En vue de finaliser le parcours de formation du master MEEF 1er degré, la rédaction d’un mémoire est requise afin d’évaluer les compétences de recherche, de documentation et de synthétisation rigoureuses et scientifiques sur un sujet d’étude. Pour construire ce mémoire de recherche, il m’a paru essentiel de traiter d’une discipline qui m’intéressait particulièrement, notamment parce qu’elle permet d’aborder le métier de professeur des écoles dans sa globalité, c’est pourquoi j’ai choisi la sociologie. De plus, lors de mes stages d’observations de première année de Master MEEF 1er degré, plusieurs éléments m’ont frappé. En classe, lorsque l’enseignant pose une question, ce sont souvent les mêmes élèves qui demandent à participer pour y répondre. En outre, lorsque plusieurs élèves lèvent la main, il arrive que l’enseignant interroge un tout autre élève que l’un de ceux qui demandent la parole. L’enseignant a par ailleurs tendance à répéter toujours la même chose à certains élèves en particulier.
Ces faits interactionnels m’ont posé question au regard de l’idéal égalitaire défendu par l’école. Les récentes initiatives de l’Éducation Nationale réaffirment les objectifs de « réussite pour tous » et « d’égalité des chances ». Tout d’abord, la loi d’orientation et de programme pour l’avenir de l’école de 2005 vise l’égalité des droits et des chances entre les élèves en permettant notamment l’inclusion des enfants handicapés à l’école . Ensuite, la loi d’orientation et de programmation pour la refondation de l’École de la République de 2013 cherche à assurer la réussite de tous en insistant sur la réduction des inégalités entre élèves . Enfin, la circulaire de rentrée de 2015 indique la recommandation suivante : « garantir l’égalité » et la loi pour une École de la confiance de juillet 2019 permet d’abaisser l’âge de l’instruction obligatoire à 3 ans afin de « lutter contre les inégalités dès le plus jeune âge » . Face à ces instructions ministérielles, on s’attend à ce que chaque enseignant considère ses élèves de façon égalitaire et qu’il tende ainsi à donner la même place à tous. Cette « place identique » passerait notamment par l’égalité des moyens mis à disposition de chaque élève pour réussir scolairement, de l’attention que l’enseignant leur accorde individuellement ou encore du temps de parole dans lequel est impliqué l’élève. Or, les observations de stages citées précédemment ne semblaient pas aller dans ce sens .
Cadre théorique de l’objet d’étude
De « l’école égalitaire » à « l’école équitable »
Loin d’être une pratique à rebours des injonctions ministérielles, et aussi paradoxale que cela puisse sembler a priori, la différenciation mise en œuvre par les enseignants vient répondre aux attentes ministérielles. D’après le référentiel de compétences des métiers du professorat et de l’éducation publié en 2013 dans le Bulletin Officiel , la compétence 4 commune à tous les professeurs et personnels de l’éducation suggère en effet que ces derniers doivent « prendre en compte la diversité des élèves » et la compétence 3 commune uniquement aux professeurs proposent à ceux-ci de « construire, mettre en œuvre et animer des situations d’enseignement et d’apprentissage prenant en compte la diversité des élèves ». Ces deux compétences insistent particulièrement sur le fait que l’enseignant doit être en mesure d’adapter son enseignement en fonction des capacités et du rythme de chaque élève. Ce référentiel opère un glissement d’objectifs, d’une «école égalitaire » à une « école équitable » en demandant aux enseignants de personnaliser chaque parcours d’élève et d’offrir à chacun d’entre eux des moyens adaptés à leurs besoins individuels afin d’assurer la réussite pour tous : c’est la différenciation pédagogique.
La construction « d’identité scolaire »
La différenciation pédagogique n’est possible que si l’enseignant est en mesure d’identifier quelles sont les particularités de l’élève afin d’adapter son enseignement aux besoins particuliers de chacun de ses élèves. En effet, un extrait des « Programmes et instructions » de 1985 pour les collèges expose l’idée suivante :
« La pédagogie ne permet de parvenir aux objectifs visés et aux connaissances essentielles que si elle favorise l’activité de l’élève, développe ses capacités de création et d’invention, et tient compte, sans les consacrer et pour les dépasser, des différences qui existent entre eux : différences d’âge, de sexe et d’habitudes, pluralité des origines ethniques, sociales ou culturelles. » (Extrait des Programmes et instructions pour les collèges,1985) .
Cet extrait permet de mettre en lumière un ensemble de variables qui fluctuent d’un élève à l’autre (âge, sexe, habitudes, origines sociales, ethniques ou culturelles). Ces variables doivent nécessairement être prises en considération par l’enseignant afin de proposer un contenu didactique et pédagogique le plus adapté possible au profil de chaque élève et favoriser ainsi sa réussite scolaire.
Ainsi, l’enseignant construit inconsciemment des « identités scolaires » qui résulteraient, selon S. Broccolichi (1995), de la connaissance qu’a l’enseignant du statut scolaire ou encore de l’origine sociale de ses élèves. D’autres auteurs comme P. Bressoux et P. Pansu (2003) ou N. Francols (2012) ajoutent le fait que l’enseignant pourrait également s’appuyer sur d’autres critères pour attribuer ces « identités » comme par exemple : le sexe, l’attractivité physique, l’origine ethnique, le comportement, la confiance en soi, l’autonomie, les compétences sociales, le retard scolaire ou encore les mécanismes de projections et de transferts d’histoires vécues par l’enseignant.
« […] quand l’enseignant retrouve dans sa classe le petit frère d’un élève avec lequel il a déjà travaillé. S’il perçoit en lui certaines caractéristiques communes, il plaquera une histoire interactionnelle passée sur une à venir. […] Personne n’échappe aux mécanismes de projections et de transferts : lorsque je m’adresse à une personne, je m’adresse à l’idée que je me fais de cette personne, cette idée de l’autre comprend ses caractéristiques identitaires réelles et celles que je lui prête parce qu’il ressemble à une autre personne ou entre dans une catégorie de personnes. Ces phénomènes, valables pour l’enseignant comme pour l’élève, sont inconscients et le restent, jusqu’à ce qu’on en prenne conscience et qu’on ne les agisse plus malgré soi. » (Extrait de l’ouvrage De la difficulté d’aider en classe : Renforcer l’interaction élèves enseignants, Je t’aide moi non plus, page 20, Nathalie Francols, 2012) .
Finalement, les enseignants ne jugeraient pas toujours les élèves à partir de leurs réelles aptitudes scolaires mais s’appuieraient sur des histoires vécues ou encore des caractéristiques dépassant le cadre de l’école, c’est également ce que met en évidence N. Keddie (2007).
« Les enseignants parlent plus souvent des qualités « morales » ou « sociales » des élèves que de leurs aptitudes cognitives -, mais aussi la propension à présenter ces mêmes qualités comme des aptitudes cognitives. » (Extrait de l’article Le savoir dispensé dans la salle de classe, Nell Keddie, Paris, La Dispute, 2007).
Cette dérive enseignante consistant à utiliser la conduite de l’élève ou encore son origine sociale pour expliquer ses performances scolaires pourrait impacter le comportement qu’adopte l’enseignant à l’égard de ses élèves : c’est la stigmatisation enseignante que l’on appelle aussi le phénomène d’ « étiquetage scolaire ».
« Tout au cours de l’année scolaire à mesure que le maître pense à tort ou à raison mieux connaître l’élève, on assiste à un ajustement des attentes et des résultats. […] Notons bien que ces stratégies d’attente sont pratiquement incontrôlables ; elles conditionnent cependant la relation maître-élève en soumettant l’enfant à une échelle de valeurs qu’il percevra dans les questionnements et les comportements de l’enseignant à son égard, ce que P. Mannoni appelle « le phénomène de l’étiquetage ». (Extrait de l’ouvrage Les relations maître-élève, pages 113-114, Daniel Gayet, 2007) .
Comme le souligne D. Gayet (2007), ce phénomène d’ « étiquetage scolaire » que l’on pourrait aussi qualifier de « stigmatisation enseignante » influence notamment les contacts verbaux et les comportements différenciés de l’enseignant envers ses élèves. N. Francols (2012) ajoute que ces « attirances » et « rejets » vis-à-vis des élèves sont inévitablement construits par le corps enseignant. Cependant, d’après le référentiel de compétences des métiers du professorat et de l’éducation de 2013, l’enseignant se doit de « faire partager les valeurs de la République » et d’ « agir en éducateur responsable et selon des principes éthiques ». Pour ces raisons, l’enseignant se doit de contrôler ces « attirances » et « rejets » afin d’agir égalitairement avec chacun des élèves et éviter ainsi toutes formes de dévalorisation.
« Le professionnalisme de l’enseignant ne signifie par l’absence totale d’émotion et de sentiment mais que ces élans affectifs sont à maîtriser pour ne pas favoriser ou défavoriser tel ou tel élève […]. » (Extrait de l’ouvrage De la difficulté d’aider en classe : Renforcer l’interaction élèves-enseignants, Je t’aide moi non plus, page 26, Nathalie Francols, 2012) .
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Table des matières
Introduction
1. Cadre théorique de l’objet d’étude
1.1 De « l’école égalitaire » à « l’école équitable »
1.2 La construction « d’identité scolaire »
1.3 « L’effet Pygmalion » : impact sur le comportement des enseignants et celui des élèves
1.4 Les conséquences sur les apprentissages
2. Problématisation et hypothèses
3. Méthodologie de l’enquête de terrain
3.1 Terrain d’étude
3.2 Population d’étude
3.3 Méthodologie utilisée
3.3.1 Entretien semi-directif
3.3.2 Observations non-participantes en classe
4. Analyse des résultats
4.1 Recueil des représentations de l’enseignant sur ses élèves
4.1.1 Une classe « déconcentrable » au niveau globalement bon
4.1.2 Une construction des « identités scolaires » fondée sur des critères scolaires et extrascolaires
4.1.3 Le profil de la classe
4.2 Les représentations de la participation et le lien avec les contacts verbaux entre l’enseignant et ses élèves
4.2.1 Lien entre les représentations de la participation et le nombre total de contacts verbaux
4.2.2 Lien entre les représentations de la participation et les modalités des contacts verbaux
4.2.3 Lien entre les représentations de la participation et le contenu des contacts verbaux
4.3 Les représentations du niveau de l’élève et le lien avec les contacts verbaux entre l’enseignant et ses élèves
4.3.1 Lien entre les représentations du niveau et le nombre total de contacts verbaux
4.3.2 Lien entre les représentations du niveau et les modalités des contacts verbaux
4.3.3 Lien entre les représentations du niveau et le contenu des contacts verbaux
4.4 Les représentations de l’attitude transgressive de l’élève et le lien avec les contacts verbaux entre l’enseignant et ses élèves
4.4.1 Lien entre les représentations de l’attitude transgressive et la quantité de contacts verbaux
4.4.2 Lien entre les représentations de l’attitude transgressive et les modalités des contacts verbaux
4.4.3 Lien entre les représentations de l’attitude transgressive et le contenu des contacts verbaux
4.5 Synthèse de l’analyse
5. Retour sur les hypothèses initiales
6. Discussion : incidence de la recherche sur ma pratique professionnelle
Conclusion