L’identité de genre

Identité de genre et désir dans mes mauvaises pensées 

L’identité de genre de l’auteure-narratrice de Mes mauvaises pensées évolue tout au long du récit. Si Mes mauvaises pensées correspond non pas à un récit chronologique, mais plutôt à un récit procédant par associations d’idées, de ces associations que l’auteurenarratrice fait dans le cabinet de la Docteure C., psychiatre, qu’elle consulte parce qu’elle a de « mauvaises pensées » (Bouraoui, 2005 : 11), on peut tout de même constater une évolution sur les plans de l’identification et de la perception de soi chez l’auteure-narratrice de son enfance jusqu’à sa vie adulte. Afin d’analyser l’identité de genre de l’auteurenarratrice, je m’intéresserai notamment au rapport que celle-ci entretient avec les hommes à la lumière de sa relation avec son père et avec la beauté masculine. Je me pencherai aussi sur le lien que l’auteure-narratrice entretient avec sa mère et sur quelques-unes de ses relations amoureuses. Parallèlement, je traiterai du personnage qui incarne le mieux l’ambivalence de genre en faisant ressortir la perception que l’auteure narratrice a de lui. Ce parcours permettra de mettre en exergue le besoin qu’éprouve l’auteure-narratrice, après avoir cru à la fluidité des genres, de se trouver une place définie sur l’échiquier des identités de genre et des identités sexuelles, afin qu’elle puisse enfin vivre en paix et en harmonie avec son désir et son identité. Étant donné l’importance qu’elle accorde à l’intelligibilité et la souffrance qu’elle ressent en tant qu’être inintelligible, l’auteurenarratrice fait finalement le choix personnel d’accepter la binarité, sans pour autant s’y résigner, et de se positionner par rapport à celle-ci, tout en reconnaissant la diversité des façons de résoudre un problème identitaire. Il s’agit là d’une perspective individuelle, personnelle et unique : celle de l’auteure-narratrice.

Relation entre l’auteure-narratrice et son père

Alors qu’elle se remémore l’été 1976 où, passant ses vacances en France, elle jouait avec son cousin, l’auteure-narratrice écrit : « J’ai longtemps cette relation avec les garçons, l’image-miroir. » (Bouraoui, 2005 : 38) C’est que l’auteure-narratrice s’identifie fortement aux hommes. Elle voit d’ailleurs en certains d’entre eux un modèle dont elle désire être le reflet. C’est le cas de son père, qu’elle aime et estime profondément : Je prends mon père pour modèle, ses chaussures, sa mallette, ses dossiers, ses stylos, le bureau, la voiture, son corps, assis, debout, en nage papillon, fin et nerveux, prêt à surgir, inquiet et minutieux ; il y a le trousseau de clés aussi, à la main, l’imperméable, le parfum qui reste dans l’ascenseur, dans l’escalier, sur ma peau quand je l’emprunte pour me transformer ou pour occuper cette place tant convoitée, de chef de famille. (Bouraoui, 2005 : 117)

L’auteure-narratrice écrit aussi : « […] je suis le fils de mon père, je suis surtout son miroir, un jour il dit : “Tu es le jeune homme que j’étais.” » (Bouraoui, 2005 : 175) Si l’auteurenarratrice s’identifie à son père, c’est notamment parce qu’elle convoite la position de « chef de famille ». Son rapport d’identification aux hommes se double donc d’une volonté de pouvoir. L’auteure-narratrice se perçoit comme le fils de son père, ce qui n’est pas sans la rendre fière : « […] je suis fière d’être encore le fils de mon père, et son prolongement puisque je pense que nous avons le même cerveau, le même humour, la même fragilité face  à la fascinante douceur des femmes […]. » (Bouraoui, 2005 : 175) En outre, elle explique son désir pour les femmes par cette identification : « […] et c’est si simple de comprendre aujourd’hui mes amours, je marche dans les pas de mon père, et je sais comme lui combien il est enivrant de suivre le parfum d’une femme, de répondre à sa voix, de soutenir son regard […]. » (Bouraoui, 2005 : 177) Effectivement, l’identification au père, et plus généralement aux hommes, de même que le désir lesbien de l’auteure-narratrice vont de pair. C’est d’abord par l’intermédiaire d’un rapport spéculaire avec les hommes que l’auteure-narratrice rend possible et intelligible son désir. Dans le sillon de son père, l’auteure-narratrice cherche en quelque sorte à occuper la place de la personne qui regarde : comme son père, elle aime soutenir le regard d’une femme. L’auteure-narratrice a à ce point le sentiment d’être le prolongement de son père qu’elle écrit qu’elle vient de lui, comme si c’était lui qui l’avait portée, qui lui avait donné naissance, et qui la portait encore : « […] il y avait cette histoire dans les années quatre-vingt, des lunettes qui permettaient de voir au travers des vêtements, moi je vois au travers de la peau ; […] sous le ventre de mon père, il y a moi […]. » (Bouraoui, 2005 : 36)

Relation entre l’auteure-narratrice et sa mère

À l’âge de 14 ans, l’auteure-narratrice doit déménager en France avec sa mère et sa sœur aînée, laissant son père seul en Algérie. Arrivées à Paris, la mère et la fille cadette s’établissent ensemble, dans l’appartement du 118, rue Saint-Charles. Elles y forment ce que l’auteure-narratrice nomme « le couple du 118 » (Bouraoui, 2005 : 159), lequel renvoie à une constellation d’autres couples que la mère et la fille ont constitués au cours des années et au gré des circonstances : […] vous savez, quand je me rends dans l’appartement de la rue X, il se passe quelque chose entre nous, nous reformons notre couple, le couple du 118, les deux petites femmes bras dessus, bras dessous dans les couloirs du métro parisien, le couple de ma tête, quand je pense, enfant, qu’un jour j’épouserai ma mère, le couple fantasme quand ma mère dit : « Nous avons vécu des choses particulières, nous deux. » Le couple abusif quand mon père dit : « J’aurais tant voulu que tu vives avec ta mère pendant mes séjours à Alger » […]. (Bouraoui, 2005 : 159)

Non seulement l’auteure-narratrice convoite la place de son père, auquel elle s’identifie, mais ce dernier la lui laisse volontiers lorsqu’il s’absente. Pour elle, occuper la place de son père, c’est aussi rendre possible et légitimer le désir qu’elle éprouve pour sa mère. Ainsi, quand, plus tard, elle rend visite à sa mère qui habite l’appartement de la rue X à Paris, « [l]e couple se reforme » (Bouraoui, 2005 : 239) : « Quand je m’installe face à ma mère, je deviens la doublure de mon père. » (Bouraoui, 2005 : 240) L’auteure-narratrice se perçoit par ailleurs comme la protectrice de sa mère : « […] je suis le chevalier de ma mère, je réponds à ses appels au secours, je fais passer son corps avant le mien, j’ai la mémoire de ses maladies, j’ai souvent voulu être malade à sa place […]. » (Bouraoui, 2005 : 30-31) Cette image de chevalier lui revient lors du séisme qui survient en Algérie. En effet, lorsque l’auteure-narratrice apprend qu’il y a eu un tremblement de terre à Alger, alors que son père s’y trouve et qu’elle n’arrive pas à le joindre par téléphone, elle pense à ses parents et se rappelle ce qu’elle leur disait, enfant : « […] avant, je disais à ma mère: “Tu ne seras jamais seule, je veillerai sur toi” ; avant, je disais à mon père : “Un jour, tu seras fier de moi” ; je ne sais pas si ces deux phrases ont fini par se répondre ou par s’annuler, je ne sais pas sur quelle ligne me tenir. » (Bouraoui, 2005 : 250) Pour l’auteure narratrice, veiller sur sa mère comme le ferait son père s’il était en France, suivre les traces de ce dernier, les traces de son désir pour les femmes, s’inspirer de lui, tout cela converge vers le même objectif : rendre son père fier d’elle. Puisque l’auteure-narratrice sait qu’occuper la place de son père auprès de sa mère est non seulement approuvé, mais aussi encouragé et valorisé par ce dernier, elle sait qu’il s’agit là d’un rôle qui suscitera à coup sûr de la fierté chez son père. Or, si l’auteure-narratrice « ne sai[t] pas sur quelle ligne [s]e tenir », c’est parce que son désir lesbien va de pair avec l’abandon de sa mère. Ainsi, lorsqu’elle va à Provincetown, ville lesbienne, la solitude qu’elle ressent dans sa chambre d’hôtel la renvoie à celle que sa mère éprouve quand elle part en voyage. L’auteure-narratrice, dont c’est pourtant la mère qui s’en va, se sent alors coupable de l’abandonner, comme si elle se rendait responsable de l’abandon que sa mère lui faisait subir en partant en voyage : […] c’est aussi la solitude de ma mère quand elle voyage […] et que je l’imagine, […] et je sais que mes larmes ne sont pas loin, parce que j’ai encore ce sentiment d’abandonner ma mère dans les ruines de Pétra, sur les routes de Sicile, dans les ruelles de Naples, je l’abandonne au soleil, à la mer, à la beauté des vestiges qui fait écho à la beauté de l’Algérie ; je l’abandonne au monde, qui me semble si brutal, j’abandonne mon amie, ma fille, mon amour. Je deviens comme mon père […]. (Bouraoui, 2005 : 181)

Relation entre l’auteure-narratrice et les hommes

L’auteure-narratrice de Mes mauvaises pensées éprouve un fort désir pour les femmes, mais elle se révèle parallèlement fascinée par la beauté de la force physique des hommes et du désir homosexuel masculin. L’auteure-narratrice confesse d’ailleurs à la Docteure C., après avoir souligné son élégance : « C’est une obsession chez moi, cette beauté, ce plein de beauté […]. » (Bouraoui, 2005 : 24-25) Et, chez Bouraoui, la beauté, c’est notamment celle des corps, des corps masculins. La beauté masculine est un des moteurs de l’écriture de Bouraoui. Elle s’y abreuve pour créer. À La Baule, en raison de la présence d’A., son professeur de plongée qui la fascine, elle a le projet de créer : « […] j’ai un livre entier dans ma tête, ce serait un livre sur les hommes, sur A., […] sur son ventre dur et ses épaules fortes, sur son sourire, sur sa peau, sur sa main qui prend la mienne sous l’eau […]. » (Bouraoui, 2005 : 112) Ce livre prend aussi sa source dans la beauté et le désir de trois jeunes hommes que l’auteure-narratrice admire un jour sur une plage de Biarritz : Ce livre serait aussi sur les trois garçons de Biarritz, […] sur les corps tendus, gavés de plaisirs, les corps de ces trois garçons si beaux, si fous, comme à la tête d’une meute, comme innocents et coupables, comme ébahis de plaisir, comme écrasés par la jouissance qu’ils portent sur eux, sur le simple corps, sur le simple sourire, au-dessus de tous les baigneurs, de tous les couples, de tous les liens, et cette image de moi, devant eux, debout, qui les regarde, jaillir de l’eau, jaillir de leurs bras, jaillir de leur force amoureuse, je les surveille, chaque jour, fascinée, essayant d’entrer dans cette boule de feu, dans leurs jeux, essayant de les décrire avec des mots, de restituer la douceur, et la violence, de leurs gestes, de leurs courses, de leur désir qui semble envahir la plage, brûler les sables et les rochers. (Bouraoui, 2005 : 113-114) .

Dans ce passage, l’auteure-narratrice dépeint le désir, la puissance, la supériorité, la beauté et la candeur des trois hommes qu’elle a vus sur une plage à Biarritz. Elle voudrait partager leur désir, faire partie de cette ivresse et de ce trop-plein de beauté qu’elle voit sur leur corps et dans leurs gestes. Cette volonté de se mêler à ces garçons, « d’entrer dans cette boule de feu, dans leurs jeux », procède de l’identité de genre masculine de l’auteurenarratrice. Cette dernière entretient un rapport identificatoire et spéculaire avec plusieurs hommes, notamment les trois garçons de Biarritz. Pour cette raison, elle veut être admise dans ce groupe afin de goûter au « sentiment d’égalité, de fraternité, de complicité, qu’[elle a] toujours vu se dégager dans le lien des hommes ». (Bouraoui, 2005: 175) Si on peut lire dans la citation sur les trois garçons de Biarritz un hymne à la puissance phallique, on peut aussi y déceler la volonté de l’auteure-narratrice de porter son regard sur des êtres de sexe masculin et, de cette façon, de se soustraire à l’économie phallogocentrique du regard et d’exercer son propre pouvoir.

Les hommes dont elle parle sont certes dans le mouvement, ils jaillissent, jouent, courent, ils sont dans l’action. Or, sur le plan de la parole, ils sont passifs dans la mesure où ils n’ont pas de voix: non seulement c’est uniquement par la perspective de l’auteure-narratrice que le lecteur a accès à ce qui se passe entre les trois hommes, mais leur parole n’est pas rendue. De plus, c’est l’auteure-narratrice qui, de sa position d’observatrice, a le pouvoir de « décrire » et de « restituer » la réalité de ces êtres. Sa position – n’est-elle pas « devant eux, debout, qui les regarde » ? – en dit long sur le renversement des rapports de pouvoir dont il est question ici. Ce renversement consiste en l’expression de la volonté d’un être de sexe féminin de faire partie du groupe auquel, dans une logique hétéronormative, elle ne devrait pas s’identifier, mais bien s’opposer, à savoir le groupe des hommes.

Le rapport de stage ou le pfe est un document d’analyse, de synthèse et d’évaluation de votre apprentissage, c’est pour cela chatpfe.com propose le téléchargement des modèles complet de projet de fin d’étude, rapport de stage, mémoire, pfe, thèse, pour connaître la méthodologie à avoir et savoir comment construire les parties d’un projet de fin d’étude.

Table des matières

INTRODUCTION
CHAPITRE I : IDENTITÉ DE GENRE ET DÉSIR DANS MAI AU BAL DES PRÉDATEURS ET MES MAUVAISES PENSÉES
1.1 Identité de genre, performance du genre, désir et queerness dans Mai au bal des prédateurs
1.1.1 Performance du genre sur scène : Yinn et Herman
1.1.2 Entre perception et interpellation : Yinn et sa mère, Yinn et Jason, Yinn et mon Capitaine
1.1.3 Perception du personnage de Fatalité
1.1.4 Désir de Petites Cendres envers Yinn et reconnaissance
1.1.5 Perception du désir sexuel et du genre des membres de la troupe par les client-e-s
1.1.6 Habillement, attitude et queerness
1.2 Identité de genre et désir dans Mes mauvaises pensées
1.2.1 Relation entre l’auteure-narratrice et son père
1.2.2 Relation entre l’auteure-narratrice et sa mère
1.2.3 Relation entre l’auteure-narratrice et les hommes
1.2.4 Relation entre l’auteure-narratrice et Johan
1.2.5 Corps en zone floue et différence des sexes
1.2.6 Relation entre l’auteure-narratrice et l’Amie
1.2.7 Relation entre l’auteure-narratrice et l’Amie, et identification à leur père
1.2.8 Relation entre l’auteure-narratrice et madame B
1.3 Synthèse comparative
CHAPITRE II : COMMUNAUTÉ ET RESUBJECTIVATION DANS MES MAUVAISES PENSÉES ET MAI AU BAL DES PRÉDATEURS
2.1 Communauté et resujectivation : de quoi s’agit-il ?
2.2 Communauté et resubjectivation dans Mes mauvaises pensées
2.2.1 Communauté et resubjectivation à Provincetown
2.2.2 Lecture, écriture et communauté fictive
2.2.3 Communauté des amis du lycée d’Alger
2.2.4 Communauté de la démonstration de rap
2.2.5 Communauté, resubjectivation et relations amoureuses
2.3 Communauté et resubjectivation dans Mai au bal des prédateurs
2.3.1 Petites Cendres et la non-resubjectivation
2.3.2 Petites Cendres, Louisa et « le sens de la communauté »
2.3.3 Communauté des danseurs-danseuses et resubjectivation
2.3.4 Communauté du Saloon et resubjectivation
2.4 Synthèse comparative
CONCLUSION

L’identité de genreTélécharger le rapport complet

Télécharger aussi :

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *