L’EAU DANS LES MILIEUX FRACTURÉS INSTABLES
Les mouvements de terrain
zone instable et glissement de terrain, définitions
Une « zone instable » est un terme générique qui englobe tous les types de mouvements de versant. Cette appellation regroupe de nombreux phénomènes : les chutes de blocs, les effondrements, les écroulements, les glissements de terrain… La classification des différents mouvements sera fonction des matériaux impliqués, des vitesses de déplacement, des volumes mis en jeu ou des mécanismes physiques sous-jacents. Les critères et la terminologie varient en fonction des auteurs et de leur approche (Gunzburger, 2005).
Interdépendance des causes menant un versant vers la rupture
Ces déformations de versant se développent sous l’action conjointe d’une force motrice (le poids des terrains) et de plusieurs facteurs intervenant à des échelles différentes. Pour hiérarchiser ces causes, le modèle de Finlayson et Statham (1980) distingue différents types de facteurs, de prédisposition, préparatoires et déclencheurs. Ces différents facteurs qui se superposent peuvent être d’origine mécanique, thermique ou hydrogéochimique. Au cours du temps, la résistance du versant et les sollicitations qu’il subit évoluent (Fig.1.1). Il y a rupture quand la sollicitation est plus importante que la résistance du matériau. Ce modèle représente l’évolution d’un versant avant la rupture. Dès lors les matériaux altérés vont être évacués et le cycle peut recommencer. Les matériaux fraîchement mis à l’affleurement présentent les propriétés de résistance d’un versant plus sain, ce qui correspond sur ce graphique à une réinitialisation du facteur temps.
Complexité des déformations gravitaires profondes
Si l’on considère la chaîne alpine, les grands mouvements de versants se rencontrent fréquemment dans les massifs cristallins (Barla & Chiriotti, 1995). Dans la région Piémont (Italie), plus de 200 déformations gravitaires profondes ont été recensées (Fig.1.2) menaçant les infrastructures et les villages des vallées. Une bonne prévention des risques se heurte à la compréhension des mécanismes de rupture, fortement influencés par la complexité de la géologie en terrain cristallin. La présence d’une déformation gravitaire profonde est généralement diagnostiquée grâce aux caractéristiques géomorphologiques du versant (Agliardi et al., 2001) : la taille du phénomène est à l’échelle de la pente entière et les déplacements actuels sont de l’ordre du millimètre par an. Le versant présente des glissements de plus petite ampleur et des zones affaissées au sommet. Le mouvement crée des structures morphologiques caractéristiques (Fig.1.3).
La partie supérieure de la pente est composée de doubles crêtes, d’escarpements ou de contrepentes, qui relaient le mouvement. La plupart du temps, les structures géologiques préexistantes servent de guide à la déformation. Dans le cas d’ouverture de crevasses et de doubles crêtes, des phénomènes de remplissage par les colluvions vont combler la zone laissée vide. L’ensemble de ces structures accommode le mouvement global du versant. En pied de versant, le mouvement se traduit par un bombement qui peut donner naissance à un glissement de terrain de grande ampleur. La compréhension de ces phénomènes constitue un axe de recherche important, principalement dans les pays les plus affectés, comme l’Italie, le Japon, la Suisse, les EtatsUnis, la Chine et Nouvelle Zelande et la France (Sassa, 1989; Barla & Chiriotti, 1995; Scavia, 1995; Cruden & Varnes, 1996; Noverraz et al., 1998; Vengeon, 1998; Follacci, 1999; Furuya et al., 1999; Agliardi et al., 2001; Crosta, 2001; Forlati et al., 2001; Guglielmi et al., 2002; Tang et al., 2002; Bonnard, 2004; Durville et al., 2004; Eberhardt et al., 2005).
Hydrogéologie en milieu fracturé
Un milieu hétérogène décomprimé
Les aquifères fissurés sont des milieux hétérogènes et anisotropes. Ils sont composés d’une matrice rocheuse le plus souvent quasiment imperméable, cependant le terme d’aquifère est utilisé puisque ces réservoirs contiennent de l’eau dans les discontinuités de la roche. Ces discontinuités peuvent être très transmissives ou jouer le rôle de stockage, en fonction de leurs ouvertures et de leur degré de connectivité.
Le traçage naturel
Le traçage naturel (Bakalowicz, 1979; Mudry, 1987; Emblanch et al., 1998; White, 2002; Kilchmann et al., 2004; Binet et al., 2005) utilise l’ensemble des processus naturels (hydrodynamique et hydrochimique). En suivant l’évolution spatio-temporelle de la chimie des sources drainant un aquifère, on peut étudier le fonctionnement de l’aquifère. Il est possible, par exemple, de déterminer le type de roche induisant une composition chimique de l’eau et de déduire un parcours des écoulements souterrains par comparaison avec la géologie du secteur. Dans l’eau certains ions vont être des marqueurs de la lithologie, d’autres de l’eau de pluie, et permettront de discuter l’origine des différentes masses d’eau. Ce marquage des diverses origines donne la possibilité de décomposer les hydrogrammes de crues et d’étudier le fonctionnement hydrodynamique d’un aquifère suite à une infiltration (Mudry, 1990).
Les isotopes de la molécule d’eau sont aussi d’excellents traceurs, par exemple le tritium qui permet de déterminer le temps de séjour de l’eau (Fontes, 1976; Novel et al., 1995). En effet la production artificielle de tritium (3H) depuis 1952, permet de différencier les eaux qui résultent de précipitations sans 3H nucléaire d’avant 1952, de celles résultant de précipitations formées dans une atmosphère contenant du 3H nucléaire, postérieurement à cette date. L’oxygène 18 (Fontes, 1976) permet de déterminer l’altitude d’infiltration de l’eau dans le massif. Les molécules d’eau constituées d’oxygène 18 seront plus « lourdes ». Lors de l’évaporation de l’eau de mer ou de la condensation des nuages, ces molécules n’auront pas le même comportement que les autres molécules d’eau d’oxygène 16 (moins volatiles). Le rapport δ18O dans l’eau va se trouver affecté par ces phénomènes de fractionnement lié à la température, qui est elle-même fonction de l’altitude. Plus on s’éloigne de la mer (effet de continentalité), plus on monte en altitude (effet thermo dépendant) plus l’eau va s’appauvrir en 18O. Ainsi, en recoupant l’ensemble des informations apportées par la chimie de l’eau, il est possible de contraindre des modèles conceptuels d’écoulements dans l’aquifère (Mudry, 1990; Flint et al., 2001; Meijer, 2002).
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Table des matières
INTRODUCTION GÉNÉRALE
SOMMAIRE
TABLES DES ILLUSTRATIONS
Liste des figures
Liste des tableaux et photographies
CHAPITRE I : HYDROGÉOCHIMIE EN MILIEU FRACTURÉ INSTABLE : PROBLÉMATIQUE ET STRATÉGIE D’ÉTUDE
1/ L’EAU DANS LES MILIEUX FRACTURÉS INSTABLES
1.1/ Les mouvements de terrain
1.1.1/ zone instable et glissement de terrain, définitions
1.1.2/ Interdépendance des causes menant un versant vers la rupture
1.1.3/ Complexité des déformations gravitaires profondes.
1.2/ Hydrogéologie en milieu fracturé
1.2.1/ Un milieu hétérogène décomprimé
1.2.2/ Diverses méthodes pour décrire le milieu
1.2.3/ Effet d’échelle
1.2.4/ Caractéristiques des aquifères fracturés de haute montagne
1.3/ Influence de l’eau sur la stabilité d’un versant
1.3.1/ L’eau, un facteur déclencheur des instabilités
1.3.2/ L’eau, un facteur de prédisposition des instabilités
2 / HYDROGÉOCHIMIE DU MILIEU FRACTURÉ INSTABLE
2.1/ L’hydrogéochimie des aquifères fracturés de socle
2.1.1 / Variabilité du signal chimique à la source en fonction de la lithologie de l’aquifère
2.1.2 / Cinétiques et équilibres des processus géochimiques
2.1.3/ Les mécanismes de la dissolution
2.2/ le traçage naturel
2.2.1/ processus géochimique et hydrodynamique
2.2.2/ Le traçage naturel
2.3/ Applications aux glissements de terrain
2.3.1/ une approche non intrusive et globale
2.3.2/ liens entre hydrogéochimie et hydromécanique
3/ MÉTHODOLOGIE ADOPTÉE ET SITES ÉTUDIÉS
3.1/ Une approche multi-échelles
3.2/ Hydrogéochimie
3.3/ Sites étudiés et instrumentés
3.3.1/ La haute vallée de la Tinée, (Alpes Maritimes, France)
3.3.2/ Le versant instable de Rosone (Piémont, Italie)
3.4/ Les outils d’observation et d’analyse mis en oeuvre
3.4.1/ La Cartographie
3.4.2/ Mesures de déformations par tachéométrie
3.4.3/ L’hydrochimie
CHAPITRE II : ANALYSE EXPERIMENTALE IN SITU DES ÉCOULEMENTS À TRAVERS UNE SURFACE DE GLISSEMENT EXPERIMENTAL ANALYSIS OF GROUNDWATER FLOW THROUGH A LANDSLIDE SLIP SURFACE USING NATURAL AND ARTIFICIAL WATER CHEMISTRY TRACERS
Abstract
1/ Introduction
2/ Description of the site
2.1/ Location
2.2/ Geometry of the superficial landslide
2.3/ Activity
3/ Methods
3.1/ Protocol of water injection
3.2/ High accurate geodetic monitoring, during water injection
3.3/ Tracer test
3.4/ Estimations of indirect hydrodynamic parameters
4/ Results
4.1/ Natural spatial variability of the water chemistry
4.2/ Outflows after injection
4.3/ Time variations after injection
4.4/ Estimation of hydraulic parameters
5/ Hydro-mechanical behavior of the slip surface
5.1 / Implication for methodology
5.2/ Estimation of the hydraulic conductivity of the slip surface
5.3/ Implication for stability
6/ Conclusion
CHAPITRE III : INTERACTIONS ENTRE ÉCOULEMENTS, ET DÉFORMATIONS DANS UN MASSIF FRACTURÉ INSTABLE
Étude du versant de Rosone (Alpes italiennes)
CHARACTERIZATION OF A FLOW IN A FRACTURED UNSTABLE SLOPE, USING
HYDROCHEMICAL METHODS.
Abstract
1/ Introduction
2/ Geomorphology of the Rosone slope
3/ Methodology
4/ Hydrogeology of the unstable slope
4.1/ Relation between gravitational structures and hydrogeology
4.2/ Water origin and boundary conditions: spatial variations of water chemistry
4.3/ Water budget
4.4/ hydraulic properties of the aquifers
5/ Discussion
5.1/ Conceptual model of groundwater flow
5.2/ Slope diffusivity evolution
6/ Conclusion
CONCLUSION GÉNÉRALE
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