L’hypertélorisme orbitaire, de Greig à Tessier

L’hypertélorisme orbitaire, correspondant à une augmentation de l’espace séparant les orbites, est retrouvé dans diverses malformations cranio-faciales. La chirurgie, permettant le rapprochement orbitaire par des ostéotomies du crâne et de la face, représente actuellement le seul traitement des hypertélorismes modérés à sévères.

Les ostéotomies et les voies d’abord utilisées de nos jours dans la correction de l’hypertélorisme orbitaire sont le fruit du développement et de l’évolution des techniques chirurgicales depuis plus de 60 ans. Dès le milieu des années 50, de nombreux chirurgiens ont tenté de traiter cette anomalie par des résections cutanées ou osseuses naso orbitaires, restant cependant limitées et offrant ainsi des résultats médiocres. En 1967, Paul Tessier est le premier à décrire une technique chirurgicale efficace de rapprochement orbitaire par voie intra-crânienne, en deux temps. Il révolutionne la prise en charge de cette déformation mais ouvre également le champ des possibles dans le traitement de bien d’autres syndromes malformatifs intéressant le crâne et la face : la chirurgie cranio-faciale est née. Il va inspirer toute une génération de chirurgiens qui, riche des concepts qu’il a apporté, va contribuer à l’essor de la discipline. Ainsi, la technique initialement développée par Tessier va évoluer durant la fin du XXème siècle, permettant la correction de l’hypertélorisme orbitaire au cours d’une seule intervention chirurgicale, tout en préservant les structures alentours (racines olfactives). En 1976, Van der Meulen décrit la technique de bipartition faciale permettant la correction de l’anomalie orbitaire et des déformations du maxillaire pouvant lui être associées, durant le même temps opératoire.

L’hypertélorisme orbitaire, de Greig à Tessier 

Hypertélorisme

Définitions

Le terme hypertélorisme, vient du Grec (huper : au-dessus ; têle : loin ; orizein : séparer) et correspond à une augmentation de distance entre deux structures.

En 1924, D.M. Greig introduit pour la première fois le terme « hypertélorisme oculaire » pour décrire une augmentation de l’espace séparant les yeux chez deux de ses patientes . Ce terme prête cependant à confusion, car la distance qui sépare les yeux ne correspond pas nécessairement à la position des orbites. Effectivement, si seules les distances interpupillaire ou intercanthale sont mesurées, l’hypertélorisme peut alors être mimé. Ainsi, il faut différencier le « vrai » hypertélorisme des « faux » hypertélorismes. L’hypertélorisme peut être simulé par des anomalies n’entrainant pas de dystrophie osseuse responsable de l’écartement des globes ou des canthi : strabisme divergent (élargissement réel de la distance inter-pupillaire), épicanthus, télécanthus primaire ou post-traumatique (écartement isolé des canthi). Les distances interpupillaires et inter-canthales mesurées lors de l’examen clinique n’ont ainsi aucun rapport avec la réalité orbitaire.

Afin d’éviter toute confusion, P. Tessier a été le premier à introduire les termes «hypertélorisme orbitaire » ou « hypertéléorbitisme ». Le terme hypertélorisme orbitaire devrait donc être réservé à l’élargissement de la distance entre les deux orbites secondaire à une anomalie squelettique, dans un contexte de malformation cranio-faciale. Tessier définit l’hypertélorisme orbitaire comme une déformation cranio-faciale où sont associés : un élargissement de l’ethmoïde intéressant la racine nasale entraînant une augmentation des distances entre les apophyses montantes, les canthi médiaux et les yeux .

Van Der Meulen a différencié l’hypertélorisme orbitaire (« orbital hypertelorism »), où il existe une véritable latéralisation orbitaire, de l’hypertélorisme inter-orbitaire («interorbital hypertelorism ») dans lequel seule la paroi médiale de l’orbite est latéralisée, la paroi latérale étant bien positionnée. Cette entité a également été nommée « bony telecanthus » par Jackson , rejoignant donc la nomenclature de Tessier distinguant le « vrai » hypertélorisme des « faux » hypertélorismes.

Mesures de l’hypertélorisme orbitaire 

Ainsi, quatre distances sont modifiées dans les « vrais » hypertélorismes orbitaires:

− La Distance Inter-Orbitaire (DIO). La DIO est la distance séparant les deux dacryons. Le dacryon est un repère osseux pair situé à la jonction entre l’os maxillaire, frontal et lacrymal . Ainsi, la DIO représente l’écart entre les parois orbitaires médiales . La DIO est augmentée dans les cas d’hypertélorisme orbitaire et d’hypertélorisme inter-orbitaire.
− La Distance Inter-Orbitaire Latérale (DIO-L). La DIO-L est la distance séparant les deux sutures fronto-zygomatiques. Ainsi, la DIO-L représente l’écart entre les parois orbitaires latérales . La DIO-L est augmentée dans les cas d’hypertélorisme orbitaire, mais pas dans les cas d’hypertélorisme inter-orbitaire.
− La Distance Inter-Canthale (DIC) médiale. La DIC médiale correspond à l’écart entre deux repères ligamentaires représentés par les ligaments canthaux médiaux. La DIC médiale normale est de 30mm, au delà, on parlera de télécanthus .
− La Distance Inter-Pupillaire (DIP). La DIP correspond à l’écart entre deux repères oculaires représentés par les centres des pupilles . L’écart inter-pupillaire normal est inférieur à 70mm , il est le plus souvent augmenté dans les cas d’hypertélorisme. La DIP ne représente cependant pas une mesure fiable pour le diagnostic d’hypertélorisme orbitaire dans les cas de strabisme.

La Distance Inter-Orbitaire (DIO) est mesurée après repérage du point de jonction entre les os maxillaire, frontal et lacrymal, de chaque coté sur une téléradiographie de face, ou sur un scanner. La DIO représente la mesure de référence dans l’hypertélorisme orbitaire, Tessier a d’ailleurs décrit trois degrés de sévérité de l’hypertélorisme orbitaire en fonction de cette mesure .

Classifications

En 1972, Tessier propose une classification de l’hypertélorisme orbitaire en tenant compte de l’importance de l’élargissement inter-orbitaire mais également de ses conséquences sur la forme de la région fronto-orbitaire . Il décrit ainsi trois degrés d’hypertélorisme chez les adultes :
− 1er degré : la Distance Inter-Orbitaire est comprise entre 30 et 34mm (Distance Inter-Canthale comprise entre 37 à 40mm). Cette forme d’hypertélorisme est plutôt considérée comme un pseudo-hypertélorisme et assimilée à un télécanthus ; qu’il soit congénital (syndrome de Waardenburg, blépharophimosis) ou acquis (traumatisme orbito-nasal).
− 2ème degré : la DIO est supérieure à 34mm et inférieure à 40mm (DIC comprise entre 41mm et 46mm) et on peut désormais parler d’hypertélorisme orbitaire. A ce stade, il n’existe pas de malposition ou de déviation des globes oculaires, sauf dans les cas de dysostose cranio-faciale, qui, du fait d’une diminution du volume intra-orbitaire, entraine un exorbitisme et une exophorie. Cliniquement, l’étage moyen de la face est élargi mais les orbites conservent une orientation normale. Radiologiquement, les orbites conservent à peu près leur forme et ne sont pas extrêmement latéralisées.
− 3ème degré : la DIO est généralement supérieure à 40mm (DIC supérieure à 46mm). Cliniquement, la face est élargie (bien qu’elle ne le soit pas beaucoup plus que dans le 2ème degré) et les orbites sont latéralisées, avec une distance entre les canthi latéraux et le méat auditif externe diminuée.

Cette classification claire permet d’évaluer le degré de sévérité de l’hypertélorisme orbitaire chez nos patients et de poser différentes indications chirurgicales en fonction de la sévérité de l’hypertélorisme orbitaire, en considérant à la fois l’augmentation de la DIO et l’existence ou non d’une déformation fronto-orbitaire.

Cependant, il existe des cas où la DIO est subnormale, mais qui présentent cependant un hypertélorisme orbitaire clinique…est ce pour autant que l’on ne doit pas les opérer ? En effet, dans quelques cas, l’écartement orbitaire peut être majeur au niveau de la portion supérieure ou inférieure de l’orbite. Tessier nous rassure cependant en concédant que le degré de la malformation n’est pas si simple à évaluer et que nous n’opérons pas une mesure, mais bien un patient, avec toutes les singularités qu’il peut avoir !

« Il est aussi malaisé d’établir les degrés d’une malformation que de fixer un taux d’invalidité. A cette estimation, outre la DIO, trop de facteurs concourent, qui ne sont pas tous objectifs. De plus, la DIO varie avec l’âge. » (Paul Tessier, 1977) .

La variation de la DIO en fonction de l’âge a été étudiée par de nombreuses équipes au cours de la deuxième moitié du XXème siècle. Hansman a publié en 1966 des courbes de croissance et des abaques de DIO en fonction de l’âge .

En 1979, constatant que la classification de Tessier n’est applicable que chez les adultes, Munro propose une classification de l’hypertélorisme orbitaire en fonction de la forme de la paroi orbitaire médiale. Il définit ainsi 4 types de déformations orbitaires médiales chez les patients atteints d’hypertélorisme orbitaire :

− Type I : parois orbitaires médiales parallèles
− Type II : parois orbitaires médiales formant un biseau postérieur
− Type III : parois orbitaires médiales ovalaires
− Type IV : parois orbitaires médiales formant un biseau antérieur .

Dans les déformations de type III et IV on peut noter que l’élargissement entre les parois orbitaires médiales est maximal en arrière de l’équateur du globe rendant leur correction chirurgicale plus difficile. Par chance, les déformations de type III et IV sont les plus rares selon Munro. Cette classification n’est cependant pas utilisée dans la littérature.

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Table des matières

Introduction
PARTIE 1 : L’hypertélorisme orbitaire, de Greig à Tessier
I. Hypertélorisme
A. Définitions
B. Mesures de l’hypertélorisme orbitaire
C. Classifications
D. Etiologies/Mécanismes
E. Diagnostics différentiels
F. Principales malformations associées à l’hypertélorisme orbitaire
1) Malformations osseuses crânio-faciales
2) Malformations des parties molles crânio-faciales
II. Historique de la chirurgie de correction de l’hypertélorisme orbitaire
A. Techniques extra-crâniennes
B. Techniques intra-crâniennes
C. Prise en charges des anomalies des tissus mous associées à l’hypertélorisme orbitaire
PARTIE 2 : La chirurgie assistée par ordinateur ; des modèles stéréolithographiques à la correction chirurgicale de l’hypertélorisme orbitaire assistée par ordinateur
I. La chirurgie assistée par ordinateur en chirurgie maxillo-faciale
A. Impression 3D
B. Technologies se basant sur l’impression 3D utilisées en chirurgie maxillo-faciale
1) Modèles stéréolithographiques et techniques de « contouring »
2) Guides de coupe chirurgicaux et guides de repositionnement
3) Gouttières
4) Implants
5) Conclusion
II. La correction chirurgicale de l’hypertélorisme orbitaire assistée par ordinateur
A. Généralités
B. Correction chirurgicale de l’hypertélorisme orbitaire assistée par ordinateur avec guides de coupes : protocole de Tours
1) Données tomodensitométriques
2) Segmentation
3) Planification pré-opératoire
4) Conception
5) Production
6) Stérilisation
PARTIE 3 : Utilisation des guides de coupe chirurgicaux dans la correction de l’hypertélorisme orbitaire par box ostéotomie ou bipartition faciale : étude comparative entre la planification pré-opératoire et les résultats post-opératoires
I. Introduction
II. Matériel et Méthodes
A. Patients
B. Méthodes
1) Planification chirurgicale
2) Chirurgie de rapprochement orbitaire par box ostéotomies ou bipartition faciale
3) Comparaison des mesures planifiées aux mesures post-opératoires
C. Statistiques
III. Résultats
A. Patients
B. Comparaisons des planifications pré-opératoires et des résultats post-opératoires
IV. Discussion
V. Conclusion
Conclusion
Bibliographie
Annexes

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