L’histoire emblématique des hybrides de maïs
Les enjeux globaux de la biodiversité
La diversité du vivant est un concept aussi ancien que la biologie. La notion de « Biodiversité » (ou diversité du vivant) est issue de la biologie de conservation, elle est donc, à l’origine, normative (Larrère et Larrère, 2010). Rebaptisée « biodiversité » dans le contexte du « Sommet de la Terre » de Rio (1992), événement politique et non pas scientifique, la diversité du vivant est alors envisagée selon deux dimensions étroitement articulées : biologique et humaine (Barbault, 2010a ; Gosselin et Gosselin, 2010). Le concept de biodiversité était censé faire prendre conscience du fait que les humains dépendent du tissu vivant planétaire et qu’ils devaient collaborer pour le maintenir en capacité de répondre à des contraintes environnementales nouvelles. Parler de biodiversité c’est donc parler de la vie et des conditions de son maintien dans ses diverses dimensions, biologique et humaine, de la cellule à l’écosystème planétaire en passant par la plante entière, le champ, l’agrosystème, le paysage etc. Dans cette perspective les questions ne sont plus seulement posées par la biologie mais par toutes les sciences, et plus encore par la société (Barbault, 2005 ; 2008). Parmi les questions environnementales, la biodiversité est certainement la notion qui requiert le plus de médiations et d’illustrations si l’on veut comprendre les multiples représentations qu’en ont les humains, en fonction du milieu où ils vivent, de leurs histoires, de leurs cultures etc. Outre une sémantique plurielle, la biodiversité est aussi pour nos sciences biologiques une entité mesurable et dynamique. Son analyse fait appel à un très grand nombre de disciplines scientifiques dans des champs aussi différents que la botanique, la zoologie, la génétique, l’écologie, la géographie, la biologie de conservation, la sociologie, l’anthropologie, les sciences politiques etc. Une série de nouveaux concepts, voire de « nouvelles sciences » plus ou moins « transversales » ont fait leur apparition à partir de l’agrégation de notions autrefois indépendantes ou séparées (agro-écologie, bioéthique, socio-anthropologie, éco-anthropologie, écologie évolutive etc.) ainsi que des néologismes (socio-écosystème, agro-éco système, études bio-culturelles etc.). Une compréhension correcte de la biodiversité nécessite de maitriser un grand nombre de concepts et avec eux de domaines plus ou moins observables et abstraits, complexes et multi dimensionnels tels que le « changement climatique » (CC). Par exemple il est aujourd’hui difficile de séparer la notion de biodiversité du concept de CC : le CC a un impact sur la diversité biologique et la diversité biologique est, en retour, nécessaire pour l’adaptation aux diverses manifestations du CC. Nous sommes face à un objet d’une rare complexité et multi dimensionnel. Jamais sciences modernes n’ont embrassé aussi large et aucun scientifique ne peut prétendre en être spécialiste.
Vingt ans après sa popularisation, la notion de biodiversité demeure difficile à appréhender tant au niveau de la société qu’au niveau scientifique (au sens large y compris les sciences humaines et sociales). Alors que la biodiversité est à la base de tout ce qui maintient la vie, pourquoi a-t-on du mal à la penser et à agir pour son maintien ? Nous nous attacherons dans ce qui suit à expliciter le rôle de la biodiversité dans la capacité d’adaptation (ou de résilience) des systèmes biologiques et des sociétés humaines, aspect que nous considérons comme un préalable fondamental pour en comprendre les différentes facettes. Puis nous nous poserons la question de savoir comment la recherche scientifique peut se saisir des enjeux de la biodiversité dans le but de soutenir les politiques et en réponse aux attentes ou besoins des sociétés humaines.
Adaptation biologique : protéger le potentiel évolutif des espèces vivantes
Dans son livre le plus connu, «De l’origine des espèces» (1859), Charles Darwin identifie le mécanisme de la sélection naturelle comme fondement du maintien de la vie. La sélection qui s’opère au niveau de n’importe quel être vivant lui permet de s’adapter en évoluant génération après génération. Ainsi Darwin explique que l’évolution des espèces est une succession d’adaptations et que, sans cette possibilité d’adaptation, les espèces s’éteignent. Protéger le tissu vivant de la planète , c’est donc protéger les conditions du maintien de la vie qui repose sur la diversité et sur les capacités d’adaptation du vivant. On sait aujourd’hui, grâce à l’écologie, science des interrelations dynamiques entre les éléments d’un système biologique, que cette capacité d’adaptation s’exerce à toutes les échelles biologiques : microorganismes, variétés, espèces, écosystèmes, paysage, régions, planète. L’écologie a développé le concept d’écosystème et décrit leurs fonctions. Les services rendus par les écosystèmes ou services écosystémiques (SE) (par exemple lutte contre l’effet de serre, purification de l’air, fertilisation des sols, contrôle des maladies et des ravageurs etc.), sont aujourd’hui considérés comme autant de services vitaux pour l’humanité. Barbault (2008) décrit un écosystème de la façon suivante : «C’est de la richesse en espèces qu’ils abritent et de la subtilité des relations qu’elles développent que les écosystèmes tiennent cette propriété majeure, leur résilience, c’est-à-dire leur capacité à restaurer leur organisation et leur fonctionnement après une catastrophe.
Une sorte d’assurance sur l’avenir. C’est cette propriété que nous devons cultiver, au-delà du souci de sauvegarde de telle ou telle espèce : laisser à la nature sa capacité d’évolution. C’est de cela dont nos enfants et petits enfants auront besoin » ce propos rejoint celui de Blandin pour qui ce qui est à préserver aux différents niveaux d’organisation de la biodiversité, c’est un potentiel évolutif (Blandin, 2009). La biodiversité constitue par conséquent une condition essentielle pour l’adaptation et la résilience des écosystèmes face aux dérèglements du climat et aux pénuries alimentaires ; elle constitue de ce fait un champ de recherches stratégiques pour l’humanité toute entière et non pour les seuls scientifiques.
Adaptation humaine
Selon les grands auteurs se revendiquant d’approches empiriques comme Elinor Ostrom (1990/2010), Laverack et Labonte (2000), Folke (2006), Morin (1999), la capacité d’adaptation des humains à de nouvelles contraintes passe prioritairement par un renforcement de leurs compétences. Cette « capacitation » doit permettre la responsabilisation des individus (vient du concept anglo-saxon d’empowerment). Elle est le moyen par lequel les « citoyens », en référence à nos modèles démocratiques, ou les « humains » acquièrent la capacité de décider et de contrôler les choix qui touchent leurs vies. Cette autonomie doit leur permettre de penser le futur et de mobiliser des connaissances, scientifiques ou empiriques, pour produire, des techniques et des dispositifs en fonction de ce futur désiré (Kane et Clavel, 2010). Les informations relatives aux dynamiques adaptatives peuvent être relayées par des réseaux basés sur des liens sociaux et des processus d’apprentissage qui promeuvent la diversité des expériences et des connaissances en veillant à ne pas les diluer, ou les réduire. Carl Folke (2003 ; 2006) identifie quatre conditions premières pour que des systèmes de gestion collective de l’adaptation des sociétés humaines à un changement puissent être mise en œuvre :
(1) (Re) Apprendre à vivre dans l’incertitude et le changement. Cette manière de vivre était celle de nos aïeux: comportements économes, gestion des risques à partir d’une gestion de la diversité ayant pour objectif de minimiser les risques, notamment (agri) culturaux. Cette stratégie d’adaptation est bien connue des sociétés rurales des pays du Sud notamment dans les zones sahéliennes et arides en situation de précarité climatique (Clavel et al., 2008).
(2) Faire de la diversité sociale et écologique un maître mot. Cette diversité représente une ressource de résilience, d’invention et une source de constitution d’une mémoire écologique et sociale. Cette « mémoire d’adaptation» sociale et écologique est essentielle dans un contexte d’uniformisation des modes de consommation et de production du « modèle » de développement occidental. Cette revendication gagne du terrain mais elle est encore le fait de groupements d’acteurs minoritaires.
(3) Construire de nouveaux systèmes de connaissances. C’est la condition centrale (Kane et Clavel, 2010, Coudel et Tonneau, 2010). Les comportements adaptatifs sont toujours fonctions des niveaux de connaissances et des échanges entre experts et profanes. Les nouvelles connaissances sont à expérimenter en situation (processus d’intégration de nouveaux savoirs de type « learning-by-doing ») : cette perspective qui est l’injonction récurrente de ces dernières années (notamment dans certains textes de politiques d’intervention pour le développement) revalorise les démarches de recherche-action, mais aussi les démarches et dites participatives et plus spécifiquement encore les démarches de co-construction de savoirs entre différents détenteurs de savoirs.
(4) laisser s’exprimer et comprendre les situations d’auto-organisation socioecologiques. L’auto organisation est mise en oeuvre dans des situations complexes (non simplifiables) où interviennent des facteurs humaines et sociales en interaction dynamique avec des facteurs écologiques et ceci à différentes échelles (local/global). Selon Folke (2006), il est nécessaire de comprendre ces systèmes de co-evolution des systèmes sociaux et écologiques et de laisser la créativité et les variations s’exprimer, de manière à clarifier les interactions et retro actions de la construction de la résilience dans les sociétés humaines.
Place de la biodiversité agricole dans l’adaptation
Quelques chiffres permettent d’avoir une vision très globale de la situation française en matière de biodiversité cultivée pour les 2 céréales les plus cultivées, le blé (5 million d’ha) et le maïs (1,5 millions d’ha) : 7 variétés couvrent 50% des surfaces cultivées en blé alors que les collections de l’INRA en dénombre plus de 300 en 2006/2007. Avant la «révolution hybride» des années 60, les variétés de maïs se comptaient par centaines et étaient cantonnées au sud de la Loire, aujourd’hui, moins d’une vingtaine couvrent 80% de la surface: une même variété hybride (génotype unique) peut couvrir jusqu’à 65 000 ha (cas de la variété « Ronaldinio », avec plus de 65 000 hectares couverts en 2011, d’après le Groupe InVivo (http://www.invivo-group.com/fr). L’agriculture est à l’origine de toutes les espèces domestiquées. La biodiversité cultivée est le nouveau nom donné aux ressources génétiques (RG) utilisées en sélection pour créer de nouvelles combinaisons génétiques (variétés) mieux adaptées à une contrainte (biologique, technologique, commerciale etc..) dans ce champ de pratiques. La troisième édition des perspectives mondiales de la diversité biologique (Secretariat CDB, 2010) indique que la biodiversité cultivée (BC) continue de décroitre en touchant tous les écosystèmes et particulièrement ceux des zones tropicales. Elle précise que l’érosion de la diversité génétique au sein des systèmes agricoles est très préoccupante particulièrement pour les communautés rurales pauvres car des ressources naturelles limitées restreignent les possibilités de résilience et d’adaptation aux CC rendant ces populations extrêmement vulnérables. Cette étude de référence inscrit un chapitre « diversité génétique » qui éclaire les enjeux liés aux variétés locales et à la sélection variétale. Pour un agronome sélectionneur ou un agriculteur bio par exemple, la diversité génétique est une nécessité car sans diversité aucune sélection possible pas plus naturelle qu’artificielle pour adapter un organisme vivant à de nouvelles conditions ou contraintes. Des ressources génétiques diversifiées sont essentielles pour créer de nouvelles variétés car une race ou une variété considérée comme peu avantageuse aujourd’hui pourra s’avérer très utile dans l’avenir.
La biodiversité agricole est dite « domestique » ou bien « cultivée » lorsqu’il s’agit de plantes, selon la CDB. Elle constitue au niveau international un axe désormais majeur du mandat de la FAO. Mais les tenants de la biodiversité cultivée et de la biodiversité sauvage ne relèvent pas des mêmes disciplines académiques, en ce qui concerne les chercheurs, ni des mêmes collectifs, en ce qui concerne les acteurs de terrain. Cette situation génère des incompréhensions ou oppositions : par exemple, celles qui opposent les puissantes ONG environnementales et les « petits agriculteurs » dans les pays du Sud où se trouvent des espèces sauvages que l’on protège sans prendre en compte les effets de cette protection sur les cultivateurs ou pasteurs qui vivent dans ces zones.
Les études « bio-culturelles » (selon le nouveau vocable utilisé en ethnobiologie) récentes montrent bien que les producteurs agricoles sont les premiers gardiens de la biodiversité agricole car ils détiennent les « connaissances nécessaires pour la gérer et la maintenir » (CDB, 2010), ils ont une
« expérience » ancienne de l’adaptation ou de la résilience à travers la « gestion collective et intégrée » de la nature (CDB, 2010). La relation entre perte de diversité biologique et perte de diversité culturelle est de mieux en mieux documentée, elle soutient une revendication active de la part de la mouvance altermondialiste, d’une action politique de grande envergure remettant en question le modèle de développement consumériste et uniformisant du 20e siècle. A cet égard, nous mentionnons des observations réalisées dans le cadre du 13e congrès de la Société Internationale intitulé « Cultural diversity for sustainable development; exploring the past to build up the future » (Montpellier, 20-25 mai 2012), analysées du point de vue de la liaison entre agriculture et environnement au niveau des sociétés. En effet, la gestion des activités agricoles et rurales avec
un ancrage très fort dans leurs environnements est pratiquée avec une grande subtilité par les communautés les plus exposées ou contraintes notamment les sociétés du Sud. Parmi elles, celles
des régions fortement contraintes par la sécheresse ou les tribus nomades par exemple qui ont pu
souvent transcender la dualité Culture (société humaine) /Nature (ressources et évolution de l’environnement) par la mise au point de systèmes socio culturo-alimentaire extrêmement sophistiqués. Les études concernant es relations des sociétés rurales agricoles avec leur environnement révèlent:
− une évidence de la co incidence entre la perte de diversité culturelle et la perte de diversité biologique qui a conduit à l’émergence assez récente (environ10 ans) du concept de « biodiversité culturelle et écologique » ;
− le fait que la semence en tant que telle fait l’objet d’un traitement spécifique tant au niveau de sa gestion communautaire où un rôle important est souvent dévolu aux femmes, qu’au niveau de sa place très spécifique dans la sécurité alimentaire. A noter cette évolution récente dans le système de l’aide alimentaire après une catastrophe, la mise en oeuvre de dispositions tenant compte des réseaux de gestion communautaires des semences existant (Seeds System Security Assessments ou SSSAs) mis en place au Soudan et Haïti, (2010) ;
− des résultats d’études bio-culturelles récentes qui montrent que les communautés humaines (notamment au Sud) ont une expérience ancienne de l’adaptation ou de résilience à travers la gestion collective et intégrée de la nature et des systèmes alimentaires localisés et de nombreux exemples de mise en œuvre de systèmes alimentaires et semenciers écologiques ;
− un déficit de protocoles et de cadres conceptuels et cognitifs pour comprendre, analyser et encourager les dynamiques d’adaptation bio-culturelles. Par exemple problème d’accès à l’histoire de ces adaptations à travers des études anthropologiques faisant appel aux « histoires de vie » individuelles ;
− la montée en puissance d’un nouveau paradigme de « gestion écologique et intégrée des ressources naturelles pour l’alimentation et la préservation de l’environnement » de plus en plus consensuel mais une approche top down toujours dominante
− l’observation que cette approche « descendante » est encore le fait des grandes ONG de conservation (IUCN, WWF) qui portent atteinte aux systèmes traditionnels lesquels sont majoritairement dédié à la sécurisation de l’alimentation. On note cependant une évolution positive des positions de ces dernières.
− une inadéquation des compensations financières de type Paiement pour Services Environnementaux (PES) aux formes de gestion collective observées sur le terrain. Ce qui, outre le problème liés à leurs calculs, encouragent le maintien de ces approches descendantes.
− La mention récurrente des difficultés de la science instituée largement attribuées à une structuration disciplinaire inadéquate et à une faible propension à s’emparer des questions de société avec la société. Certaines ONG du Sud ont, en revanche, une expérience bien plus développée en la matière.
Enjeux scientifiques et politico-économiques de la biodiversité
Les enjeux de la biodiversité lient les activités scientifiques et les objectifs politiques et des politiques publiques tant globales que locales. En 2010, déclarée « Année de la biodiversité », le Président du Programme des Nations Unies pour l’Environnement (PNUE) déclare que le concept doit être « démystifié » pour les différents publics notamment par la création de liens avec des concepts plus accessibles. Cette injonction renouvelée 18 ans après la Conférence de Rio a de quoi inquiéter car elle sous entend que l’effort de sensibilisation et d’explication est resté insuffisant face à l’urgence écologique. Elle rejoint par ailleurs l’appel répété dans la plupart des instances de stratégie scientifique de production de connaissances directement et rapidement utilisables par les sociétés, critiquant, en creux, le fait que la Recherche n’a pas fourni les réponses attendues. Ou en
est-elle? Comment se prépare-t-elle aux mutations qui s’opèrent à un rythme soutenu? Quelles pourraient être les conditions qui permettent aux chercheurs de participer à une double mission:1/ une mission de collaboration avec d’autres sciences et 2/ une mission de participation à l’action publique afin de trouver des solutions alternatives en associant les autres citoyens.
Un enjeu de production de connaissances : l’interdisciplinarité et la participation du public
En reconnaissant à la biodiversité « la valeur intrinsèque des éléments de la diversité biologique sur les plans environnemental, génétique, social, économique, scientifique, éducatif, culturel, récréatif, esthétique », la CDB interpelle la Communauté Scientifique à prendre en charge cette diversité d’objectifs et invite les États à mieux soutenir la recherche. Les objets de la biodiversité recouvrent en effet divers champs des sciences humaines et des sciences agro biologiques et cristallisent des enjeux de sociétés majeurs mais parfois antinomiques (Boisvert et Vivien, 2010) comme :
Innovation (changement) versus Conservation (précaution) ; Individu (intérêt individuel) versus Communauté (gestion communautaire) ; Standardisation (uniformisation) versus Adaptation (diversité).
Mais de son côté, la communauté scientifique est éclatée par un morcellement des savoirs entre disciplines scientifiques, au sein de ces disciplines et entre les communautés (Loreau, 2006). Le déficit de compréhension mutuelle entre chercheurs est maximum entre les disciplines des sciences dites « dures » et les disciplines des sciences humaines et sociales (Barbault, 2006) dont la culture et les références sont distinctes. Les difficultés de collaboration entre sciences biotechniques et sciences sociales vont bien au delà de questions de vocabulaires ou de division des tâches : ce sont les approches, postures, objets et références qui, après 60 ans d’une spécialisation intensive, semblent aujourd’hui n’avoir que peu en commun. L’une des conséquences directes de ce clivage entre disciplines mais aussi de l’hyper-spécialisation et de segmentation des champs à l’intérieur des disciplines, c’est que les sociétés ne reconnaissent plus leurs problèmes dans les objets de la science.
Patronnée par Elinor Ostrom5 , couronnée en 2009 par le Prix Nobel d’économie pour ces travaux sur les « Commons » la Conférence « Planet Under Pressure » (PUP) est sans doute l’évènement scientifique le plus important organisé pour la préparation de RIO +20 . La déclaration finale de cette conférence a insisté sur une «restructuration fondamentale de la recherche scientifique» qui doit «améliorer la cohérence des politiques environnementales et leur intégration économique et sociale ». Cette recommandation n’a pas été reprise ni de façon explicite ni de façon implicite par la déclaration de RIO + 20. En revanche il semble que l’inclusion des connaissances apportées par le public et la société ait eu un écho comme en témoigne leurs mentions dispersées dans différents articles de la déclaration Rio+20 « The Future We Want ».
Un enjeu politico-économique:
Les répercussions de la perte de biodiversité dans les sphères économiques et sociales font, sans aucun doute possible, de la biodiversité un objet très politique. On observe en outre une co incidence entre la perte de diversité culturelle et la perte de diversité biologique qui a conduit à l’émergence assez récente (environ 10 ans) du concept de «biodiversité culturelle et écologique». Les conséquences sur les sociétés humaines de ces pertes culturelles sont encore peu connues car il s’agit d’informations éparses mais convergentes que la « communauté scientifique » n’a pas en commun.
Il n’est, par ailleurs, guère envisageable de faire contenir les innombrables enjeux vitaux du maintien de la biodiversité dans des démarches expertes d’élaboration d’indicateurs socio économiques complexes ou dans des concepts comme celui d’ « Empreinte écologique » que la société regarde avec défiance ou sans les comprendre. En avril 2009, le groupe dirigé par B. Chevassus-au-Louis rend son rapport intitulée « Approche économique de la biodiversité et des services liés aux écosystèmes » mais cette démarche qui défend une politique de contrôle de la Nature par des rétributions ou des amendes qui seraient fonction des services écosystémiques (SES) rendus ou au contraire empêchés, suscite des critiques (Boisvert et Vivien, 2010 ; Pirad et Billé, 2011 ; Canfin, 2012) ou du moins des réserves de la part de ceux, y compris des auteurs eux mêmes, qui regrettent que les références à l’économie imprègnent toujours plus le discours sur la biodiversité (Gauthier, 2010).
La recherche de solutions technologiques à la crise environnement a été entériné à Rio + 20 par l’introduction du concept de « Green Economy » mais ce dernier n’a pas été défini lors de la conférence ce qui entraine des craintes de la part de la part de certaines institutions (MNHN et le groupe ETC EcoCulture) qui recoupent celles que le FMSD (chapitre 3.4.1). Les instruments de marchés, attributions et échanges de quotas transférables semblent promus mais aucune démarche ne ressort clairement quant à la résolution de nombre de questionnements liés à l’usage raisonné des biens communs, les ressources de la planète (la gestion collective des biens publics communs de la nature).
Aujourd’hui donc, la dégradation de la biodiversité est redéfinie comme un problème relevant à la fois des champs scientifique et politique, et plus précisément comme un problème d’interface entre science et politique (Loreau, 2006). En témoigne la création récente de l’IPBES (Intergovernmental Panel on Biodiversity and Ecological Services, voir ressources Web) dont la fonction est précisément de traduire les informations scientifiques à destination des décideurs politiques dans l’optique d’un dialogue science-politique renforcé et de soutenir une approche interdisciplinaire et multi-acteurs de la recherche. Pour les sciences sociales, la biodiversité est envisagée comme un problème politique et scientifique dans une zone étroite d’articulation entre un registre scientifique de production de connaissances et un registre politique de sensibilisation et d’alerte (Mauz et Granjou, 2010).
Production de savoirs et de connaissances sur la biodiversité
Une caractéristique des grandes questions environnementales contemporaines de la planète, pénurie alimentaire, adaptation au changement climatique et conservation de la biodiversité, est l’intrication de contraintes de nature très différentes (biologiques, physiques, sociales, humaines) et dont la compréhension suppose de changer constamment d’échelle. Le plus souvent, les chercheurs, les politiques ou les experts continuent à raisonner au niveau global par la recherche de «solutions technologiques» à la dégradation de la nature. Cette voie est aussi celle du modèle de développement occidental. Mais 20 ans après l’apparition du concept de biodiversité, l’ampleur des problèmes aux niveaux écologique, sociétal et économique montre que ces réponses et leurs cadres théoriques et institutionnels de référence ne sont pas efficaces.
Diverses façons de raisonner les échelles et les conditions d’adaptation: Les approches visant à mettre en cohérence les niveaux global et local se sont développées de façon indépendantes dans les sciences biologiques et les sciences sociales et humaines (SSH). L’écologie fonctionnelle contemporaine nous apprend que les biodiversités définies aux différents niveaux d’organisation du vivant (une population, un groupe fonctionnel, un écosystème, un paysage) ont toutes la propriété de conférer à chacun d’entre eux la faculté de s’adapter aux modifications de son environnement (Larrère et Larrère, 2010). Dans cette vision dynamique, on se préoccupera davantage des capacités de résilience que de la stabilité et de l’intégrité des écosystèmes, des populations et des milieux face à des perturbations nouvelles et profondes de l’environnement (Gunderson et Holling, 2001). L’idée générale d’un maintien ou d’un renforcement des capacités adaptatives à tous les niveaux vient renforcer cette conception. Classiquement, en écologie, on distingue 3 grandes échelles où l’adaptation est rendue possible par la diversité : 1) la diversité génétique contenue dans des populations de variétés à l’intérieur d’une espèce végétale ou animale ou intra spécifique, 2) la diversité des espèces ou diversité inter spécifique (nombre et distribution relative des espèces) et 3) la diversité de groupes fonctionnels comme les écosystèmes et les paysages. Se surajoute une diversité fonctionnelle relative au nombre et à la structure des interactions entre groupes fonctionnels à l’intérieur de chaque niveau d’échelle. L’hypothèse faite par la plupart des écologues est que les biodiversités à tous les niveaux d’organisation du vivant seraient favorables à la résilience de chacun de ces niveaux et, par conséquent, à la résilience globale. L’établissement de scénarios d’évolution fait partie du travail scientifique en biologie mais l’intégration de facteurs nombreux et très divers rend les modèles peu prédictifs pour un objectif pragmatique (trouver des solutions locales). En ce qui concerne les SSH, de nouvelles démarches sortant de l’opposition classique entre Nature (bienveillante et protectrice) et Culture (action humaine délétère) se développent. Elles visent à comprendre les liens entre Culture et Nature et les formes de gestion de l’adaptation. En recherche action, les SSH proposent de construire collectivement des outils d’information et d’apprentissage (voir les systèmes multi agents développés par le CIRAD (Collectif ComMod, 2005). Des approches de type pragmatique sont aussi développées en socio-anthropologie anglo saxonne, et plus récemment francophone.
Besoins en connaissances, besoins en croisements de connaissances: Les liens entre les quatre conditions de l’adaptation collective selon l’école de Folke ne peuvent être réalisés que s’il existe des systèmes de régulation connectés aux prises de décision, aux processus d’apprentissage et aux programmes de recherche sur les interactions entre les activités humaines et les dynamiques de la biodiversité (Folke et al., 2003). Cela nécessite en premier lieu de dépasser les frontières entre disciplines et de rechercher des interfaces pour que puisse se faire l’utilisation des connaissances écologiques traditionnelles ou empiriques. Les socio anthropologues du développement avaient déjà souligné dans les années quatre-vingt la dualité entre deux sources principales de connaissance, celle des praticiens du développement et celle des scientifiques.
Dans la socio anthropologie de l’action développée par le Centre de Sociologie de l’Innovation (CSI), il n’est plus question d’opposer ou de distinguer des types de savoirs mais de les analyser et de comprendre surtout comment se construisent les connaissances pour l’action. Pour le domaine scientifique, Claire Ruault formule ainsi la problématique : « il s’agit de savoir comment des connaissances scientifiques peuvent être mobilisées dans le cours d’un raisonnement pratique, comme permettant à un moment donné de faire évoluer les questions que l’on se pose ou le type de réponse que l’on souhaite y apporter ». Plus récemment encore, la sociologie pragmatique peut nous fournir un cadre de réflexion et d’analyse autour des formes et modalités ou conditions de la production et de la mixité des savoirs dans le domaine de la biodiversité.
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Table des matières
Chapitre 1. Introduction générale
1.1. Construire mon projet scientifique
1.2. Enjeux et modalités de la biodiversité cultivée abordés dans l’étude
Chapitre 2. Méthodologie
2.1. Problématique d’étude
2.2. La question de recherche et l’hypothèse de travail
2.3. Objectif de l’étude
2.4. Protocole d’enquête sur le terrain
2.5. Acquisition des données et acteurs sollicités
2.6. Analyses des données
2.7. Présentation des résultats
Chapitre 3. Résultats
3.1. Les enjeux globaux de la biodiversité
3.1.1. Introduction : origine et histoire du concept
3.1.2. Adaptation biologique:protéger le potentiel évolutif des espèces vivantes
3.1.3. Adaptation humaine
3.1.4. Place de la biodiversité agricole dans l’adaptation
3.1.5. Enjeux scientifiques et politico-économiques de la biodiversité
3.1.6. Production de savoirs et de connaissances sur la biodiversité
3.2. Contextualisation de l’étude
3.2.1. L’histoire emblématique des hybrides de maïs
3.2.2. L’Agriculture Biologique en Europe et en France
3.2.3. La sélection participative
3.2.4. Aspects légaux de la production et commercialisation des semences
3.3. Analyse des entretiens et récits d’acteurs
3.3.1. Analyse des données discursives
3.3.2. Synthèses thématiques
3.4. Synthèse des informations recueillies des observations participantes
3.4.1. Participation au Forum du Forum Mondial Sciences et Démocratie
3.4.2. Participation à la fête de la biodiversité en Lot et Garonne
3.5. Actualité politico-scientifique : Rio+20
3.5.1. Conférence préparatoire « Planet Under Pressure »
3.5.2. Rio+20 et la déclaration « The Future We Want »
Chapitre 4. Proposition d’un cadre pragmatique pour comprendre les controverses autour de la biodiversité
4.1. Les questions environnementales vues à travers le pragmatisme en sciences sociales
4.1.1. Pensée pragmatique et savoirs sur les questions environnementales
4.1.2. Cadrage philosophique:«valuation», action et connaissances selon J. Dewey
4.1.3. Incertitudes de la science et controverses socio-techniques
4.1.4. Les controverses socio-techniques, un outil pour l’action politique
4.1.5. Théorie de l’acteur- réseau (ANT) ou théorie de la traduction
4.1.6. Le modèle de la sociologie pragmatique
4.2. Proposition de grille d’analyse selon le modèle de la sociologie pragmatique
4.2.1. Rappel des objectifs de l’étude
4.2.2. Principes d’analyse d’une mobilisation basée sur la sociologie pragmatique
4.2.3. Les motifs et attentes des acteurs rencontrés
4.2.4. Savoirs et compétences des acteurs: un désir de reconnaissance
4.2.5. Circulation de l’information et liens pluriels
4.2.6. Quatre intérêts d’un choix pragmatique pour traiter de la biodiversité
Chapitre 5. Conclusion générale en forme de plaidoyer
Lectures et bibliographie de référence
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