L’énigme du tourisme culturel ou la raison touristique malmenée
Qu’est ce que le tourisme culturel ?
Le “ tourisme culturel ” ne connaît pas une définition stable, la signification de l’expression “ tourisme culturel ” a évolué depuis son “ invention ” institutionnelle. L’expression supporte aujourd’hui plusieurs contradictions. Le tourisme culturel peut être présenté comme un pléonasme : historiquement, le tourisme était perçu et appréhendé comme ce qui est maintenant défini comme du tourisme culturel. La pratique désignée sous le nom de tourisme était une pratique “ cultivée ”. Stendhal peut encore se revendiquer “ touriste ” , mais, dès la fin du XIXe siècle, des auteurs qui se considèrent comme des voyageurs dénoncent les groupes de touristes, les Cookers en particulier, qui polluent par leur présence les grands sites historiques.
“ Le passage historique de la fierté à la honte d’être touriste fut extrêmement rapide– puis plus rien ne changea. En quelques années, comme précipitée en une grotesque métamorphose, l’image du touriste s’abîma dans la caricature. Le touriste Stendhal devint monsieur Perrichon et même avant cela trouva son double risible en la personne d’un randonneur : Monsieur Töpffer. Le stéréotype de mauvais voyageur était né. ” Jean Didier Urbain, 1993 .
L’histoire du tourisme est l’histoire de sa démocratisation et l’histoire de sa péjoration. Comme le montre Jean-Didier dans L’idiot du voyage , notre modernité semble envisager le touriste comme le double naïf, grégaire, parfois pervers et destructeur du voyageur. Le tourisme n’est plus aujourd’hui considéré comme culturel. Dans le sens commun, la péjoration du tourisme fait aujourd’hui apparaître le tourisme culturel presque comme un paradoxe, puisque la “ véritable ” expérience culturelle serait réservée au voyage et au voyageur, figures positives et idéales constamment opposées au tourisme et au touriste. Pourtant les institutions touristiques et culturelles nationales et internationales utilisent de manière permanente la référence au tourisme culturel. Il est un point commun à l’ensemble des écrits techniques actuels sur le tourisme culturel, émanant des institutions culturelles ou touristiques locales, nationales ou internationales. Un point commun qui démarque ces ouvrages des textes de même nature sur le tourisme appréhendé de manière globale : l’énoncé que le tourisme culturel est bon pour les territoires qu’il concerne. Les institutions culturelles qui dénoncent les méfaits du tourisme considèrent en effet que le tourisme culturel peut être appréhendé comme un phénomène distinct du tourisme et le défendent comme une modalité de pratiques touristiques qui serait indolore et respectueuse des sites et des populations, par opposition au “ tourisme de masse ”. La politique de tourisme culturel se présente comme une manière d’allier développement économique et visites du patrimoine, pratiques culturelles, marché de biens et services et échanges culturels. Le tourisme culturel s’appuie sur un discours économique qui met en avant une référence à la “demande ” de tourisme culturel : on affirme que les touristes s’intéressent de plus en plus à la culture et au patrimoine ; le tourisme culturel est présenté comme une réponse aux besoins d’une clientèle. Ainsi Hughes Parent, Directeur du Tourisme en 1996 , explique-t-il dans un colloque organisé par le ministère de la Culture que “ la logique de la Direction du tourisme se traduit avant tout en termes économiques. Le tourisme s’occupe en premier lieu de satisfaire la clientèle – la demande- ce qui est une approche différente de la culture qui se préoccupe plutôt de l’offre. (…) La culture est appréhendée dans ce cadre comme une exigence de la clientèle. (…) L’image à offrir est celle de la diversité culturelle française partant de la constatation que le touriste fuit désormais l’offre standardisée. ” Dans le rapport Economie touristique et patrimoine culturel, les auteurs notent : “ il n’est que de voir les files d’attente aux portes des grands monuments et des grands musées, en France comme à l’étranger, pour se rendre à l’évidence : le patrimoine reste l’une des motivations majeures du voyage ” . Ces affirmations sont soutenues par certains chercheurs et relayées dans la Presse, par exemple Le Monde : “ S’ajoute une transformation plus profonde qui pousse le vacancier vers l’indépendance, le tourisme vert, les sports nature et les activités culturelles ” , ou encore Le Figaro : “ Plus la crise dure, plus les Français tentent de faire de leurs congés un moment fort et plein. Sport, culture prennent une importance plus forte que par le passé ” . Ces déclarations servent en retour de références aux affirmations politiques et institutionnelles.
La critique de la notion de tourisme culturel
Les auteurs et les acteurs touristiques et culturels ne s’entendent toutefois ni sur la définition de la pratique de tourisme culturel, ni sur ce qui spécifie une destination comme relevant du tourisme culturel. Lorsque les sociologues et les géographes se penchent sur les pratiques des visiteurs et leurs motivations, ils remettent en cause, pour des motifs différents, la pertinence du “ concept ” de tourisme culturel et la réalité de ses pratiques. Pour Valéry Patin, sociologue et membre de l’Icomos, un organe consultatif de l’Unesco, on ne peut plus parler de tourisme culturel aujourd’hui, parce que les pratiquants du patrimoine ne sont plus le fait de véritables “ touristes culturels ” . Rémy Knafou, géographe, se dit “ réservé sur les déclinaisons infinies auxquelles nous assistons en matière de tourisme : “ culturel ”, “ industriel ”, “ identitaire ”, “ vert ”, “ sexuel ”, etc. Tous qualificatifs qui ne permettent pas de réfléchir à la nature du phénomène que nous voulons comprendre et que j’analyse comme autant d’écrans gênant la réflexion ou, plus prosaïquement, comme une politique de mise en marché de nouveaux produits ” . Si le tourisme culturel est un concept commercial, reste à évaluer sa pertinence de ce point de vue. Or, les auteurs sont nombreux à critiquer la réalité d’un marché du tourisme culturel, la réalité d’une demande et d’une motivation culturelle pendant les vacances. Les nombreux discours sur le nouvel attrait des Français (ou des étrangers) pour des pratiques culturelles pendant leurs vacances ne s’appuient pas sur les analyses des consommations touristiques. Pour Jean Didier Urbain, les motivations culturelles affirmées d’un séjour sont bien souvent plus un alibi qu’un mobile ; ce qui est important est de savoir qu’une pratique est possible. Les enquêtes lui donnent raison. Les touristes ne sont pas tous actifs, curieux et en demande permanente d’activités culturelles, sportives ou ludiques. Pourtant, le “ modèle aristocratique et moral à la fois ” du voyageur culturel reste la référence de nombreuses institutions, du ministère de la Culture et de celui du Tourisme, de l’Unesco et de l’Icomos, des élus locaux et des collectivités locales. Catherine Bertho-Lavenir note en conclusion de La Roue et le stylo le décalage entre, d’un côté le désir des touristes de ne rien faire – qui correspond notamment à la tradition aristocratique non pas de l’effort mais de son exact opposé, la villégiature – et, de l’autre, les politiques multiples des ministères et des collectivités locales pour organiser des activités touristiques, pour développer le tourisme.
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Table des matières
Introduction
PARTIE I : LE SALON DU TOURISME CULTUREL
Chapitre 1: Les catégories du tourisme culturel : pratiques, destinations, exposition
Chapitre 2 : Le marché du tourisme culturel
Chapitre 3 : Le tourisme, un enjeu politique
Chapitre 4 : Le tourisme culturel, un lieu commun
Chapitre 5 : La doctrine du tourisme culturel
PARTIE II : LA FABRIQUE DES IMAGES IDENTIFIANTES
Chapitre 6 : Constituer et représenter l’espace touristique
Chapitre 7 : L’histoire appropriée
Chapitre 8 : Du folklore aux produits du terroir
Chapitre 9 : Les images mimétiques, analogiques et normatives
Chapitre 10 : Le patrimoine, lieu de pouvoir, le tourisme, instance de rupture
Chapitre 11 : Localité scindée, identité choisie
Conclusions
Bibliographie thématique
Sources
Références bibliographiques générales
Tables
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