L’idéologie collaborative pour hiérarchiser les documents numériques

L’idéologie collaborative pour hiérarchiser les documents numériques

Parmi la multitude de pages sur des multitudes de sites, quelle page mérite un intérêt ? La surabondance d’informations en ligne nait de l’abaissement des barrières à la production de contenus mais aussi du fait que les méta-informations qui contribuaient hors ligne à estimer la valeur des contenus ont perdu de leur consistance. Pour évaluer son intérêt pour un document, l’internaute ne peut plus se référer aux prises traditionnelles comme l’auteur et l’éditeur, qui sont devenus pluriels ou inconnus ; il est submergé de bien d’autres méta-informations hétérogènes, comme le compteur de pages vues ou la moyenne des notes attribuées par ceux qui se sont investis en jury.

Ces méta-informations ne sont pas disponibles immédiatement pour l’internaute qui navigue en ligne : elles doivent être alimentées par des utilisateurs ou producteurs du web et présentées dans les dispositifs. La hiérarchisation des documents numériques est produite ex ante par les services à partir d’algorithmes, l’ordre des documents est élaboré au cours de la navigation de l’internaute en fonction de son attention aux différents critères de hiérarchisation et de sa curiosité.

Dès les premières friches du web, l’idéal de la mise en réseau qui inspire l’architecture technique s’est imposé comme référence pour les dispositifs de classement du web.

L’hypothèse de « la sagesse des foules » (Surowiecki, 2008) s’illustre à travers différents exemples dans les champs de la psychologie, la sociologie ou l’économie. Elle propose qu’un collectif d’individus est à même de prendre une décision plus optimale que celle que prendrait individuellement chacun des individus qui composent le collectif, à condition que le groupe formé respecte trois caractéristiques : (1) laisser s’exprimer les avis de manière indépendante les uns des autres ; (2) intégrer une diversité des points de vue et expériences, ce qui nécessite que le collectif se compose d’un nombre assez grand d’individus ; (3) agréger les avis de manière décentralisée et extérieure au collectif.

Les instigateurs du web ont conceptualisé une architecture technique du réseau correspondant en plusieurs points à ce fonctionnement. Le réseau commuté se déploie techniquement en créant des nœuds d’activité multiples, qui décentralisent l’intelligence et produisent globalement le réseau des réseaux. La hiérarchisation des contenus se calque sur ce fonctionnement technique : aucun internaute ne sait individuellement évaluer la qualité d’un contenu autrement qu’à l’étalon de son intérêt personnel ; mais en agrégeant les mesures d’un collectif d’internautes diversifiés, le classement résultant est optimal. Pour évaluer la qualité d’un document numérique, les dispositifs ont implémenté techniquement les principes de l’intelligence collective en agrégeant les « avis » des « jury ». Reste à identifier les modalités d’un avis et les individus qui forment le jury.

Dans les exemples de Surowiecki, la combinaison d’une foule et d’une expression produit une modalité de la sagesse : soit la connaissance, qui s’appuie sur l’expérience individuelle du plus grand nombre ; soit la coordination, qui nécessite de penser le système global pour mettre en avant les expériences singulières de chacun ; soit la coopération, qui réunit des acteurs concurrents pour produire une résultante nonconcurrente. Dominique Cardon identifie lui trois principes d’ordre du web : l’éditorialisation, où des « documentalistes » rangent les documents numériques suivant un classement singulier mais accrédité par leur statut ; l’autorité, où la citation par les pairs correspond à une reconnaissance méritocratique, à travers l’utilisation des citations entre sites ; l’audience, où l’activité du plus grand nombre atteste de l’intérêt d’un contenu (Cardon, 2011) .

En reprenant l’histoire des dispositifs du web, trois générations d’outils permettant d’évaluer la valeur des documents peuvent être identifiées. À chaque étape, les dispositifs de l’ordre produisent un des modèles identifiés par Dominique Cardon, en s’appuyant sur un des modes de fonctionnement décrit par Surowiecki. Les dispositifs ont ainsi à charge de fixer le périmètre des internautes « jury » considérés, et les modalités d’expression de leur « avis ». La résultante est un ordre donné du web, une « sagesse » correspondant aux techniques et aux usages en cours en fonction du stade de développement et de diffusion du réseau.

La sélection des lecteurs-auteurs dans les ‘filter blogs’ 

Le dispositif primitif permettant de hiérarchiser collectivement des pages web consiste à créer une ou des pages signalant la sélection de chacun à tous : ces ancêtres des blogs se regroupent sous l’appellation des « filter blogs ». Un filter blog est un site web produit par un internaute, qui signale à la communauté les sites qu’il a appréciés et qui actualise cette sélection au fil de ses explorations. Cette publication crée une « navigation sociale » (Dieberger, 1997), un internaute allant de pages de contenus en pages de blogueurs.

Dans ses travaux sur l’émergence du format des blogs, Ignacio Siles a collecté plusieurs témoignages sur le sens et la pratique de cette activité. Les filter blogs ont émergé de la frustration des pionniers de ne pouvoir tout découvrir. Ces précurseurs se sont alors lancés dans la « distillation » du web en « préfiltrant » chacun les contenus (Siles, 2011). Le principe d’ordonnancement du web mobilisé ici est celui de l’éditorialisation : les internautes sélectionnent les pages en fonction de leurs compétences propres. L’innovation technique qui permet de mettre en œuvre cette coordination pour éditer l’ordre du web est la simplification de la publication : chaque internaute peut publier son best-of du web sans qu’il n’y ait au préalable de sélection de son expression. La sagesse de cette sélection résulte de la coordination des pionniers du web, auteurs-lecteurs qui naviguent mus par leur curiosité respective et restituent dans le même temps le produit filtré par leurs compétences. La sélection individuelle prend sens si la pratique est assurée par une population de pionniers assez conséquente pour distiller le web avec des intérêts variés.

Les filter blogs se stabilisent grâce à la standardisation des outils utilisés et l’identification d’une communauté de contributeurs. Côté outil, les plates-formes d’édition telles que Blogger ont fixé des cadres de pratique, par exemple l’affichage des publications par ordre ante-chronologique, ou les blogrolls pour signaler les sites similaires. Dès 1998, certains sites comme le filter blog Memepool sont devenus collaboratifs en permettant à plusieurs internautes de les alimenter. Côté communauté, auteurs masculins et contenus technophiles distinguent les filter blogs des journaux intimes des diaristes, écrits par des femmes à partir de contenus personnels. Une étude récente montre qu’aujourd’hui, les contributeurs des filter blogs ont un profil particulier : il s’agit d’hommes avec des pratiques médiatiques singulières, rejetant notamment la télévision (Wei, 2009). Pour ces sélectionneurs du web, l’ambition n’est pas uniquement de filtrer le web de manière collaborative, mais aussi de se différencier des médias mainstream. Cette spécialisation de la pratique réduit le web exploré et crée une présélection des sites suivant un critère idéologique plutôt qu’une coordination ex ante.

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Table des matières

INTRODUCTION
L’information, les interactions, et le partage d’information. En ligne.
L’information à partir de ses publics
Les publics en réception
Une consommation individuelle, rituelle et périphérique
Les informations en discussion et l’espace public
L’information, un bien commun actualisé par les interactions
S’activer en ligne
Quid des pratiques médiatiques en ligne ?
Quid des sociabilités en ligne ?
Le partage, rencontre des informations et des interactions
Questions de recherche
Diversité sociale et informationnelle sur le web ?
Homophilie, caractéristique des dispositifs ou des individus ?
L’hypothèse de l’imbrication des liens et des goûts
« Qui partage quoi avec qui » ?
Qui : profils des hérauts de l’espace numérique
Quoi : la longue traîne à l’échelle des individus
Avec qui : différencier la nature des liens
Approches qualitatives et quantitatives
Explorations
Zoom sur les adolescents
Etudier les activités par les traces du web
Chapitre 1 : Vu du web. L’émergence du partage d’information, dynamique sociale de l’exploration du web
1.1) Ordre et accès dans le web des documents
a) L’idéologie collaborative pour hiérarchiser les documents numériques
b) S’équiper et équiper le web pour accéder aux documents numériques
c) L’espace aplani ou découpé, des accès répétés ou en pointillé
1.2) Publics et contenus dans le web des individus
a) Des forums aux réseaux sociaux, généraliser l’expression en resserrant le public des interactions.
b) Facebook, généraliser l’expression par le partage de contenus
c) Le newsfeed, solution sociale et dynamique de l’exploration du web
1.3) Conclusion du chapitre 1 : Vu du web, le partage idéal
Chapitre 2 : Vu des médias. L’individualisation des publics à l’œuvre
2.1) Expressions et conversations sur les sites des médias en ligne
a) Produire un fil de discussion : scène et acteurs
b) Exprimer sa réception, négocier sa position
c) Commenter, est-ce partager ?
2.2) Les contenus des médias dans Facebook
a) Une activité des internautes faible et concentrée
b) Une différenciation par les artefacts et par la temporalité
c) Mais qui sont-ils ?
2.3) Conclusion du chapitre 2 : Vu des médias, un public réduit
Chapitre 3 : Vu des publics. L’information sur la scène des interactions
3.1) Les raisons du (non)partage en six profils
a) Ne pas partager
b) Discuter hors ligne plutôt que partager en ligne
c) Partager un lien, relationnel ou informationnel
d) Ouverture ou fermeture dans la dynamique des profils ?
3.2) Au prisme de l’interactionnisme de Goffman
a) Le partage est une expression de la réception des informations
b) Les acteurs de l’interaction peuvent se saisir ou non des contenus
c) La scène numérique, espace de discussion ?
3.3) Conclusion du chapitre 3 : le partage comme partie émergée de l’iceberg
CONCLUSION

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