Nombre d’entre nous a déjà entendu parler des probiotiques, « ces bonnes bactéries pour l’organisme ». En fait, l’Homme connaît les probiotiques depuis aussi longtemps qu’il produit de la bière ou des yaourts puisque ces bactéries ou levures sont utilisées dans la fermentation. Mais depuis quelques années, l’idée des industries pharmaceutiques à développer des souches probiotiques assimilables via des gélules, des sachets ou encore des formes liquides a permis la supplémentation en probiotiques pour répondre à de nombreuses indications. Toutefois, beaucoup de questions se posent : qu’est ce qui est considéré comme probiotique ? Comment agissent ces probiotiques ? Leur administration est-elle sûre ? Les probiotiques sont indissociables des flores commensales de l’être humain, et particulièrement de la flore intestinale, souvent caractérisée comme un « second cerveau ». La flore vaginale est tout aussi importante par son rôle complexe et unique. Tout déséquilibre de ces flores peut être à l’origine de dysbiose entraînant des pathologies nécessitant des traitements médicamenteux. Les probiotiques entrent alors en jeu et peuvent être proposés comme un traitement alternatif ou un traitement complémentaire pour pallier l’altération de la flore.
Historique et définitions
L’histoire des probiotiques
La genèse des probiotiques n’est pas récente contrairement à ce que l’on pourrait croire comptetenu du développement des spécialités à base de probiotiques cette dernière décennie. En effet, dès la fin du XIXème siècle, Elie Metchnikoff, professeur de microbiologie à l’Institut Pasteur et prix Nobelde la physiologie et de la médecine, évoquait l’intérêt de la présence de micro-organismes de l’intestin et soutenait qu’il existait une relation entre la longévité des populations de l’Europe de l’Est et la consommation de kéfir. Le kéfir est une boisson naturellement gazeuse obtenue en laissant fermenter les fameux grains de kéfir dans du lait, ce qui constitue une véritable source de bactéries lactiques et de levures.
Cette longévité est expliquée par le remplacement des bactéries « putréfiantes » de l’intestin, responsables du vieillissement, par les bactéries « acidifiantes » du lait fermenté. Metchnikoff proposa donc d’ingérer des bactéries lactiques vivantes (Ninane et al., 2009). Puis, en 1899, Henri Tissier, pédiatre français, a remarqué que les bactéries bifides étaient présentes en plus grande quantité dans les selles des enfants ne souffrant pas de diarrhée. Il eut lui aussi l’idée d’en administrer aux patients souffrant de diarrhée pour rétablir la flore intestinale (Faure et al., 2013). La voie des probiotiques est alors ouverte.
Probiotique
Le terme probiotique est issu du grec « pros » et « bios » signifiant « pour la vie ». Sa définition a évolué au gré des connaissances sur son mécanisme d’action. Pour la première fois en 1965, Daniel Lilly et Rosalie Stillwell les définissent comme «substances produites par les micro-organismes et qui favoriseraient la croissance d’autres micro-organismes » (Faure et al. 2013a). En 1974, Parker élargit la notion de probiotiques aux micro-organismes ainsi qu’aux métabolites microbiens produits contribuant au maintien de l’équilibre de la flore intestinale. C’est en 1989 que Fuller désigne un probiotique comme étant « un complément nutritionnel microbien vivant qui a un effet positif sur l’animal hôte en améliorant son équilibre intestinal » (Ninane et al., 2009). Plus récemment, un groupe d’experts européens a proposé une définition plus large qui regroupe « les micro-organismes ayant des mécanismes d’action indépendants d’une modification de la microflore intestinale». Ainsi, en 2002, la définition officielle du terme probiotique, adoptée par l’Organisation Mondiale de la Santé et l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (ANSES) est la suivante : « micro-organisme vivant qui lorsqu’il est administré en quantité suffisante, exerce un effet bénéfique pour la santé de l’hôte ».
Prébiotique
On entend par prébiotique des ingrédients alimentaires, non assimilables, qui ont également un impact favorable sur la flore intestinale en stimulant la croissance et/ou l’activité d’une ou plusieurs espèces bactériennes. Ce sont le lactulose, l’inuline, l’oligofructose, les oligosaccharides (Allaert et Pillon, 2010).
Symbiotique
Le terme symbiotique désigne l’association de prébiotique et de probiotique : en effet, les prébiotiques sont les « aliments » des probiotiques c’est-à-dire qu’ils sont une source sélective de nourriture pour la croissance des bactéries bénéfiques, telles que les probiotiques. Ces derniers n’ont pas besoin d’eux pour vivre mais en leur présence, les bactéries probiotiques se multiplient rapidement et ainsi, cela favorise leur effet bénéfique.
Flores commensales
Compte-tenu des indications des probiotiques, la connaissance des deux principales flores de l’organisme semble essentielle : la flore intestinale et la flore vaginale.
Flore digestive
L’intestin grêle et le gros intestin ne sont pas stériles et abritent 100 000 milliards de bactériesvivantes (Qin et al., 2010). L’ensemble de ces bactéries constituent la flore intestinale, aussi appelée «microbiote intestinal». Dans le tube digestif, il y a aussi des champignons et parfois des parasites. Mais, pour ces derniers, et en particulier Blastomyces hominis, il est parfois difficile de dire s’il s’agit vraiment de leur habitat ou d’un portage sain. Cet ensemble se caractérise par sa complexité et sa diversification.
Découverte de la composition de la flore intestinale
Tout d’abord, des techniques classiques de culture de bactéries ont été utilisées mais elles n’ont permis de détecter qu’entre 20 et 30% des bactéries, celles-ci étant anaérobies telles que les bactéries des genres Bacteroides, Eubacterium, Bifidobacterium, Clostridium, etc… Les bactéries non détectées sont qualifiées de « non cultivables » (Bourlioux, 2014). Puis, le développement de techniques moléculaires basées sur le séquençage de l’ADNr 16S a permis d’identifier des bactéries non cultivables. Cette technique a vite été dépassée par la mise au point du séquençage de l’ADN à haut débit grâce auquel il a été possible de séquencer et identifier l’ensemble des génomes des bactéries présentes dans l’écosystème digestif humain ; c’est le métagénome. D’après les travaux menés en Europe (Qin et al., 2010), le microbiote intestinal est constitué de 100 000 milliards de bactéries correspondant à plus de 3000 espèces ; ceci représente 3,3 millions de gènes bactériens identifiés dans une cohorte de 124 individus d’origine Nordique et Méditerranéenne. Le métagénome, lui, correspond à 150 fois le génome humain ! La complexité est donc prouvée et c’est grâce à ces chiffres que l’on peut considérer la flore intestinale comme un écosystème à part entière qui fonctionne en symbiose avec notre organisme. Des interactions entre les bactéries du microbiote (ensemble des micro-organismes vivants dans un environnement donné) et entre le microbiote et l’hôte permettent une homéostasie de l’écosystème. Un déséquilibre de l’homéostasie ou dysbiose peut se produire et entraîner des pathologies pouvant être une indication à la prise de probiotiques (Bourlioux, 2014).
Evolution de la flore
Le fœtus humain est vierge de tout micro-organisme. L’exposition du nouveau-né aux muqueuses vaginales, à la peau, aux cheveux, à la nourriture et aux autres objets non stériles conduit rapidement à l’élaboration d’une microflore intestinale normale. La composition de celle-ci varie en fonction de l’âge gestationnel de la naissance, du mode d’accouchement, de l’environnement du bébé ainsi que de l’antibiothérapie administrée à la mère en per partum et/ou à l’enfant après la naissance (Collignon et Butel, 2004). On considère qu’un enfant de l’âge de 2 ans a une flore identique à celle d’un adulte (Festy 2014).
Les premières bactéries à s’implanter sont anaérobies et se nomment les bifidobactéries. Elles représentent plus de 90% des bactéries intestinales totales chez les bébés nourris au sein. Le lait humain agit comme un milieu sélectif pour les bactéries non pathogènes car il apparaît que chez les bébés nourris au biberon, la proportion de bifidobactéries intestinales est très inférieure (Prescott et al., 2013). Le changement d’alimentation (notamment boire du lait de vache et manger de la nourriture solide) entraîne la perte de prédominance bifidobactérienne : les Enterobacteriaceae, les Entérocoques, les Bacteroïdes, les Lactobacilles et les Clostridies augmentent en nombre (Prescott et al., 2013). Une fois la flore établie, celle-ci reste stable chez un même individu dans des conditions normales, bien qu’elle puisse être influencée par des facteurs alimentaires, immunologiques, environnementaux, médicamenteux et physiologiques. En effet, chez les personnes âgées, il est démontré une diminution de la diversité des bifidobactéries et une augmentation des germes fongiques et des entérobactéries comparé aux jeunes adultes (Hopkins et al., 2001).
Le microbiote intestinal appartient donc à cinq embranchements (phylum) microbiens, dont les trois premiers représentent la plus grande part des bactéries fécales :
– Firmicutes, bactéries Gram positif, qui forment l’embranchement dominant de la flore intestinale adulte
– Bacteroidetes
– Actinobacteria
– Proteobacteria
– Fusobacteria.
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Table des matières
INTRODUCTION
ETUDE BIBLIOGRAPHIQUE
1. Historique et définitions
1.1. L’histoire des probiotiques
1.2. Probiotique
1.3. Prébiotique
1.4. Symbiotique
2. Flores commensales
2.1. Flore digestive
2.1.1. Découverte de la composition de la flore intestinale
2.1.2. Evolution de la flore
2.1.3. Rôles physiologiques
2.1.3.1. Fonctions métaboliques
2.1.3.2. Maintien de l’intégrité membranaire
2.1.3.3. Fonction de barrière contre l’implantation de bactéries pathogènes
2.1.4. Système immunitaire intestinal
2.1.4.1. Immunité innée
2.1.4.2. Immunité adaptative
2.1.4.3. Mécanisme de défense et flore intestinale
2.1.5. Existe-t-il une flore parfaite ?
2.2. Flore vaginale
2.2.1. Structure, intérêt et évolution de la muqueuse vaginale
2.2.2. Composition de la flore vaginale
2.2.3. Flore vaginale et pathologies
2.2.4. Lactobacilles et rôles protecteurs
2.2.4.1. Inhibition de la croissance du pathogène
2.2.4.2. Inhibition de l’adhésion du pathogène
2.2.4.3. Inhibition de l’expansion du pathogène
2.2.5. Immunité et flore vaginale
2.2.5.1. Les « Toll Like Receptors »
2.2.5.2. Lymphocytes
2.2.5.3. Les cellules « Natural Killer »
3. Probiotiques et mécanisme d’action
3.1. Critères des probiotiques
3.2. Les trois principaux modes d’action
3.2.1. Modulation du microbiote
3.2.2. Amélioration de la fonction barrière
3.2.3. Modulation du système immunitaire intestinal
3.3. Caractéristiques des souches probiotiques
3.3.1. Saccharomyces
3.3.1.1. Espèces
3.3.1.2. Caractéristiques microbiologiques
3.3.1.2.1. Caractéristiques générales
3.3.1.2.2. Caractéristiques de l’espèce Saccharomyces boulardii
3.3.1.3. Mécanisme d’action
3.3.2. Lactobacilles
3.3.2.1. Espèces
3.3.2.2. Caractéristiques bactériologiques
3.3.2.3. Mécanisme d’action
3.3.2.3.1. Peptidoglycane et acides teichoïques
3.3.2.3.2. Exopolyssacharides
3.3.2.3.3. Protéines de surface
4. Indications
4.1. Spécialités bénéficiant d’une AMM
4.1.1. Voie orale
4.1.1.1. Diarrhée
4.1.1.2. Affections respiratoires hautes
4.1.2. Voie locale
4.1.2.1. Vulvovaginites
4.1.2.2. Affections respiratoires hautes
4.2. Indications hors AMM
4.2.1. Tableau de synthèse des probiotiques sur le marché
4.2.2. Diarrhée associée aux antibiotiques et diarrhée à Clostridium difficile
4.2.3. Maladies inflammatoires chroniques de l’intestin
4.2.4. Troubles anxieux
4.2.5. Pathologies vaginales
4.2.6. Allergie
5. Risques liés aux probiotiques
5.1. Infections systémiques
5.2. Activités métaboliques délétères
5.3. Stimulation immunitaire excessive
5.4. Transfert de gènes
5.5. Effets indésirables mineurs
TRAVAIL PERSONNEL : probiotiques et pratique officinale
1. Objectif de l’enquête en officine
2. Méthode
3. Résultats
3.1. Caractéristiques des officines
3.2. Connaissance des probiotiques
3.3. Spécialités délivrées
3.4. Délivrance et indications
3.5. Fréquence de délivrance
3.6. Avis des consommateurs : satisfaction et effets indésirables
4. Discussion/conclusion
CONCLUSION GENERALE
Annexe