L’humour comme outil de communication en médecine générale

« Le sourire est le plus court chemin entre deux personnes » (Victor Borge, humoriste dano-américain). Une relation médecin-patient est complexe et nécessite une bonne communication. La durée moyenne d’une consultation de médecine générale étant de 16 minutes (1), il semble légitime d’avoir des outils de communication pour optimiser la prise en charge globale du patient. La qualité de la formation dispensée en communication constitue maintenant un élément majeur évalué lors des processus d’accréditation des facultés de médecine et des organismes de formation continue dans plusieurs pays (2). À côté du savoir-faire, un médecin devrait tout au long de sa vie apprendre le savoirêtre. Cela permettrait de pouvoir identifier et discuter de ses propres valeurs, croyances, attitudes, sa façon d’agir et de réagir, de s’ouvrir aux autres et donc in fine d’optimiser les conduites thérapeutiques (2). De nombreuses études ont mis en évidence qu’une meilleure communication dans la relation médecin-patient procure une satisfaction réciproque, améliore la qualité de vie du médecin, le suivi du traitement et les résultats cliniques, et du côté patient cela diminue son anxiété et améliore sa santé (3). L’humour par définition consiste à souligner le caractère insolite de certains aspects de la réalité (4). Cet outil, dans la vie privée ou professionnelle, met une touche de légèreté permettant parfois de se détacher d’une situation. Cependant, cet outil est complexe par son utilisation et son interprétation.

Représentation de l’humour en médecine générale

Un sujet qui suscite ou non de l’intérêt 

Parmi les médecins interrogés, cinq ont mis d’emblée en avant leur intérêt pour le sujet.
Médecin 2 « Oui car c’est une question hyper importante et moi-même je me la pose souvent avec mes patients, je me demande si parfois je ne sors pas du cadre, et estce que c’est bien de sortir du cadre de temps en temps, je trouve que c’est un bon sujet. »
Médecin 4 « Euh… c’est marrant mon ami est aussi remplaçant il a dû voir passer le sujet de thèse en mailing et c’est intéressant, ça nous a interpellé. »
Médecin 1 « Je pense que c’est quelque chose… voilà en cabinet de ville de très fréquent, on sourit souvent, même avec des choses difficiles, ça n’a jamais été traité, enfin je ne crois pas, c’est vrai tout de suite je me suis dit c’est amusant, c’est intéressant. »
Médecin 6 « Très favorablement, je pense que la médecine est une discipline sérieuse et parfois angoissante, stressante et l’humour en est trop souvent absent. »
Médecin 7 « ça m’a beaucoup interessé car je pense que par l’humour on fait mieux passer des messages que par l’aspect dogmatique. » .

Seul un médecin a prononcé son désintérêt pour le sujet lors du premier contact téléphonique avec l’enquêteur, mais a finalement accepté de réaliser l’entretien.
Médecin 5 « Non non mais j’aurais jamais pensé faire une thèse là-dessus *rires* … je sais pas du tout. » .

L’humour : un trait d’esprit difficile à définir

Trois des médecins interrogés ont d’abord considéré que l’humour était un trait d’esprit difficile à définir.
Médecin 1 «… après faudrait définir ce que c’est l’humour… »
Médecin 5 « Je pense qu’on a tous un humour différent ou une conception différente…je sais pas… »
Médecin 2 « Après il faudrait se mettre d’accord sur la définition de l’humour…pas simple. » .

Laisser ou non le patient initier l’humour

Deux des médecins ont déclaré laisser le patient initier l’humour au sein de la consultation.
Médecin 4 « … sur le contact avec le patient c’est plutôt le patient qui guide ce que je peux faire. »
Médecin 1 « De temps en temps, mais souvent c’est le patient qui va commencer à jouer là-dessus et éventuellement il y aura du répondant. » .

Parmi les médecins interrogés, l’un d’entre eux initie l’humour plutôt lors de consultation pédiatrique.
Médecin 1 « A nouveau, ça vient du patient, ça ne viendra pas de moi sauf peut-être pour les enfants. » .

L’un des médecins a déclaré que pour des pathologies graves l’humour venait souvent du patient prenant sa maladie en auto-dérision.
Médecin 9 « Pour les pathologies graves oui…ça viendra plus du patient je pense… qui va peut-être essayer de s’auto rassurer en plaisantant sur sa propre pathologie.».

L’un des médecins nous a expliqué que les patients sont très demandeurs d’humour, peu importe la gravité de leur état de santé, il en revient au médecin de décider qui initiera l’humour en premier.
Médecin 8 « Oui, oui… les patients de manière générale sont très demandeurs d’humour, quel que soit le degré de gravité de leur état de santé ; qu’il s’agisse d’une pathologie grave comme d’une pathologie non grave. » .

Une utilisation propre à chacun

Pour l’un des médecins interrogés, l’humour devrait être spontané mais réfléchi et ne peut pas combler la totalité d’une consultation médicale. La spontanéité selon lui permettrait d’avoir une relation unique avec chaque patient.
Médecin 10 « Euh… oui mais voilà si tu veux c’est pas quelque chose qui est travaillé, c’est quelque chose de spontané, avec l’expérience on s’adapte, il n’y a pas deux consultations en médecine générale qui se ressemblent, il n’y a pas deux relations similaires avec deux patients différents donc avec chaque patient on a un type de relation et voilà…l’humour qui va sortir est spontané certes, mais il y a quand même des garde-fous en fonction de la personne, peut-être qu’on peut dire le même contenu, mais avec peut-être des mots différents. »
Médecin 10 « Une consultation il y a une partie qui doit être sérieuse, s’il y a quelque chose de rigolo dedans c’est bien mais on ne peut pas partir sur une base de consultation complète où le moteur est l’humour. »
Médecin 10 « Pour que ce soit de l’humour franc spontané et beau il faut vraiment être dans une bonne phase de la consultation. » .

Un des médecins nous a souligné le fait que l’humour ne pouvait pas être systématisé.
Médecin 6 « Oui ça ne peut pas être systématisé, c’est fonction de la situation, du médecin et du patient. »

Deux médecins se sont distingués sur leur utilisation de l’humour comme outil de communication. L’un est plus enclin à faire des jeux de mots et considère que l’humour n’est pas synonyme de farce en insistant sur la nécessité de garder une légèreté. L’autre a parfois recours de façon spontanée au comique de situation.
Médecin 1 « Oui mais sinon le quotidien des consultations on sourit toujours un peu, on rebondit un peu, peut-être plus partager de la bonne humeur que faire de l’humour hein, l’humour ça peut-être aussi faire des jeux de mots… »
Médecin 1 « L’humour ce n’est pas une farce justement c’est quelque chose de léger qui sait s’arrêter. »
Médecin 10 « Oui… l’histoire de cette dame… donc… euh… voilà l’humour, une fois j’ai eu un patient black avec un masque noir je lui ai dis « il faut mettre votre masque monsieur » il m’a dit « docteur j’ai le masque » *rires* il y a eu un fou rire, et je l’avais vraiment pas fait exprès mais ça faisait la 3e ou 4e fois en consultation et on s’est tapé un vrai fou rire avec mon interne. C’est un patient qui est resté, qui est fidèle et on se rappelle encore à chaque fois il vient avec un masque et il me dit « attention je n’ai pas mis mon masque noir. » .

Parmi les médecins interrogés, l’un a recourt à une utilisation de l’humour par son versant non verbal : des grimaces, un jeu de regard ou d’expressions de visage.
Médecin 2 « Ouais, le regard, les expressions, bon moins avec ces foutus masques mais parfois je baisse le masque et je fais des grimaces comme ça et là je me dis «t’es allée trop loin ! » *rires .

L’avis est partagé quant à la possibilité de pouvoir faire tout type d’humour en consultation. Pourtant deux des médecins interrogés nous ont confié que l’humour noir n’a pas sa place au sein d’une consultation médicale, pour un autre médecin c’est l’humour irrespectueux qui est à proscrire.
Médecin 8 « Tant que ça reste de l’humour, tant que ça reste de l’humour…*rires* ça dépend de ce qu’on entend par humour, tant que ça n’a pas de conséquences on va dire plus sociales que ça oui tout type d’humour à mon avis est possible à pratiquer.»
Médecin 10 « Non, même dans la vie de tous les jours…il faut savoir quand même doser, garder une certaine limite, ça dépend beaucoup aussi des patients. Il y a des patients avec qui on se permet des choses, avec des patients il faut y aller quand même avec des pincettes, euh…. non non tout type d’humour c’est pas mon genre, il y a des limites mais des limites hors consultation. »
Médecin 2 « Nan l’humour noir … il me semble pas quand même… nan c’est sur… on ne peut pas se permettre, il y a forcément des limites à mettre, comme dans la vie privée. »
Médecin 9 « Non je pense qu’on peut plaisanter de tout, alors après euh… s’il y a une pathologie grave faut faire gaffe, il y a des humours comme l’humour noir qui passent pas. »
Médecin 7 « Je crois que tout type d’humour n’est pas possible en médecine. Déjà il y a des humours… ce qu’il ne faut pas, c’est l’irrespect donc l’humour a ses limites, il doit rester respectueux, généraliste… » .

Pour l’un des médecins, le type d’humour utilisé peut varier selon le motif de consultation :
Médecin 9 « On n’aura pas le même type d’humour pour une sinusite ou un cancer métastatique, on aura a priori moins d’humour. Et souvent l’humour vient du patient lui-même par autodérision. »

Deux médecins ont partagé un avis différent sur l’emploi de l’humour grivois ou vulgaire.
Médecin 7 « Voilà je crois qu’il faut que ça reste un humour assez simple, assez convivial, pas grivois, donc il faut rester dans une certaine tenue de l’humour. »
Médecin 8 « Le patient ce matin qui m’a dit qu’il avait la tête qui tournait, on a commencé à plaisanter avec de l’humour simple et vulgaire, j’ai commencé à lui dire que s’il avait la tête qui tournait est ce qu’il s’était retourné pour pouvoir profiter de voir son cul de dos, puis on a discuté pendant 10 minutes, on a beaucoup rigolé. » .

L’emploi de l’humour diffère selon le stade de la consultation pour certains médecins: à tout stade de la consultation ou uniquement à la fin.
Médecin 10 « Oui voilà… c’est l’humour spontané comme moi j’aime, ça peut être à n’importe quel moment, au milieu, à la fin… »
Médecin 3 « Le sujet maître de la consultation va être une pathologie traumatique digestive etc… certes mais au cours de la consultation il va y avoir la raison d’être de… le motif de la consultation qu’on va aborder, qu’on va résoudre. Et à la fin il va y avoir 2 à 5 minutes pour aborder d’autres sujets et des sujets qui peuvent être pris avec l’humour. » .

Médecin 2 « La relation médecin patient peut être traitée avec humour sans avoir l’air… sans prendre le motif de la consultation en rigolade. C’est pour ça que j’abordais le sujet le motif de la consultation on va parler de ça et ensuite il peut y avoir quelques notes d’humour sur les 3 ou 4 dernières minutes du sujet principal. Je sais pas si le sujet principal de la consultation peut être traité avec humour. » .

L’exercice de la médecine générale : une liberté relative ?

Parmi les médecins interrogés, certains ont souligné l’importance de se sentir libre d’exercer selon son souhait. L’un d’entre eux a reconnu que faire de l’humour en consultation n’était pas une pratique commune mais qu’il ne fallait pas hésiter à l’utiliser. Médecin 10 « J’ai quelques freins mais voilà… quand l’occasion elle est là je ne me gêne pas, mais j’ai quelques freins, pas avec tout le monde et quel que soit la solution, mais quand c’est possible je prends toujours. »
Médecin 8 « Oui je pense qu’il y a des recettes à prendre, il y a des choses que beaucoup n’oseraient pas dire et puis qu’il ne faut pas hésiter à dire. »
Médecin 9 « Oui je pense que oui de toute façon la consultation elle est ce que tu en fais avec le patient, il n’y a pas de règles absolues de comportement en consultation. On ne nous a jamais appris faites ça, ne faites pas ça, dites ça ne dites pas ça. La consultation c’est toi qui l’adaptes, c’est ton style, ton état d’être, ta façon de faire. Donc à ma connaissance rien ne t’empêche de blaguer en consultation. »
Médecin 4 « … mais sur la liberté de penser, on est libre de faire tout ce qu’on veut… on est libre de déplaire au patient mais c’est pas ce qu’on cherche à faire en tout cas. Je crois qu’on est libre de faire de l’humour mais faut que ça corresponde au patient. »
Médecin 3 « … mais sur la question philosophique avec la liberté… oui.. oui on peut aborder une consultation d’une manière qu’on veut. » .

L’un des médecins a insisté sur la nécessité d’avoir une parole libre malgré le fait que la pratique soit plus protocolisée qu’avant.
Médecin 6 « Moi je pense que c’est très important qu’un médecin ait une parole libre surtout maintenant où votre pratique est très protocolisée, nous c’était pas du tout comme ça, vous tout est protocolisé jusqu’au terme que vous utilisez… » .

Cette liberté est relative car de nombreux freins à la pratique de cet outil ont été énoncé. Pour trois des médecins l’humour est un outil de communication qui est apparu au fil du temps. En effet selon eux le médecin d’aujourd’hui aurait plus de liberté dans sa façon d’être et d’exercer, liberté parfois mise à l’épreuve par l’informatisation de notre métier qui nous détournerait de l’humain. Pour l’un d’entre eux, les attentes des patients auraient évolué avec le temps dans l’optique d’avoir une relation moins sacralisée avec son médecin généraliste.

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Table des matières

I. INTRODUCTION
II. MATERIEL ET METHODES
A. Type d’étude et méthodologie
B. Recherche bibliographique
C. Population étudiée
D. Les différentes phases de l’étude
1. Recherche de médecins généralistes
2. Réalisation et déroulement des entretiens
3. Retranscription et Codage
III. RESULTATS
A. Présentation de l’échantillon : tableau 1
B. Représentation de l’humour en médecine générale
1. Un sujet qui suscite ou non de l’intérêt
2. L’humour : un trait d’esprit difficile à définir
3. Laisser ou non le patient initier l’humour
4. Une utilisation propre à chacun
5. L’exercice de la médecine générale : une liberté relative ?
C. Facteurs liés à l’utilisation de l’humour en médecine générale
1. Facteurs dépendant du patient
2. Facteurs dépendant du médecin
3. Facteurs dépendant de l’environnement du lieu d’exercice
D. Bénéfices liés à l’utilisation de l’humour en médecine générale
1. Bénéfices dans la prise en charge thérapeutique
a) Favoriser l’éducation thérapeutique
b) S’adapter à certaines situations
c) Favoriser l’alliance thérapeutique
d) L’humour comme outil thérapeutique
(1) Améliorer la prise en charge de certaines pathologies
(2) Faire de l’entretien motivationnel
(3) L’humour comme méthode d’hypnose
e) Les bénéfices selon les stades de la consultation
2. Bénéfices liés à l’utilisation de l’humour dans la relation médecin-patient
a) Améliorer le bien-être du médecin et du patient
b) L’humour comme mécanisme de défense
c) Créer du lien avec le patient
E. Risques liés à l’utilisation de l’humour en médecine générale
1. Risques dans la prise en charge thérapeutique
2. Risques dans la relation médecin soignant
a) Les risques pour le patient
b) Les risques pour le médecin
F. Formation de communication en médecine générale
1. Intérêt d’avoir des cours de communication
2. Approche centrée sur la personne et entretien motivationnel
3. La thérapie par les clowns
IV. DISCUSSION
A. Limites de notre étude
1. Biais liés à l’enquêteur
2. Biais liés à la méthodologie des entretiens
3. Biais liés à l’échantillon
4. Biais liés au sujet lui-même
B. Points forts de notre étude
C. Représentation de l’humour en médecine générale
D. Facteurs liés à l’utilisation de l’humour en médecine générale
1. Facteurs dépendants du patient
2. Facteurs dépendants du médecin
3. Facteurs dépendants de l’environnement du lieu d’exercice
E. Bénéfices liés à l’utilisation de l’humour en médecine générale
1. Bénéfices dans la relation médecin-patient
a) Se rapprocher du patient, créer du lien, apporter de la légèreté
b) L’humour comme mécanisme de défense pour le médecin
c) Améliorer le bien-être du médecin de manière conscience, en dehors d’un mécanisme de défense
2. Bénéfices dans la prise en charge thérapeutique
a) Un complément à l’évaluation du patient
b) Renforcer l’alliance et l’éducation thérapeutiques
c) Contribuer au travail cognitif
d) L’humour comme outil thérapeutique
e) Désamorcer ou dédramatiser certaines situations
V. CONCLUSION

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