L’Herpèsvirus Humain 8 (HHV-8)
Découverte et historique du virus HHV-8
La maladie de Kaposi (KS) fut d’abord décrite en 1872 par le médecin Hongrois Moritz Kaposi, comme un néoplasme atypique de la peau (Idiopathic multiple pigmented sarcoma) chez des hommes âgés d’origine méditerranéenne. Dans les années 50, bien que moins de 500 cas n’aient été répertoriés en Europe et en Amérique, le KS représentait déjà 9% de tous les cancers existant en Afrique Equatoriale. L’incidence de cette pathologie augmenta de façon drastique dans les années 80 avec l’arrivée du virus de l’immunodéficience humaine (VIH) dans des populations de jeunes hommes ayant des relations sexuelles avec des hommes (HSH) de New-York et de Los Angeles, devenant alors l’un des principaux indicateurs de la pandémie dévastatrice du VIH. L’origine de ce cancer qui s’étendait majoritairement au sein de ces populations HSH demeurait inconnue. C’est sur la base de rapports cliniques et épidémiologiques que l’implication d’un nouvel agent infectieux, sexuellement transmissible et indépendant du VIH, fut suggérée. C’est finalement en 1994 qu’une équipe de scientifiques de l’Université de Columbia à New-York pu identifier dans des biopsies de lésions de KS de patients atteints du VIH, des fragments d’ADN d’un nouvel herpèsvirus humain, le Kaposi sarcoma associated herpesvirus (KSHV) ou human herpesvirus 8 (HHV-8) (1–4). Depuis la découverte de son implication dans la pathogénèse de la maladie de Kaposi, le virus HHV-8 a été associé à diverses pathologies lymphoprolifératives à cellules B. Le lymphome primitif des séreuses (PEL) et la maladie de Castleman multicentrique (MCD) en sont les principales entités cliniques, mais on le retrouve également impliqué dans des lymphomes à larges cellules B, des syndromes lymphoprolifératifs germinotropes et autres troubles lymphoïdes prolifératifs (5,6). Il a été associé plus récemment à un syndrome très inflammatoire appelé KICS (KSHV inflammatory cytokine syndrome) (7). De nombreuses investigations réalisées ultérieurement ont permis de mettre en évidence les propriétés oncogéniques du virus, le plaçant ainsi comme un agent infectieux cancérogène de classe I par le Centre international de recherche sur le Cancer (1).
Structure et génome du virus
Le virus HHV-8 est le 8ème membre de la famille des Herpesviridae et appartient à la sous-famille des -herpesvirus, au sein duquel son principal homologue humain est l’EBV (Epstein Barr virus) (8).
Tout comme les autres membres de la famille des herpèsvirus, le virus HHV-8 est formé d’un long ADN bicaténaire, entouré d’une capside icosaédrique et d’une enveloppe dérivant des membranes nucléaires et intracytoplasmiques. L’ensemble constitue la particule virale ou virion.
Son ADN double-brin, d’une taille d’environ 165-175 kpb, se présente dans la cellule soit sous forme épisomale (en phase de latence) soit sous forme linéaire (en phase lytique). L’organisation génomique du virus HHV-8 est similaire à celle de l’EBV, avec une région appelée long unique region (LUR) d’environ 140 kpb qui contient 90 gènes/ORFs (Open reading frame) codant pour les différentes protéines du virus, ainsi que 25 mi-ARNs (microARNs). S’il partage une grande partie de ses gènes (66 ORFs) avec les autres herpèsvirus, le virus HHV-8 possède 15 gènes qui lui sont propres (désignés avec le préfixe « K » : ORF K1 à K15), lesquels jouent de multiples fonctions dans l’infection virale. De plus, parmi les 90 ORFs du virus HHV-8, certaines (au moins 14) codent pour des gènes homologues de gènes cellulaires (incluant v-IL-6, v-BCL-2, v-FLIP, v-Cycline), qui interviennent dans divers processus oncogéniques de l’HHV-8, tels que la régulation du cycle cellulaire, l’inhibition de l’apoptose ou encore la prolifération cellulaire (2,3,6,9).
Cycle viral du virus HHV-8 : phase de latence et phase lytique
Comme la plupart des autres membres de la famille des herpèsvirus, le virus HHV-8 présente deux modes d’infections distinctes qui se différencient par des profils d’expression génique complexes mais caractéristiques : une infection latente qui représente son mode d’infection par défaut, et des épisodes de réactivations lytiques conduisant à la production de particules infectieuses et à la mort de la cellule hôte. Dans la grande majorité des cellules tumorales du KS, PEL ou MCD, le virus HHV-8 est retrouvé dans un état de latence persistant qui lui permet d’avoir une durée de vie chez l’hôte très importante et indique le rôle essentiel des protéines virales de latence dans le développement de ces tumeurs. Cependant, une petite proportion des cellules hôtes infectées subit des réactivations virales lytiques spontanées (< 3% chez les cellules KS, <1% chez le PEL, 10-15% chez la MCD), résultant en l’expression des protéines virales lytiques et à la production de virions. Bien que plus rarement exprimées, ces protéines virales lytiques contribuent également, au travers de mécanismes très différents de ceux empruntés par les protéines de latence, à la pathogénèse des cancers associés à l’HHV-8 (2,3,8,10). Le rôle de ces protéines virales et les mécanismes sous-jacents à la pathogénèse des cancers associés à l’HHV-8 seront détaillés dans la partie « Mécanismes impliqués dans la pathogénèse induite par le virus HHV-8 ».
Phase de latence
En état de latence, l’épisome viral se présente sous la forme d’un minichromosome circulaire (épisome) non-intégré dans le noyau et attaché aux chromosomes de la cellule hôte, qui se réplique lors de chaque division cellulaire pour être distribué dans chacune des cellules filles. Il s’agit d’une réplication non productive n’aboutissant ni à la production de virions infectieux ni à la lyse de la cellule hôte (2). Durant cette phase, seuls quelques gènes sont exprimés, incluant les gènes de latence LANA (Latency-associated nuclear antigen), v-Cycline et v-FLIP (Viral Fas-associated with death domain (FADD)–like interleukin-1β–converting enzyme (FLICE)/caspase 8 inhibitory protein), suffisants pour ce mode de réplication. Ce nombre restreint de protéines virales latentes lui permet d’échapper au système immunitaire, tout en assurant le maintien du génome dans les cellules en division, aboutissant à une infection latente persistante. Un autre mécanisme mis en place par le virus pour maintenir la latence est la suppression ou l’atténuation de l’expression des gènes viraux lytiques (11). C’est le cas tout particulièrement du gène lytique RTA (Replication and transcription activator, molécule transactivatrice de la phase lytique), dont l’expression est inhibée par le gène LANA en se fixant sur son promoteur. Ces protéines de latence vont également pouvoir moduler divers oncogéniques, comme la prolifération, la différenciation et la survie cellulaire, permettant la transformation et l’immortalisation de la cellule, et ainsi induire les diverses caractéristiques phénotypiques tumorales que l’on observe dans les cancers associés au virus HHV-8 (10,12–15).
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Table des matières
INTRODUCTION
1 L’HERPESVIRUS HUMAIN 8 (HHV-8)
1.1 DECOUVERTE ET HISTORIQUE DU VIRUS HHV-8
1.2 STRUCTURE ET GENOME DU VIRUS
1.3 CYCLE VIRAL DU VIRUS HHV-8 : PHASE DE LATENCE ET PHASE LYTIQUE
1.3.1 Phase de latence
1.3.2 Phase lytique
1.4 ENTREE DU VIRUS, REPLICATION ET PRODUCTION DE PARTICULES INFECTIEUSES
1.5 CELLULES HOTES ET TROPISME CELLULAIRE
1.6 MODELES D’ETUDE IN VITRO
1.7 MODELES ANIMAUX
2 EPIDEMIOLOGIE ET PATHOLOGIES ASSOCIEES AU VIRUS HHV-8
2.1 DISTRIBUTION GEOGRAPHIQUE ET MODES DE TRANSMISSION DU VIRUS HHV-8
2.2 LES PRINCIPALES PATHOLOGIES ASSOCIEES AU VIRUS HHV-8
2.2.1 La maladie de Kaposi (KS)
2.2.2 Le lymphome primitif des séreuses (PEL)
2.2.3 La maladie de Castleman multicentrique associée au virus HHV-8
2.2.4 KSHV inflammatory cytokine syndrome (KICS)
2.3 FACTEURS DE RISQUES ASSOCIES A L’INFECTION PAR LE VIRUS HHV-8
2.3.1 Altération du système immunitaire et VIH
2.3.2 Risques de transmission du virus HHV-8
3 MECANISMES IMPLIQUES DANS LA PATHOGENESE INDUITE PAR LE VIRUS HHV-8
3.1 LE CARACTERE ONCOGENIQUE DU VIRUS HHV-8
3.2 LES MECANISMES DE L’ONCOGENESE VIRALE
3.2.1 Les protéines de latence
3.2.2 Les protéines lytiques
3.2.3 Interaction entre expression génique virale latente et lytique
4 DIAGNOSTIC ET STRATEGIES THERAPEUTIQUES DES CANCERS ASSOCIES A L’HHV-8
4.1 MALADIE DE KAPOSI
4.1.1 Diagnostic
4.1.2 Stratégies thérapeutiques
4.2 MALADIE DE CASTLEMAN MULTICENTRIQUE ASSOCIEE A L’HHV-8
4.2.1 Diagnostic
4.2.2 Stratégies thérapeutiques
4.3 LYMPHOME PRIMITIF DES SEREUSES
4.3.1 Diagnostic
4.3.2 Stratégies thérapeutiques
5 L’INDUCTION DE LA MORT CELLULAIRE PAR APOPTOSE : UNE STRATEGIE ANTI-TUMORALE
5.1 LE VIRUS HHV-8 ET L’APOPTOSE
5.1.1 Apoptose et cancer
5.1.2 Le virus HHV-8 et l’inhibition de l’apoptose
5.2 LE VIRUS HHV-8 ET LES DERIVES OXYGENES (ROS)
5.2.1 ROS et cancer
5.2.2 ROS et antioxydants : stratégies thérapeutiques anti-tumorales
5.2.3 HHV-8, ROS et stress oxydatif
OBJECTIFS DE LA THESE
RÉSULTATS
ARTICLE
CONCLUSION