L’héritage de la réforme agraire : l’accès aux terres dans les pentes et les aires éloignées

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Des méthodes d’enquête sur terrain adaptées au questionnement de la thèse

Le « terrain » est assimilé à la connaissance empirique, c’est-à-dire à la relation sensorielle du monde (Levy & Lussault, 2013, p. 308). Sans doute, parmi les outils des géographes, le travail de terrain est l’une des sources prééminentes pour aborder le sujet de recherche. Sur le terrain, plusieurs méthodes peuvent être appliquées. Les entretiens, la cartographie participative et les groupes de discussion ont reçu une attention spéciale dans cette recherche.

Des cartes participatives : une cartographie avec les acteurs

La cartographie participative est une méthode de recherche sur le terrain qui a suscité un intérêt considerable au cours des dernières années (Palsky, 2013). C’est une méthode privilégiée pour envisager les perceptions de l’espace. Dans cette recherche, elle a été utilisée principalement comme outil d’investigation pour connaître l’utilisation de l’espace, notamment dans les stratégies productives et de l’accès à la terre et à l’eau d’irrigation. Cette cartographie a été réalisée sur l’ordinateur portable ou parfois à partir de cartes de base construites et imprimées préalablement à cet effet.
Selon le degré de confiance avec les producteurs, je leur ai demandé dans un premier temps de cartographier leurs propriétés et ensuite le paysage environnant. Au-delà des résultats cartographiques de cette technique qui ne cherche pas à être ni fidèle ni objective (Casti, 2000), la démarche de la cartographie participative a été un outil majeur pour parler avec les acteurs locaux sur « leurs » espaces et « leurs stratégies » dans l’espace.
La cartographie participative a été faite avec quatre producteurs dans chaque terrain d’étude. A Nono : Carlos del Hierro, Jorge Tulcán, Xavier Sandoval et Segundo Paillacho ; à Machachi : Segundo Jaguaco, Gloria Tapia, Juan Amado et Carmen Veloz. De plus, Carmen Veloz m’a aidé à faire un parcours sur le terrain d’étude de Machachi pour cartographier les exploitations et l’accès à la terre. D’autre part, sur le terrain d’étude de Nono, j’ai eu l’opportunité de participer à la collecte (à Nono) et à la vente du lait (à Quito) avec la laiterie de Nonolacteos et Elías Tatayo respectivement. Ces expériences sont des méthodes d’observation directe et participative (Berthier, 2000, p. 13). Ces parcours et d’autres éléments du travail de terrain ont été enregistrés sur un portable grâce à l’application gratuite GPS Essentials37. Cette application enregistre des fichiers kmz qui sont convertis en fichiers du SIG (shp) avec l’application MyGeodata Cloud disponible en internet38.

Une armature urbaine diverse, dynamique et connectée

En Equateur comme ailleurs, la croissance démographique s’est concentrée surtout dans les villes ou les aires urbaines. Ces espaces sont très divers en taille, fonctionnalité et interrelations. Les espaces urbains sont constitués par les grandes métropoles, mais aussi des villes intermédiaires et petites qui sont parfois difficiles à distinguer des campagnes. Une première question s’intéresse aux approches méthodologiques pour différencier les villes des campagnes, pour ensuite mesurer la distribution de la population dans deux niveaux de l’armature urbaine qui retient l’attention : les deux grandes métropoles et les villes moyennes et petites. Finalement, l’intérêt est mis sur la connectivité générée par le réseau routier qui lie les villes entre elles et les villes et les campagnes : les réseaux support.

L’urbanisation : le défi de quantification

La quantification de la population urbaine et rurale est un défi méthodologique important. Le critère administratif adopté par l’INEC est insuffisant pour bien différencier les espaces urbains et ruraux. Selon la définition de l’INEC, la population urbaine est celle qui habite dans les capitales des provinces ou les chefs-lieux des cantons49 tandis que la population qui réside dans le reste du territoire est considérée comme rurale. Comme le montre Gondard (2005), cette classification ne tient pas compte de certains espaces dont la structure spatiale ne correspond pas à son niveau administratif. Par exemple, les paroisses périphériques de Quito, où la croissance de la ville des dernières décennies a signifié un fort processus d’urbanisation, sont toujours considérées comme des paroisses rurales (en dehors de la capitale de la province). D’autre part, la création des cantons (cantonización) souvent a été basée sur des facteurs électoraux qui ont établi ce rang aux agglomérations éloignées du concept des villes. Ainsi, dans les secteurs proches des frontières, plusieurs cantons, sans répondre aux critères pour la création des nouvelles unités administratives, ont été institués comme un moyen d’assurer la présence de l’Etat.
Avec d’autres définitions basées sur la taille, certains chefs-lieux de canton ne seraient pas considérés comme urbains. Suivant le seuil généralement accepté de 10 000 habitants pour cerner une ville (Gibbs & Davis, 1958), un peu plus de 60 % de ces unités (135 chefs-lieux des cantons) ne pourraient pas être considérées comme telles. De plus, il faut prendre en compte que même à l’intérieur du territoire des chefs-lieux des cantons, il y a des espaces avec des structures urbaines mais aussi des grandes surfaces plus comparables à la notion des campagnes. Malgré cette diversité, toute la population des chefs-lieux des cantons est considérée comme urbaine dans cette classification qui est utilisée dans les statistiques officielles.
L’INEC témoigne de ces structures plus proches des campagnes que des villes par la différenciation des étendues « amanzanados » et « dispersos », comme catégories méthodologiques pour le travail de terrain au moment des recensements. Cette différenciation pourrait être considérée comme une autre méthodologie pour la classification des villes et campagnes. Les premiers font référence à la continuité du bâti tandis que les deuxièmes sont tout le reste du territoire. Cette méthodologie, qui semble mieux représenter la distinction urbaine/rurale aux échelles locales, ne prend pas en compte la taille de la continuité du bâti. Presque 120 des « villes », selon cette définition, auraient moins de 10 000 habitants.
Malgré les dissemblances conceptuelles de la catégorisation des espaces urbains/ruraux ou amanzanados/dispersos, les écarts quantitatifs aux échelles nationales et régionales (provinces) ne sont pas significatifs. D’autre part, la classification urbaine/rurale permet une comparaison temporelle pour les six derniers recensements démographiques, qui est l’objectif dans cette section. Cet argument amène à prendre en compte cette classification (urbain/rural) pour l’analyse temporelle de la croissance démographique et urbaine

Le poids de deux grandes métropoles

« L’Equateur bipolaire » est le titre de la section dédiée à l’Equateur dans la Géographie universelle (Bataillon, Deler, & Théry, 2000). Les auteurs ont voulu souligner la bipolarité métropolitaine qui a entrainé une « diarchie » dans le fonctionnement de l’espace avec le poids de deux grandes villes. Quito (1 607 734 habitants pour 2010), localisé dans la Sierra nord, a une fonction de commandement politique notamment depuis l’indépendance comme capitale équatorienne. Guayaquil (2 278 691 habitants en 2010) doit son développement à l’activité commerciale en raison de son activité commerciale internationale, en particulier.
En 2010, les aires urbaines de Quito et Guayaquil concentrent plus de 25 % des Equatoriens et plus de 40 % des urbains. Ce qui fait de ces villes deux points majeurs de la consommation. Presqu’un dollar sur trois utilisés en dépenses alimentaires au niveau national provient de ces deux villes (ENIGHUR, 2.012 : INEC).
L’approvisionnement alimentaire de ces villes est une priorité pour les producteurs, les marchands, les industries agroalimentaires et les politiques de l’Etat qui se sont souvent centrées sur les problématiques d’approvisionnement de ces villes (dans la fixation des prix, les prix souvent pris en compte sont ceux de ces villes, sans considérer les prix dans d’autres villes). L’organisation des flux de commercialisation des produits agricoles et agro-industriels donne un rôle majeur à ces villes. Plusieurs marchés de différentes villes (notamment de la Sierra) permettent de cumuler et agrandir les quantités de produits transportés par des grands grossistes directement vers ces deux villes (Moya, 1989). Les prix de nombreux produits agricoles qui suivent ces circuits sont moins chers à Quito ou Guayaquil par rapport aux autres villes plus proches des aires de production (Cazamajor, 1987 : 246).
La meilleure situation économique des populations de Guayaquil et notamment Quito dynamise le marché alimentaire. Dans ces villes, le pourcentage des foyers qui doivent rationner le budget destiné aux produits alimentaires pour des raisons économiques est faible par rapport au reste de la population nationale. Selon l’enquête des conditions de vie de 2014 (INEC, 2.014), 94 % des Quiténiens et 92 % des Guayaquiléniens ont eu une alimentation suffisante au cours des deux semaines précédant l’enquête (par rapport à 89 % au niveau national) ; bien que 8 % à Quito et 10 % à Guayaquil d’entre eux (ceux qui ont eu des aliments suffisants) ont eu des problèmes économiques pour les acheter ; par rapport à 12 % au niveau national.
La perception d’une meilleure qualité de vie a poussé beaucoup de gens à aller vivre dans ces villes. En 2010, presque 30 % des habitants de Guayaquil et plus de 35 % des habitants de Quito étaient nés dehors de ces villes (INEC, 2010). Ces villes ont exercé une polarisation sur leurs aires d’influence. León et al (1987) a montré les aires d’influence par immigration de ces villes : Guayaquil sur la côte et le sud du pays et Quito sur les Andes et le nord de la côte. Au-delà de l’augmentation quantitative de population que ces flux impliquent, il est important de souligner l’importation des habitudes alimentaires locales des aires d’origine vers ces deux grandes villes. La migration ne cause pas de fracture avec les habitudes alimentaires du lieu d’origine, comme montre l’étude de Neira Mosquera (2014) sur l’alimentation de la population équatorienne migrante en Espagne. Dans les mobilités à l’échelle nationale, l’importation des habitudes alimentaires locales des lieux d’origine crée une recomposition des marchés alimentaires dans les villes de destination.

Une consommation élevée dans les Andes

Même si le niveau régional n’est pas la meilleure échelle pour montrer la consommation alimentaire, de façon schématique, la consommation du lait est plus élevée dans les Andes par rapport à celle de la Côte et de l’Amazonie (voir la carte 5, page 74). La consommation du lait par personne de la population urbaine de la Sierra est presque 40 % plus élevée que celle de la population de l’Amazonie et deux fois celle de la côte. Plus de la moitié du lait des « garde-mangers » est dans la Sierra (55 %) même si la population dans cette région ne représente que 45 % du pays. Au niveau national, Quito (260 000 litres journaliers qui représentent plus de 23 % de la consommation urbaine du lait) est le marché majeur de consommation du lait liquide, suivi par Guayaquil (220 000 litres journaliers). Au niveau quantitatif la consommation du lait dans les provinces de l’Amazonie est moins de 3 %.
Un facteur majeur de la consommation plus élevée du lait dans la Sierra est son importance dans le petit déjeuner. En Equateur, on distingue au moins deux modèles de petits déjeuners, celui de la Sierra et celui de la Côte qui est assez similaire à celui de l’Amazonie. Dans le petit déjeuner de la Sierra, les produits les plus importants sont le lait, le café ou le chocolat, le pain, les fromages et les oeufs. Dans la Côte et dans l’Amazonie, les produits laitiers ne sont pas nécessairement inclus dans le petit déjeuner. Les ingrédients sont la banane, le manioc, le riz et parfois de la viande (Neira, 2.014 : 50).

L’urbanisation et la consommation du lait cru

Malgré la croissance de l’industrie laitière et les efforts des pouvoirs publics pour réduire la consommation du lait cru, un litre de lait sur trois reste du lait cru au niveau national. Cette proportion est beaucoup plus élevée dans les aires rurales où presque quatre litres du lait sur cinq sont du lait cru. Cela ne néglige pas l’importance des villes comme débouché pour le lait cru. Même si le pourcentage du lait cru dans les garde-mangers de ces villes est seulement un peu plus de 15 %, un litre sur trois du lait cru est dans les foyers urbains. Le marché urbain dynamise l’approvisionnement du lait en fortifiant les relations avec les campagnes les plus proches des villes.
Le pourcentage du lait cru dans les garde-mangers varie fortement selon les provinces. De façon schématique, les provinces les plus urbanisées (pourcentage des urbains sur la population totale) ont un pourcentage mineur de consommation de lait cru.
Au-delà d’un fait quantitatif de distribution de la population, l’urbanisation est liée aux modalités du ravitaillement et de la consommation alimentaire. Les provinces où les taux d’urbanisation sont les plus faibles établissent des relations d’approvisionnement des produits laitiers plus fortes avec les campagnes proches.
Morona Santiago (voir la carte 5, page 74), dans la région de l’Amazonie, a le plus bas taux d’urbanisation et le plus haut pourcentage de la consommation du lait cru. À l’opposé, Santa Elena, dans la Côte, a le taux d’urbanisation le plus haut et un pourcentage bas de consommation du lait cru. Les situations entre ces deux extrêmes couvrent toute la diversité. Les provinces de la Sierra de Cañar et Carchi montrent une consommation du lait cru plus élevée que la tendance. Une situation contraire est celle des provinces amazoniennes de Napo, Sucumbíos et Orellana. Même si le pourcentage de consommation du lait cru de Pichincha est le troisième le plus faible, après Santa Elena et Guayas, cette province a un marché urbain plus volumineux, ce qui permet aux petits producteurs des campagnes proches, comme Nono et Machachi, de maintenir les relations de ravitaillement du lait cru. Plus de 15 % du lait des garde-mangers urbains dans des foyers de Pichincha est cru. Un pourcentage semblable se concentre dans les foyers urbains d’Azuay. Les provinces de la Sierra cumulent presque 70 % du lait cru des garde-mangers, les provinces de la Côte le 15 % et celles de l’Amazonie 5 %.
Le lait cru provient des campagnes les plus proches et de l’agriculture urbaine ce qui montre l’importance de l’élevage dans les aires périurbaines et de l’agriculture urbaine. Cela est notamment vrai pour les provinces qui sont au-dessus de la tendance générale (Morona Santiago, Cañar, Carchi, Azuay et Santo Domingo). L’intégration à l’échelle locale des villes et campagnes permet aux producteurs d’arriver avec leur production par des circuits courts aux consommateurs urbains. Au niveau national, les villes plus éloignées du coeur central du peuplement ont différents défis pour se ravitailler en lait.

Un prix qui s’approche, mais reste hétérogène

L’économie des foyers, comme on l’a vu, limite l’accès à la consommation du lait. Les revenus des foyers sont la moitié de la formule pour comprendre le pouvoir d’achat ; l’autre moitié est les prix des produits. Le prix du lait, qui fait partie du panier alimentaire de base, a été régulé par l’Etat. Dans les années 1960, le gouvernement a pris la première politique de contrôle du prix du lait. Dans le cadre des politiques néolibérales des années 1990, ces politiques ont été abandonnées. A partir de 2008, une politique régule le prix du lait (annexe 10).
Ces régulations ont pris en compte les conditions d’accès aux marchés de consommation du lait des différentes villes. Par exemple, le prix dicté pour le lait en 1964 était de 1,60 sucres en Quito et 2,60 en Guayaquil, soit une différence de 60 %. Au-delà des régulations, les prix dans les marchés urbains semblent avoir eu plus de différences. De même, dans les autres villes où il n’y avait pas des régulations, les prix pouvaient varier encore plus fortement.
Pour l’année 2011, les prix moyens du lait des garde-mangers sont plus bas dans les provinces de la Sierra et notamment de la Sierra centrale et Carchi, comme le montre la carte 12. Les prix sont plus élevés dans la Côte et l’Amazonie nord : les citadins de Orellana, Sucumbíos et Santa Elena et Guayas (voir la carte 5, page 74) paient plus de 30 % en plus par litre du lait (0,94 $) par rapport aux provinces de consommation plus élevée (0,70 $). Les prix du lait dans la région de la Côte et de l’Amazonie (0,85 $) sont au moins 10 % plus élevés que ceux de la Sierra (0,72 $) où le prix du lait est mineur à la moyenne nationale (0,80 $) dans toutes les provinces sauf à Loja (0,82 $), à l’extrême sud du pays. Ceci expliquerait, au moins en partie, la faible consommation du lait en Loja dans l’ensemble des provinces de la Sierra.

Une initiative des propiétaires des haciendas andines

Dans l’imaginaire équatorien, au moment de parler de la production laitière, la pensée se dirige directement vers les haciendas de la Sierra. Elles sont des acteurs clés pour comprendre la naissance de la production laitière en Equateur.
Les premiers troupeaux bovins d’Equateur proviennent des importations réalisées par les Espagnols au moment de la Conquête. Ces troupeaux avaient un faible intérêt économique. Leur rôle le plus important dans la production agricole était celui de l’attelage pour les cultures (CIL, 2015 : 14). D’autres produits secondaires des bovins ont été aussi profités comme le suif pour fabriquer des bougies et le cuir pour les textiles. Le lait était un produit presqu’exclusif pour les vêlages. Pourtant, la consommation des fromages semble être assez ancienne. Selon Stevenson (1994), la consommation des fromages à Quito date du début du XIX siècle « … surpassait toute pondération » surtout pour son usage dans les différents plats culinaires (Stevenson, 1994, cité par CIL, 2015 : 22). Le lait utilisé pour fabriquer ces fromages était sans doute collecté des aires proches des villes (les Centres Historiques actuels).
Les descendances des troupeaux introduits par les Espagnols au cours de siècles se sont adaptées aux conditions physiques des Andes, notamment au défi de l’altitude, en donnant naissance à une race connue comme « créole ». Malgré la résistance et l’adaptation des troupeaux créoles, leur production laitière est faible par rapport aux autres races (Müller-Haye, 1981). C’est au début de XX siècle qu’un groupe des propriétaires des haciendas des provinces de Pichincha et Cotopaxi ont déclenché un changement du système qui a provoqué une forte émergence de la production laitière. Une vague d’importation des troupeaux des meilleures races laitières du monde commence dans quelques haciendas, notamment celles localisées dans la vallée de los Chillos et à Turubamba (maintenant des aires urbanisées au sud et sud-est de la ville de Quito).
L’absence des registres exhaustifs de ces importations ne permet pas de mesurer exactement l’impact de ce changement. Molina (1985 : 68-74), comme d’autres auteurs, mentionne des importations des Etats-Unis de troupeaux Holstein (qui sont d’origine des Pays-Bas). Des compilations de ces importations, bien que partielles, ont été réalisées par Molina (1985 : 68-74) pour le premier quart du siècle et par le CIL (2015) jusqu’aux années 1940.
L’élevage laitier trouvait ses limites dans le faible marché de consommation et surtout dans la difficulté de transport jusqu´aux consommateurs des produits périssable. Les moyens de communication de mauvaise qualité faisaient des bassins intramontagnards des aires enclavées et rendait difficile le transport et le commerce des produits périssables. Les haciendas ont développé la transformation du lait en laitage et ceci a permis d’améliorer leurs conditions d’accès aux consommateurs.
Les difficultés de transport entre les bassins intramontagnards de la Sierra ont changé grâce à la mise en marche du chemin de fer qui a permis en 1906 une connexion rapide entre Quito et Guayaquil. Pour Barsky (1983), la construction du chemin de fer « a réveillé une vocation laitière chez les propiétaires des haciendas » (1983 : 47). Le chemin de fer a considérablement amélioré le transport de la production alimentaire de la Sierra jusqu´aux consommateurs de la Côte, un marché dynamique grâce à l’essor économique lié au boum du cacao qui avait permis de presque doubler le PIB entre 1890 et 1920 (483 dollars en 1890 et 909 dollars en 1920, mesurés en dollars de 1990 selon la base de données du projet Madisson86).
La production laitière a largement profité de la connexion Quito-Guayaquil par le chemin de fer. Selon les données compilées par Deler (2007 : 299), la circulation des produits laitiers par le chemin de fer est passée de 88 tonnes métriques par an dans le période 1910-1914 à 1 100 tonnes dans la période 1925-1927. Ainsi, le chemin de fer a permis d’améliorer les conditions de transport vers différentes aires de la Sierra des troupeaux importés qui arrivaient à Guayaquil (CIL, 2015 : 34). Le chemin de fer a permis aux éleveurs de la Sierra de s’approvisionner d’intrants pour l’élevage laitier comme le sel. Finalement, les aires déboisées après la construction du chemin de fer ont été utilisées pour le pâturage du bétail laitier.

Une source d’accès à la terre parfois conflictuelle

Les héritages comme succession des droits de propriété dans la famille n’échappent pas aux conflits. À l’intérieur des familles, des fortes différences peuvent s’exprimer dans les héritages. Ces différences sont généralement liées à la proximité des enfants aux parents et à la production agropastorale. Parmi les familles enquêtées, dans aucun cas, tous les enfants sont restés dans la campagne pour exercer l’agriculture. Dans quelque cas, tous les enfants sont partis et dans d’autres quelques enfants sont partis et d’autres restent toujours dans la campagne, parfois avec leurs parents. Ces différences sont en certains cas à l’origine de conflits dans les droits d’héritage. Ceux qui restent avec leurs parents considèrent être les héritiers privilégiés. Ceux qui sont partis considèrent que tous les membres de la famille ont les mêmes droits, même s’ils ne s’intéressent pas aux activités agropastorales. Il faut noter qu’une grande partie des héritages se passe sans conflits.
Parmi les cas conflictuels, on va prendre l’exemple de la propriété de M T à Machachi, qui à partir d’une exploitation de taille moyenne a créé deux petites exploitations. M T a acheté un terrain de 22 hectares dans les années 1980. Il a poursuivi une activité laitière jusqu’à sa mort. M T était veuf et tout le patrimoine est passé à ses enfants (1 fils et 3 filles). Deux des filles n’étaient pas impliquées dans les activités agricoles au moment du décès de M T. Elles habitaient à Quito. Il y avait que G T qui habitait et travaillait avec son père. Elle avait construit une maison pour sa propre famille au sein de l’exploitation.
Les filles qui habitaient Quito ont décidé de vendre leur part de l’héritage à leur frère qui a eu droit à plus de 50 % des actions de l’exploitation. Il a repris l’administration de l’exploitation et G T est allée à travailler comme majordome dans une autre hacienda. Après quelques années, elle est revenue pour réclamer sa part de l’exploitation. Un jugement est initié pour clarifier les comptes et diviser la propriété. Le cas était toujours en cours lors de mon étude. Une partie de l’exploitation (un peu plus de 3,2 hectares) est occupée par G T et l’autre partie est administrée par J T. Le conflit familial a duré presque deux décennies, ce qui montre la difficulté et les grands délais de l’administration de la justice. L’insécurité à laquelle les propriétaires font face constitue une limite à l’accès à la terre par cette voie. Les héritages ne sont pas toujours aussi problématiques. Ce qui est plus habituel c’est la création des nouvelles exploitations par la division de l’exploitation originale.

La « microfundisation » des exploitations agricoles

La diminution de la taille des exploitations est l’effet évident de la division des propriétés par l’héritage, pourtant les effets sont plus complexes et méritent d’être évoqués. La diminution de la taille des exploitations ne touche pas seulement les petits producteurs. Comme on l’a précédemment souligné, la taille moyenne des exploitations a diminué. Pour les grands producteurs, les divisions laissent presque toujours des exploitations relativement grandes et permettent de continuer leurs exploitations tandis que pour les petits producteurs, la division des surfaces pose plus des problèmes pour continuer une activité agricole et notamment l’activité laitière. Ces questionnements font partie du débat de l’existence des seuils sous lesquels les exploitations agricoles ne permettraient pas son fonctionnement. Selon les données du recensement agricole de l’année 2000, les exploitations laitières sont en moyenne 55 % plus grande que l’ensemble des exploitations agricoles129. Cela montre qu’en général, les systèmes productifs laitiers ont besoin de surfaces plus grandes que les exploitations dédiées aux cultures. Quand les tailles de propriété sont déjà très petites, l’élevage laitier est limité même si les systèmes de production sont construits sur la base des tailles de l’exploitation foncière. Pour Carlos Del Hierro, propiétaire d’une grande exploitation à Nono, pour assurer une rentabilité la taille minimum d’une exploitation serait de 50 hectares. Cette surface est beaucoup plus élevée que celle des petits producteurs. Les petits producteurs appliquent d’autres systèmes de production adaptés à la taille de leurs propiétés. Au-delà de la differentiation des systèmes productifs par leurs tailles, il y a des seuils sous lesquels la production laitière est cointrainte ce qui amène à une pression foncière plus forte.
La division de la propriété des petits producteurs suite à un héritage engendre des exploitations encore plus petites comme dans le cas de la famille C (entretien M 13). La famille C a reçu un terrain dans le cadre de la réforme agraire de presque 1 hectare. Suite aux divisions héréditaires, ce terrain est actuellement est fragmenté en 14 parcelles d’environ 550 m2 (0,05 hectare). Cette taille représente une contrainte pour le développement de la production laitière. Pour l’activité laitière, ces familles sont obligées d’explorer d’autres sources d’accès à la terre et aux pâturages de façon temporelle. Parmi les petits producteurs interrogés, ceux qui ont réussi à développer une exploitation laitière après avoir reçu un héritage de terre sont minoritaires voire exceptionnels, comme le cas de la famille M I (entretien N 4) du secteur de Pucará à Nono (dans les aires éloignées du bourg de Nono).

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Table des matières

Un plan construit entre échelles et défis des producteurs
Première partie : Un complexe en forte croissance
Chapitre 1 : Qui sont et où sont les consommateurs ?
1.1 Une transition démographique qui se stabilise
1.2. Une armature urbaine diverse, dynamique et connectée
1.3. Une amélioration des conditions de vie
Conclusions du premier chapitre
Chapitre 2 : La consommation des produits laitiers
2.1. La construction de l’essor des produits laitiers
2.1.1 Une vision nutritive des produits laitiers
2.1.2 Une consommation en augmentation
2.2. Une consommation diverse et ancrée dans le territoire
2.2.1 Une consommation élevée dans les Andes
2.2.2 L’urbanisation et la consommation du lait cru
2.2.3 La consommation du lait dans les aires éloignées au coeur du peuplement
2.3.4 Un prix qui s’approche, mais reste hétérogène
2.3.5 Les fromages : une consommation très diverse
2.3.6 Vers un profil de consommation des produits laitiers
Conclusion du deuxième chapitre
Chapitre 3 : Les stratégies des acteurs productifs laitiers
3.1 Comment est née la production laitière en Equateur ?
3.1.1 Une initiative des propiétaires des haciendas andines
3.1.2 La Réforme agraire, un moteur de l’élevage laitier
3.2 Où sont les producteurs laitiers ?
3.2.1 Une déconcentration spatiale
3.2.2 Une déconcentration des acteurs
3.3 Comment le lait fait-il partie du ravitaillement urbain ?
3.3.1 Les transformations artisanales des producteurs
3.3.2 Vers la généralisation de la vente en liquide
3.3.3 L’intermédiation des agro-industries
Conclusion du troisième chapitre
Conclusion de la première partie
Deuxième partie : Des petits producteurs confrontés aux défis de la production laitière
Chapitre 4 : Quels sont les espaces de la production laitière des petits producteurs ?
4.1 Un accès à la terre limité dans des aires éloignées
4.1.1 L’héritage de la réforme agraire : l’accès aux terres dans les pentes et les aires éloignées
4.1.2 Une faible incorporation des petits producteurs dans le marché des terres
4.1.3 Les héritages et l’augmentation de la pression foncière
4.1.4 Les accès temporaires à la terre et aux pâturages
4.1.5 Le foncier selon le cadastre, dans la frange Güitig-El Pedregal
4.2 Des terres où la disponibilité de l’eau pour la production laitière est limitée
4.2.1 Un modèle de précipitation qui change dans l’espace et dans le temps
4.2.2 Un inégal accès à l’eau d’irrigation
4.3 Des espaces près des villes
4.3.1 Des périphéries au coeur de l’espace central de l’Equateur 2
4.3.2 Des centralités pour les petits producteurs laitiers ?
Conclusion du quatrième chapitre
Chapitre 5 : Quelles stratégies ont construites les petits producteurs pour développer la production laitière ?
5.1. L’augmentation de la production du lait des petits producteurs : une tendance à l’échelle locale ?
5.2. Qui sont ces producteurs qui ont réussi à augmenter leur production laitière ?
5.2.1 Entre ceux qui partent et ceux qui viennent : des anciens producteurs qui vieillissent
5.2.2 Des producteurs expérimentés malgré une éducation formelle limitée
5.3. Un paysage qui devient laitier
5.3.1 Des cultures qui diminuent et laissent place à la production laitière
5.3.2 Des campagnes avec plus de pâturages
5.3.3 … Pour plus des vaches ?
5.4. Des stratégies construites en famille
5.4.1 L’élevage laitier comme une stratégie productive
5.4.2 Des familles entre villes et campagnes
Conclusion du cinquième chapitre
Conclusion de la deuxième partie
Troisième partie : Les difficultés d’accès aux réseaux de commercialisation
Chapitre 6 : Un commerce qui fonctionne en réseau
6.1. Le défi de mettre en réseau des observations fractionnées
6.2. Des réseaux laitiers ancrés dans l’espace
6.2.1 Des rivières du lait
6.2.2 Circulation interne des produits laitiers
6.2.3 Des flux externes du lait
6.2.4 Des déserts laitiers
6.3. Des acteurs au coeur des réseaux
Conclusion du sixième chapitre
Chapitre 7 : S’intégrer aux réseaux de ravitaillement urbain, le rôle de la proximité
7.1. La naissance des réseaux
7.1.1 Comment s’intégrer aux circuits de commercialisation du lait ? Une décision à plusieurs enjeux basée sur la proximité sociale
7.1.2 Le piquero, au-delà de l’intermédiation « informelle »
7.1.3 Les agro-industries laitières
7.1.4 Les centres d’approvisionnement
7.2. Des circuits qui mettent en relation des acteurs et des lieux : le rôle de l’éloignement physique
7.2.1 Nono : des acteurs clés dans des marchés avec de faibles chevauchements
7.2.2 Machachi : des circuits concurrentiels dominés pour l’efficacité
Conclusions du septième chapitre
Chapitre 8 : S’allier pour mieux s’intégrer aux réseaux
8.1. L’association dans la production laitière
8.2. Défis pour les initiatives associatives
8.3. Les expériences associatives dans les terrains
8.3.1 Coopérative Loreto-El Pegregal : l’expérience d’un échec
8.3.2 Association San Luis : un cas de réussite dans la commercialisation du lait
8.3.3 NonoLacteos : un succès qui arrive à ses limites ?
Conclusions du huitième chapitre
Conclusions de la troisième partie
Conclusions générales
Une étude dans le cadre des systèmes agroalimentaires en changement
Ce que les terrains d’étude nous apprennent
Equateur : un complexe d’approvisionnement laitier semi-fermé
Des outils méthodologiques pour appréhender les liens entre les producteurs et le complexe d’approvisionnement alimentaire
Des nouveaux liens à étudier
Annexes
Annexe 1 Lieux visités : entretiens exploratoires
Annexe 2 Liens bibliographiques entre les thématiques majeures abordées dans la thèse : petits producteurs, approvisionnement alimentaire et élevage laitier
Annexe 3 Guide des entretiens appliquée aux producteurs laitiers de Nono et Machachi
Annexe 4 Modèle d’enquête appliqué aux membres de l’assemblée de l’eau de Guitig Mirador
Annexe 5 Caracteristiques majeurs des exploitations des producteurs entrevués 458
Annexe 6 Localisation des exploitations des producteurs entrevués
6.1 Nono
6.2 Machachi
Annexe 7 Systématisation de l’enquête menée aux producteurs de l Assamblée de l’eau de Guitig Mirador
Annexe 8 Exemples des transcriptions de entretiens
8.1 Exemple d’E Y de Machachi
8.2 Exemple d’E P de Nono
Annexe 9 Transcriptions des groupes de discussion
9.1 Groupe de discussion Machachi, réalisée dans la maison de Mme Gloria Tapia
9.1 Groupe de discussion Nono, réalisée dans la siege de la commune d Alaspungo
Annexe 10 Compilation légale
10.1 Compilation légale : instruments juridiques liés aux prix
10.2 Compilation légale : instruments juridiques liés au commerce international
10.3 Compilation légale : instruments juridiques liés à la qualité des produits laitiers
10.4 Compilation légale : d’autres instruments juridiques liés à la production laitière
Annexe 11 Analyse sémantique du manuscrit
Bibliographie

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