Considérées parmi les écosystèmes les plus riches et les plus productifs de la planète, les zones humides en sont toutefois parmi les plus menacés dans le monde. Davidson (2014) estime ainsi que 64 à 71% des zones humides mondiales ont disparu au cours du XXe siècle. Ces écosystèmes fournissent de nombreux services écosystémiques dont dépendent directement des centaines de millions de personnes à travers le globe : approvisionnement en eau, alimentation et provision de matières premières, protection contre les aléas climatiques (tempêtes, inondations), mise en valeur touristique… Ce constat de disparition inquiétait la communauté internationale dès les années 1960. L’idée d’une convention sur les zones humides a germé en 1962 lors de la conférence du programme MAR (MARshes, MARécages, MARismas) aux Saintes-Maries-de-la-Mer, à l’initiative de l’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN), Birdlife International et Wetlands International. Il faudra attendre le 2 février 1971 pour que cette convention, la convention de Ramsar, soit signée dans la ville iranienne du même nom. Ce texte, premier texte international à évoquer indirectement la notion de service écosystémique, initialement porté sur la conservation des habitats d’oiseaux d’eau, vise à enrayer la destruction et la détérioration des zones humides. Les pays signataires s’engagent à désigner au moins un site Ramsar alliant l’utilisation rationnelle de ses ressources et la conservation de ses caractéristiques écologiques, sur la base d’un ensemble de critères écologiques. La France, qui a ratifié la convention en 1986, dispose aujourd’hui d’un réseau d’une cinquantaine de sites répartis sur l’ensemble du territoire (y compris en Outre-Mer). En honneur de la Convention Ramsar, la journée mondiale des zones humides se tient tous les ans le 2 février. A l’occasion de l’édition 2016 de celle-ci, Jérôme Bignon, président de l’Association Ramsar France a encouragé l’identification de sites Ramsar dans le Finistère. Cette démarche est coordonnée par le Conseil départemental du Finistère et le Forum des Marais Atlantiques (FMA), qui portent conjointement le projet à travers leur stratégie de protection des zones humides au sein d’un partenariat commun : la Cellule d’animation sur les milieux aquatiques (CAMA).
Historique et spécificité de la Convention de Ramsar
La Convention relative aux zones humides d’importance internationale, particulièrement comme habitats des oiseaux d’eau, ou Convention de Ramsar, a été signée le 2 février 1971 dans la ville éponyme en Iran. Cette convention reconnaît d’une part l’intérêt de conservation de la zone humide pour sa richesse écologique et met en avant d’autre part son usage rationnel lié aux services écosystémiques qu’elle fournit aux populations locales. Ce texte fut un traité international précurseur à propos du développement durable (utilisation rationnelle des ressources), de la protection de l’environnement et de la notion de services écosystémiques.
Les zones humides telles que définies dans Ramsar comprennent les « étendues de marais, de fagnes, de tourbières ou d’eaux naturelles ou artificielles, permanentes ou temporaires, où l’eau est stagnante ou courante, douce, saumâtre ou salée, y compris des étendues d’eau marine dont la profondeur à marée basse n’excède pas six mètres ». Cette définition diffère profondément de la définition française des zones humides de la loi sur l’eau de 1992 (article L211-1 du Code de l’Environnement, complété par l’article R211-108 du même Code de l’Environnement) par 3 points essentiels :
• Elle intègre les zones d’eau courante.
• Elle inclut également des zones marines « dont la profondeur à marée basse n’excède pas 6 m » (l’étude présente concerne 4 sites littoraux dont 2 sont en grande partie marins).
• Elle ne fait pas mention explicite du type de végétation ou de morphologie des sols pour définir la zone humide.
De manière plus précise la typologie d’habitats Ramsar (Frazier, 1999 ; voir Annexe 1) comprend une large gamme d’habitats dont certains ne sont pas à proprement humides si l’on raisonne en termes de pédologie et de végétation, comme précisé par la Loi sur l’Eau. On y retrouve notamment des massifs dunaires (typologie E), « qui comptent parmi les habitats les plus secs de Bretagne » (M.Hardegen, comm. pers.) ou encore des falaises maritimes (typologie D). Historiquement, la Convention était surtout portée initialement sur la protection des oiseaux d’eau. Cependant, depuis 1971, les critères de classification ont été étendus pour parvenir aujourd’hui à un ensemble de 9 critères de labellisation.
L’identification de sites Ramsar potentiels en Finistère
Paru en 1998 sous l’égide du Museum national d’Histoire naturelle (MNHN), le rapport sur les « zones humides françaises répondant aux critères de la Convention de Ramsar », plus communément appelé rapport Léthier, constitue le document de référence concernant l’identification de sites potentiels Ramsar qui n’appartenaient pas encore au réseau (18 sites à l’époque en France). La liste parue avait tenu compte des priorités formulées par le Ministère de l’Environnement à l’époque, priorités déclinées comme suit :
• Une importance internationale basée sur les critères « poissons »
• La présence de tourbières
• La présence de récifs coralliens ou d’herbiers marins
• La labellisation de territoires dans les DOM-TOM
On peut noter ici que les tourbières constituent encore en 2017 des écosystèmes « qui ne sont pas bien représentés » au sein des sites Ramsar d’après la Secrétaire générale de la Convention Ramsar, Martha Rojas-Urrego. Si le rapport Léthier identifie 135 sites potentiels répondant aux critères Ramsar (à l’époque), elle met en avant le besoin d’étude de faisabilité en amont d’éventuelles labellisations. Dans le Finistère, 5 sites sont ainsi identifiés (Figure 5):
• La Baie de Morlaix, au nord-est (projet porté par Morlaix Communauté et Haut-Léon Communauté ; référente : G.DAUDIN)
• La Baie de Goulven – Keremma, au nord (projet porté par Haut-Léon Communauté et la communauté de commune de Lesneven côte des légendes ; référent : N.DAVIAU)
• La Rade de Brest, à l’ouest (projet porté par le PNR d’Armorique ; référents : J.BOURDOULOUS et A.LARZILLIERE)
• Les tourbières des Monts d’Arrée, au centre (projet porté par le PNR d’Armorique ; référents : J.BOURDOULOUS et H.COROLLER)
• La Baie d’Audierne, au sud-ouest (projet porté par la communauté de commune du hautpays bigouden et la communauté de commune du pays bigouden sud ; référent : B.BUISSON) .
Les référents mentionnés ci-dessus ont apporté leur contribution par la mise à disposition d’études et données sur leur territoire.
En février 2016, à l’occasion de la journée mondiale des zones humides, le sénateur Jérôme Bignon, président de l’association Ramsar France, a lancé un appel vers le Conseil départemental du Finistère afin que ce dernier appuie la candidature de sites finistériens en vue de la labellisation Ramsar. À la suite de 2 comités de pilotage en juin 2017 et février 2018, le Conseil départemental du Finistère et le Forum des Marais Atlantiques ont lancé, à travers la cellule technique de la CAMA un appel à manifestation d’intérêt vers les gestionnaires des sites concernés pour réaliser une étude d’opportunité sur la labellisation Ramsar. Les 5 structures porteuses ont répondu favorablement à cet appel (terminé en avril 2018). L’étude d’opportunité porte sur 2 volets : un volet naturaliste et un volet appropriation sociale. Le premier volet, qui constitue l’étude du présent stage, cherche à dresser un état des lieux exhaustif des caractéristiques écologiques locales remarquables, qui pourraient alors justifier du choix de sélection de critères Ramsar en tant que zone humide remarquable à l’échelle internationale. Le stage sur le volet appropriation sociale, porté par une seconde stagiaire (Laure de Gaalon, Université Rennes 2), cherche à identifier sur les différents territoires concernés un portage local futur fort sur l’utilisation du label Ramsar dans les usages locaux. Cette étude d’opportunité précèdera une candidature concrète de labellisation Ramsar si le portage local de Ramsar est effectif (les 2 volets doivent conclure sur un intérêt réel de la labellisation).
Matériels et méthodes
Approche méthodologique
Les périmètres pris en compte pour l’étude ont été les périmètres Natura 2000 des 5 sites (Figure 3) Pour établir les fiches descriptives Ramsar (FDR), il n’existe pas de protocole précis en France ou dans le monde. Ces fiches représentent le principal outil permettant de résumer et de comprendre les caractéristiques écologiques remarquables du site ainsi que les usages et menaces locales. Instruites par les services de l’État en amont du processus de labellisation, elles permettent d’orienter la mise en place d’un plan de gestion Ramsar ou d’orienter/compléter certaines actions proposées dans des plans de gestion préexistants (DOCOB Natura 2000, plan de gestion du Conservatoire du littoral…). Elles représentent le principal rendu professionnel de l’étude.
Différentes approches ont été croisées :
– L’interprétation des critères et de certains vocabulaires utilisés ont été menés à partir du manuel 17 : inscription de sites Ramsar (Secrétariat de la Convention Ramsar, 2010) qui fournit également des orientations sur la justification des critères avec une discussion en parallèle avec Bastien COÏC, animateur réseau auprès de l’Association Ramsar France.
– Une analyse des justifications des critères a été réalisée sur les 5 derniers sites labellisés Ramsar en France (10% des sites français), telles qu’indiquées dans les FDR. Ces sites sont :
• Le marais Vernier et la vallée de la Risle maritime (Defonte, 2016 ; site inscrit le 18/12/15)
• Le marais breton, baie de Bourgneuf, île de Noirmoutier et forêt de Monts (Aycaguer, 2017 ; site inscrit le 02/02/17)
• L’étang de Salses-Leucate (Noel, 2017 ; site inscrit le 30/06/17)
• Le marais de Sacy (Cugnière et al., 2017 ; site inscrit le 09/10/17)
• Les marais et tourbières des vallées de la Somme et de l’Avre (Melenec et al., 2017; site inscrit le 18/12/17) .
Cette analyse a été accompagnée d’une lecture attentive d’évaluations de pré versions de FDR par le MNHN (Barnaud, 2011), notamment afin d’éviter certains écueils dans les choix de justifications.
– Outre la synthèse bibliographique effectuée, des discussions ont été menées auprès de référents scientifiques et de naturalistes locaux. Ces discussions ont permis une expertise fine des enjeux sur les différents sites, la prise en compte des études les plus récentes concernant des inventaires menés sur les territoires des 5 sites ainsi que certains points méthodologiques.
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Table des matières
1. Sommaire
2. Remerciements
3. Sigles et définitions
4. Présentation de la structure d’accueil
5. Introduction
6. Contexte
6.1. Historique et spécificité de la Convention de Ramsar
6.2. L’identification de sites Ramsar potentiels en Finistère
7. Matériels et méthodes
7.1. Approche méthodologique
7.2. Détail des justifications apportées par critère
7.2.1. Concernant le critère 1 : caractère représentatif, rare ou unique d’un type de zone humide à l’état naturel ou quasi-naturel de la région biogéographique (atlantique)
7.2.2. Concernant le critère 2 : présence d’espèces vulnérables, menacées d’extinction ou gravement menacées d’extinction ou de communautés écologiques menacées
7.2.3. Concernant le critère 3 : zone humide abritant des populations d’espèces animales et/ou végétales importantes pour le maintien de la diversité biologique d’une région biogéographique particulière
7.2.4. Concernant le critère 4 : présence d’espèces animales et/ou végétales à un stade critique de leur cycle de vie ou si la zone humide sert de refuge dans des conditions difficiles
7.2.5. Concernant le critère 5 : présence habituelle d’au moins 20 000 oiseaux d’eau
7.2.6. Concernant le critère 6 : présence habituelle d’au moins 1% de la population d’une espèce ou sous-espèce d’oiseau d’eau
7.2.7. Concernant le critère 7 : présence d’une proportion importante de sous-espèces, espèces ou familles de poissons indigènes, d’individus à différents stades du cycle de vie, d’interactions interspécifiques et/ou de populations représentatives des avantages et/ou valeurs des zones humides et contribue ainsi à la diversité biologique mondiale
7.2.8. Concernant le critère 8 : sert de source d’alimentation importante pour les poissons, de frayère, de zone d’alevinage et/ou de voie de migration dont dépendent des stocks de poissons se trouvant dans la zone humide ou ailleurs
7.2.9. Concernant le critère 9 : abrite régulièrement 1 % des individus d’une population d’une espèce ou sous-espèce animale dépendant des zones humides mais n’appartenant pas à l’avifaune
7.3. Traitement des données et choix final des critères
7.4. La question du périmètre
8. Résultats et discussion
8.1. Informations générales
8.2. Des habitats remarquables et diversifiés
8.3. L’avifaune de la Baie d’Audierne, une richesse remarquable à l’échelle internationale
8.3.1. La migration postnuptiale, une étape clé avant de gagner les quartiers d’hiver
8.3.2. L’hivernage, un suivi régulier via Wetlands International
8.3.3. La périlleuse nidification à l’approche de la saison estivale
8.4. La flore de la baie d’Audierne, un cortège d’espèces soumis aux gradients hydro-halophiles et trophiques
8.5. Autres éléments remarquables au vu des critères Ramsar
8.6. Menaces principales sur l’intégrité du site
8.6.1. La fermeture du milieu, vers un remplacement des espèces pionnières
8.6.2. Eutrophisation et envasement/atterrissement
8.7. Autres menaces
8.8. Bilan
9. Conclusion
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