La mangue est un fruit originaire d’Asie du sud et plus précisément de l’Inde. Ce fruit se place au 2ème rang des fruits exotiques les plus cultivés au monde, avec une production annuelle de 35 millions de tonnes. Tout comme la mangue, la production du litchi a nettement progressé depuis plusieurs années et atteint les 2,5 millions de tonnes par an. Malgré la vaste consommation de ces fruits à travers le monde, les allergies alimentaires (AA) à la mangue et au litchi sont très peu décrites. En effet, c’est en 1942 que Kahn rapporte le premier cas d’AA à la mangue(1). Depuis, 11 autres cas ont été décrits dans la littérature anglophone(2–11). L’allergie au litchi est elle aussi très peu décrite comme en témoignent les 8 cas accessibles sur Pubmed(12–18). Malgré la rareté des AA à la mangue, certains auteurs évoquent des réactions croisées entre ce fruit et d’autres végétaux. En 1984, Wüthrich et son équipe évoquent un lien entre le pollen d’armoise, le céleri et la mangue(19). Ces auteurs ont observé chez 31 patients allergiques au céleri, que 87% d’entre eux étaient sensibilisés à l’armoise et que 7 patients avaient aussi une AA à la mangue. De cette façon, les AA à la mangue sont rapidement rattachées au syndrome « armoise-céleri-épice ». Ce syndrome se caractérise par une sensibilisation au pollen d’armoise responsable d’allergie à des aliments de la famille des apiacées, comprenant notamment le céleri, le fenouil, le persil et certaines épices(20). Les patients allergiques au litchi sont, eux aussi, fréquemment sensibilisés au pollen d’armoise. Sur les 8 cas publiés, l’ensemble des patients testés étaient sensibilisés à ce pollen(13,14,16,17) (5 patients). De plus, un cas d’allergie à des aliments de la famille des apiacées a aussi été décrit dans un contexte d’AA au litchi. Ce patient présentait un syndrome oral au persil et était sensibilisé au céleri lors des tests cutanés(17). D’autres co-sensibilisations ont été décrites chez ces patients. Parmi les plus fréquentes, nous pouvons citer une sensibilisation à la pistache retrouvée chez 2 patients allergiques à la mangue(7) et 2 autres allergiques au litchi (17). Une AA à la graine de tournesol a été rapportée chez 3 patients allergiques au litchi (13,17).
Les patients allergiques à la mangue ou au litchi présentent des sensibilisations communes au pollen d’armoise et à des aliments de la famille des apiacées. Cependant, très peu d’auteurs évoquent une réactivité croisée entre ces 2 fruits exotiques. La première association entre ces 2 fruits a été faite en 1988 dans le premier cas publié d’AA au litchi(12). Chez ce patient, des tests cutanés à la mangue ont été réalisés et se sont avérés positifs. Depuis, cette co-sensibilisation entre la mangue et le litchi n’a plus été recherchée dans les cas cliniques accessibles à la communauté internationale et aucun lien entre ces 2 fruits n’est clairement identifié.
Cependant, la présence d’allergènes homologues dans ces 2 fruits et dans d’autres végétaux semble très probable. En effet, sont rapportés dans la littérature 2 cas d’AA après une toute première consommation de mangue(4,8) et 2 autres cas après une première consommation de litchi(17). Devant l’absence de premier contact sensibilisant, l’implication d’allergènes homologues pourrait expliquer ces AA à leur 1ère consommation. Sur ces 4 patients, 3 d’entre eux étaient sensibilisés à l’armoise (donnée manquante pour le 4ème patient) et 2 avaient aussi une AA à la graine de tournesol. C’est possiblement via une sensibilisation primaire à un allergène de la famille des astéracées (comprenant notamment l’armoise, l’ambroisie et le tournesol) que des réactions croisées avec la mangue ou le litchi pourraient s’expliquer.
Effectivement, plusieurs allergènes de la mangue et du litchi ont déjà été identifiés, et certains d’entre eux seraient responsables de réactions croisées avec le pollen d’armoise (tableau 1 et 2). Des protéines de la mangue de 40, 43 et 67 kDa ont été identifiées comme responsables de réactions croisées avec l’armoise, le bouleau, le céleri et la carotte(21). Une autre protéine de 60 kDa de la mangue serait aussi responsable de réactions croisées avec l’armoise (22). Pour le litchi, c’est un allergène de 70 kDa qui croiserait avec le pollen d’armoise et la graine de tournesol(17). Ces différentes études expérimentales confirment le lien entre le pollen d’armoise, la mangue ou le litchi sans permettre l’identification précise de cet allergène impliqué.
Données cliniques
Les données suivantes ont été collectées à partir des dossiers informatiques des patients puis analysées : données démographiques (âge et sexe), données cliniques (antécédents, comorbidités, allergies connues, symptômes et délais de survenue de la réaction allergique, traitement utilisé et résultats des tests cutanés) et données biologiques (IgE spécifiques, micropuce ISAC®, IgE totales, tryptase basale). Ces 10 patients avaient bénéficié lors de leur consultation de tests cutanés en prick pour les aliments suspectés lors de l’interrogatoire et pour d’autres aliments malgré l’absence d’histoire d’AA. Le choix des autres aliments testés était principalement justifié par les données de la littérature. Tous ont bénéficiés de pricktests pour la mangue et le céleri rave dans le cadre d’un éventuel syndrome « armoisecéleri-épice ». Dans cette hypothèse, des prick-tests pour d’autres ombellifères ont été pratiqués : le fenouil et la graine de fenouil ainsi que le persil, la coriandre et la graine de coriandre. Les prick-tests pour la pistache et à la graine de tournesol étaient justifiés devant des co-sensibilisations ou AA décrites dans la littérature. Enfin, les prick-tests pour le litchi étaient réalisés devant une association fréquemment observée chez nos patients allergiques à la mangue. La plupart des patients avaient bénéficié de prick tests pour les pneumallergènes les plus courants, ceci, dans une démarche diagnostique classique d’AA, afin de mieux comprendre et expliquer les co sensibilisations mises en évidence et identifier un éventuel syndrome « pollen-fruit ».
Les patients de cette étude avaient un diagnostic d’AA à la mangue et/ou au litchi retenu sur l’anamnèse et sur la confirmation d’une sensibilisation IgE médiée par les prick-tests et/ou par le dosage des IgE spécifiques. Aucun patient de l’étude n’avait bénéficié de test de provocation. Cette étude a obtenu l’autorisation de la Commission Nationale de l’Informatique et des Libertés (CNIL) le 27 juillet 2019 et a été enregistrée sous le numéro 2019-233 sur le Portail d’Accès des Données de Santé (PADS) de l’AP-HM.
Tests cutanés
Les prick-tests pour les pneumallergènes les plus courants étaient réalisés en utilisant des extraits commerciaux (Soluprick®, ALK). Les TC avec les aliments natifs étaient réalisés à partir de fruits ou légumes frais, sauf pour le litchi, avec l’utilisation de fruit en conserve pour la plupart des patients. Les aliments étaient broyés à l’aide d’un mortier et dilués en poids/volume par du sérum physiologique. Les prick étaient réalisés à travers l’aliment, selon la méthode « prick-in-prick » à l’aide de microlancette (Stallerpoint®, Starllergène). La lecture des tests cutanés était faite 20 min après le prick. Le test était considéré comme positif si la papule obtenue mesurait au moins 50% du diamètre de la papule du témoin positif. Un prick-test avec un témoin négatif (Soluprick®, ALK) et un témoin positif (Soluprick®, ALK, Dichlorhydrate d’histamine 10 mg/mL) était pratiqué chez tous les patients afin d’éliminer un dermographisme ou une aréactivité cutanée.
Diagnostic in vitro
Lors de la consultation, des prélèvements sanguins étaient pratiqués pour le dosage des IgE spécifiques (alimentaires, pneumallergènes et certains recombinants), dans une démarche diagnostique classique d’AA. Le dosage des IgE et des IgG spécifiques a été réalisé par méthode FEIA (fluoroenzymoimmunoassay) sur un automate ImmunoCAP 250 (ThermoFisher Scientific, Phadia, Uppsala, Suède) au sein de l’unité d’immunologie et allergologie de l’Institut Hospitalo-Universitaire Méditerranée Infection de Marseille. Les excès de sérum restant, qui étaient congelés à -80°C dans notre sérothèque, ont été utilisés afin d’affiner les explorations allergologiques. Pour chaque patient, la recherche d’une sensibilisation aux 3 familles panallergéniques végétales a été réalisée. La sensibilisation à la famille des LTP a été recherchée par le dosage d’Art v 3 de l’armoise et de Pru p 3 de la pêche, la famille des PR-10 par le dosage d’Api g 1 du céleri et de Pru p 1 de la pêche et la famille des profilines par le dosage de Pru p 4 de la pêche. Le recherche d’IgE spécifiques contre les CCD (Cross reactive Carbohydrate Determinants) de type MUXF3 était faite afin d’éliminer une fixation non spécifique des IgE sur des portions glycosylées de certains extraits. Enfin, le dosage des IgE totales et de la tryptase basale a été réalisé afin d’évaluer le profil de ces patients.
Une exploration biologique multiplexe par micropuce ISAC® (112, Thermo Fisher Scientific, ImmunoDiagnostics) était réalisée afin d’approfondir l’exploration du profil de sensibilisation de ces patients. Cette micropuce permet l’analyse de 112 allergènes et recombinants différents, principalement des trophallergènes et pneumallergènes. Cette micropuce ISAC® permettait notamment d’affiner l’exploration du profil de sensibilisation aux 3 familles panallergéniques végétales. La recherche d’une sensibilisation aux PR-10 était élargie au dosage de 10 recombinants de cette famille (notamment Api g 1 du céleri, Pru p 1 de la pêche, Mal d 1 de la pomme et Act d 8 du kiwi), les LTP par le dosage de 7 recombinants de cette famille (notamment Pru p 3 de la pêche, et Art v 3 de l’armoise) et les profilines, par le dosage de 4 recombinants (notamment Bet v 2 du pollen de bouleau).
Conformément à la Déclaration d’Helsinki et la loi française sur la recherche avec des êtres humains, l’approbation du comité d’éthique et le consentement du patient ne sont pas nécessaires pour ce type d’étude non-interventionnelle, à condition que les patients ont reçu l’information et ont conservé le droit d’opposition à l’utilisation de l’excès sérum (1-2).
Extraction protéique
L’extraction protéique de 9 aliments (mangue, litchi en conserve, céleri rave, fenouil, persil, pistache, graine de tournesol, graine de coriandre et graine de fenouil) a été réalisée. Au total, 3 méthodes d’extractions protéiques différentes ont été utilisées selon les aliments. La mesure des concentrations protéiques était faite par la méthode de Bradford comme précédemment décrite(29). Cette méthode de mesure colorimétrique utilise le bleu de Coomassie dont l’absorbance est proportionnelle à la quantité de protéines déposé dans l’échantillon.
Extraction protéique par sonication
Cette méthode d’extraction protéique repose sur l’utilisation d’un tampon de solubilisation (TS, composé de 2,3 mol/L d’urée, 0,83 mol/L de thio-urée et 0,22 mol/L de CHAPS) et d’une force physique vibratoire (sonicateur) qui permettent de déstabiliser les membranes cellulaires et de libérer leur contenu chargé en protéine. Brièvement, la chair d’environ 4 à 5 g d’aliment était lavée pendant 5 minutes à l’aide d’eau distillée, puis broyée avant d’être mélangée à ce tampon de solubilisation sous agitation continue pendant 20 min. Une sonication pendant 5 min a été réalisée, suivie d’une centrifugation à 14 000 g pendant 20 min à +4°C. Le surnageant chargé en protéines était délicatement récupéré puis congelé à -20°C avant l’utilisation.
Extraction protéique à l’alcool froid
Une extraction protéique basse température a été réalisée pour la mangue, le litchi, le céleri rave, le fenouil et le persil comme précédemment décrite(30). Brièvement, entre 75g à 150g d’aliments étaient mixés puis mélangés dans de l’acétone à -40°C à l’aide de carboglace et laissé toute la nuit à -20°C. Les précipités obtenus étaient lavés 2 fois avec une solution d’acétone à -20°C et une fois avec un mélange volume à volume d’acétone et de diéthyléther à -20°C. Le liquide obtenu était filtré, congelé à -80°C avant d’être lyophilisé pendant 48 heures. La poudre d’acétone obtenue après lyophilisation était mise en suspension dans du PBS (Tampon phosphate salin, Phosphate Buffer Saline, contenant 137 mM NaCl, 2,7 mM KCl, 10 mM Na2HPO4 et 1,76 mM KH2PO4). Cette suspension était congelée à l’aide de carboglace, de nouveau lyophilisée afin d’augmenter la concentration protéique, puis mise en suspension dans du PBS et centrifugée (+4°C, 10 500 * g). Le surnageant chargé en protéines était filtré puis congelé à -20°C avant l’utilisation.
Extraction protéique à l’azote liquide
Une extraction protéique utilisant de l’azote liquide a été utilisée pour le litchi, le céleri rave, le fenouil et le persil, comme précédemment décrit (31) avec quelques modifications apportées. Brièvement, la chair d’aliment était découpée puis plongée dans l’azote liquide avant d’être mixée et mise en suspension dans du PBS sous agitation continue à +4°C pendant toute la nuit. Une centrifugation à 8 000 g pendant 30 min était réalisée. Le surnageant était délicatement récupéré puis filtré (filtre de cellulose, ports d’un diamètre de 0,45 µm). A la place d’être dialysé, une lyophilisation a été réalisée pendant toute la nuit permettant d’obtenir une poudre de protéine qui était remise en suspension dans un volume d’1 mL de TS. Les extraits étaient ensuite congelés à – 20°C avant l’utilisation.
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Table des matières
INTRODUCTION
RATIONNEL DE L’ETUDE
MATÉRIEL ET MÉTHODE
Objectifs
Objectif principal
Objectifs secondaires
Type d’étude menée
Critères d’inclusion
Données cliniques
Tests cutanés
Diagnostic in vitro
Méthodes expérimentales : raisonnement scientifique adopté
Extraction protéique
Extraction protéique par sonication
Extraction protéique à l’alcool froid
Extraction protéique à l’azote liquide
Séparation des protéines par SDS-PAGE
Transfert sur nitrocellulose
Western Blot IgE
Identification protéique au MALDI TOF
RESULTATS
Les patients
Caractéristiques des réactions allergiques à la mangue et au litchi
Profil de sensibilisation : tests cutanés
Sensibilisation biologique : dosage des IgE unitaires
Analyse multiplexe par micropuce ISAC®
Dosage des IgG spécifiques
Résumé des résultats de l’exploration clinique et biologique
Extractions protéiques des aliments sources
Migration sur gel des extraits protéiques
Western Blot IgE
Identification protéique au MALDI TOF
DISCUSSION
Mise en évidence d’un profil commun
Terrain, facteur de risque et sévérité des allergies à ces fruits exotiques
Place de la biologie pour le diagnostic de ces allergies alimentaires
Quel allergène pourrait être responsable de ce syndrome pollen-aliment ?
Méthodes expérimentales : limites et perspectives
CONCLUSION