L’IDENTITE NARRATIVE A PARTIR DE L’IDENTITELANGAGE ET L’IDENTITE MORALE.

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LES INFLUENCES RECLAMEES DE RICŒUR

Gabriel Marcel (1813-1855)

Ricœur a puisé chez Gabriel Marcel l’importance de l’ontologie et de la pensée ontologique dans la connaissance du réel. Pour connaître le sujet, il ne faut pas seulement se contenter de sa manière d’être ; encore faut-il analyser son être profond qui relève de l’ontologie. Seulement l’ontologie n’est pas une donnée toute faite, elle est à construire ; elle reste un horizon d’attente donc elle est aussi objet d’expérience et de perspective ouverte. Gabriel Marcel a une grande influence sur Paul Ricœ ur. Nous savons que la méthode socratique a beaucoup influencé Gabriel Marcel. Il s’agit de ce qu’on appelle la maïeutique qui n’est rien d’autre qu’un dialogue où les interlocuteurs tentent d’accoucher la vérité par la voie de la question- réponse. Gabriel Marcel a organisé un cercle de réflexion appelé « les règles des vendredis ». Il s’agit d’un mouvement intellectuel qui a pour but d’échanger des idées sur des thèmes précis de philosophie politique et d’actualités qui intéressent la société.

Ricœur a fréquenté ce cercle car il y est convenu d ’exprimer spontanément sa propre réflexion. Autant que possible et à partir de ses propres expériences ainsi que de la maïeutique de Socrate renouvelée par Gabriel Marcel, Ricœur est méthodologiquement influencé.
Du point de vue du contexte, le thème du « monde cassé » de Gabriel Marcel a influencé Ricœur. Gabriel Marcel constatait que le monde de l’homme est un monde cassé où les rapports humains sont toujours à sauver de l ’échec. Le mystère du mal hantise sa vie. Affleure ainsi dans la pensée de Gabriel Marcel le thème de l’âme en exile, de l’âme qui souffre de manque de communion avec elle-même et le s autres. C’est le mystère de la disproportion métaphysique déjà présente chez Pascal. Paul Ricœur reprendra ce thème avec des nouveaux pôles de l’homme fragile par rapport à lui-même, de l’homme vulnérable par rapport au monde, de l’homme disproportionné par rapport au mal qui excède sa liberté.
C’est enfin à Gabriel Marcel que Ricœur devait la p roblématique d’un sujet à la foi incarné et capable de mettre à distance ses désires et ses pouvoirs, bref d’un sujet maître de soi et serviteur des passions provenant du caractère, de l’inconscient et de la vie.

Karl Jaspers (1883-1969)

Jaspers inspire à Ricœur la valeur de la pensée exi stentialiste. Pour lui « l’homme est un être déchiré, un être en chemin, sans possibilit é d’unir les contraire dans une synthèse harmonieuse ». Ricœur tient de lui l’idée selon laq uelle « l’être ne peut pas se réaliser en lui-même » ; il a besoin des autres pour s’accomplir da ns ses potentialités les plus profondes. Le drame de l’existence humaine et l’opacité de son être sont pour Ricœur des thématiques essentiels au cœur de l’analyse du sujet. Déjà, Ja spers a une conscience vive de l’échec de l’ontologie. En effet, toute science ou connaissance de l’homme, toute anthropologie est impuissante à dire le tout de l’homme : l’homme est toujours autre chose que l’objet d’un certain savoir. Il existe en tant qu’homme au delà de la scission sujet-objet et donc des conditions des connaissances scientifiques.

La notion de transcendance à partir des chiffres a également influé Ricœur quand il s’agit de ses rapports avec Karl Jaspers. Ouvrons notre page à l’aveu même de notre auteur : « Je ne saurais dire aujourd’hui à quel point j’étais fasciné, dans les années cinquante par la trilogie de Jaspers et plus précisément par le dernier chapitre du tome III consacré aux « chiffres » de la transcendance : le « déchiffrement » de ces chiffres ne constituait-il pas le modèle parfait d’une philosophie de la transcendance qui serait en même temps une poétique ? »
Voilà donc en quoi Ricœur est tributaire de Karl Ja spers. D’où la notion de mystère quant il s’agit de l’existence humaine. Ricœur s’en inspire. C’est pourquoi dans sa réidentification du sujet, Karl Jaspers jouera, un rôle irremplaçable.

Jean Nabert (1881-1960)

Dans les ouvrages de Jean Nabert intitulés : Essai sur le mal et Eléments pour une éthique, Ricœur a connu la pertinence de la philosophie réfl exive pour l’articulation de sujet transcendantal et du sujet de désir. Ricœur se réfère souvent aux textes de Jean Nabert.
En remontant aux sources de la pensée réflexive, on est parvenu au fameux « cogito » cartésien qui sert de référence explicite pour la réforme concernant l’identité personnelle d’où découle la base de la pensée de Ricœur. Kant avait confirmé ce principe de la pensée mais c’est surtout Jean Nabert qui a permis à Ricœur de rejoindre sa problématique.

Le principe qui est au centre de la philosophie de J. Nabert réside en ceci : ce qui caractérise l’individu pensant, c’est le sujet qui se sait comme l’auteur de ses représentations et qui se met en acte ou en volonté. Voilà une entreprise par laquelle le sujet doit s’exercer pour accéder à la compréhension du soi. On peut dire que J. Nabert interprète à sa manière la philosophie réflexive des premiers prédécesseurs, en tenant compte du « cogito » conçu par Descartes comme certitude première. J. Nabert base sa réflexion sur la richesse de la vie intérieure dont la manifestation affecte le mouvement réflexif de la pensée vers le sujet qui s’ouvre à l’expérience. Cette ouverture procèded’une projection du sujet pensant dans l’au-delà de son être-sujet. L’accomplissement de c es deux sortes de mouvement n’est autre que l’approfondissement de la subjectivité réalisée.
D’un côté, J. Nabert inspire Paul Ricœur qui définit, de ce fait, la conception de la réflexion sous deux aspects : négatif et positif. Négativement, la conception de la réflexion est opposée à l’intuition : « la réflexion n’est pas une intuition5». Car en cela, le cogito est le décryptage du « je pense se posant en je suis ». Pe nser signifie affirmer son existence. En tant que moi pensant, j’existe. C’est une certitude qui est comprise dans la conscience de soi comme certitude première qui imprime l’acte d’exister. Or, pour Ricœur le soi n’est pas une conscience immédiate ; il requiert la médiation réflexive.

Positivement, la réflexion conduit vers le dévoilement du sujet et des connaissances qui lui sont liées. Ricœur affirme qu’ « une philosophie réflexive est le contraire d’une philosophie d’immédiateté» 6. Il y a de différence entre les deux. Dans l’immédiat c’est l’aboutissement direct qui compte. On n’a pas besoin de savoir les moyens par les quels on y parvient.
Autrement dit, en un peu de temps, il y a une évidence qui apparaît, tandis que la philosophie réflexive nécessite une opération intellectuelle. C’est ce qui exige une prise en compte de temps et de la réflexion à travers des procédures du raisonnement et non d’immédiateté. Une saisie immédiate ne renvoie jamais à aucune vérité car le sujet se tient à distance de la pure intuition. D’où la position de soi comme vérité qui se pose soi-même dans une réflexivité et non dans l’intuition de la pensée inférant l’existence.
La réflexion est l’apparition de notre effort pour exister et de notre désir d’être à travers les œuvres. Ce qui suppose que l’affirmatio n de soi passe dans les témoignages. Ces témoignages ne sont autres que les œuvres humai nes. A l’intérieur de ces œuvres, la signification ne repose pas sur l’intuition. Elle passe par des opérations intellectuelles qui font appel à une herméneutique. L’effort ou le désir d’exister est à attester dans les œuvres.
La position de soi ici n’est pas une donnée mais une tâche. Telle est la dimension éthico-réflexive de la philosophie réflexive de Jean Nabert qui va influencer sur Paul Ricœur.
La tâche de la philosophie réflexive permet à l’hom me de se comprendre lui-même dans son être, c’est-à-dire, de s’approprier du sen s à donner à sa vie, d’autant plus que, le mal qui éprouve le sujet récuse toute prétention d’une transparence de soi à la manière cartésienne. Le mal qui affecte le sujet le déborde et infiniment l’excède. Une humilité du sujet, du coup est requise, Paul Ricœur s’aligne à une telle manière de voir le sujet

L’IDENTITE NARRATIVE A PARTIR DE L’IDENTITE-LANGAGE ET L’IDENTITE-MORALE.

Maintenant, après avoir étudié les grandes sourcesde Ricœur, nous allons tenter d’analyser son herméneutique du sujet. L’herméneutique est d’abord la théorie de l’interprétation. La pensée de Ricœur y est associée. Elle se qualifie c omme science de l’interprétation, cela signifie que comme discipline qui privilégie le thème du sens sur la vérité, elle désigne les différentes démarches interprétatives qui permetten de faire parler les signes et de découvrir leur sens. Il est indéniable que la pensée de Ricœu r s’inscrit dans un horizon herméneutique valable pour comprendre le sujet à partir du langage.
L’herméneutique de Ricœur est née des conflits des interprétations mais sa visée est de concevoir une interprétation : « Il n’y a pas d’herméneutique générale, pas de canon universel pour l’exégèse mais des théories séparées et opposées concernant esl règles de l’interprétation ».
Ricœur dégage deux types d’herméneutique : d’abord se construire la dynamique interne du texte et ensuite restituer la capacité de l’œuvre à se projeter au dehors dans la représentation d’un monde que l’on pourrait habiter. C’est pourquoi la tâche herméneutique est de surmonter toutes ces convergences d’herméneutique. Elle doit « renoncer au rêve d’une médiation totale, au terme de laquelle la réflexion s’égalerait de nouveau à intuition intellectuelle dans la transparence à soi d’un suje t absolu ». 8 Cela signifie pour Ricœur un long détour pour lire, vérifier, analyser et surtout interpréter le sujet.

UN SUJET QUI PARLE : IDENTITE-LANGAGE

Approche référentielle : La notion de l’individu

Le souci de Ricœur est d’identifier le sujet. C’est un souci permanent qui passe par un long détour, mais qui en va, selon son avis de la pertinence de l’approche du sujet. Ce chapitre intitulé : un sujet qui parle : identité et langage, entre dans la droite ligne de sa démarche pour percer l’énigme de l’identité personnelle.
Nous tâcherons de suivre pas à pas sa démarche pour mieux mettre en relief sa pensée du sujet. Tout d’abord, pour lui, la notion d’identification se définit au niveau de la chose avant d’être définie au niveau de l’individualité humaine. Cela signifie que la chose est la première préoccupation de l’identification. Une personne est d’abord un particulier de base qu’il faut différencier d’avec d’autres choses. En tant que particulier de base, elle est l’objet d’une identification qui fait différence entre elle et d’autres objets. La personne en effet est une particularité incluse à l’intérieur des classes des choses, notamment des autres êtres vivants. Donc elle est un être vivant parmi tant d’ autres avec des référentiels déterminés, des contextes qui lui sont propres. On appelle cette première phase d’identification « une référence identifiante » qui n’est autre que « l’identification par la chose »

Identifier les choses permet de différencier l’individualité humaine comme une étape d’appréhension de sa particularité. En effet, c’estla référence identifiante qui ouvre la voie à l’identification proprement dite. L’enjeu de cette première phase est l’identification par l’objet. C’est seulement dans la phase suivante qu’on saisira la personne par une autre étape d’individualisation celle du discours. Comment procéder alors pour cette première individualisation par les choses ?

L’identification par les choses

En effet, si on veut identifier une chose, il faut la faire sortir de son ensemble. Cette volonté d’identifier suppose qu’on extériorise la chose de sa communauté, la mettre à part et à l’écart des autres choses de même type qu’elle. Distinguer, c’est séparer de la généralité quelque chose de particulier qui compose cette généralité. Mettre dans une place à part ce qui est différent des autres en mettant l’accent sur la particularité enlevée de son ensemble. C’est pourquoi « identifier quelque chose c’est pour faire connaître à autrui au sein d’une gamme des choses particulières du même type, celle dont nous avons l’intention de parler » 9. On invoquera alors cette chose dans sa particularité. Et on montrera en quoi elle n’a plus de ressemblance avec le reste. Distinguer quelque chose en vue de l’identifier nécessité le processus d’individualisation. C’est une procédure qui permet de trouver en quoi la chose est spécifique. Mais individualisation est à distinguer de la classification ; car cette dernière fait orienter vers la généralité alors qu’il s’agit ici de démontrer l’aspect particulier d’une chose. En quoi consiste donc t-il l’individu comme procédure ? Il est composé des descriptions définies servant à désigner un objet ou une personne à l’aide d’un groupe de mots.

En cela, il y a d’abord les noms propres : c’est « une entité non répétable et non divisible sans la caractériser, sans la signifier au plan prédicatif, donc sans donner sur elle aucune information » 10. La désignation d’une chose à l’aide des noms propres réalise la singularisation, mais seulement l’information obtenue sur cette chose fait encore défaut car les noms propres ne livrent pas la connaissance de ce qu’on peut savoir sur la chose, alors qu’ils l’indiquent.
Quant aux indicateurs, les pronoms personnels et les déictiques11 qui les composent : les adjectifs, les démonstratifs les adverbes de lieu et de temps ne donnent encore qu’une connaissance mais une connaissance encore superficielle puisque décrire un objet en employant des mots et des prédicats aboutit seulement à une connaissance extérieure de la chose. Cela n’entre pas dans la profondeur de la connaissance par le fait que ces opérations n’atteignent pas son essence. Dans ce cas, le processus d’individualisation se fixe au niveau du concept car les noms propres des personnes ou ceux des objets ne dévoilent pas leur essence. Il faut donc aller plus loin puisque la chose nous fixe encore à l’extériorité.
L’individualisation doit être dotée des procédures différentes des prédicats, procédure qui examinera la particularité jusqu’à arriver à détecter la singularité. C’est l’individualisation visant la singularité qui aboutira à l’individualisation humaine, mais ici intervient une autre instance que Ricœur dénomme « l’implication référentielle. »

L’implication référentielle : La personne comme particulier de base

Concernant cette notion d’implication référentielle, Ricœur va partir de la théorie de Strawson selon laquelle la personne est d’abord un « individu de base ». qu’entend-il par « individu de base » ? L’ « individu de base » est une personne encore dépourvue de prédicats qui le déterminent. Elle est reconnue par son corps physique à l’écart de tous prédicats qu’on peut lui assigner. Voici ce qu’en dit Strawson : « la personne apparaît alors lorsque nous parlons comme nous faisons aux sujets des composantes du monde ». 12
En reconnaissant l’homme comme « particulier de bas e », nous nous référons simultanément au corps physique et à la personnalité humaine non parlante mais seulement distinguée de la masse des choses qui l’entourent. Il s’ensuit ainsi comme le dit Ricœur que « la personne est une des « choses » dont on parle plutôt qu’un sujet parlant […] La personne reste ainsi du côté de la classe des choses dont on parle plutôt que du côté des locuteurs eux-mêmes qui se distinguent en parlant». 13 Insistant dans ce sens, il poursuit que la personne est « une chose dont on parle. » C’est encore un type particulier qui compose le monde. C’est quelque chose qui est objet de discours et non sujet de discours. C’est la possession du corps qui garantit la réalité de la personne, à ce premier moment de l’identification. Sans le corps, en effet la personne n’existe pas.

Tel est l’avis de Ricœur lorsqu’il affirme cette as sertion « posséder un corps (…) c’est ce que sont les personnes. » 14
Mais quelle personne ? Une personne qui a le pouvoir de se montrer pour devenir non pas un sujet parlant mais un objet parlé.
Une fois cette insistance faite, Ricœur va dans la lancée de son analyse phénoménologique et introduit un second prédicat : un prédicat psychique qui s’ajoutera au prédicat physique. Il dit que : « la personne est la « même chose », à laquelle on attribue deux sortes de prédicats, les prédicats physiques que la personnea en commun avec les corps et les prédicats psychiques qui la distingue des corps ». 15
Cette affirmation signifierait-elle une nouvelle retombée dans la classique dualité corps/ âme. Loin de la ! Ricœur récuse cette thèse dualiste. Il la récuse car il voit dans le corps et l’âme une complémentarité dans la détermination du sujet. La saisie de la personne comme particulier de base exige la prise en compte de ces deux prédicats fondamentaux. Ensemble, ces derniers désignent la même personne, qu’ils soient attribués à soi ou qu’ils soient attribués à d’autres que soi, c’est toujours à l’intérieur de la même signification.

Bref, l’individu en tant que « particulier de base » n’est pas encore un sujet de discours, c’est un individu uniquement situé dans un contexte spatio-temporel. La question de base constitue alors un simple point de référence. Pour qu’elle devienne sujet, il faut qu’elle soit capable de se désigner elle-même. A ce stade nous entrons à ce que Ricœur appelle la phase de l’énonciation et la phase de l’interlocution.

L’énonciation et l’interlocution

Jusqu’ici, nous sommes tenue à connaître que la personne considérée comme des choses parmi tant d’autres, n’est autre qu’un édifice que l’on se sert à titre de référence, autrement dit : « un particulier de base ». Avec l’ énonciation, la personne se découvre comme locuteur. Se découvrir en connaissant son pouvoir de se désigner fait intervenir l’activité de la conscience. Le sujet est en pleine conscience de ce qu’il est, ce dont il est en mesure de faire, c’est-à-dire qu’il y a prise de position de la part de la personne. L’énonciation, c’est l’acte par lequel un locuteur produit un énoncé. Maintenant, on va faire la connaissance de ce sujet qui n’est plus dans la sphère des choses, mais qui va se définir autrement.
Il va se définir autrement puisqu’en parlant, il sera capable de dire « je ». Le « je » en effet est le sujet d’une locution et d’une interlocution. Dans le dire « je », il y a déjà un pouvoir : un pouvoir de se désigner, de s’auto-affirmer, de dire son identité même si cette identité en appelle à d’autres déterminations, car dans l’acte même de prendre parole, il y a déjà interférence de l’action et de l’éthique. Et ces deux paramètres vont être intrinsèquement inséparables du « pouvoir de se désigner » dans toute prise de parole. C’est pourquoi dans ce qui suit nous allons nous poser la question : qu’est ce qu’un sujet qui parle ? Comment a-t-il le pouvoir de se désigner ? A ces deux questions, nous serons en mesure de suivre le périple combien complexe de Ricœur mais aussi périple éminemment nécessaire dans la saisie de la méthode d’identification du sujet. Conformément à la méthode phénoménologique qui est la sienne, soucieuse de la genèse intentionnelle des significations. Les réponses à ces deux questions nous ouvrent à la triade ricœurienne du pôle du langage à savoir : l’estime de soi, la sollicitude, les institutions du langage.

L’estime de soi

L’estime de soi, c’est la capacité de se désigner. Cette capacité est double. Il y a l’acte locutoire et l’acte illocutoire. Le premier désigne l’opération prédicative elle-même. C’est une simple proposition qui consiste à dire quelque chose à propos de quelque chose. Par exemple : le livre est sur la table. Tandis que l’acte illocutoire se présente comme l’acte qu’on accomplit quand on dit quelque dire. Quand je dis quelque chose, je m’engage déjà, si je dis par exemple : je t’achète une voiture, je le fais affectivement. Et en faisant ce que je dis, je réalise ma promesse. Je m’engage, je déploie donc une action. L’illocutoire est donc ce qu’on fait en disant quelque chose. Dans l’acte illocutoire, nous nous engageons et nous nous désignons nous-mêmes. La notion d’engagement est donc liée à nos paroles. C’est la chose entière qui est engagée quand je dis : je t’achète une voiture, cela signifie que le « je dis » a une implication d’un sujet capable de se désigner.
Dans son livre: « Quand dire, c’est faire », Austine emploie deux formes d’énoncés : le performatif et le constatif. L’énoncé performati désigne la production réelle du discours, c’est-à-dire, l’accomplissement de l’énoncé. Il nesuffit pas de dire, mais de faire ce qu’on dit. Cela veut dire selon Ricœur le locuteur fait quelqu e chose en parlant tandis que dans l’acte illocutoire le sujet est capable de se désigner en parlant et cela implique l’engagement.

La sollicitude

La sollicitude est une attention à l’autre. C’est l’autre qui est important ici. L’autre c’est l’interlocuteur du langage. L’interlocution présente l’autre comme sujet. Il est le « tu » à qui le « je » s’adresse. A cet égard Ricœur dit: « L’expression s’adresser à l’autre exige le renversement : quelqu’un s’adresse à moi et je réponds […] Mais je ne serais pas celui à qui la parole est adressée si je n’étais pas moi-même en même temps capable de me désignerommec celui à qui la parole est adressée »
Le soi peut se désigner en parlant avec un autre. L’autre parle du soi et il l’écoute. Donc le soi peut être à la fois un locuteur ou un i nterlocuteur. Cela veut dire que l’autre n’existe pas s’il n’y a pas un soi. Il fait exister l’autre en se désignant. Mais il y a encore des institutions à suivre dans le langage.

L’institution du langage

Le langage est une institution qui a été établie avant nous. Ricœur affirme que « naître, c’est apparaître dans un milieu ou il a déjà été parlé avant nous » . Le langage est une culture qui nous précède. Nous n’avons pas le choix de le nier. Etant donné que nous vivons au monde, nous ne la choisissons pas. Nous devons l’accepter comme si nous ne pouvons pas choisir notre race, notre milieu géographique, notre taille, notre langue.
La vie de l’homme s’exprime dans un langage. Chaque langue a sa structure c’est-à-dire une façon de parler et d’agir. Si je parle en malgache, je suis de la culture malgache. Cela veut dire que, quand on change de langue, on change aussi de culture. Nous ne pouvons pas supprimer la structure de notre langue maternelle parce qu’elle existait déjà avant nous, il nous donne un sens à notre parler. Personne n’invente son langage.

Le langage est une institution, il y a un système qu’on doit suivre étant donné qu’il est né avant nous. Quand on dit quelque chose, on doit se rendre compte qu’il y a déjà des choses dites qui existaient avant nous. Nous ne pouvons pas nous en débarrasser, nous n’avons aucun choix, il faut que nous suivions les règles et les systèmes qui nous précèdent. En tout cas, le langage peut nous aider dans la vie. Par lui, nous avons la faculté de penser, et nous avons nos relations avec les autres.

La réflexivité de l’énonciation

L’analyse que Paul Ricœur a faite du sujet montre q ue dans l’interlocution, il y a lieu de la révélation du sujet. Le soi s’y manifesté comme sujet de relation capable de penser, de raisonner de dire « je » à un « tu » qui lui aussi, est sujet de dialogue et de conversation, donc un soi distinct capable de s’auto-affirmer.
La question désormais est de savoir si le sujet de l’interlocution est impliqué dans ce qu’il dit. A cette  question la réponse est positive et cela procède de deux choses : les performatifs et les déictiques.

Les performatifs

D’abord, les performatifs sont des énoncés qui ne découvrent rien, qui ne disent pas l’état des choses, mais qui posent des actes. Est performatif l’énoncé comme la promesse, l’engagement, l’attestation, le souhait, la sollicitation, l’ordre, la demande… A distinguer du constatif, le performatif n’est pas une description d’ un état de chose, il est une assertion qui pose des actes et implique le sujet dans l’acte qu’il engage et dans lequel il s’engage. C’est le cas de la promesse, de l’attestation, et l’ordre. Pour Ricœur, « la promesse est un acte de discours parmi d’autres. Elle implique seulement la règle constitutive selon laquelle dire : « je promets », c’est se placer sous l’obligation de faire quelque chose » 18. Cela veut dire qu’il y a un engagement de lui-même, je m’engage à ce que je dis.

Ricœur propose deux caractéristiques de la promesse : l’obligation de faire quelque chose et le problème du temps. Le premier est l’obligation de faire ce qu’on promet de faire ou de dire, donc il y a un engagement dans l’acte de dire. Engagement et obligation sont la même chose et obligation et devoir vont ensemble. Q uand je promets, je suis obligé. L’autre, problème c’est le problème du temps où l’on utilise des adverbes comme « plus tard » c’est-à-dire, pas maintenant ou pas encore aujourd’hui, mais dans le temps futur avec le verbe « je ferai ».
Bref, le performatif engage déjà un sujet non seulement un sujet agissant mais un sujet éthique qui se sent responsable de ce qu’il dit ou de ce qu’il fait ou de ce qu’il promet.

Les déictiques

Les déictiques tout comme les indicateurs servent l’individualisation. Les déictiques sont des particules comme « ceci », « ici », « cela », « là », « là-bas », « maintenant ». Analysons d’abord le déictique maintenant.
Le maintenant évoque le présent tel qu’il est vécu par le sujet, c’est-à-dire, le « présent vif ». Quand on dit maintenant, c’est le fait de se trouver dans le temps phénoménologique et le fait que le sujet a un rapport avec la cosmologie et il s’agit là d’expérience, une expérience qui relève du domainedu vécu. Mais cela va passer au niveau du sujet de celui qui parle. Donc le « présent vif » est le rapport du sujet avec le temps.
Il y a aussi le « le maintenant daté », c’est l’exp érience cosmologique qui veut dire le temps du monde. S’il n’y a pas de date, le présent risque d’être réflexive c’est pourquoi nous avons une date pour chaque jour. Et à cela, il faut se référer aux normes extérieures à nous comme le calendrier.
Le maintenant est le moment où je parle par rapport au temps du monde. Ricœur affirme : « Ce que nous désignons du terme « maintenant » résulte de la conjonction entre le présent vif de l’expérience phénoménologique dutemps et l’instant quelconque de l’expérience cosmologique. Or cette conjonction ne consiste pas dans une simple juxtaposition entre des notions appartenant à des univers du discours distincts ; elle repose sur des opérations précisesqui assurent ce que j’ai appelé l’inscription du temps phénoménologique sur le temps cosmologique et dont le modèle est l’invention du temps calendaire. De cette inscription résulte un maintenant daté. Sans date, la définition du présent est purement réflexive […] Le maintenant daté est le sens complet du déictique‘maintenant’ » 19
« Il en est de même pour « ici » : il s’oppose au «à-l bas », comme étant le lieu où je me tiens corporellement » 20.
Quand on dit ici, il s’agit d’un lieu où je me tiens. Autrement dit « ici, n’est nulle part » 21. Donc, c’est toujours par rapport à nous quand nous disons un endroit proche ou loin. Avant de désigner un lieu, il faut désigner soi-même. Ce qu’on désigne a un rapport avec celui qui parle.
Et qu’est ce qu’on peut en tirer pour la réidentification du sujet sinon que le sujet est toujours le sujet situé dans le temps et dans l’espace. Or, le temps et l’espace sont les paramètres de l’histoire donc le sujet est sujet de l’histoire. Il est historique. Il subit le poids du temps et de l’espace tout en étant son auteur. Le sujet est donc histoire, fait l’histoire tout en subissant l’histoire.

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Table des matières

INTRODUCTION
PREMIERE PARTIE : ETUDE DES SOURCES
CHAPITRE I : AUX INTUITIONS PHILOSOPHIQUES DE RICŒUR
I.1.Sören- Kierkegaard (1813-1855)
CHAPITRE II : LES INFLUENCES RECLAMEES DE RICŒUR
2.1. Gabriel Marcel (1813-1855)
2.2 Karl Jaspers (1883-1969)
2.3 Jean Nabert (1881-1960)
DEUXIEME PARTIE : L’IDENTITE NARRATIVE A PARTIR DE L’IDENTITELANGAGE ET L’IDENTITE MORALE.
CHAPITRE I : UN SUJET QUI PARLE : IDENTITE-LANGAGE
1.1. Approche référentielle : La notion de l’individu
1 .1.1. L’identification par les choses
1.2. L’implication référentielle : La personne comme particulier de base
1.3. L’énonciation et l’interlocution
1.3.1. L’estime de soi
1.3.2. La sollicitude
1.3.3. L’institution du langage
1.4. La réflexivité de l’énonciation
1.4.1. Les performatifs
1.4.2. Les déictiques
CHAPITRE II : LE SUJET AGISSANT
2.1. L’implication de l’agent dans l’action
2.1.1. Distinction entre action et événement.
2.1.2. L’intentionnalité de l’action
2.13. Les trois emplois de l’intention
2.2. L’attribution de l’action à l’agent
2.2.1 Le choix et la décision
2.2.2 La motion volontaire
2.2.3 Le consentement
CHAPITRE III : UN SUJET QUI NARRE- IDENTITE NARRATIVE
3.1 Dimension temporelle du soi et de l’action
3.2. La narration
TROISIEME PARTIE : IDENTITE MORALE
4.1 Distinction entre morale et éthique
4.1.1 Approche téléologique
4.1.1.1 L’estime de soi
4.1.1.2 Le mouvement réflexif de soi
4.1.1.3 La capacité du soi
4.2 L’estime de l’autre
4.2.1 La relation intersubjective
4.2.2 L’amitié réciproque
4-3- Les institutions justes :
4.1. Approche déontologique
4.1.1. Le respect de soi.
4.4.1.1 La visée de la vie bonne à l’épreuve de l’universalité.
4.4.1.2 La conscience morale
4.4.2. Le respect de l’autre
4.4.2.1. La norme de réciprocité.
4.4.2.2. La personne comme fin.
4.1.2.3. La règle de la justice
4.1.3Dans la relation sociale.
QUATRIEME PARTIE : POUR UNE EVALUATION DE LA PENSEE DE RICOEUR
CHAPITRE I : LA RICHESSE DE L’HERMENEUTIQUE DE SOI DE RICŒUR53
1.1. Le référentiel
1.2. La méthodologie
1.3. L’analyse
CHAPITRE II : LA COMPLEXITE DE LA REIDENTIFICATION DU SUJET DE RICŒUR ET SON LONG DETOUR
2.1.Une méthode trop conciliatrice qui finit par un brouillage d’exposition des idées.58
2.2 Une analyse qui se faufile dans des détails brimant la qualité de la réidentification59
CONCLUSION
BIBLIOGRAPHIE

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