L’humanisme, la première question qui s’impose à nous est de définir ce terme de «humanisme ». En effet, l’humanisme est une philosophie qui met l’homme est les valeurs humaines au cœur de la pensée. L’humanisme depuis la Renaissance est une notion avec des significations aussi diverses que variées et parfois distantes, mais, dans son acception philosophique traditionnelle voire première, il désigne la notion d’homme et l’ensemble des grandes interrogations anthropologiques, il faut donc en ce sens comprendre et prendre étymologiquement le mot humanisme comme un rétablissement de la dignité humaine comme le pensait déjà Pic de la Mirandole. Il s’entend donc comme une rénovation du genre humain qui passe formellement et forcément par un programme d’études profondément innovant axé sur le culte de l’enseignement des Anciens que la lettre de Gargantua à Pantagruel proposée comme un manifeste réaliste et réalisable :
« Le temps était encore ténébreux et sentant l’infélicité et calamité des Goths, qui avaient mis à destruction toute bonne littérature ; mais, par la bonté divine, la lumière et dignité a été de mon âge rendue ès lettres […]. Maintenant toutes disciplines sont restituées, les langues instaurées, grecque, sans laquelle c’est honte que une personne se die savant, Hébraïque, Chaldaïque, Latine ; les impressions tant élégantes et correctes en usance. » .
La Lettre de Gargantua voit ainsi le programme humaniste comme un effort de rénovation spirituelle et esthétique dont parle R Jasinski dans son Histoire de la littérature française. Et Les Essais peuvent être interrogés dans ce sens. L’examen de l’homme et des valeurs humaines ne sont pas étrangers à l’écriture Montaigne. Mais Montaigne appartient à un siècle trop mouvementé, parsemé de conflits religieux et sociopolitiques, qui, annihilent la dignité de l’homme et provoquent l’effondrement des valeurs qu’encourageait la Renaissance. Face à l’enthousiasme débordant du début du siècle il oppose la modération pour tenter de sauvegarder le rêve humaniste déjà abîmé par les querelles et les scandales de l’époque. Son écriture coïncidant avec les troubles religieux, politiques et sociaux transforme sa conception de l’homme et des valeurs auxquelles il appartient.
L’IDÉAL HUMANISTE, LA PEINTURE DE L’ÊTRE ET RELIGION
LA CONCEPTION DE L’HOMME CHEZ MONTAIGNE
L’HOMME MONTAIGNIEN
Montaigne, qui fait de l’homme le thème central de ses Essais, découvre en fin de compte que son sujet n’est pas au fixe, il va chancelant. Et au fur et à mesure que l’œuvre progresse plus nous découvrons que la nature de l’homme change selon les circonstances. L’être humain est un être au visage incertain, inconstant et versatile puisque c’est Montaigne lui-même qui en donne la définition la plus précise : « Certes c’est un sujet merveilleusement vain, divers, et ondoyant, que l’homme : il est malaisé d’y fonder jugement constant et uniforme » .
L’homme est insaisissable, Montaigne le croit fermement et il insiste sur l’idée de métamorphose centrale aux Essais. L’idée que rien dans ce monde ne peut être statique est antérieure à Montaigne même pas l’homme qui si on peut le dire ainsi le plus illustre astre de la planète. Déjà, à l’antiquité, nombreux étaient les philosophes et penseurs et érudits qui soutenaient une telle philosophie de la création. Et Montaigne s’inspirant de très loin, de la pensée du poète et philosophe latin, Lucrèce, puis de Plutarque, qui parlaient de mutations des êtres, affirme à son tour que toute notre nature humaine est susceptible de changement.
Ainsi, Montaigne, en connaisseur de la biologie humaine, part du principe de la gestation pour démontrer la thèse de l’homme en tant être de métamorphose. Et, c’est à la fin du douzième chapitre du deuxième livre, l’Apologie de Raimond Sebonde, qu’il expose sa théorie :
« Comme de semence humaine se fait premièrement dans le ventre de la mère un fruit sans forme : puis un enfant formé, puis étant hors du ventre, un enfant de mamelle ; après il devient garçon ; puis conséquemment un jouvenceau ; après un homme fait ; puis un homme d’âge ; à la fin décrépite vieillard. De manière que l’âge et génération subséquente va toujours défaisant et gâtant la précédente. » .
Ce passage qui symbolise une période essentielle de la vie de l’homme doit forcément retenir toute notre attention. Il est significatif dans le sens ou il prouve qu’en la naissance et la mort l’homme est la résultante d’un long processus de transformation. Entre ces deux âges de la vie : la naissance et la mort ; il n’y a que l’embryogénèse. Et cette étape démontre que la nature humaine est « muance et variation perpétuelle ». Donc c’est qu’il faut admettre véritablement que Michel de Montaigne garde une démarche constante et cohérente de sa conception de l’humaine nature en insistant sur son pour infini de métamorphose.
Cet infini pouvoir de métamorphose dont l’homme seul est capable, on le retrouve en filigrane dans les trois volumes que Montaigne a laissé à la postérité. Un pouvoir jouissance que tous les êtres lui en voudraient jalousement. Si l’on en croit Jean Pic de la Mirandole qui s’efforçait de rendre à l’homme sa dignité, établissait que la grandeur de l’être humain ne consiste pas à son intelligence et à sa morale, mais plutôt par sa force transformatrice dont lui seul peut jouir.
Pic de la Mirandole qui estime que Dieu et les anges surclassent l’homme mais le comparant avec les autres espèces de la nature, il conclut que l’homme est incomparable parce qu’il peut se garantir de conquérir l’excellence. En cela, sa dignité se situe dans son pouvoir de se transmuer et de s’élever dans les plus hautes stations de perfectionnement sinon égaler ou dépasser les anges, là ou toutes les autres créatures ne peuvent aboutir. Selon cet auteur :
« À lui, il est donné d’avoir ce qu’il désire et d’être ce qu’il veut. Les bêtes, au moment où elles naissent, portent en elles dès la matrice de leur mère, comme dit Lucilius, tout ce qu’elles auront. Les esprits supérieurs ont été, dès le commencement ou peu après, ce qu’ils seront à jamais dans les siècles des siècles. Mais dans chaque homme qui naît, le Père a introduit des semences de toutes sortes, des germes de toute espèce de vie. Ceux que chacun a cultivés croîtront, et ils porteront des fruits en lui. » .
Suivant cette analyse, Montaigne entend rejoindre la pensée picienne que l’humaine nature suivant les circonstances évolue, et spécifiquement est en mesure de changer de nature. Ainsi, notre bordelais se sert de l’exemple des animaux tels que les ours, les chiens, dont les attitudes, conduites et agissements sont déterminés par les inclinations naturelles : « les hommes, se jettent incontinent en des accoutumances, en des opinions, en des lois, se changent ou se déguisent facilement ».
Montaigne persiste à croire à une philosophie héritée des anciens, qui suppose que l’homme est un être de mouvement, que parmi tant d’espèces, il est le seul qui soit doté remarquablement de la faculté de se « transformer et se transsubstantier en autant de nouvelles figures et de nouveaux êtres, qu’ils entreprennent de charge ». Mais Montaigne n’est pas Pic de la Mirandole, son idée non plus ne rejoint pas la métamorphose dont parle Jean Pic de la Mirandole. Pour ce dernier, l’idée de métamorphose est le point de départ d’une nouvelle forme de vie, l’homme déchu se réincarne en bêtes sauvages ou plantes.
L’HOMME DANS LA SOCIETE
L’origine de la société est à chercher dans l’indispensable utilité de l’homme à l’homme. Toute l’Antiquité est partie de ce constat pour formuler leurs conceptions de la naissance des sociétés humaines. Et ce n’est pas Montaigne, lui qui leurs doit l’ensemble des idées politiques des Essais à Platon ou à Aristote, qui dira le contraire. En effet, notre auteur et maire de Bordeaux a bien conscience de l’impérative obligation des hommes de vivre ensemble, le vivre ensemble qui est le propre de l’humaine naturel. Montaigne, même si dans les Essais il ne se propose pas d’édifier un fondement naturel de la société, intellectuellement construit, il prend acte de ce qui peut selon lui mettre tous les hommes sur un même espace et soumis par la règle « la nécessité [qui les] compose les hommes et les assemble » telle est la conception de la société chez Montaigne.
Ainsi, la société peut se définir comme une entité humaine et sociale écartant dés sa naissance les intérêts individuels et devient un format qu’il faut prescrire des normes et des règlements pour assurer la viabilité de l’organisation sociale dans laquelle les individus qui la composent entretiennent des rapports multiformes. C’est sans doute le deuxième élément mais le plus essentiel de la police des hommes. C’est pour dans sa conception d’une société humaniste idéale Montaigne, après la nécessité qui est synonyme à la volonté générale, cause de la naissance des sociétés chez Rousseau ou Hobbes, en donne le pilier, la législation ou constitution dont parler déjà Platon et Aristote qui sous-tend l’agglomérat d’individu. C’est la raison pour laquelle il écrit que : « Cette couture fortuite se forme après en lois ». La nécessité selon Montaigne est insuffisante pour garantir l’harmonie des relations au sein même de la formation d’individus, il faut qu’il existe un paramètre qui régit la vie de chaque être et de tous et ce lien c’est la loi.
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Table des matières
INTRODUCTION
1ère partie L’IDÉAL HUMANISTE, MONTAIGNE UN PEINTRE DE L’ÊTRE MAIS UN RELIGIEUX SCEPTIQUE
Chapitre I : De la peinture de l’Être
1-1. Le type montaignien
1-2. Individu et société
Chapitre II : La Religion de Montaigne
2-1. Montaigne et le christianisme
2-2. Les réflexions théologiques
2ème partie : MONTAIGNE, UN PÉDAGOGUE ET UN PHILOSOPHE
Chapitre III : Montaigne et l’éducation humaniste
3-1. Les Anciens, un enseignement riche et sûr
3-2. De l’éducation des Hommes
Chapitre IV : Les Essais, une œuvre philosophique
4-1. Le doute montaignien
4-2. La philosophie, un art de vivre
3ème partie DE L’ÉCRITURE DES ESSAIS
Chapitre V : Une composition « ondoyante et diverse »
5-1. Le refus de l’ordre
5-2. Un style vivant
Chapitre VI : Les Essais, une écriture de la connaissance de soi
6-1. Montaigne peint par lui-même
6-2. Montaigne et son livre
CONCLUSION