L’histoire de l’alimentation : éléments de définition
Les origines de l’histoire de l’alimentation
Définir l’histoire et l’histoire de l’alimentation
Le mot histoire s’apparente à « historia » qui figure dans l’œuvre d’Hérodote les Histoires rédigée vers 445 av. J-C. Ce terme signifie « celui qui sait » mais on le traduit aujourd’hui par « enquête ». Considéré comme le « Père de l’histoire », Hérodote, historien et géographe grec donne cette dimension d’enquête à l’histoire en posant la première réflexion sur la démarche historique. Elle se caractérise par une démarche d’enquête qui se manifeste par une collecte de sources qui sont analysées, croisées, hiérarchisées et vérifiées. L’histoire est donc une science, car elle nécessite des sources attestées qui constituent des preuves écrites ou orales comme des témoignages. L’histoire de l’alimentation peut se définir comme « un appareil enregistreur où s’inscrivent avec les retards dus aux résistances psychologiques toutes les vicissitudes de l’économie » (Bloch,1949). Elle s’inscrit dans l’histoire des mentalités, un champ historiographique définie par l’histoire des Annales qui se distingue de « l’histoire bataille » habituellement pratiquée, qui s’intéresse à d’autres objets historiques comme l’histoire des sentiments, les pratiques culturelles, les croyances. L’histoire de l’alimentation se trouve au cœur de la vie des sociétés ; c’est un objet de recherche qui a une « position stratégique dans le système de vie et de valeurs des diverses sociétés, la possibilité, donc, à partir de ce lieu central, d’embrasser d’un coup d’œil toutes les variables possibles » (Flandrin ; Montanari, 1996, p. 14). Jean-Louis Flandrin et Massimo Montanari parlent de l’alimentation comme un thème « intégrateur » qui permet de comprendre « dans leur complexité, les comportements alimentaires de l’homme. » (Flandrin ; Montanari, 1996, p. 14). L’histoire de l’alimentation permet donc d’étudier les pratiques alimentaires de différentes sociétés.
Depuis quand peut-on l’étudier ?
L’Homme a besoin de se nourrir, par conséquent la question nourricière est au centre de ses préoccupations. L’étude de l’histoire de l’alimentation peut donc être faite depuis l’apparition de l’Homme. En effet, comme le souligne Florent Quellier dans son ouvrage Histoire de l’alimentation, les groupes préhistoriques développent la chasse, puis l’élevage et l’agriculture pour ensuite se concentrer sur une « économie de subsistance fondée sur la chasse, la pêche, la cueillette ou la collecte » (Quellier, 2021, p. 14). Nous pouvons considérer cette première approche de l’étude des premiers comportements alimentaires comme générale dans la mesure où la préhistoire ne s’inscrit pas à proprement parler dans l’histoire.
Dans l’historiographie : quel tournant ?
L’histoire de l’alimentation n’a pas toujours été un domaine de recherche de prédilection des historiens. Comme le dit, Julia Csergo, dans son ouvrage Histoire de l’alimentation : quels enjeux pour la formation ? ; « l’alimentation est longtemps demeuré un objet apparemment négligé par la science historique » (Csergo, 2004, p. 12). Sous l’École des Annales, avec Marc Bloch et Lucien Febvre, l’histoire de l’alimentation prend un tournant historiographique et devient un objet de recherche central. Comme le rapporte, Julia Csergo, dans son ouvrage, la première génération des Annales inscrit l’histoire de l’alimentation dans l’histoire dite des «mentalités» (Csergo, 2004). En tant que science historique, l’histoire de l’alimentation a donc un premier tournant autour de la première génération des Annales dans les années 1930. Puis, elle acquière une seconde impulsion sous Fernand Braudel avec la deuxième génération des Annales dans les années 1950. Enfin dans les années 1970-1980, un nouveau tournant historiographique apparaît avec la troisième génération des Annales, représentée par Jacques Le Goff et Pierre Nora. « La Nouvelle Histoire » se développe et réinvestie massivement des champs de recherches autour de la sociologie comme l’histoire de l’alimentation ou encore l’histoire des corps.
Quelle place pour l’histoire de l’alimentation aujourd’hui ?
Dans les universités, l’histoire de l’alimentation est peu présente : «L’histoire de l’alimentation s’enseigne peu dans les cursus d’histoire » (Csergo, 2004, p. 22-23). Les historiens semblent se désintéresser de cet objet de recherche, « l’objet semblerait être revenu aux anthropologues » (Csergo, 2004, p. 23). Julia Csergo explique également que l’alimentation «constitue rarement un objet par lequel les enseignants abordent l’histoire et la géographie » (Csergo, 2004, p. 23). Elle est donc évoquée à travers des chapitres d’histoire et de géographie plus généralistes au collège et au lycée. L’histoire de l’alimentation est donc globalement un objet absent des programmes d’enseignements. Cependant, l’alimentation demeure un sujet central des préoccupations actuelles. En effet, comme le montre Florent Quellier dans Histoire de l’alimentation, elle est omniprésente dans notre quotidien : « L’abondance alimentaire n’a pas annihilé les angoisses des consommateurs ; elle les a paradoxalement exacerbées, dans un monde où l’espérance de vie n’a jamais été aussi longue de toute l’histoire de l’humanité » (Quellier, 2021, p. 765). Il parle également d’une « quête de repères » (Quellier, 2021, p. 765). L’alimentation fait débat jusque dans les écoles, notamment autour de questions identitaires : « La crispation religieuse s’appuie également sur des identités alimentaires réaffirmées et crée des débats jusque dans les écoles publiques sur la possibilité de proposer dans les cantines des repas de substitution qui prendraient en compte la confession religieuse des élèves et leurs interdits alimentaires » (Quellier, 2021, p. 767). L’étudier peut permettre de trouver des clés pour mieux comprendre certaines problématiques autour de cette thématique qui peuvent en englober d’autres comme dans cet exemple : la question autour de la laïcité.
L’histoire de l’alimentation comme discipline historique ?
Longtemps éloignée de la discipline historique
Certains chercheurs, historiens posent un constat sur l’histoire de l’alimentation. Elle n’est pas reconnue comme discipline à part entière de l’histoire. Comme nous l’avons déjà abordé précédemment, elle n’a pas toujours été considérée en tant que science historique : « les questions de l’alimentation avaient depuis longtemps retenu l’attention de la sociologie, de l’ethnologie, de l’économie, de l’anthropologie, pour rester dans le seul domaine des sciences humaines » (Csergo, 2004, p. 11-12). Les recherches sont donc récentes : « Ce domaine, dont la structuration récente doit beaucoup à la volonté de responsables de l’Éducation » (Csergo, 2004, p. 11). Mais aussi, comme le souligne l’auteur, grâce à deux historiens : Jean-Paul Aron et JeanLouis Flandrin. Jean-Paul Aron se place dans une perspective d‘«histoire des sensibilités ». Il axe davantage l’histoire de l’alimentation sur une approche sociale et culturelle qu’économique et quantitative. Il parle de goût, de plaisir de manger et s’inscrit davantage dans une histoire des consommations.
Pourquoi a-t-elle été écartée de la discipline historique ?
Longtemps assimilée à d’autres disciplines des sciences humaines comme la sociologie, l’alimentation n’est pas un objet qui s’associe directement à l’histoire pour les historiens. C’est un objet « difficile à cerner. Ses entrées sont multiples » (Csergo, 2004, p. 12). Les raisons de cette quasi-non représentation dans la discipline historique sont multiples. Julia Csergo rapporte que l’alimentation se rapporte « au trivial, au ventre » (Csergo, 2004, p. 12), qu’elle relève également « de la sphère privée de l’intime » (Csergo, 2004, p. 12) et des sciences et des techniques. Cependant, ces thèmes ont déjà été abordés dans la recherche historique, donc ils ne devraient pas poser problème. Ce constat relève d’un problème autour de la définition de l’histoire de l’alimentation. On ne sait pas qui doit l’enseigner, « savoir si l’histoire de l’alimentation doit être enseignée par l’historien ou par le technicien, par le chercheur ou le vulgarisateur » (Csergo, 2004, p. 24). De plus, tous les aspects de la recherche autour de l’alimentation ne sont pas du « « ressort immédiat de la recherche historique » (Csergo, 2004, p. 24).
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Table des matières
Introduction
1. Cadre théorique
1.1 L’histoire de l’alimentation : éléments de définition
1.1.1 Les origines de l’histoire de l’alimentation
1.1.2 L’histoire de l’alimentation comme discipline historique ?
1.1.3 Un objet d’étude transdisciplinaire
1.2 Le choix d’un objet d’étude adapté à l’environnement des élèves
1.2.1 Un constat : une représentation du temps et de l’espace difficile chez les élèves
1.2.2 Travailler sur l’environnement proche des élèves : une attente institutionnelle
1.2.3 Les apports de l’histoire de l’alimentation dans l’enseignement
1.3. Les apports de la didactique en histoire
1.3.1 Sortir du système « enseignant-apprenant » : les apports de la problématisation en histoire
1.3.2 Comparaison avec d’autres modèles d’enseignements : les modèles canadien et genevois
1.3.3 Quelles finalités pour l’enseignement en histoire ?
2. Cadre méthodologique
2.1 Le cadre de la classe
2.1.1 Les participants
2.1.2 Les habitudes de travail de la classe
2.2 Protocole d’expérimentation
2.2.1 Méthode
2.2.2 Outils
2.3.1 Description des séances
2.3.1 Séance 1
2.3.2 Séance 2
2.3.3 Séance 3
2.3.4 Séance 4
3. Analyse des données
3.1 Analyse de la séance 1
3.1.1 Présentation des données récoltées
3.1.2 Analyse des données
3.1.2.1. Questionnaire sur les représentations initiales des élèves sur l’histoire en individuel
3.1.2.2. Transcription de la discussion en classe entière autour de la définition du mot « histoire »
3.1.3 Observations
3.2 Analyse de la séance 2
3.2.1 Présentation des données récoltées
3.2.2 Analyse des données
3.2.2.1. Transcription de la discussion en classe entière sur la formulation d’hypothèses autour de l’origine de la tomate
3.2.3 Observations
3.3 Analyse de la séance 3
3.3.1 Présentation des données récoltées
3.3.2 Analyse des données
3.3.2.1. Feuilles de réponses des élèves lors du travail de recherche documentaire en groupe
3.3.2.2. Transcriptions des échanges au sein des groupes d’élèves lors du travail de recherche documentaire
3.3.2.3. Transcription de la synthèse en classe entière après le travail de recherche documentaire
3.3.3 Observations
3.4 Analyse de la séance 4
3.4.1 Présentation des données récoltées
3.4.2 Analyse des données
3.4.2.1. Questionnaire sur les représentations des élèves a posteriori sur l’histoire
3.4.3 Observations
Conclusion
Bibliographie