L’historique des représentations de la surdité et de la Langue des signes

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Le concept de représentation

La notion de représentation est créée par l’homme dans le champ disciplinaire de la sociologie.
Il existe différents types de représentations définis par les sociologues. Dans le cadre de ce mémoire et de la recherche sur la socialisation des personnes en situation de handicap auditif, nous nous intéresserons plus particulièrement aux représentations collectives.
Cette notion de « représentations collectives » émerge à la fin du 19éme siècle dans l’analyse de DURKHEIM21. Il émet l’idée que la société possède une emprise assez importante sur l’individu pour modifier la réalité sociale : le groupe force une certaine croyance, vision du monde chez l’individu.
Ainsi DURKHEIM envisage les représentations collectives comme les croyances et valeurs communes à tous les membres d’une même société . Selon lui, les représentations collectives peuvent être de l’ordre du sens commun, du mythe, de l’idéologie, de la religion, de la science ou de la culture, tout élément constituant de la vie sociale. 22
Dans les années 1960, MOSCOVICI a lui aussi étudié le phénomène des représentations sociales.
Son analyse porte sur les causes et les conséquences de ces représentations : il envisage deux catégories de représentations sociales. La première est celle des représentations en tant que produits de la réalité: l’individu perçoit et interprète continuellement son environnement, ce qui amène à la création d’un monde intériorisé, décalé de la réalité objective .23
La seconde catégorie découle de celle-ci: les représentations comme productrices de la réalité par la mise en place dans l’action du schéma social (subjectif ) intériorisé par l’individu.24
Pour MOSCOVICI, l’individu subit son environnement et le modifie à la fois, il est acteur. Il crée ses représentations qui contribuent à la création de la réalité .
Pour MOSCOVICIC, la réalité intériorisée influe donc sur la réalité objective extérieure qui transforme à son tour cette réalité intériorisée dans un échange sans fin.25

Les représentations concernant le handicap

Étymologie

Le terme handicap vient de l’anglais « hand in cap » ( la main dans le chapeau) qui était utilisé principalement dans le domaine du jeu : il désignait les personnes qui faisaient preuve de meilleures performances que les autres, les personnes hors norme.
Ainsi, dans le domaine du jeu, il s’agissait d’ handicaper un participant trop performant pour donner à tous la possibilité de remporter la victoire (donner l’égalité du droit à gagner en fait).26

Définition du handicap

Ce terme utilisé dans le langage courant s’est substitué au vocabulaire péjoratif et dépréciatif présent jusqu’alors (invalide, infirme, mutilé…).Il fait référence aux déficits, aux limitations (physiques, mentales ) d’une personne et surtout à ses conséquences sur la vie sociale de l’individu.
WOODS27 définit le handicap comme une déficience qui a pour conséquence d’empêcher l’individu de tenir son rôle social : pour lui, le handicap est avant tout le fruit de l’environnement. En soi, la déficience n’est pas invalidante, elle le devient en situation, lorsque la personne se trouve en interaction et qu’elle ne peut accomplir la tâche à laquelle elle est assignée. L’environnement génère le handicap.
Enfin, la notion de handicap est étroitement liée à la société dans laquelle vit l’individu. En effet, le handicap marque une différence vis à vis d’une norme commune à l’ensemble d’un groupe social
( normalement on entend, la surdité est donc un handicap, une différence qui a des conséquences sociales ).28
Être handicapé, c’est être différent, ‘anormal’ et en subir les conséquences d’un point de vue social.

Représentations et handicap

Les représentations sur le handicap ont évolué au fur et à mesure des découvertes scientifiques et de la rationalisation des sociétés au fil de l’Histoire.
En effet, dans l’Antiquité par exemple, le handicap était considéré comme une punition divine, une faute à expier marquée par cette différence. Il en résultait généralement une exclusion, un rejet du reste de la société.
Au Moyen-Âge, cette pensée perdure et les handicapés font peur (opprobre publique). Toutefois, les fous par exemple sont traités différemment du fait de leur handicap : ils ont une plus grande liberté d’expression que les autres.
Du 16ème siècle au 19ème siècle, les avancées de la science permettent de déterminer l’hérédité du handicap ( les médecins s’attachent à découvrir la cause de ces déficiences ) de sorte que les parents sont culpabilisés par la société. Les handicapés sont regroupés et mis à l’écart (asiles par exemple ) ce qui entraîne une certaine stigmatisation sociétale.
Au 20ème siècle, deux modèles de gestion du handicap se mettent en place :
– en Allemagne, le régime nazi recherche l’annihilation de la différence, avec des conséquences inhumaines.
– en France, après la première guerre mondiale se mettent en place des structures spécialisées de prise en charge, des centres de rééducation pour les poilus : la marginalisation est toujours présente mais une idée se développe, celle du potentiel des personnes en situation de handicap, potentiel que l’on peut faire germer.
En terme d’éducation, les classes spécialisées sont mises en place mais cela entraîne une certaine dérive dans la mesure où les élèves subissent alors les tests d’intelligence et sont orientés en conséquence : on est encore loin de l’intégration des personnes handicapées.
L’année 1975 est un tournant vis à vis du regard porté sur le handicap : en effet, la loi d’insertion obligatoire pour les enfants en situation de handicap est votée. C’est un grand changement en terme de représentations ; un regard positiviste même si le manque de moyens empêche la mise en place directe du projet pour tous.
Aujourd’hui, la société prend en charge le handicap (structures de soin,…) et les personnes en situation de handicap sont inclues, dans la mesure de leurs possibilités et des moyens, dans la vie sociétale. Malgré tout, cette perception évidente d’une différence entre les handicapés et les ‘valides’ est mal vécue des deux cotés : elle engendre de nombreux stéréotypes dévalorisants vis à vis de la personne handicapée et créé un malaise sensible chez la personne valide (malaise vis à vis de la vulnérabilité ).
Les représentations doivent être traitées conjointement à l’histoire.
Nous étudierons donc dans cette partie parallèlement l’histoire des représentations de la surdité et de la LSF.

L’historique des représentations de la surdité et de la Langue des signes

Perception de la LSF et de la surdité selon les cultures

La langue des signes est une langue ancienne.
En effet, dès l’instant où une personne sourde vit dans un groupe social quelconque, il y a obligatoirement usage de signes et de gestes pour communiquer: l’ancêtre de la LSF, une langue des signes primaire.
Cette Langue des Signes est « l’expression naturelle des personnes sourdes car (…) la surdité implique une perception visuelle et spatiale du monde. »29
Une langue des signes primaire était déjà utilisée en -3000 avant notre ère, en Mésopotamie.30 Mais , si la Langue des signes était vraisemblablement utilisée dès la manifestation de surdité , il n’en reste pas moins que cette dernière était perçue différemment en fonction des sociétés et des cultures.
Ainsi pour les Perses ou les Égyptiens la surdité relevait de la faveur céleste , une manifestation des divinités qui marquaient favorablement l’individu. Pour les tribus indiennes ou les communautés africaines du Sud-Sahara, la surdité n’était pas un handicap à l’intégration sociale puisqu’elle n’empêchait pas le sourd d’exercer quelque statut que ce fût.
À contrario, pour les Grecs de l’ Antiquité être sourd était honteux.
C’est « l’expression gestuelle qui dérange car elle est l’expression d’une infirmité. »
Malgré cela certains philosophes, tels Platon ou Aristote, admettent « l’aspect langagier des signes des sourds »33, au 4ème siècle avant Jésus-Christ.
Ces mêmes philosophes émettent des doutes quant aux capacités intellectuelles des sourds : pour Aristote, « l’ouïe est le sens le plus précieux pour le développement de l’intelligence ». Il met en avant l’importance de la perception du langage oral dans la constitution de la capacité à raisonner, dans son ouvrage ‘Sur la sensation et le sensible’.

Les structures en place pour la scolarisation

La Maison Départementale des Personnes Handicapées (MDPH) est la structure essentielle lors de la mise en place de la scolarisation de l’enfant . Elle a pour rôle d’expliquer aux parents les différentes possibilités de scolarisation , en lien avec les lois existantes ( comme la loi du 11 février 2005 ).
La famille et l’enfant doivent alors faire un choix concernant le mode de communication souhaité pour le parcours scolaire ( communication par Langage Parlé Complété ou communication par Langue des signes dans le cadre du bilinguisme institué par la loi ).
Une fois la décision prise, une équipe pluridisciplinaire , composée de personnels qui évaluent les besoins de l’enfant, dresse un projet personnalisé de scolarisation (PPS). Le but est de déterminer
« l’impact de [la] déficience sur [les] capacités d’apprentissage »49 de l’enfant (développement du langage ou développement intellectuel et social..) et de « définir les modalités de déroulement de [sa] scolarité ».50
Il existe différents types de structures susceptibles d’accueillir les élèves atteints de surdité:
-les établissements en ‘milieu ordinaire’ ( classe standard dans un établissement scolaire standard) – les CLIS ( classes d’accueil spécialisées implantées dans des établissements scolaires standards ).
Si la famille choisit la communication par Langue des signes et l’enseignement bilingue, alors la scolarité de l’enfant se déroulera dans une classe spécialisée de type CLIS 2 .
Le bilinguisme est défini dans les textes institutionnels comme « une perspective dynamique s’inscrivant dans les potentialités individuelles de chaque enfant. »51 de telle sorte que « à partir de la Langue des signes , l’institution scolaire [s’efforce] de construire avec [l’enfant] un accès graduel au français en prenant pour socle le français écrit. »52
Il est à noté que leurs connaissances et compétences en français oral ne sont pas évaluées au cours de leur scolarité.
Les enseignants responsables de ces classes sont titulaires du Certificat d’aptitude professionnelle pour les aides spécialisées , les enseignements adaptés et la scolarisation des élèves en situation de handicap. Ils sont formés en Langue des signes par des professeurs de LSF recrutés par l’ Éducation Nationale.

Une étude sur la place de la LSF dans la scolarisation : l’analyse de Philippe

J’ai choisi de présenter l’étude et les théories de monsieur SERO-GUILLAUME car il a grandement inspiré la démarche pédagogique de madame ROPERS, l’enseignante chez qui je suis allé en stage d’observation à l’école Marceau pour recueillir des données dans le cadre de ma propre recherche.
Monsieur SERO GUILLAUME est un théoricien qui a travaillé sur les pédagogies à mettre en œuvre pour l’éducation des élèves en situation de handicap auditif. Il a plus particulièrement travaillé sur l’usage et la place de la Langue des Signes en situation d’enseignement.
Il développe, entre autres, l’idée selon laquelle les enfants sourds ou malentendants ont besoin de se constituer une langue de référence ( Langue des Signes ou langue française ) pour développer leurs capacités cognitives et suivre l’enseignement dispensé dans les structures spécialisées.53 Je me suis intéressé à ses recherches dans la mesure où madame Dominique ROPERS a eu Philippe SERO GUILLAUME comme professeur.
Ses théories ont alimenté la réflexion de madame ROPERS, tout autant que sa pratique pédagogique : on y retrouve l’idée d’associer la LSF à l’enseignement du langage en CLIS 2, base de départ de la mise en place de l’enseignement bilingue à l’école Marceau, antérieure à la loi de 2005.
Pour lui, la nouvelle place de la LSF dans l’éducation des jeunes sourds ne change rien au problème d’acquisition des apprentissages car aucune langue de référence n’est réellement en place chez ces élèves : le problème de communication en situation de classe persiste donc pour les élèves sourds.54
Le choix du mode de communication pour la famille est trompeur : il détourne l’attention des politiques pédagogiques de terrain. Le gouvernement s’essaie à « la politique de l’autruche en matière de bilinguisme ».55.
L’ambiguïté des textes officiels et des programmes de LSF le prouve, la question n’est plus d’ordre éducatif, elle est communautaire. On rend aux Sourds une partie de leur culture et de leur identité en reconnaissant la validité de la LSF pour la scolarisation, sans donner de solution concrète au problème de fond : l’éducation des jeunes sourds.
En effet, les sourds ont besoin d’une langue de référence qui leur permette un développement métalinguistique et intellectuel équivalent à celui d’un entendant. Le problème est que seuls 10% des sourds ont des parents également sourds56 : ils ont la possibilité de se forger une langue de référence. Les 90% des jeunes sourds de parents entendants n’ont pas cette chance.
Le problème est le manque de temps : pour que la LSF devienne la langue de référence de ces enfants (langue dans laquelle ils auront la possibilité de raisonner et de faire abstraction, de se décentrer ) il leur faut une grande connaissance de cette langue.
Il faudrait que la découverte, l’installation et l’intériorisation de cette langue interviennent avant la mise en place des enseignements et des apprentissages en théorie, ce qui est impossible en pratique.
Enfin, si la Langue des signes devient la langue de référence de l’enfant, elle ne doit « pas devenir une langue théorique présente seulement pour expliquer le français. »57.
La Langue des signes et la langue française écrite doivent être considérées comme égales d’un point de vue linguistique : dans le respect du concept de bilinguisme tel qu’il est développé dans les textes, elles devraient bénéficier du même statut aux yeux des enfants comme des enseignants. La Langue des signes doit rester une langue vivante, l’enseignant doit laisser place aux « capacités de fabricateur de langue » de l’enfant sourd , que n’entame pas le handicap qu’ est la surdité.
Pour conclure , le réel problème que soulève monsieur SERO-GUILLAUME n’est pas le mode de communication dans l’éducation, mais plutôt le manque de pédagogie spécialisée adaptée au handicap de la surdité .
En effet, les enseignements disciplinaires pour les sourds ne sont pas spécifiés dans les textes officiels : il faut en déduire que les sourds et malentendants doivent recevoir les mêmes enseignements que les entendants, ce qui est impensable au vu des difficultés qui résultent de la surdité chez l’enfant.
Philippe SERO-GUILLAUME accuse les institutions officielles et le monde de l’éducation « d’évacuer les difficultés liées aux méthodes d’enseignement »58 grâce à la reconnaissance nouvelle de la Langue des signes et de la différence des sourds dans le domaine de l’éducation.
Il n’est guère enthousiaste quant aux changements qu’occasionne la place nouvellement admise de la LSF dans l’instruction des sourds et met en doute les résultats de la solution actuelle du bilinguisme.
Cette analyse reflète le seul point de vue de Philippe SERO-GUILLAUME, mais elle permet de constater que l’avis n’est pas unanime quant à la validité de l’idée de la Langue des signes comme mode de communication et d’enseignement pour les personnes qui souffrent de déficience auditive.

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Table des matières

REMERCIEMENTS :
INTRODUCTION
PREMIÈRE PARTIE : CADRE THÉORIQUE
DÉFINITIONS
Handicap et handicapé
Surdité
Langue
Plurilinguisme
Langue de référence
Langue des Signes Française ( ou LSF) et français signé
Socialisation et scolarisation
LES LOIS
LES REPRÉSENTATIONS
Le concept de représentation
Les représentations concernant le handicap
Étymologie
Définition du handicap
Représentations et handicap
L’historique des représentations de la surdité et de la Langue des signes
Perception de la LSF et de la surdité selon les cultures
LSF et éducation en Europe
ÉTUDES SUR LA PLACE DE LA LSF DANS L’ ÉDUCATION
Les structures en place pour la scolarisation
Une étude sur la place de la LSF dans la scolarisation : l’analyse de Philippe SEROGUILLAUME
CONCLUSION DE LA PREMIÈRE PARTIE
DEUXIÈME PARTIE RÉALITÉ DE TERRAIN
Les structures spécialisées : la CLIS et la CLIS 2
Cadre opératoire : état des lieux à l’école Marceau, au Mans ( Sarthe )
Partie 1 : La présentation des outils d’analyse
Mon lieu de stage : l’école Marceau, au Mans ( Sarthe )
1. L’historique de l’enseignement de la LSF à l’école Marceau
Les observations de stage
2. Programme et objectifs didactiques en CLIS 2
3. Le bilinguisme éducatif en CLIS 2
4. La relation aux élèves en CLIS 2
5. L’inclusion des élèves de CLIS 2 en classe ordinaire
Partie 2 : Mes échantillons
Partie 3 : L’Analyse des données
La formation
Le ressenti des acteurs : les situations d’enseignement et les moyens mis en œuvre
Le rôle de la Langue des Signes dans la scolarisation et la socialisation des jeunes sourds : leur ressenti propre
-L’apprentissage de la Langue des Signes
-La LSF et les situations d’enseignement
-Les relations avec les autres sourds et les entendants
-La place de la LSF dans la vie en dehors de l’école
Conclusion du cadre expérimental
CONCLUSION
4ANNEXES
ANNEXE 1
Entretien sur l’historique de l’école Marceau, ayant eu lieu le 9 mars 2014
ANNEXE 2 Formulaire à destination des enseignants de l’école Marceau
ANNEXE 3 Formulaire à destination des AVS de l’école Marceau
ANNEXE 4 Formulaire à destination des professeurs de LSF
ANNEXE 5 Formulaire à destination des Jeunes Sourds
ANNEXE 6 : Réponses des enseignants spécialisés
ANNEXE 7 : Réponses de l’AVS
ANNEXE 8 : Réponse de la professeure de LSF
ANNEXE 9 : Réponses des Jeunes Sourds
BIBLIOGRAPHIE

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