L’histoire des industries agricoles de l’Afrique Occidentale Française, en particulier celle du Sénégal du XIXème au XXème siècle s’avère pour nous, une opportunité de revisiter les contextes dans lesquels le Sénégal est entré dans l’ère de son industrialisation pour la transformation de ses matières premières sur place. Puisque d’aucuns pensent que le mal de l’Afrique actuelle est un héritage légué par la « Mère patrie » donc de la colonisation. D’emblée, nous essayerons d’étudier les liens qui existent entre la colonisation et le retard du décollage économique sénégalais portant ainsi atteinte à la sécurité alimentaire.
L’indépendance s’avère exhaustive quand elle allie l’autonomie de deux volets c’est-à-dire politique et économique. Mais pourquoi sur le plan économique et surtout industriel, le Sénégal reste toujours tributaire à l’ancienne Métropole ? Ces faits nous ont marqué et ont suscité notre curiosité. Demeurant complexes, ils interpellent les historiens dont le rôle majeur est de répondre aux questions du présent.
Problématique
La gomme se substitua en premier lieu comme produit de traite à l’esclave avant d’être à son tour remplacée par l’arachide en pleine expansion à la fin du XIXème siècle introduite par le colon. L’Afrique occidentale française devint avec la substitution définitive de produits tropicaux au commerce des esclaves le terrain par excellence de l’économie de traite dans la seconde moitié du XIXème siècle et tout le reste de la période coloniale.
Contrairement au troc, la traite économique des produits agricoles fut le fait de maisons de commerce, disposant d’établissements fixes, « organisés et spécialisés pour l’importation et l’exportation », référant à des stables, usant de statistiques et de comptabilités tenues à jour . Pendant cette période de domination directe des colonies d’A.O.F., l’objectif était le même : obtenir des produits d’exportation à bon marché pour satisfaire les besoins des industries métropolitaines. Cependant les moyens pour satisfaire cet objectif principal ont varié d’une zone à une autre. On note ainsi à la spécialisation de cultures dans les colonies selon les conditions climatiques. Le Sénégal en l’occurrence est désigné comme colonie d’exploitation de l’arachide. Comme disait Leroy-Beaulieu, P « Le Sénégal doit être une colonie d’exportation » .
La France ayant introduit l’arachide, a spécialisé le Sénégal dans la production de cette matière première pour les besoins de l’économie métropolitaine, créant ainsi, un dualisme entre les cultures traditionnelles céréalières et l’arachide. Par conséquent, on note une sorte de compétition entre la culture de rente (dite moderne) et l’agriculture traditionnelle de subsistance. Ainsi, l’opposition des deux cultures a entrainé la relégation des cultures vivrières au second plan. De ce fait, la France n’est-elle pas la principale cause de la situation alarmante de l’insécurité alimentaire qui tenaille le Sénégal ? Dans la mesure où les paysans sénégalais sont stimulés à délaisser la culture des céréales au profit de la culture d’exportation d’arachide. Et certains paysans sont allés jusqu’à convertir leurs aires de cultures traditionnelles céréalières (mil, maïs, sorgho …) en de véritable culture d’arachide. Du coup, engendrant l’extraversion de l’autosuffisance alimentaire Sénégalais par l’importation du riz.
Il est utile de rappeler que tout au long du XIXème siècle, on n’assistait guère à l’implantation du tissu industriel à l’intérieur de l’A.O.F.Cette situation pouvant se justifier par « le pacte colonial » initié par l’administration coloniale d’alors réticente à toute forme de concurrence au niveau surtout du marché africain. Comme disait Du Jonghay, I « pourquoi faire de l’huile à Dakar quand il est si simple d’envoyer presser les arachides à Marseille ? » . Mais, dans le contexte de la Première Guerre Mondiale, compte tenu que, toute situation de crise est un moment axial pour se projeter vers une autre idéologie. C’est dans ce sillage que les colons renoncèrent à leur ancienne loi prohibant toute idée d’implantions d’industries au sein des colonies.
Après la crise des années 30 et surtout, celle de la Deuxième Guerre Mondiale, la production de biens manufacturés de consommation courante qui étaient antérieurement importés se réalisait progressivement sur place dans les pays colonisés à travers la politique d’industrialisation par substitution d’importation. Ce fait renforça ainsi, l’installation des industries qui débuta dès 1920 au Sénégal avec les huileries. Ce retard industriel du pays n’a-t-il pas été le cancer du développement industriel ? Si on constate que les pays qui n’étaient sous le joug colonial la France en l’occurrence est entrée très tôt et a pu bénéficier l’expansion industrielle. Toutefois, cette politique d’industrialisation se portait sur deux volets : celui des industries de substitutions aux importations et celui de la valorisation sur place des matières premières agricoles notamment . En somme, après 1945, le tissu industriel s’élargit de façon remarquable. La Deuxième Guerre Mondiale, les problèmes de transport et la participation du pays à l’effort de guerre accélèrent le procès d’industrialisation au Sénégal. Mais est-ce-que cette politique de substitution d’importation des produits finis prônée par la France a-t-elle été destinée réellement aux Sénégalais ? A-t-elle atteint son objectif ? Si nous constatons, depuis l’époque coloniale à nos jours, le Sénégal est toujours dans la liste des pays qui souffrent de l’insuffisance alimentaire adoptant à cet effet, une politique d’importation des biens de consommation.
Revue critique des sources
Afin de mener à bien notre travail, nous avons fait usage de plusieurs sources. C’est pourquoi, notre travail s’appuie sur une large collection de matériaux recueillis à partir de trois sources : les archives coloniales, l’étude documentaire, et les enquêtes orales. Les sources primaires proviennent des archives coloniales et les matériaux de première main des enquêtes orales.
Les sources archivistiques
La chronologie choisie pour étudier notre thème, nous a orienté principalement vers archives nationales du Sénégal. Puisqu’elles renferment les principales données sur l’agriculture et l’histoire industrielle de l’Afrique Occidentale Française en général et celle du Sénégal en particulier. Contenant un nombre important de documents, nous nous sommes intéressé à certains dossiers qui ont un rapport direct avec notre sujet. Par conséquent, nous avons consulté la série G, la série Q et la série R subdivisées en de plusieurs sous séries.
Notre procédure consistait d’abord à la consultation des sous séries G. Celle de 2G48/1(1) titrée : « Inspection du travail de l’Afrique Occidentale Française, Rapport de l’année 1948, Rufisque, Imprimerie du gouvernement général ». Elle nous édifie sur la position de la France envers ses colonies au lendemain de la seconde guerre mondiale sur la question d’investissement. Autrement, se rendant compte de l’utilité que les colonies peuvent lui apporter, la France décida alors d’y injecter plus de capitaux pour une « mise en valeur » sérieuse en abrogeant effectivement la loi qui verrouillait l’investissement dans l’outre-mer. Et enfin celle de 2G51/24(1) intitulée : «Inspection général du travail de l’Afrique Occidentale Française, Rapport annuel 1951 », nous a fait part de la prise de conscience de l’administration coloniale sur la mise en valeur et la transformation sur place des matières.
Ensuite, les sous séries Q à savoir 1Q280(77) intitulée : « Rapport sur la mise en valeur diverses colonies de l’AOF : production Alimentation, document général d’ordre économique 1919- 1930 », nous renseigne sur la situation alimentaire durant cette période de crise. Quant aux sous séries 1Q25 titrée « Sénégal : plan quadriennal 1952- 1956 », 1Q652 (167) intitulée « Office des changes, investissements français en Afrique et des sociétés étrangères en France, activité des sociétés demandes, d’investissements, rapports, textes réglementaires, liste, 1947-1956 ». Elles nous ont surtout édifiés sur la situation financière publique et privée des colonies d’AOF après la loi de 1946 qui à mis à l’autonomie financière des possessions françaises d’outre-mer. La sous série 2Q82(74) : documentation générale relative aux demandes d’installations d’industries et de commerce ; correspondance général. Elle essaye de retrace l’ensemble des projets industriels du Sénégal qui ont été préconisés par certaines personnalités surtout du secteur privé dont certains ont été rejetés pour des raisons diverses.
Et enfin, aux sous séries R ; la 1R47(158) intitulée cultures vivrières, la 1R2(1) : traite d’arachide de 1937 à 1945 et la 1R105(158) : la production coloniale en 1932 ; toutes ces sources touchent notre thème et nous renseignent sur l’agriculture durant la période coloniale. Elles nous donnent ainsi, une idée sur l’exploitation de l’arachide au Sénégal, le déficit vivrier aux paysans autochtones et les mesures alternatives prises pour assurer la soudure alimentaire.
Cependant, notre consultation des documents au niveau des archives est caractérisée par une documentation difficile à exploiter souvent due à une vétusté de certains dossiers .
Les documents imprimés
Sur l’histoire des industries agricoles du Sénégal du XIXème au XXème, nous avons une myriade d’informations qui aborde notre sujet. Le souci de comprendre le processus d’industrialisation d’Afrique Occidentale Française en général en matière de produits agricoles et alimentaires et celui du Sénégal en particulier, nous a conduit à nous intéresser aux écrits de certains auteurs.
On note une étude de l’histoire des industries agricoles dans la plupart des ouvrages, articles et mémoires consultés. Mais en se référant à certains travaux, on note d’emblée que leur étude n’est pas intégrale mais plutôt partielle. Toutefois, certains auteurs dans leurs écrits, reviennent sur la pertinence de la culture traditionnelle sénégalaise et familiale qui a non seulement pour essence l’autosuffisance alimentaire familiale mais aussi à la protection de leurs terres. Parmi les ouvrages qui illustrent ces faits, loge celui de Boubacar Barry, Le royaume du Walo : le Sénégal avant la conquête. Il montre que, pratiquement le Sénégal traditionnel c’est-à-dire avant la colonisation n’a pas connu de crise de terre ou d’alimentation majeures.
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Table des matières
INTRODUCTION GENERALE
PREMIERE PARTIE :HISTORIQUE ET EVOLUTION DU TISSU INDUSTRIEL AGRICOLE SENEGALAIS
Chapitre I : La production agricole traditionnelle sénégalaise
Chapitre II : Genèse et l’évolution des industries métropolitaines de transformation des produits agricoles au Sénégal de 1920 à la veille des indépendances
DEUXIEME PARTIE :LES DIFFERENTS TYPES D’INDUSTRIES DE TRANSFORMATION DES PRODUITS AGRICOLES ET LES CONSEQUENCES INDUSTRIELLES
Chapitre I: Tentative de classement des industries manufacturières de produits agricoles
Chapitre II : Les conséquences industrielles
TROISIEME PARTIE:SITUATION DU TISSU INDUSTRIEL AGRICOLE SENEGALAIS POSTCOLONIAL
Chapitre I : L’état des industries manufacturières sous l’indépendance
Chapitre II : La place des industries manufacturières du Sénégal dans les marchés internationaux et les défis industriels
CONCLUSION GENERALE
ANNEXES