Le marketing expérientiel
Le public cherche aujourd’hui autant à se divertir qu’à apprendre en entrant dans un musée, un monument historique, un écomusée, une galerie, une bibliothèque. Il est sans cesse à la recherche d’une stimulation sensorielle et émotionnelle . Il désire autant apprendre qu’être surpris, étonné, émotionnellement touché. On entre dans un lieu culturel aujourd’hui pour vivre une expérience mémorable. L’interactivité due aux nouvelles technologies, aux scénographies vivantes, aux environnements virtuels, est attendue et recherchée par le public. On ne peut plus concevoir une exposition, un événement sans cela.
Aujourd’hui, tout conservateur ou commissaire d’exposition à conscience de cette avancée, de ce changement dans la demande, et donc dans la proposition qu’il doit offrir. Le contenu doit être divertissant et l’expérience inoubliable. Le visiteur paye pour obtenir ce résultat, pour vivre cette expérience. Le commissaire le sait bien. Le visiteur, en tant que premier prescripteur de son exposition, doit ressortir conquit, comblé, convaincu, par tous ses sens. Chaque visiteur étant unique, il doit pouvoir se sentir comme tel dans ce qu’il vivra au musée. En effet, le spectaculaire muséal est le courant dominant actuel .
La théorie développée par Pine et Gilmore dans leur ouvrage de référence « The Experience Economy » vise à mettre en avant quatre facteurs qui rendent l’expérience attendue inoubliable :
• l’éducation : il faut en effet ressortir de l’événement transformé, informé, plus cultivé
• le divertissement, indispensable lorsque l’on prend sur son temps libre du temps et de l’argent pour se rendre à un événement, une manifestation
• l’évasion, pour changer son quotidien, pour être transporter
• et l’esthétique pour se délecter du beau et être surpris par le « wow effect » suggéré tout au long de l’événement.
De son côté, M.J. Wolf parle de « e-factor » . Selon lui, la consommation du produit, donc la visite d’une exposition ou d’un événement, est enrichi par le facteur «divertissement ». C’est ce facteur qui devient le moteur de l’économie. Dans tous les domaines, dans tout ce qu’il consomme, l’acheteur recherche ce divertissement, cette expérience.
Est-ce que le lieu lui-même, le bâtiment en soi peut faire partie de cette notion de l’expérience, peut induire et modifier l’émotion du visiteur ? La réponse est évidemment oui. Mais cela peut être en bien ou en mal. Le contenu de l’exposition, de la visite, aura une importance égale au mode de présentation de cette dernière. Autant dans la gestion de la logistique du lieu : accessibilité, propreté, convivialité, ambiance, mais également par le lieu lui-même.
Si la scénographie d’une exposition peut aujourd’hui dominer sur le contenu de cette dernière, le bâtiment dans lequel elle se trouve peut également poser une ombre sur le propos et même sur la capacité du visiteur à se concentrer sur le contenu. Il sera submergé par le lieu plutôt que de se laisser immerger par le message. Ainsi, lorsque l’on fait la promotion d’un événement qui aura lieu dans un endroit insolite, on se doit d’être très prudent sur le message que l’on souhaite transmettre aux publics ciblés. La transparence reste la meilleure solution, une communication franche est de mise pour ne pas surprendre négativement le visiteur.
Il est également important de souligner que, comme le précise F. H. Courvoisier dans son article au sujet des Nouvelles Technologies : « l’immersion et l’interactivité sont donc autant une question d’état d’esprit du visiteur que de technologie pure ». Il en va de même de l’état d’esprit d’un visiteur qui entre dans un bâtiment controversé et qui est présenté et annoncé comme tel.
L’exemple du Pénitencier de Sion, centre d’exposition des Musées cantonaux
Les cris d’horreur et de douleur d’un détenu dont la cellule est en feu et qui périt dans les flammes. Les cris encore de ce prisonnier que l’on bat pour avoir tenté de s’évader ou de cet autre, châtié par ses congénères pour de sombres motifs. Les imprécations de haine et de folie ou les sanglots de remords qui viennent briser la nuit. Les regards de souffrance ou de révolte de ces hommes qui chaque matin tournent en rond pendant une demi-heure dans une petite cour surmontée de hauts murs. Ces souvenirs remontent en moi à chaque passage devant le pénitencier musée de la rue des Châteaux à Sion. Et chaque fois je me demande pour quels motifs morbides ce bâtiment empreint de tant de souffrance, de violence et de haine n’a pas été rasé ou tout au moins transformé. Aucune valeur architecturale ou historique ne justifie son maintien dans l’état. Les expositions qu’il abrite perdent souvent de leur valeur due à l’exiguïté des cellules et à l’absence d’une profondeur permettant d’apprécier les œuvres exposées. En ces temps où l’on veut donner à Sion un aspect moderne, accueillant et convivial ne serait-il pas opportun de redéfinir l’usage de cette bâtisse plutôt que de laisser perdurer ce sombre passé ?
Cette critique, provenant d’un visiteur, est fréquente à Sion après la visite du Pénitencier et de son enceinte. En effet, souvent les gens se disent « bouleversés » par la visite du lieu, peu propice à la présentation d’expositions temporaires. Le Pénitencier de Sion a été inauguré en 1913. Il a été conçu par l’architecte Alphonse de Kalbermatten.
Suite à sa fermeture, les Musées cantonaux du Valais (les Musées d’art, d’histoire et de la nature du Valais) postulent dès 1994 pour la réaffectation du bâtiment en centre d’expositions temporaires, en espérant que des travaux seraient entrepris. Mais il n’en sera rien, ou presque. Seuls quelques travaux de réhabilitation et de rafraîchissement, notamment sur le bâtiment de l’ancienne Chancellerie, second bâtiment du complexe du Pénitencier de Sion, seront effectués.
Le dernier et troisième étage du Pénitencier sera la zone la plus transformée du lieu. En résultera un espace épuré, blanc comprenant quelques piliers, souvent agréable à la scénographie.
Le bâtiment reste cependant difficile, notamment au niveau de l’isolation et du climat, de la difficulté d’exposer dans des petites cellules de prison exiguës et étriquées. Les barreaux sont restés aux fenêtres et les lourdes portes sont toujours symbole d’enfermement. Le discours général de l’exposition que l’on voudra présenter ici doit finalement s’adapter au lieu plus qu’il ne s’adapte lui-même au contenu du propos. Le choix des objets et leurs tailles sont limités dans les espaces, les thématiques doivent être pensées non pas comme un discours continu mais plutôt fractionné.
Le problème de l’accessibilité du bâtiment situé dans une rue de la haute vieille ville de Sion, très en pente, ainsi que l’accès aux étages par des escaliers, limitent les visiteurs et forcent les porteurs de projet à renoncer à certains publics qui pourraient pourtant être d’excellents prescripteurs.
L’espoir d’un grand projet de rénovation et d’extension reste pourtant entier, afin de faire du Pénitencier un centre culturel régional de haute importance, qui évoquera moins son lourd et pénible passé. Sans ce projet, il sera difficile de continuer à l’utiliser comme centre d’expositions, les contraintes étant trop grandes et les moyens trop petits. Comme le démontre l’analyse SWOT annexée, le Pénitencier de Sion ne souffre pas seulement de son ancienne histoire et de sa puissance émotionnelle, qui nuisent certainement à sa réaffectation en centre d’expositions, mais également d’un problème de vieillissement du bâtiment lui-même. Le climat du lieu, l’isolation, la luminosité, tout confirme que l’endroit en soi entrave à la présentation correcte et saine des objets historiques et de collections dans des conditions muséales optimales. Il peut s’agir d’un véritable défi pour les commissaires de devoir s’adapter à un lieu pour concevoir leurs expositions mais ce défi peut vite devenir un calvaire dans le choix du message de l’exposition ou l’articulation du propos qui souvent sera morcelé. L’accessibilité, autant dans la ville elle-même – le site est en pente et les parkings sont loin – que sur le site du Pénitencier – par le manque d’ascenseur notamment – limite le choix des publics cibles et réduit d’elle-même la fréquentation du lieu.
Qu’il soit positif ou négatif, le Pénitencier de Sion bénéficie dans tous les cas et chez tous les visiteurs d’un certain « wow effect » provoqué soit par l’architecture du lieu, soit par son histoire. Ce « wow factor », qu’il implique le sentiment de l’horreur ou plutôt qu’il plaise par la structure spectaculaire du bâtiment, signifie que le visiteur n’oubliera pas sa visite en ses lieux. Nous savons qu’il est difficile de faire perdurer chez le visiteur le souvenir d’un événement, pourtant c’est la trace de ce souvenir qui est recherchée par tout responsable de projet.
Le marketing expérientiel le démontre bien, ce sont souvent des détails, des impressions, des odeurs, un sentiment général, une impression d’ensemble que l’on conserve suite à une manifestation, une visite, mais rarement un souvenir précis de ce que l’on a vu.
Selon le Comité international des Jeux Olympiques, qui définit la qualité d’un événement par son « wow factor », c’est ce dernier qui produira un réel impact sur le visiteur et c’est lui également qui poussera ce même visiteur à partager son expérience de visite. Ce lieu, le Pénitencier, a cet avantage qu’il perdure dans la mémoire de celui qui le voit et qu’il laisse se manifester une impression, un sentiment. Ainsi le visiteur devient un prescripteur à part entière car il parlera du lieu, en bien ou en mal, mais il en parlera, provoquant ainsi chez celui qui l’écoute l’intérêt, la stupeur, du moins la question.
Perspectives pour le Pénitencier de Sion
Le Pénitencier de Sion devrait s’afficher clairement comme fier de sa propre histoire, témoin de l’histoire de la ville de Sion, gardien d’un patrimoine, et surtout comme preuve que cette histoire de tombera jamais dans l’oubli.
Ce bâtiment est sans nul doute un USP (Unique Selling Proposition) en soi. Sa faiblesse devrait devenir une force et figurer tout en haut de la communication et de la promotion liées à la vie de ce monument, de ses expositions et de ses événements. Il est impératif que les côtés sombres de l’histoire d’une ville, d’une région, d’un pays restent dans les mémoires, peut-être tout simplement par respect, mais également pour ne pas renouveler les mêmes erreurs ou échecs. Ainsi, il nous semble tout à fait pertinent de faire entrer le Pénitencier de Sion dans la catégorie de tourisme dite « dark tourism ». Au lieu de s’en cacher, il faudrait promouvoir ce lieu comme lieu unique de ce genre en Suisse, ouvert au public, presque inchangé depuis sa fermeture et surtout, qui a trouvé une seconde vocation. Et quelle vocation ! Y découvrir du beau, de l’art, de l’émotion, dans des murs froids, y apprendre quelque chose et en ressortir grandi. Il pourrait tout à fait s’agir d’un type d’expérience recherché par le visiteur, mais il doit en être conscient avant d’y entrer. Il y a diverses façons d’exploiter un lieu comme celui-ci lorsqu’il n’héberge pas d’expositions temporaires. Les « escape games » sont à l’honneur en ce moment un peu partout. La fête d’Halloween pourrait également être utilisée pour une soirée prometteuse. L’organisation de soirées de rencontres avec d’anciens détenus qui auraient l’envie de partager leur histoire aurait un certain succès également. La location du lieu pour des soirées d’entreprises, des conférences, des séminaires serait très opportune, recherchée même, et serait la source d’un revenu certain. Il est très populaire que dans le tourisme d’affaires, les séminaristes utilisent des lieux comme des caves à vin, des musées, des anciens châteaux, plus populaires aujourd’hui que les traditionnels hôtels ou centre de congrès (dépendant du nombre de participants). Plusieurs demandes venant de l’extérieur ont d’ailleurs déjà été formulées à la direction des Musées cantonaux dans ce sens. Même un couple de jeunes mariés sont venus faire leurs photos de mariage devant le Pénitencier, sur le tapis rouge dans la cour installé là pour l’exposition temporaire « En Marche. Faire un pas, c’est faire un choix » durant l’été 2017. Cela illustre bien le succès que pourrait avoir un tel lieu proposé à la location pour divers événements privés.
Il manque également plusieurs services à mettre en place dans l’enceinte même du Pénitencier :
• Une grande boutique qui vende des produits dérivés des expositions présentées temporairement et des articles permanents en lien avec les Musées d’art, d’histoire et de la nature du Valais
• Un point de restauration, une cafétéria et des distributeurs automatiques, places assises et agréable terrasse avec, pourquoi pas, consultation d’ouvrages publiés par les trois musées. Un partenariat avec une boulangerie locale pourrait être envisagé .
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Table des matières
Remerciements
1. Introduction
2. Le marketing expérientiel
3. L’exemple du Pénitencier de Sion, centre d’exposition des Musées cantonaux
4. Perspectives pour le Pénitencier de Sion
5. Le dark tourism
6. Un tour d’horizon des prisons
7. Conclusion
Bibliographie
Annexes
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