L’héroïne sandienne : représentation de la femme en quête de liberté
portrait double de l’héroïne sandienne
Affirmer que l’héroïne sandienne est double paraît à première vue une idée réductrice du travail accompli par l’auteur sur le caractère de ses personnages romanesques féminins. Pourtant, il semblerait qu’aux vues de notre corpus, nous pouvons établir certains rapprochements qui nous amènent à penser l’héroïne de George Sand selon deux portraits très différents, si ce n’est opposés. Il nous paraît évident de mettre en avant l’identité sexuelle du héros, qui, dans les quatre œuvres choisies, est une femme. L’idée que l’écrivain préférait mettre en scène une femme plutôt qu’un homme est renforcée par le nombre considérable de romans et nouvelles dont le titre est celui de l’héroïne même, et dont l’histoire est centrée autour de ce personnage féminin, autour duquel gravitent nombre de personnages secondaires et où l’homme n’apparaît qu’en relation avec cette héroïne. Ainsi, nous pouvons citer la première œuvre éponyme, Valentine, écrit en 1831, mais c’est avec Indiana en 1832 que George Sand sera connue et reconnue en tant qu’écrivain. Par la suite s’enchaîneront un grand nombre d’œuvres au titre évocateur et sans équivoque, où le prénom des héroïnes ne laisse aucun doute sur la volonté de l’auteur à vouloir placer la femme au centre de l’histoire maiségalement de l’Histoire. En effet, nous comptons pas moins de vingt-deux productions littéraires, romans et nouvelles confondus, dont le titre n’est autre que le prénom de l’héroïne, telles que Léliaen 1833, Laviniaet Métellaen 1833, Consueloen 1843, Jeanneen 1844, Flavieen 1866 et le dernier roman éponyme avant sa mort, Marianneécrit en 1876.
Toute sa vie et tout au long de sa carrière d’écrivain, George Sand n’a cessé de créer des œuvres en accord avec ses idées de femme libre et ses idéaux sur la place de la femme dans la société, et il n’est pas étonnant de constater l’importance des romans et nouvelles portant le nom d’une femme. Enfin,il ne faudrait pas omettre les œuvres dont le titre est une périphrase pour désigner l’héroïne : La Marquiseen 1834, La Comtesse de Rudolstadt et La sœur cadette en 1843 ou bien La Filleuleen 1853. Mais d’où vient cette volonté de présenter la femme comme noyau central du roman, celle par qui l’histoire s’écrit ? Nous serions immédiatement tentés d’y voir une sorte de révolution de la part de l’auteur, une révolution que nous appèlerions à postériori « féministe », au regard de la vie et des combats menés par George Sand pour une plus grande liberté de la femme dans la société du XIX° siècle.
Nous parlons de « portraits d’héroïnes » car il s’avère que Sand décrit ses personnages féminins à la manière du peintre esquissant un portrait. Simone Vierne, dans son livre intitulé George Sand, la femme qui écrivait la nuit, développe l’idée selon laquelle l’auteur « peint des types, au sens picturaldu terme[…] Un type ne décalque pas la réalité, il désigne une catégorie générale[…] Car George Sand, comme tous les romantiques,pense que la littérature a une mission, philosophique au sens large, morale, sociale, politique, en somme qu’elle doit exprimer une conception du monde. » Ainsi, le but de Sand est de « peindre » des femmes, idéales ou non selon les critères de cette « féministe » avant l’heure, mais toutes représentatives d’une société contemporaine de l’écrivain, société dans laquelle le rôle dévolu à la femme lui impose des limites qu’elle-même dépasse et dont elle tente de démontrer l’injustice dans le domaine sexuel notamment. Le narrateur initial de La Marquise, connu comme le « cher enfant », et à qui Sand prête sa voix, est présenté lui-même comme un « peintre » puisqu’il utilise lui-même le terme lorsqu’il explique la difficulté à « bien peindre » la société. George Sand établit ainsi, grâce à la littérature, des situations dans lesquelles la femme se voit confrontée à l’inégalité des sexes, reflet d’un quotidien subit par l’auteur elle-même. Mais la littérature lui permet en outre de pouvoir « jouer » avec la vie de ses héroïnes, d’avoir la possibilité de les faire évoluer, de dépasser les limites imposées par la société et incomprises de George Sand, elle qui, étant femme avant d’être écrivain, combattait les préjugés sexuels de son époque aux côtés des saint-simoniens, fervents défenseurs des droits de la femme durant les années 1830. Il apparaît également que la littérature, moyen pour George Sand d’exprimer des opinions et de développer des idéaux sur la place de la femme, est également un outil de libération et de démarcation sociale pour ses héroïnes. Mais il nous faut avant tout étudier les différentes entités féminines qui s’offrent à nous dans les œuvres avant de pouvoir analyser le rôle de l’art dans le dépassement des conformités sociales. Comme nous le disions plus haut, une division entre les héroïnes de notre corpus apparaît clairement.
Nous nous trouvons en effet devant deux cas de figure, ou ce que l’on pourrait appeler une double identité féminine.
Dans deux des œuvres, Sand dépeint le portrait « type » de ce que l’on nommera la « femme travailleuse ». En effet, dans Pauline (1852) comme dans Nanon (1872), l’héroïne vit en province, loin de toutes mondanités parisiennes.Pour Nanon, la vie est d’autant plus éloignée de la société parisienne qu’elle est une paysanne vivant à la campagne et se trouve être « parmi les plus pauvres paysans de la paroisse » . L’environnement est décrit comme plus propice à une vie de labeur centrée autour d’un travail quotidien et routinier qu’à une possible élévation sociale pour la femme. Dès son plus jeune âge, Nanon est éduquée à servir les hommes.
Dualité d’un monde face à l’émergence de l’art et des idées « féministes »
L’opposition de caractère des personnages n’est qu’une partie de la dualité à l’œuvre dans les œuvres de Sand. Le milieu dans lequel intervient l’art a une incidence fondamentale dans la perception qu’ont les personnages de celui-ci. Le milieu social dans lequel évoluent les personnages forge des caractères différents, voire opposés, et donc plus ou moins réceptifs face à la découverte nouvelle de l’art sous toutes ses formes. « A l’intérieur du contexte social et culturel du XIX, le roman français a fait jouer un rôle primordial à la province, zone intermédiaire entre Paris et la campagne, qui fut très vite assimilée à un lieu originaire » explique Nicole Mozet. Elle ajoute plus loin : « Il fallait donc s’en séparer pour devenir adulte. Derrière cette métaphore, il est clair que le modèle de référence est celui du jeune homme allant à Paris pour poursuivre ces études ou faire fortune, abandonnant les premières femmes de sa vie (sa mère et ses sœurs, sa maîtresse : Rastignac, Julien Sorel). Réalité et fantasme se rejoignent dans le fantasme pour sexualiser l’espace géographique : province et féminité sont confondues dans une même atmosphère d’ennui, de naïveté, de passivité et d’attente. La province, synonyme de petite ville, n’existe qu’au négatif, comme l’opposé de la sphère parisienne. »
Le lecteur voit ainsi se profiler deux espaces opposés dans lesquels l’apparition de l’art va être abordée de manières différentes.
L’espace social le plus à même d’accueillir différentes formes d’expression artistique est sans nul doute la ville, et plus particulièrement Paris et sa vie mondaine, et nous citerons Mme d’Ancourt dans Antonia pour preuve.
La femme-artiste : un idéalisme sandien?
La parution de La Marquiseen 1832 marque l’entrée de Sand dans la littérature, et c’est avec cette nouvelle qu’elle utilise pour la première fois le prénom Georges avec un « s », écriture qu’elle utilisera durant une courte période. Se revendique t-elle écrivain, asexuée, seulement comprise de par sa fonction d’artiste et non déterminée selon son sexe ? En tous les cas, ce n’est pas un hasard si George Sand, celle qui refusait à être décrite comme une « femme-artiste », en quête d’identité artistique et sexuelle dans la vie, crée un personnage à son image, c’est-à-dire une femme elle même artiste et en quête d’identité. L’écrivain souligna dans son œuvre autobiographique que : la femme sera toujours plus artiste et plus poète dans la vie, l’homme sera toujours plus dans son œuvre.
La nouvelle La Marquise est conçue comme un dialogue entre une femme riche et un jeune homme, tous deux conteurs de l’histoire.
La nouvelle s’ouvre sur le récit du jeune homme dévoilant au lecteur le personnage de la Marquise, mais la plus grande partie de la nouvelle réside dans le monologue de cette dernière, qui a décidé de « dire toute son histoire » au premier narrateur. Dans la totalité de l’œuvre, George Sand nous transporte dans un univers artistique, celui du théâtre. Mais ce n’est pas tout, puisqu’au-delà de l’histoire qui nous est contée, c’est la vision d’une création littéraire qui nous est proposée, la création d’un conte laissant place à un texte écrit.
La marquise peut être considérée comme une véritable conteuse, et l’on serait tenter d’y voir une figure double de la grand-mère de George Sand, elle-même conteuse et dont l’écrivain rassembla les nombreuses histoires dans un même ouvrage.
La marquise est également l’écrivain de sa propre vie, celle par qui le récit crée l’histoire, tout comme Nanon. En effet, le roman s’ouvre sur cette déclaration du personnage qui dit « entreprendre, dans un âge avancé, en 1850, d’écrire l’histoire de [sa] jeunesse. » Dans ces deux œuvres, le récit est écrit à la première personne du singulier, un « je » qui renforce l’aspect autobiographique de l’histoire. De plus, l’immersion dans la littérature est totale puisque les héroïnes font appel à des références littéraires dans leurs récits, et cette intertextualité nous montre l’importance de l’art écrit dans la vie des femmes et dans la vie de G. Sand. Ainsi, nous pouvons relever dans La Marquise une référence à la mythologie grecque avec l’évocation de « Charybde et Scylla» que la narratrice emploi dans l’expression « tombée de Charybde en Scylla » lorsqu’elle évoque sa vie amoureuse entre un mari la laissant veuve et un amant « sans aucune qualité énergique ou séduisante » . La scène finale entre les deux amants renforce l’idée d’un art omniprésent, puisqu’elle s’apparente à une scène de théâtre,et répond à la volonté de Sand de faire de l’art une part importante de la vie de ces personnages, au point de faire de leur vie un art.On retrouve en effet le costume de théâtre de Lélio, « qu’il n’avait pas pris le temps d’ôter », ses paroles qui surpassent celles de Racine car « jamais le tendre Racine ne fit parler l’amour aveccette conviction, cette poésie et cette force. »
Enfin, la scène prend fin lorsque « l’intendant automate de ce séjour clandestin frappa trois coups en dehors pour avertir [la marquise] ».
L’art ou la promesse d’une liberté nouvelle
L’éducation : principe fondamental à l’indépendance
Il nous paraît naturel d’étudier la place faite à l’éducation des femmes dans les œuvres avant d’analyser la place accordée à l’art et son incidence dans la vie de nosprotagonistes. « Le problème de l’éducation se formule à plusieurs reprises, et en particulier s’agissant de l’instruction de celles qui en sont totalement privées, les paysannes, et par extension, dans une vue plus politique, de ce « peuple-enfant » qu’on maintientdans l’ignorance, comme on le fait pour les femmes. » Il s’avère en effet que les personnages masculins de nos œuvres sont tous éduqués, scolairement et artistiquement, et sont ainsi plus à même d’enseigner aux héroïnes, à l’exemple de Julien Thierry dans Antonia:
Il avait reçu une assez belle éducation, et, tout en étudiant son art assidûment, il avait beaucoup lu ; mais, porté par l’enthousiasme austère, il n’abandonnait pas son goût à tous les sujets et son plaisir à tous les genres.
Nanon, petite paysanne sans éducation, va apprendre à lire grâce à Émilien de Franqueville, fils d’unenoble famille et envoyé par ses parents en province auprès des moines. Sand a créé dans Nanon un personnage féminin dont la volonté d’être instruite est centrale.
Ainsi, lorsque Nanon rencontre Émilien, c’est elle qui sera à l’origine de leur accord : il lui servira de professeur, ce qui lui permettra de s’instruire également. Nanon, qui, de par sa condition de paysanne, n’a pas eu accès à l’éducation, ne comprend pas qu’Émilien ne soit pas plus motivé pour s’instruire, lui qui en a la possibilité.
Un art multiple à l’origine de diverses formes d’émancipation
A travers l’ensemble de nos œuvres, nous pouvons constater plusieurs formes d’expression artistique qui jalonnent les textes et qui caractérisent certains des personnages romanesques.
Ainsi, nous découvrons en la personne de Julien Thierry un peintre accompli, dont le père était lui-même un peintre reconnu, ce qui offre une légitimité d’autant plus importante à la carrière de son fils.
Cette passion, qui représente bien plus puisque c’est un véritable métier qui lui permet de vivre, lui permet également de rencontrer Julie d’Estrelle et de la charmer. Mais son art aura de plus grandes répercussions pour l’héroïne, car celle-ci se découvre une passion amoureuse et artistique et choisit de franchir les barrières sociales en épousant l’homme qu’elle aime, bien qu’il fasse partie d’une condition plus modeste.
La littérature s’avère être également un moyen d’accéder à diverses formes d’émancipation. PourNanon, elle-même source de littérature puisque le roman est présenté comme une autobiographie, l’accès à l’éducation et aux livres lui permet de devenir indépendante financièrement, de pouvoir apprendre à s’occuper par elle-même des biens terrestres qu’elle a acquis. En outre, c’est par l’entremise de la littérature que la relation de Nanon et Émilien évolue en amour, ce qui aura permit à Nanon d’épouser l’héritier d’une noble famille et ainsi franchir elle aussi les barrières sociales. « Le XIXe siècle est le siècle de la lecture, d’abord parce qu’il est celui où toute la population ou presque apprend à lire […]
Un lectorat potentiel nouveau existe qui demande des lectures appropriées. C’est donc tout naturellement durant ces années qu’on commence à écrire pour les différentes classes ouvrières et les femmes ».
L’apprentissage de la lecture et de l’écriture, l’ouverture à la littérature qui se fait en commun permet aux deux jeunes gens de s’unir dans un projet commun, de contracter les mêmes attentes.
Leur relation s’épanouie donc grâce et au travers de la littérature.
Portrait ambivalent de la femme indépendante
Au cours de sa vie d’écrivain, George Sand s’est appliquée à créer des héroïnes en accord avec ses convictions de femme libre, et peut être créait t-elle d’une certaine manière des personnages ressenties comme un double d’elle-même, voire un modèle idéalisé de la femme accomplie. Les personnages de Julie et de Nanon apparaissent comme les deux héroïnes les plus proches du statut de femmes émancipées. En effet, toutes deux accèdent à l’éducation et à l’art grâce à l’homme, mais accèdent également à une certaine liberté (financière et amoureuse pour Nanon, sociale et amoureuse pour Julie) mais il semblerait que l’émancipation ne dépasse pas certaines convenances puisque le mariage est de rigueur dans ces deux romans. Peut-on alors parler de liberté totale quand il est évident que les critères sociaux en ce qui concerne la vie conjugale ne peuvent être dépassés, contrairement à la vision qu’en avait George Sand ?
Écrit en 1872, Nanon« restera la dernière grande œuvre romanesque » de George Sand. Ce roman est « à la fois un conte de fées et une idylle pastorale dans le goût du XVIII° siècle » et le « triangle de l’amour, de la vertu et de la nature dans lequel s’inscrit Nanon descend en droite ligne de La Nouvelle Héloïse».
Ce roman nous apparaît comme l’accomplissement littéraire de l’auteur, une œuvre dans laquelle l’héroïne n’est autre que l’image idéale de la femme, un personnage qui a su bouleverser les barrières sociales en devenant propriétaire d’un bien terrestre, mais également les barrières sociales puisqu’elle se marie à l’héritier d’une famille bourgeoise, elle-même n’étant que paysanne.
L’apprentissage de la lecture et del’écriture aura permit à Nanon de devenir financièrement indépendante et son bonheur futur n’est dû qu’à sa force de caractère. Antonia, roman écrit en 1863, semble construit de la même manière, et peut-être pouvons-nous le comprendre comme l’ébauche de ce que deviendra Nanon, c’est-àdire la mise en place d’une histoireoù le destin de l’héroïne repose sur la découverte de l’amour etde l’art. A l’image des propos progressistes tenus par le personnage principal dans « Histoire de la France sous la dictée de Blaise Bonnin » qui revendique l’importance de l’éducation des paysans, nous retrouvons dans Nanon cette volonté d’une éducation du peuple.
Une émancipation ambiguë
Portrait pessimiste du héros libre
George Sand crée dans ses romans et nouvelles des personnages en quête de liberté et d’indépendance, en particulier les personnages féminins. Nous avons vu précédemment que certaines de nos héroïnes accèdent à différentes formes d’émancipation, grâce à leur éducation, tant scolaire qu’artistique. Pourtant, nous remarquons que les portraits élaborer par l’auteur des héros considérés comme indépendants sont ambivalents, et laissent poindre une note plus pessimiste quant au bonheur ressenti ordinairement en étant libre.
Il est intéressant de constater le rapprochement possible entre le personnage de la marquise de R… et de son auteur. Tout comme son personnage présenté comme l’auteur du récit, tout du moins la conteuse, George Sand est une artiste. Mais tout comme son personnage, ce statut s’accompagne d’une quête d’identité à l’œuvre dans la nouvelle, une quête qui semble perdue d’avance et dont le caractère fataliste n’échappe pas au lecteur. « La question de l’identité est essentielle et tout s’organise autour, à commencer par le titre, qui désigne l’héroïne par son titre et non par son nom. La Marquise de R… n’a pas de nom, elle n’est qu’un « je » qui parle et qui nous raconte sa vie.Elle le raconte au narrateur, qui lui-même n’a pas de nom et dont on sait juste qu’il est de sexe masculin. Ce double anonymat est constitutif de la textualité de La Marquise. »
Cette perte d’identité de la marquise en tant qu’artiste est renforcée par le cas de Lélio, autrement intéressant, en raison de son importance dramatique dans la nouvelle. Ce personnage n’existe pas en tant qu’homme mais en tant que représentation de l’art. Une fois que la femme s’est ouverte à l’art, peut-elle être libre? Nous pouvons en effet nous poser la question au vue du destin de nos héroïnes. Une fois que la Marquise succomba au « charme » des représentations théâtrales, l’écart entre fiction et réalité fut si grand qu’elle ne put être que déçue lorsqu’elle « voit » Lélio pour la première fois : je crus m’être trompée et avoir suivi un autre que lui. Il avait au moins trente-cinq ans ; il était jaune, flétri, usé ; il était mal mis ; il avait l’air commun […] Je ne retrouvais plus rien en lui des charmes qui m’avaient fascinée, pas même son regard si noble, si ardent, si triste. Son œil était morne, éteint, presque stupide […] Ce n’était plus Hippolyte, c’était Lélio […] le dieu s’était fait homme, pas même homme, comédien.
Ce constat, exprimé comme une insulte, vient renforcer les paroles énoncées plus haut lorsque la marquise affirmait que lors des représentations, « Lélio n’existait plus pour [elle] : c’était Rodrigue, c’était Xipharès, c’était Hippolyte. »
L’homme : médiateur entre la femme et l’art
On ne saurait omettre la relation inégale de l’homme et de la femme face à l’accès à l’art et à l’indépendance. En effet, et malgré une volonté toute particulière de mettre en avant la relation privilégiée de la femme avec l’art, celle-ci ne serait être égale à la relation inhérente de l’homme avecl’art. Nous remarquons en effet que la question de la rencontre entre l’homme et une quelconque forme d’expression artistique ne se pose pas puisque les personnages masculins apparaissent d’emblée en lien avec l’art, au point où l’homme est souvent assimilé à la figure de l’artiste. Outre le personnage d’Émilien dans Nanon qui s’instruit en même temps que l’héroïne, les personnages masculins sont à l’origine de la rencontre entre la femme et l’art, et plus avant entre la femme et l’éducation. Ainsi, Marcel Thierry dans Antonia, notaire de profession, est l’exemple même del’homme mis au service de la femme, l’aidant à comprendre ce qui ne lui a pas été enseigné. Cette relation de partage entre l’homme et la femme est reconnue par cette dernière comme une aide précieuse et indispensable
La femme amoureuse ou l’impossible liberté
Un point important réside dans le fait que certaines héroïnes sont amoureuses de l’artiste plus que de l’homme, ce qui empêche un accomplissement total du bonheur qui ne peut résider à la fois dans l’amour de l’art et l’amour de l’homme. L’amour serait alors perçu comme une entrave à une possible émancipation féminine.
Sand était une femme pour qui la conquête de l’indépendance était un but à atteindre et un droit à faire valoir durant une époque où l’autorité politique ne reconnaissait pas la place de la femme dans la société.
« Le premier combat politique de George Sand est celui qu’elle a mené pour conquérir son indépendance. Elle a toujours dénoncé la condition demineures civiles dans laquelle étaient maintenues les femmes mariées, et considérait que s’en affranchir était un préalable à l’exercice de tout droit politique. »
Ainsi, elle écrira que : « La femme étant sous la tutelle et dans la dépendance de l’homme par le mariage, il est absolument impossible qu’elle présente des garanties d’indépendance politique, à moins de briser individuellement et au mépris des lois et des mœurs, cette tutelle que les mœurs et les lois consacrent. […] Il [l’affranchissement] consiste simplement à rendre à la femme les droits civils que le mariage seul lui enlève, que le célibat seul lui conserve; erreur détestable de notre législation qui place en effet la femme dans la dépendance cupide de l’homme, et qui fait du mariage une condition d’éternelle minorité. »
Le mariage est alors considéré comme une entrave à l’indépendance de la femme, et seul comptait la passion amoureuse. Mais même cette passion semble être la cause d’un attachement tel que la femme ne peut finalement pas être libre, prisonnière de ses sentiments. Sand revendique pour les femmes le droit au divorce et à l’égalité civile que le code Napoléon leur refuse. Certaines de ses héroïnes conservent ce trait decaractère, celui de la femme en quête de liberté, pour qui le mariage n’est pas un but en soi, comme nous le constatons à travers le personnage de Laurence. George Sand crée un contraste frappant entre ses idéaux et une réalité pourtant présente, et cela à travers les différents personnages féminins. Ainsi, Julie d’Estrelle, qui a par le passé contracté un mariage de convenances, ne veut plus s’unir à un homme afin de conserver sa liberté, alors que Mme d’Ancourt affirme que cette liberté réside dans le mariage de raison avec un homme âgé afin de pouvoir jouir de sa fortune une fois celui-ci décédé. Une idée renforcée par les paroles d’Antoine, qui, désirant épouser Julie, lui affirme que :
De grosses misères vous attendent si vous dites non, tandis que tout le monde vous saura gré de vous acquitter par un mariage de raison.
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Table des matières
Introduction
I . L’héroïne sandienne : représentation de la femme en quête de liberté
1) portrait double de l’héroïne sandienne
2) dualité d’un monde face à l’émergence de l’art et des idées « féministes »
3) la femme-artiste : un idéalisme sandien?
II. L’art ou la promesse d’une liberténouvelle
1) L’éducation : principe fondamental à l’indépendance
2) Un art multiple à l’origine de diverses formes d’émancipation
3) Portrait ambivalent de la femme indépendante
III. Une émancipation ambiguë
1) portrait pessimiste du héros libre
2) L’homme : médiateur entre la femme etl’art
3) la femme amoureuse ou l’impossible liberté
Conclusion
BIBLIOGRAPHIE
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