Liens entre les stratégies d’adaptation et la consommation

Liens entre les stratégies d’adaptation et la consommation

Depuis des siècles, les drogues sont utilisées à travers le monde. Que ce soit pour un usage médical, thérapeutique ou encore lors de cérémonies, le cannabis, l’ alcool et les opiacés ont fait partie des mœurs et coutumes des populations. Au départ, le mot drogue servait à décrire une substance pouvant soulager un malade. Ensuite, ce mot servait à désigner des substances illégales. À ce jour, les termes psychotropes ou substances psycho actives (SPA) servent à nommer les produits qui agissent sur le système nerveux central (p.ex., alcool, cannabis, solvants) (Centre québécois de lutte aux dépendances, 2006).

En 2010-2011 , 60 % des élèves des écoles secondaires québécoises affirmaient avoir déjà bu de l’alcool au cours des douze derniers mois et 26 % avoir déjà consommé une autre drogue durant cette même période (Laprise et al., 2012). La consommation d’ alcool et d’ autres drogues à l’ adolescence, mais surtout les problèmes de consommation sont associés à plusieurs conséquences, et ce, dans différentes sphères de la vie de l’ adolescent. La consommation peut avoir des impacts négatifs sur la santé physique, les relations sociales, les relations familiales (Cazale, Fournier, & Dubé, 2009; Laprise et al., 2012), engendrer des dépenses excessives ou la perte d’ argent, provoquer un effet de tolérance, des difficultés psychologiques (Cazale et al., 2009; Laprise et al. , 2012; Laventure, Déry, & Pauzé, 2006) tout comme des difficultés scolaires (Brook, Balka, & Whiteman, 1999; Cazale et al., 2009; Laprise et al., 2012). Les SPA ne sont pas inoffensives et sont consommées par une proportion importante de jeunes. Ces données appuient l’importance de continuer les recherches sur ce sujet. Chez les jeunes qui maintiennent ou augmentent leur consommation dans le temps, la consommation de SP A peut devenir la solution pour affronter ou éviter leurs problèmes. C’est ce que représente le schème de l’assuétude de Peele (1982). Cormier (1977) va dans le même sens en expliquant la consommation comme un choix que l’individu fait d’intervenir sur son propre organisme plutôt que sur le stresseur rencontré et d’y faire face. La consommation est ainsi utilisée comme stratégie d’adaptation par plusieurs personnes, d’où la nécessité d’étudier davantage la relation entre les stratégies d’ adaptation et la consommation de SPA. Les stratégies d’adaptation ont été bien documentées chez les adultes, un peu moins chez les adolescents. Peu de chercheurs ont, jusqu’à présent, tenté  de déterminer quelles sont les associations possibles entre les stratégies d’adaptation et la consommation des adolescents. Encore moins d’études se servent d’un devis longitudinal  pour vérifier si l’utilisation des stratégies d’adaptation des adolescents change dans le temps selon la stabilité et les changements dans la sévérité de leur consommation de SPA. La présente étude tentera de pallier à ce manque au niveau des connaissances.

Ce mémoire se divise en quatre chapitres. Le premier présente les éléments théoriques sur la consommation de SPA chez les adolescents, les stratégies d’adaptation et les liens existants entre ces deux variables. Le deuxième chapitre décrit la méthode utilisée pour cette étude. Le troisième chapitre rapporte les analyses des résultats. Le quatrième chapitre inclut la discussion de ces résultats ainsi que la conclusion.

Pour bien cerner la problématique de cette recherche, ce chapitre traitera des connaissances scientifiques concernant la consommation de SPA chez les adolescents, de leurs stratégies d’ adaptation et des liens entre ces deux concepts. Plus spécifiquement, le contexte théorique se divise en six sections. La première traite de la consommation de SPA chez les adolescents et aborde les questions de la prévalence, de la définition de l’abus et de la dépendance et des facteurs associés à la consommation chez les adolescents. La deuxième section présente les stratégies d’adaptation notamment selon la théorie transactionnelle du stress « personne-environnement » de Lazarus et Folkman (1984). Différentes recherches portant sur les stratégies d’adaptation des adolescents sont également étayées. La troisième section traite des trajectoires de consommation de SPA des jeunes sous deux angles : les résultats provenant des études quantitatives et qualitatives. La quatrième section présente les liens déjà documentés entre les stratégies d’adaptation et la consommation de SPA. La cinquième section dresse un bilan de l’état des connaissances. Enfin, la dernière section présente l’objectif général de cette étude et les hypothèses de recherche.

La consommation de SPA chez les adolescents 

Évolution de la prévalence 

Entre 2004 et 2008, les données sont très semblables concernant la consommation d’ alcool dans la dernière année! des élèves des écoles secondaires québécoises, avec 63 % en 2004 et 60 % en 2006 et en 2008 (Cazale et al. , 2009; Dubé, 2007; Pica, 2005). Certains consomment de l’ alcool de façon excessive, cette pratique est aussi appelée « binge drinking ». Ce terme signifie qu’un jeune aura bu cinq consommations d’alcool ou plus dans une même occasion. En 2004, 43 % des jeunes du secondaire disait l’ avoir expérimenté au moins une fois (Pica, 2005). En 2006 et 2008, les proportions restaient similaires avec 40 % (Cazale et al., 2009; Dubé, 2007). Cependant, parmi les buveurs, la proportion de buveurs excessifs a un peu augmenté depuis le début des années 2000. En effet, 63 % des jeunes ayant consommé de l’ alcool l’ont fait de façon excessive en 2002, 68 % en 2004, 66 % en 2006 et 67 % en 2008 (Cazale et al., 2009; Dubé, 2007; Pica, 2005). Ceci montre que le « binge drinking », ou boire excessif, touche plus de la moitié des jeunes buveurs québécois depuis plusieurs années. Quant à elle, la consommation de cannabis est à la baisse. En 2000, l’Institut de la statistique du Québec (lSQ) estimait à 41 % les jeunes ayant consommé cette substance, suivis de 39 % en 2002 et de 36 % en 2004. La baisse est ensuite plus prononcée avec 29 % en 2006 et 27 % en 2008. Toujours selon l’ISQ, la proportion de consommateurs d’ amphétamines a très peu changé depuis 2000 (7 % en 2000, 8 % en 2002, 10 % en 2004, 9 % en 2006 et 7 % en 2008). La polyconsommation, qui consiste en un usage simultané ou alterné de deux ou plusieurs drogues, enregistre une nette diminution de popularité chez les jeunes du secondaire. Lors de la première collecte de l’ISQ, la proportion de polyconsommateurs se chiffrait à 41%, suivie de près à 39 % en 2002 et à 35 % en 2004. Cette proportion descendait à 29 % en 2006 et à 26 % en 2008 (Cazale et al., 2009) .

Selon la plus récente enquête québécoise sur la santé des jeunes du secondaire, effectuée par l’ISQ en 2010-2011 , une proportion de 60 % de jeunes a consommé de l’ alcool au moins une fois dans la dernière année. Aucune distinction significative n’est observée sur ce plan entre les garçons et les filles. La prévalence du boire excessif chez l’ensemble des jeunes du secondaire est de 41 % en 2010-20 Il . Les garçons sont un peu plus nombreux que les filles à avoir bu de façon excessive (42 % c. 40 %) (Laprise et al., 2012). D’après la même enquête, la consommation de drogues autres que l’ alcool chez les jeunes du secondaire s’élève à 26 %. Le cannabis demeure la substance de prédilection des adolescents avec 25 % de consommateurs. La prise d’ecstasy au cours des 12 derniers mois est relativement limitée chez les jeunes avec environ 9 % de consommateurs et 7 % ont consommé des amphétamines. Il est à noter que des différences selon le sexe sont observables en fonction des drogues consommées. Le cannabis (26 % c. 24 %), les hallucinogènes (7 % c. 2 %), la cocaïne (3 ,2 % c. 2,6 %) et l’héroïne (0,9 % c. 0,7 %) sont davantage consommés par les garçons tandis que l’ecstasy (8 % c. 10 %) et les amphétamines (6 % c. 8 %) sont plus consommées par les filles. La polyconsommation est observée chez 25 % des consommateurs d’alcool et de drogues au cours des 12 derniers mois (Laprise et al., 2012).

Par ailleurs, la proportion de consommateurs, tant d’ alcool que d’ autres drogues, augmente avec les années de scolarité. Selon l’étude de Laprise et al. (2012), une proportion de 26 % des jeunes de secondaire 1 a consommé de l’ alcool dans la dernière année face à 85 % en secondaire V, ce qui représente une hausse de plus du triple. Les différences selon le sexe et les niveaux d’études ne sont significatives qu’en première (28 % garçons c. 23 % filles) et cinquième secondaire (86 % garçons c. 83 % filles). Le phénomène du boire excessif augmente aussi avec le niveau scolaire. Il passe de 12 % en secondaire 1 à 68 % en secondaire V (au moins une fois dans la dernière année). Aucune différence significative n’est observable pour le sexe sauf en cinquième secondaire, où les garçons boivent de façon excessive en plus grande proportion que les filles (72 % c. 64 %). En ce qui concerne le cannabis, les proportions passent de 5 % en secondaire 1 à 43 % en secondaire V, où elles touchent presque une personne sur deux. Les différences selon le sexe et les niveaux d’études sont significatives en première (6 % garçons c. 5 % filles), troisième (30 % garçons c. 27 % filles) et cinquième secondaire (47 % garçons c. 41 % filles). Concernant les SPA suivantes, les différences sexuelles selon le niveau scolaire ne sont pas exposées dans le rapport de l’étude conduite en 2010-2011 (Laprise et al., 2012). Pour la consommation d’ecstasy, la proportion passe de 2 % en secondaire l à 14 % en secondaire V. Pour les amphétamines, la proportion passe d’environ 2 % en secondaire l à 10 % en secondaire V. La proportion de jeunes consommateurs d’hallucinogènes passe de 1 % en secondaire l à 10 % en secondaire V. Quant à la proportion de polyconsommateurs, elle passe de 5 % en secondaire l à 43 % en secondaire V. Les résultats sont similaires entre les garçons et les filles, sauf en secondaire V, où les garçons sont plus nombreux à être polyconsommateurs (46 % c. 40%).

Définition de la dépendance 

Afin de mieux comprendre la notion de dépendance aux SPA, les critères du DSM-V sont rapportés. Par contre, il est important de mentionner que ces critères sont définis pour les adultes et qu’il n’en existe pas chez les adolescents pour ce type de diagnostic. Habituellement, les professionnels utilisent quand même ces critères pour les adolescents, tout en exerçant leur jugement clinique.

Plusieurs critères diagnostiques sont utilisés dans le DSM -V (American Psychiatric Association, 2013) pour diagnostiquer la dépendance de SPA chez l’ adulte. Il faut mentionner que les diagnostics d’ abus et de dépendance aux SPA, présents séparément dans les versions antérieures du DSM, ont été fusionnés dans le DSM -V. Les instruments de détection de la consomrrÏation problématique s’inspirent de ces critères. La dépendance aux SPA se caractérise par le fait de vivre au moins deux des onze symptômes suivants durant les 12 derniers mois: 1- ressentir une tolérance face à une SP A consommée; 2- vivre des symptômes de sevrage lorsque la consommation cesse; 3- constater une augmentation non prévue en durée ou en quantité de la consommation; 4- ressentir un désir persistant de contrôler ou de diminuer sa consommation ou les efforts sont infructueux pour y arriver; 5- prendre beaucoup de temps pour s’occuper de sa consommation (à se procurer le produit, le consommer ou récupérer de ses effets); 6- diminuer ou arrêter ses activités sociales, ou de loisirs en raison de la consommation; 7- persister à consommer malgré la conscience des problèmes physiques ou psychologiques causés par la consommation; 8- consommer malgré les problèmes sociaux ou interpersonnels causés par la consommation; 9- ressentir un sentiment de manque (craving); 10- manifester des manquements dans les obligations majeures au travail, à l’école ou à la maison et; 11- consommer dans des situations pouvant être physiquement dangereuses. Ces critères mettent en évidence la présence d’une altération du fonctionnement et d’un mal-être significatif, si ce n’ est pour l’ individu, à tout le moins pour son entourage. Une personne manifestant deux à trois de ces symptômes peut recevoir un diagnostic de dépendance légère, quatre à cinq une dépendance modérée ou six et plus, une dépendance sévère.

Au Québec, une équipe de chercheurs du RISQ s’est concertée afin de développer un outil de dépistage validé en français et pouvant être utilisé auprès d’ une clientèle adolescente de première ligne en dépendance (école, centre jeunesse, maison des jeunes, centre de santé et de services sociaux, etc.). La Grille de dépistage de consommation problématique d’alcool et de drogues chez les adolescents et les adolescentes (DEP-ADO version 3.2) (Germain et al., 2007) s’ appuie sur des éléments de l’IGT-Adolescent (Germain, Landry, & Bergeron, 2003), sur certains critères diagnostiques d’abus et de dépendance du DSM-IV et sur d’ autres outils existants. Ces critères permettent de différencier les jeunes qui ont développé des problèmes de consommation, ceux qui ont des problèmes en émergence et ceux qui n’en ont aucun. Pour ce faire, un système de gradation est utilisé pour distinguer ces différents types de consommateurs. Les feux verts désignent ceux qui n’ont pas de problème de consommation, ce qui n’exclut pas une consommation exploratoire ou occasionnelle. Les feux jaunes sont ceux qui ont des résultats laissant supposer des problèmes en émergence (consommation à risque) et les feux rouges concernent les jeunes qui présentent des problèmes évidents de consommation et qui peuvent répondre à des critères de dépendance aux SPA. La version 3.1 est retenue dans le cadre de ce mémoire (Germain et al., 2003).

Lors de son enquête de 2010-2011 , l’Institut de la statistique du Québec a également utilisé l’outil de dépistage DEP-ADO (version 3.2) et montre que 90 % des élèves du secondaire n’ont aucun problème de consommation de SPA (feu vert). Cinq pour cent ont des problèmes de consommation en émergence et pour lesquels une intervention précoce serait souhaitable (feu jaune). Une même proportion d’élèves (5 %) présente des problèmes évidents de consommation nécessitant une intervention dans une ressource spécialisée en dépendance (feu rouge). Les indices DEP-ADO selon le sexe indiquent que les garçons sont proportionnellement plus nombreux dans les catégories feu jaune (6 % c. 4,6 %) et feu rouge (5 % c. 4,8 %). La proportion de jeunes dans les trois catégories de feux change en fonction des niveaux scolaires. La proportion de jeunes qui se retrouve dans la catégorie feu vert diminue avec les années de scolarité, allant de 98 % en secondaire 1 à 83 % en secondaire V. À l’inverse, la proportion de jeunes qui se situent dans les catégories feu jaune et feu rouge augmente avec les années de scolarité. Les jeunes classés feux jaunes passent de 1 % en secondaire 1 à 9 % en secondaire V et ceux de la catégorie feu rouge passent de ·l % en secondaire 1 à 8 % en secondaire V (Laprise et al., 2012). Les résultats du DEP-ADO sur les catégories de gravité de la consommation en fonction du type de substances consommées par les élèves du secondaire ne sont pas repris dans l’enquête québécoise sur la santé des jeunes du secondaire de 2010-2011, mais l’enquête précédente (Cazale et al., 2009) présentait ce type de résultats. Pour l’alcool, 81 % des jeunes qui en ont consommé dans la dernière année présentent un feu vert, 10 % un feu jaune et 10 % un feu rouge. Près de 60 % des jeunes qui ont consommé du cannabis sont cotés feu vert, 20 % feu jaune et 22 % feu rouge. Pour les amphétamines, parmi tous les jeunes qui en ont consommé dans la dernière année, 22 % sont feu vert, 22 % feu jaune et 56 % sont feu rouge (Cazale et al., 2009).

Pour comprendre ce qui explique que des adolescents consomment des SPA et que certains d’entre eux développent des problèmes de dépendance, il est essentiel d’aborder les facteurs associés positivement ou négativement à la consommation chez les adolescents. Les facteurs familiaux, sociaux, environnementaux et personnels sont ainsi présentés plus en détail.

Facteurs associés à la consommation chez les adolescents 

En étudiant les facteurs familiaux liés à la consommation de SPA chez les jeunes, les chercheurs ont appris plusieurs éléments importants. Le type de structure familiale est lié aux risques de consommation chez les adolescents. Les familles monoparentales, les familles recomposées ainsi que d’autres types de familles (tuteur légal, foyer d’accueil) regroupent une plus ‘ grande proportion d’adolescents consommateurs de SPA en comparaison des familles nucléaires intactes (Cazale et al., 2009; Hetherington, 2003; Kelly, 2003 ; Laprise et al., 2012; Swift, Coffey, Carlin, Degenhardt, & Patton, 2008). Il a bel et bien été établi que les parents ayant des normes et des restrictions plus strictes envers la consommation d’alcool ont un effet sur la diminution des risques que leur adolescent en débute la consommation (Kosterman,Hawkins, Guo, Catalano, & Abbott, 2000). Or, il a été documenté que la conviction qu’un adolescent entretient face à la réaction de ses parents s’il commence à consommerpeut avoir un impact important. En  effet, s’il croit qu’il sera puni par ses parents, les risques qu’il commence à boire diminuent d’environ la moitié (Song, Smiler, Wagoner, & Wolfson, 2012).

D’autre part, les adolescents, dont la perception est qu’ils bénéficient d’un soutien familial plus élevé que la moyenne, sont moins susceptibles de consommer de l’alcool que ceux ayant une perception à l’opposé (Barnes, Mitic, Leadbeater, & Dhami, 2009; Hamdan Mansour, Puskar, & Sereika, 2005). De plus, un attachement parent adolescent basé sur un bon soutien parental, du temps consacré au jeune et l’ entretien de relations non conflictuelles protège l’adolescent de la consommation de drogues (Ostaszewski & Zimmerman, 2006). Les jeunes qui perçoivent un manque de supervision parentale sont plus susceptibles de consommer des SPA que ceux qui ne perçoivent pas de manque (Gosselin, Larocque, Vitaro, & Gagnon, 2000). Les adolescents ayant une histoire familiale de consommation de SPA présentent plus de risques d’abuser de l’ alcool que ceux qui n’en ont pas (Brook et al., 2001; HamdanMansour et al., 2005).

Les facteurs SOCIaux ont également retenu l’attention des chercheurs. L’importance des amis au cours de l’adolescence est bien documentée et les amis consommateurs jouent un rôle déterminant. En ce sens, Siqueira, Diab, Bodian et Rolnitzky (2001) ont constaté que la grande majorité des consommateurs de cannabis de leur échantillon avait des amis qui consommaient cette substance. D’autres chercheurs affirment qu’en ce qui concerne l’alcool, la consommation chez les amis augmente les risques de consommation chez l’adolescent (Barnes et al., 2009; Chabrol et al., 2006; Song et al., 2012). À l’inverse, une étude qualitative révèle que des jeunes relient les périodes de diminution ou d’arrêt de leur consommation de drogues à leur adhérence à un groupe de pairs plus conformistes (Brunelle, Cousineau, & Brochu, 2005).

Les facteurs environnementaux ont aussi été ciblés par les chercheurs. La disponibilité des SPA (von Sydow, Lieb, Pfister, Hofler, & Wittchen, 2002) et le faible statut socioéconomique des parents (Lemstra et al., 2008) sont considérés comme des éléments importants par certains auteurs. Effectivement, la méta-analyse de Lemstra et al. (2008) a permis de conclure que la prévalence des comportements à risques liés à la consommation de cannabis et d’alcool est plus élevée chez les adolescents de 10 à 15 ans ayant des parents avec un faible statut socioéconomique que chez les jeunes dont le statut des parents est supérieur. Toutefois, une autre étude révèle plutôt que le fait d’occuper un emploi rémunéré ou encore, recevoir une allocation hebdomadaire est associé à la consommation de SPA. Dans cette enquête, la proportion de consommateurs dans la dernière année est plus élevée chez ceux qui ont un revenu plus important que chez ceux qui ont un revenu moindre ou qui ont une absence de revenu (Cazale et al., 2009).

Au plan personnel, la consommation de SPA est associée à d’ autres comportements problématiques telles la consommation de tabac (Chabrol et al., 2006; Milton et al., 2004; Santé canada, 2002), la présence d’un trouble des conduites (Laventure et al., 2006; Szobot et al. , 2007) et la présence du trouble du déficit de l’ attention avec hyperactivité (Szobot et al., 2007). De plus, les adolescents impulsifs recherchant des sensations fortes consomment significativement plus d’alcool et présentent plus de problèmes liés à la consommation d’ alcool que les jeunes moins impulsifs (Robbins & Bryan, 2004). Les adolescents ayant des difficultés de sommeil sont, d’une façon prononcée, plus à risque de consommer des SPA que ceux qui n’ontpas de telles difficultés (Fakier & Wild, 20 Il). Finalement, une association a été trouvée entre le fait de jouer à des jeux de hasard et d’ argent et les problèmes de consommation (Brunelle et al., 2012).

Aussi, les adolescents plus âgés (Song et al., 2012), de sexe masculin (Bames et al., 2009; Song et al., 2012; Swift et al., 2008) tout comme ceux de race blanche (Song et al., 2012) sont plus à risques d’avoir des comportements de consommation d’alcool que les autres adolescents.

À l’inverse, Arthur, Hawkins, Pollard, Catalano et Baglioni (2002) ont trouvé certaines caractéristiques personnelles pouvant diminuer le risque de consommer. Ainsi, un tempérament résilient, la croyance du jeune en une norme morale, être sociable et la religiosité ont, selon ce groupe de chercheurs, une influence positive sur la consommation. Parallèlement, certains auteurs s’intéressent aux stratégies d’adaptation des jeunes et croient qu’elles présenteraient des liens non négligeables avec la consommation de SPA chez les adolescents (Dashora, Erdem, & Slesnick, 20 Il ; Harndan-Mansour et al., 2005; Minehan, Newcomb, & Galaif, 2000; Siqueira et al., 2001). Cet aspect personnel sera d’ailleurs retenu dans le cadre du présent mémoire, et ce, en privilégiant la théorie de Lazarus et Folkman (1984) afin d’avoir accès à tout le processus d’adaptation des jeunes face au stress.

La théorie transactionnelle du stress « personne-environnement» de Lazarus et Folkman 

Deux grandes approches théoriques sont utilisées pour définir la notion de stratégies d’adaptation: psychodynarnique et contextuelle. D’un côté, l’approche psychodynarnique associe les stratégies d’ adaptation aux mécanismes de défense qui s’apparentent aux défenses du Moi (Paulhan & Bourgeois, 1995). L’objectif est alors de réduire ou supprimer tout ce qui peut susciter l’angoisse (Paulhan, 1992). D’un autre côté, l’approche contextuelle appelée aussi théorie transactionnelle du stress « personneenvironnement » (Lazarus & Folkman, 1984) considère que les stratégies d’adaptation sont des réponses provenant d’un déséquilibre entre les demandes d’une situation stressante et les ressources disponibles de l’individu pour y faire face (Folkman, Lazarus, Gruen, & DeLongis, 1986; Paulhan & Bourgeois, 1995). L’approche contextuelle sera privilégiée dans cette étude .

La définition des stratégies d’adaptation la plus répandue a été traduite et se lit comme suit: elles sont « l’ ensemble des efforts cognitifs et comportementaux destinés à maîtriser, réduire ou tolérer les exigences internes ou externes qui menacent ou dépassent les ressources d’un individu » (Paulhan & Bourgeois, 1995, p. 40). En somme, l’objectif des réponses des stratégies adaptatives efficaces est de favoriser l’adaptation psychosociale, de diminuer l’inconfort psychologique induit par le stresseur et de conserver une relation positive avec son environnement (Lazarus & Folkman, 1984). Cette relation entre l’individu et l’environnement est dynamique, c’est-à-dire, en constants changements et bidirectionnelle. Plus précisément, l’individu et l’environnement s’influencent mutuellement (Folkman, 1984).

Les stratégies d’adaptation ont deux fonctions majeures soit la régulation des émotions (stratégie d’ adaptation centrée sur l’ émotion) et la gestion du problème qui est à l’origine de la détresse (stratégie d’adaptation centrée sur le problème) (Lazarus & Follauan, 1984). Les stratégies d’ adaptation centrées sur l’émotion ont pour objectif de réduire la tension émotionnelle produite par la situation, mais ils n’auront aucun effet sur le problème. Pour ce faire, l’individu peut altérer la signification d’un résultat par l’évitement, la minimisation, la distanciation, l’attention sélective ou encore, en faisant ressortir les aspects positifs d’une situation négative. Le deuxième type de stratégies, centré sur le problème, va, au contraire, modifier la situation et agir par le fait même sur  les émotions. Cela permet de contrôler les difficultés dans la relation personneenvironnement à travers la résolution de problèmes, la recherche de solutions alternatives, la prise de décisions et les actions directes. Les deux types de stratégies d’adaptation peuvent être utilisés conjointement lors de situations particulièrement stressantes (Folkman, 1984; Lazarus & Folkman, 1984; Paulhan & Bourgeois, 1995). Folkman (2008) précise que les stratégies d’adaptation centrées sur les émotions sont utilisées plus particulièrement lorsqu’une situation doit être acceptée et que l’individu considère qu’il ne peut avoir un certain contrôle sur la situation, tandis que les stratégies d’adaptation centrées sur le problème sont plus souvent utilisées lors de situations où une action peut être entreprise.

La signification qu’un individu donne à une situation stressante dépend de l’évaluation cognitive qu’il en fait. Cette évaluation se divise en deux étapes: l’évaluation pnmaIre, qUI sert principalement à déterminer la signification de la transaction, et l’ évaluation secondaire, qui permet d’ évaluer ses ressources de stratégies d’ adaptation et ses options (Folkman, 1984).

Plus spécifiquement, l’ évaluation primaire consiste en une évaluation des enjeux découlant de la situation rencontrée. Que ce soit un sentiment de perte, de menace ou de défi, plusieurs émotions peuvent y être associées. La perte et la menace génèrent des émotions négatives telles la honte, la colère ou la peur, tandis que le défi engendre des émotions plus positives comme la passion ou l’ euphorie (Folkman, 1984; Paulhan & Bourgeois, 1995).

L’évaluation secondaire survient lorsque l’individu se questionne sur ses capacités, sur son sentiment d’auto-efficacité personnel et sur ce qu’il peut faire pour remédier à la perte, prévenir la menace ou relever le défi (Lazarus & Folkman, 1987). Cette étape comprend l’ évaluation des ressources adaptatives de l’individu et de ses options disponibles. Il passe  en revue ses différentes ressources (physique, sociale, psychologique et ses biens matériels) selon la situation qui se présente. Durant l’évaluation secondaire, l’individu évalue les demandes encourues pour faire face à la situation rencontrée versus ses ressources, ses options et ses habiletés à mettre en place les stratégies d’adaptation nécessaires à la situation (Folkman, 1984).

Les processus d’évaluation pnmalre et secondaire sont influencés par les caractéristiques personnelles (les croyances, l’endurance et l’anxiété-trait) de l’individu et les variables environnementales. Les croyances font référence tant à la religion qu’au lieu de contrôle (interne ou externe) de la situation. L’endurance réfère plutôt à la résistance d’un individu aux exigences externes et aux stresseurs et l’anxiété-trait qualifie les gens qui ont une tendance naturelle à l’anxiété. Ces facteurs influenceraient particulièrement l’évaluation de la situation si cette dernière est nouvelle ou ambigüe. À ce moment, l’individu fait des inférences en se basant spécialement sur ses ressources personnelles pour lui permettre d’y V01r plus clair. Les caractéristiques environnementales, quant à elles, regroupent les particularités de la situation (le type de danger rencontré, le moment et sa durée) et les ressources sociales (soutien social) (Folkman, 1984)

Après les évaluations pnmaues et secondaires amSI que l’application de la stratégie d’adaptation sélectionnée, une réévaluation de la situation stressante est effectuée. Le processus est dynamique et permet d’ajuster les évaluations tout au long de la relation «personne-environnement» (Lazarus & Folkman, 1984). Si la situation est résolue, les émotions prédominantes générées seront positives, tandis que si la situation n’est pas résolue, les émotions seront davantage négatives. Suite à cela, une autre réponse peut alors être émise. La réévaluation est continuelle, et ce, jusqu’à ce que la situation stressante soit résolue (Folkman & Moskowitz, 2004).

Conclusion 

La consommation de SPA est une problématique présente chez les jeunes depuis de nombreuses décennies, c’est pourquoi il est important de s’y attarder. Cette recherche, de par son aspect unique et innovateur, est une piste prometteuse pour les chercheurs. Effectivement, peu d’entre eux ont tenté de déterminer les liens entre les stratégies d’adaptation et la consommation des adolescents sur plus d’un temps de mesure. Ce présent mémoire contribue à l’amélioration des connaissances de cette association sur deux années. C’ est pourquoi les résultats obtenus sont si importants. D’autant plus qu’ils concernent directement les adolescents Québécois. Cette recherche a permis de déterminer que les stratégies « travailler à résoudre le problème », « travailler fort pour réussir », « se centrer sur le positif » et « faire de l’ activité physique » peuvent être utilisées comme levier d’intervention auprès des jeunes dès le début de l’adolescence pour ainsi tenter d’influencer leur trajectoire de consommation. Aussi, les stratégies « s’inquiéter », « ne rien faire », « ignorer le problème », « se blâmer », « se renfermer en soi », « se plaindre de maux physiques », « se réfugier dans la pensée magique » et « investir dans ses amis », ont quant à elles été ciblées comme stratégies associées à la consommation des jeunes. Cette contribution aux connaissances actuelles est importante, car elle ouvre la porte à de nouvelles possibilités de recherche. Il serait intéressant de comparer des groupes de consommateurs, l’un recevant un programme favorisant les stratégies d’ adaptation productives et l’ autre comme groupe témoin et, ainsi, mesurer la sévérité de leur consommation après une période donnée. Il pourrait aussi être intéressant de mener une étude longitudinale de l’adolescence à l’ âge adulte afin de tracer un portrait beaucoup plus fidèle de l’évolution de la consommation des adolescents Québécois une fois adultes. Ainsi, le lien entre la consommation de SPA et les stratégies d’adaptation pourrait être documenté à plus long terme et fournir notamment des pistes d’ intervention pour les clientèles jeunes adultes.

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Table des matières

Introduction 
Contexte théorique
La consommation de SPA chez les adolescents
Évolution de la prévalence
Définition de la dépendance
Facteurs associés à la consommation chez les adolescents
Stratégies d’ adaptation
La théorie transactionnelle du stress « personne-environnement » de Lazarus et
Folkman
Les styles et les stratégies d’ adaptation
Les études sur les stratégies d’ adaptation chez les adolescents
Trajectoires de consommation
Liens entre les stratégies d’adaptation et la consommation
Pertinence de la recherche
Objectif général
Hypothèses
Méthode
Participants
Instruments de mesure
Stratégies d’adaptation
Sévérité de la consommation de SPA
Résultats
Proportion de jeunes selon leur appartenance aux groupes de sévérité de la
consommation de SPA et selon leur sexe au Tl et au T2
Les stratégies d’adaptation selon le sexe pour le Tl et le T2
Stabilité et changement de la sévérité de la consommation d’une année à l’autre
Stabilité
Changements
Les stratégies d’adaptation selon les groupes de consommation et les changements
dans le temps
Les effets d’interaction
Les effets principaux liés au temps
Les effets principaux liés aux groupes (vert-vert, vert-JR, JR-vert, JR-JR)
Discussion
Proportion des jeunes selon leur appartenance aux groupes de sévérité de la
consommation de SPA et selon leur sexe
Stratégies d’adaptation selon le sexe des jeunes
Stabilité et changement de la sévérité de la consommation d’une année à l’autre
Les stratégies d’adaptation selon les groupes de consommation et les changements
dans le temps
Retombées possibles de l’étude
Limites de l’étude .
Conclusion

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