CRITIQUE DE LA RELIGION CHEZ FEUERBACH ET KARL MARX

Le milieu social

   Contrairement à Feuerbach, Karl Marx est né dans une situation de trouble. Son père et sa mère étaient fortement imprégnés dans la religion juive comme l’atteste ce propos : « Aussi loin qu’on remonte dans la généalogie de Karl Marx, du côté de son père comme celui de sa mère, on trouve des rabbins 21». La famille de Marx a connu la discrimination du gouvernement prussien d’alors lorsque Fréderic-Guillaume III imposait aux juifs de se convertir « pour exercer une profession libérale ou une charge publique ».Il faudra attendre alors l’envahissement de la Prusse par les troupes napoléoniennes pour voir leurs situations changer après un long moment de représailles contre l’ordre féodal. Cette situation fut une occasion pour Herschel Marx, père de Karl Marx, qui était passionné par le métier d’avocat de saisir enfin l’opportunité de faire une carrière en droit. Malheureusement, ce dernier va perdre ce privilège vers les années 1812 marquant la fin du règne de Napoléon et le retour du gouvernement prussien sous la direction de Fréderic-Guillaume III. Dans cette situation, Herschel Marx, démis de sa fonction d’avocat, était obligé, face à ses conditions de vie difficiles, de se convertir au christianisme retenant le nom de Heinrich Marx, afin de pouvoir à nouveau exercer sa fonction. Seulement, ce revirement sera sans conséquence majeure car depuis son adolescence, nous affirme Jacques Attali, il était « fort éloigné de la religion ». Il n’était pas antireligieux ni moins un adepte de la religion de ses aïeux. En fait, il prônait pour une religion libérale détachée de l’orthodoxie juive en l’occurrence le protestantisme. C’est d’ailleurs ce qui explique le fait que Marx était plus attiré par les convictions religieuses de son père contrairement à sa mère qui était toujours fidèle, pendant ces moments-là, à la confession juive. D’où l’affirmation suivante : « Il ne croit pas au Dieu de sa mère, un peu à celui de son père ». Comme beaucoup d’hommes cultivés de son temps, Heinrich Marx était un admirateur des Lumières, amour qu’il fera partager à son fils à qui il avait une grande estime comme en témoigne l’abondante correspondance qu’ils échangeront lorsque Karl Marx partira étudier à Bonn puis à Berlin. Toute sa vie durant, Karl Marx vouera à son père une admiration sans borne, en conservant une photo de celui-ci jusqu’à sa mort. Avec l’appui de son père, il était prédestiné au métier d’avocat ; ce qui devait lui garantir une réussite sociale car pendant ces moments, beaucoup de tribunaux furent crées dans la région de Trèves. Les sciences juridiques se présentaient comme la meilleure option pour Marx de trouver un poste estimable et bien rétribué. Mais très vite, il « va délaisser les cours de droit commencés à Bonn et poursuivis à Berlin pour l’étude de la philosophie et de l’art, après avoir cédé un instant à la tentation de s’affirmer comme poète »25.Il découvre également, pendant ces moments, la philosophie et ait été complétement séduit considérant cette découverte comme une bénédiction ; en témoigne ces propos de Attali« C’est une révélation. Ce sera son domaine. C’est là qu’il se sent mieux. Il ne le quittera jamais plus ».26Nous comprenons d’ailleurs ce choix fait sur la philosophie si nous remontons plus loin sur la réponse qu’il avait donnée lors de l’interrogation écrite au lycée pourtant sur le thème « Méditation d’un adolescent devant le choix d’une profession ». En effet, il avait formulé sa réponse comme suit : « L’idée maitresse qui doit nous guider dans le choix d’une profession, c’est le bien de l’humanité et notre propre accomplissement»27 .Bref, il faisait de la philosophie un moyen au service de l’humanité et les persécutions qu’a subi son père par rapport aux lois antijuives prussiennes, l’obligeant à choisir entre sa profession et sa religion ont conduit notre jeune penseur à avoir un regard suspect vis-à-vis de la religion. Sous l’influence des jeunes hégéliens, ses soupçons se transformeront en une véritable critique, qui débouchera sur un rejet total de la religion.

L’essence fausse ou théologique de la religion

   En élaborant une perspective nouvelle dans le champ de la religion, Feuerbach se propose avant tout de réexaminer dans les détails la religion chrétienne pour en saisir le sens véritable. En effet, soutient-il, dans la religion chrétienne, l’individu se soumet à un être supérieur, transcendant possédant les qualités d’omniscience, d’omnipotence etc. ; et à qui il doit une soumission absolue sans restriction aucune. La croyance implique une obéissance absolue, une soumission sans équivoque et une entière adhésion aux préceptes établis ; dans le but de recevoir la miséricorde divine. En croyant en Dieu l’individu perd sa puissance, sa souveraineté absolue, son autorité et sa domination. Face à Dieu, le pouvoir de l’homme et sa domination sur terre n’est qu’illusion et vanité. En se soumettant à Dieu, l’homme se rend compte qu’il est le produit d’un tout dont il n’est qu’une portion misérable. Devant Dieu, l’homme prend conscience qu’il est un mortel et qu’il n’existe que de façon conditionnelle. Il comprend alors qu’il doit son existence et sa survie à Dieu. « La religion lie à ses doctrines la malédiction et la bénédiction, la damnation et la félicité. Heureux, celui qui croit ; malheureux, damné, perdu celui qui ne croit point en elle ». Pour Feuerbach, le christianisme est une religion trop exigeante, elle refuse toute impartialité : ce « qui n’est pas pour moi est contre moi ». La religion chrétienne impose aux croyants un ensemble de dogmes à respecter et à observer scrupuleusement pour éviter la punition et le châtiment du divin. C’est pourquoi, Feuerbach la considère comme une religion de terreur et de souffrance. Mieux l’individu adhère à la religion par crainte et non par volonté et liberté: « Elle ne s’en tient pas au point de vue théorique ; autrement elle devrait avoir la liberté d’exprimer ses doctrines, sans y lier les conséquences pratiques, sans dans une certaine mesure imposer l’obligation d’y croire. Car si les choses sont telles que je suis damné, si je ne crois pas, il y a là une subtile contrainte qui force ma conscience à croire ; c’est la crainte de l’enfer qui me force à croire »60. Dès lors, nous comprenons avec Feuerbach que c’est en termes de peur et de crainte que l’homme se soumet à Dieu. Dans la religion chrétienne l’homme est fondamentalement un être dégradé, fini et impuissant. Tourmenté par les questions relatives à la mort, il cherche dans ce que Feuerbach appelle la « fantaisie religieuse », un remède à ses maux. En ce sens, il espère avoir une vie meilleure dans l’au-delà : « la mort nous prend cette vie, mais la fantaisie la rétablit ». Feuerbach poursuit en montrant que « l’autre monde n’est autre chose que le monde des sens, que l’univers réel devenu monde de la fantaisie, et c’est la mort seulement qui en ouvre les portes ». L’au-delà est pour Feuerbach, le produit d’une conscience dégradée qui n’arrive pas à se réaliser dans cette vie. La question de la mort ne devrait pas selon Feuerbach constituer chez les hommes une raison valable pour se réfugier derrière la religion. Au contraire elle devait enrichir la vie humaine. La mort doit inciter l’homme à dépasser ses limites individuelles : « ce n’est qu’à partir du moment où la conscience de l’homme est liée à la finitude de son être qu’il consent à se sacrifier pour l’infini de la Raison ». En prenant conscience de sa finitude, l’homme se rapporte au genre radicalement infini qui est la somme de toutes les perfections humaines de toutes les réalités. En vérité, d’après Feuerbach, l’absurdité a commencé à gagner du terrain dans la conscience humaine quand les hommes se sont résolus à trouver dans l’au-delà l’origine de la vie d’ici-bas. Selon Feuerbach, l’au-delà n’est que pur spéculation car il n’y a rien dans cette vie qui pourrait justifier son existence. C’est pourquoi, il serait absurde voire contradictoire de réduire le sensible, le réel, le matériel, bref, toute la nature à ce qui est du domaine de l’abstrait, de l’immatériel, de l’irréel. L’homme est un pur produit de la nature : « c’est au cœur de la nature que sa pensée se taille des chemins. Elle en porte les traces indélébiles ».

L’essence vraie ou anthropologique de la religion

   Feuerbach a divisé son ouvrage en l’occurrence Essence du christianisme en deux grandes parties. La première intitulée l’essence véritable ou anthropologique de la religion, cherche la vérité inhérente au fait religieux et essaie de construire à partir de celle-ci une religion authentique qui reconnait la valeur et la suprématie de l’homme. La seconde intitulée l’essence fausse ou théologique de la religion montre, comme dans ce qui précède, le caractère illusoire de la religion en faisant ressortir l’incompatibilité dirimante qui existe entre la religion et la théologie. Selon Feuerbach, l’essence vraie ou authentique de la religion doit avoir un fondement anthropologique. Pour lui, la religion chrétienne porte sur des dogmes et des préjugés qui, par essence, ne doivent avoir aucun rapport avec la croyance. En analysant les contradictions inhérentes à la théologie, Feuerbach montre que les attributs divins à savoir : bonté, miséricorde, sainteté, etc., ne sont rien d’autre que l’objectivation des qualités humaines: « L’Homme est l’origine de la religion, l’Homme est le centre de la religion, l’Homme est la fin de la religion.» Pour Feuerbach, la religion n’est pas une simple soumission à un être extérieur et transcendant qui serait le Créateur, l’Etre suprême etc. ; elle est, au contraire, l’expression de la souveraineté et de la divinité humaine. Dans la religion chrétienne, l’homme s’aliène en Dieu et perd toutes les qualités qui le déterminent au profit de cet être là. Mieux, l’individu se rabaisse pour élever et manifester la puissance et la suprématie du divin. Pour que Dieu s’enrichisse, l’homme devra s’appauvrir. Mais précise Feuerbach, c’est de façon inconsciente que l’homme transpose en Dieu toutes ses qualités et ses perfections en les considérants comme des attributs divins, inaccessibles à l’homme. Il a fallu d’ailleurs, déprécier et renoncer à ses propres qualités, pour arriver à élever et à apprécier les qualités et les valeurs divines qui ne sont en réalité, comme le dit Feuerbach, que des propres qualités humaines. « Dans la religion, l’homme se sépare de lui-même mais seulement pour toujours revenir au point d’où il est parti. L’homme ne se nie que pour se poser, mais il est vrai, sous une forme désormais glorifiée. Aussi blâme-t-il l’ici-bas mais uniquement afin de la poser finalement à nouveau comme au-delà. L’au-delà est l’ici-bas perdu, mais retrouvé et brillant d’autant plus clairement de la joie des retrouvailles. L’homme religieux renonce aux joies célestes, ou plutôt il renonce parce qu’il est déjà en possession, spirituelle du moins des joies célestes. Ces derniers sont identiques à celle-ci, étant simplement libérées des limites et des désagréments de cette vie. » Toutefois, il est néanmoins important de souligner qu’en dépit de sa dimension aliénante la religion est en fait une étape importante sinon nécessaire pour le développement de la conscience humaine. En faisant de son essence l’objet de sa propre réflexion allant jusqu’à se représenter un Etre tout-puissant, identique à soi et possédant toutes les déterminations louables telles que la perfection, l’omniscience, l’omnipotence ; l’individu franchit un cap important et marque sa grandeur et sa suprématie sur les autres êtres vivant en mettant en valeur ce qui lui distingue de l’animal à savoir l’intuition, la conscience, le sentiment : « sans la religion, sans l’adoration d’un Dieu extérieur, l’homme n’aurait eu qu’une conscience enveloppée, obscure, analogue à celle de l’animal, car « la conscience n’existe dans le sens vrai que chez un être qui peut faire de son essence, de son espèce, l’objet de sa pensée ». Cette étape est fondamentale et nécessaire en ce sens qu’elle prépare l’homme à un retour imminent sur soi ; mieux à une prise de conscience de soi. En effet comme dans la dialectique, la conscience n’est certaine de soi-même que si elle arrive à dépasser les contradictions. Cela veut dire, que lorsqu’elle triomphe dans la lutte pour la reconnaissance ; une lutte qui lui permettra de se définir et de se distinguer par rapport à l’autre c’est-à-dire, l’existant ou l’être qui lui est totalement différent. La démarche dialectique permet de mesurer l’importance de l’être extérieur en ce sens qu’il rend possible la transition ultime pour la reconnaissance de soi. C’est en rompant avec soi-même que l’individu peut arriver à élever et prendre conscience de cet être autre. Cette prise de conscience suit nécessairement un retour sur soi qui se traduira finalement par une prise de conscience de soi, de sa particularité. Donc il a fallu d’abord se dédoubler en quelque sorte c’est-à-dire pratiquement se perdre pour ensuite se retrouver. Cependant, « l’aliénation doit cesser un jour. Après le mouvement de systole religieuse, par lequel l’homme s’est rejeté luimême, il faut maintenant, par un mouvement de diastole, « reprendre dans son cœur cet être qu’il avait rejeté ». L’heure vient enfin de sonner pour lui d’exorciser le fantôme. La réflexion prend la suite de l’élan spontané. Le règne de l’homme est arrivé. ».Avec Feuerbach, on dira alors qu’il est venu le moment où l’homme s’émancipe de la tutelle de la religion pour opérer un retour sur soi afin de prendre conscience de sa suprématie et de sa grandeur et comprendre en fin, qu’en se soumettant à Dieu, il ne se soumet qu’à lui-même. Feuerbach s’est donné pour projet de reconstituer la religion et pour cela, il prend son point de départ dans la « résolution de la théologie en anthropologie ». Longtemps aveuglés par fausse croyance, il faut alors guider les hommes vers la bonne voie de la sainteté et pour ce faire, Feuerbach propose l’anthropologie à la place de la théologie. En effet l’anthropologie est selon lui, la vérité obtenue par le renversement de la théologie. Cela veut dire que contrairement à la théologie qui s’élève au-dessus de l’homme pour chercher Dieu, cet être transcendant ; l’anthropologie fixe son regard sur l’homme et trouve ce dernier, en son genre, la divinité suprême. Elle est dès lors « restauration de l’essence humaine perdu dans l’aliénation ».Elle débarrasse l’homme de la tyrannie du mystère religieux « elle détruit plutôt l’illusion en tant que mystère surnaturel particulier, elle critique le dogme et le réduit à ses éléments naturels innés à l’homme »86 et fonde une nouvelle religion qui débouche sur un humanisme : « c’est pourquoi l’anthropologie, vérité renversée de la théologie, ne débouche pas sur le néant et le vide critiques, mais sur la promotion exprimée d’une nouvelle religion, celle de l’homme qui est bien humanisme, dans la mesure où l’on peut appeler humanisme, toute doctrine de l’homme qui affirme à des fins pratiques sa valeur ».

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Table des matières

INTRODUCTION
PREMIERE PARTIE : DE LA CRITIQUE DU CIEL
CHAPITRE I : Origine de la critique feuerbachienne et marxienne de la religion
1. Le milieu social
2. Le milieu intellectuel
CHAPITRE 2 : De la critique feuerbachienne de la religion
1. L’essence fausse ou théologique de la religion
2. L’essence vraie ou anthropologique de la religion
3. L’anthropocentrisme feuerbachien
DEUXIEME PARTIE : DE LA CRITIQUE DE LA TERRE
CHAPITRE 1 : De la critique de la religion avant le marxisme
1. Pour une ébauche de la critique de la religion
2. Progression de la critique marxienne de la religion
1. Le fétichisme de la marchandise
2. De la fonction sociale de la religion dans le marxisme
A. De la fonction de domination de la religion
B. La fonction de contestation de la religion
Conclusion
Bibliographie

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