccupation est ici de rechercher les causes d’un phénomène à partir de ses effets. La simulation inverse de l’éclairage propose d’agir directement sur l’ambiance lumineuse à partir de la description des intentions d’ambiance. Cette recherche est basée sur l’utilisation de la simulation inverse en architecture :
– 2D : Le Corbusier [Harzallah, 2002], Henri Sauvage,
– 3D : Twarowsky (origine 1962), Knowles,
– Ensoleillement : Siret [Siret, 1997],
– Visibilité : Nivet [Nivet, 1999],
– Application : Houpert [Houpert, 2003].
Cette méthode de simulation inverse n’est possible que si l’on caractérise sans ambigüités l’éclairage que l’on cherche. Cette caractérisation doit être simple et explicite et peut se faire par des indicateurs spécifiques. Nous rejoignons l’idée d’une base d’expression commune de l’ambiance lumineuse pour les acteurs du projet. D’autre part cette méthode n’est utile que si l’on peut exprimer les résultats de manière claire.
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Table des matières
Introduction
I Présentation du problème de simulation inverse de l’éclairage naturel
1 Contexte de la CAAO
2 Problématique
3 État de l’art
II Une méthode d’éclairage inverse pour la conception architecturale
4 Positionnement
5 Réalisation
6 Résultats
Conclusion
III Annexes
A Perception Visuelle
B Unités de la lumière
Bibliographie
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