L’hémophilie et l’organisation de ses soins en France, une lecture sous l’angle de l’accessibilité potentielle aspatiale

L’hémophilie et l’organisation de ses soins en France, une lecture sous l’angle de l’accessibilité potentielle aspatiale 

D’après la typologie présentée en introduction de partie, l’analyse du cadre thérapeutique de l’hémophilie peut être guidée par la notion d’accessibilité « potentielle aspatiale ». L’organisation des soins est en effet conçue de manière à orienter les déplacements et influencer les comportements des patients. En France, pays caractérisé par un système de sécurité sociale historiquement bismarckien et pourtant caractérisé par des pans entiers de fonctionnement repris du modèle beveridgien (Lambert : 214, 2000 ; Duriez et Lequet-Slama, 1998), rien ne peut obliger les patients à suivre les incitations liées à l’organisation des soins, hormis peut-être la contrainte introduite récemment par le dispositif des parcours coordonnés. Ce procédé n’autorise le patient à obtenir le taux maximal de remboursement par la Sécurité sociale que s’il suit un parcours de soins coordonné. Le médecin traitant oriente le patient vers les différents spécialistes. Le parcours du patient dans le système de soins revêt alors un caractère incertain, que l’on peut observer (approche réelle) et simuler (approche potentielle). Dans l’optique d’une simulation, de multiples facteurs vont influencer le comportement du patient, à commencer par le cadre imposé par sa maladie et le système politique en vigueur dans le pays dans lequel il se trouve.

L’hémophilie, une maladie rare et héréditaire nécessitant suivi et soins en urgence 

L’hémophilie reste une maladie peu connue du grand public et des médecins (généralistes, urgentistes), en dépit d’une médiatisation certaine, notamment grâce à la journée mondiale de l’hémophilie (le 17 avril de chaque année) et de manière moins valorisante en raisons des mentions régulières faites à l’Affaire du sang contaminé. En revenant dans cette partie sur le mode de transmission de la maladie, ses manifestations cliniques et enfin sur des éléments descriptifs de la population hémophile française, nous donnons les clés pour comprendre les enjeux liés à l’organisation des soins et la façon dont la géographie peut s’emparer de ces sujets pour faire progresser les connaissances relatives au recours aux soins des maladies rares ou de longue durée.

Définition, signes cliniques et traitement de l’hémophilie 

Transmission et sévérité de la maladie
L’hémophilie est une maladie hémorragique héréditaire rare. Elle est transmise selon un mode récessif lié au chromosome X et est due à l’absence ou à l’insuffisance d’un facteur de la coagulation sanguine. Ce facteur est une protéine contenue dans le plasma, jouant un rôle dans la coagulation. On parle d’hémophilie A quand le facteur VIII (ou FVIII) est déficient et d’hémophilie B quand il s’agit du facteur IX (ou FIX).

La fréquence d’apparition de l’hémophilie est d’environ une naissance sur 10 000, ce qui classe cette maladie dans les maladies rares. Une maladie est en effet considérée comme rare quand elle touche au maximum une personne sur 2000. Il y a, en France, entre 3,5 millions et 4 millions de personnes touchées par une maladie rare (source Orphanet) pour un total de 7000 maladies. Environ 80% sont d’origine génétique.

Il y a environ 5 000 à 6 000 personnes atteintes par l’hémophilie en France. Les chromosomes sexuels jouent un rôle prépondérant dans la présence et la transmission de la maladie. L’être humain possède 23 paires de chromosomes, soit 46 chromosomes. Parmi ces chromosomes, deux sont appelés chromosomes sexuels, désignés X et Y. La femme possède deux chromosomes X (XX) et l’homme possède un chromosome X et un chromosome Y (XY). A la naissance, une fille reçoit un chromosome X de la mère et le chromosome X du père. Un garçon reçoit un chromosome X de la mère et le chromosome Y du père. La production du facteur de coagulation est commandée par deux gènes situés sur le chromosome X. Pour la femme (XX), l’éventuelle anomalie d’un des gènes est compensée par l’autre chromosome, sauf cas rarissimes. Chez l’homme, l’anomalie du chromosome X ne peut être compensée par le chromosome Y. Il est donc hémophile dès lors que l’anomalie est présente sur le chromosome X. Le schéma suivant (figure 2) présente les principales possibilités de transmission de la maladie, selon que les parents sont hémophiles, conducteurs ou sains. Il n’est pas exhaustif et ne représente que deux générations mais couvre une très grande partie des possibilités de transmissions.

En résumé, il y a un risque de 50% pour une mère conductrice de transmettre l’hémophilie à son fils et un père hémophile transmettra obligatoirement le gène de l’hémophilie à sa fille, qui sera alors conductrice. Dans 30% des cas environ, l’affection apparaît de novo : un enfant naît hémophile alors qu’il n’y avait aucun antécédent dans la famille. On trouve donc dans la population hémophile des familles d’hémophiles anciennes, où un enfant peut avoir un ou des frères, cousins, grands-pères ou oncles hémophiles. Dans d’autres familles, la maladie vient d’apparaître et seul un petit garçon est hémophile. Les contextes sont donc différents. Dans un cas le patient est entouré de personnes connaissant la maladie et ayant une expérience de son traitement. Les plus jeunes bénéficient alors de l’expérience des plus vieux qui ont déjà été confrontés aux difficultés liées à la maladie, tant du point de vue du comportement quotidien que des habitudes thérapeutiques. Dans l’autre cas, ni le jeune malade ni ses parents n’ont de connaissance de la maladie, de son traitement et de l’offre de soin en place.

L’hémophilie se manifeste à des degrés plus ou moins importants, en fonction du taux de facteur de coagulation déficitaire :
-hémophilie sévère ou majeure : taux inférieur à 1% d’activité du facteur ;
-hémophilie modérée : taux compris entre 1% et 5% d’activité du facteur ;
-hémophilie mineure, fruste ou atténuée : taux compris entre 5% et 30% d’activité du facteur.

Ce taux reste théoriquement stable d’une génération à l’autre (une femme vectrice d’une hémophilie mineure ne pourra pas avoir un fils hémophile sévère) mais il peut diminuer légèrement avec la fatigue ou augmenter pendant un effort ou à la suite à d’un accident hémorragique. La population hémophile est constituée à 98,5% d’hommes. En 2005, il n’y avait, selon l’InVS (Institut de veille sanitaire), que 53 femmes hémophiles recensées en France dont 41 atteintes par une forme mineure de la maladie. Une partie d’entre-elles sont des femmes conductrices pour lesquelles le chromosome X sain ne peut pas compenser la totalité de l’anomalie de l’autre chromosome X.

Le dysfonctionnement de la coagulation

L’anomalie génétique entraîne donc l’absence ou l’inefficacité de la coagulation, qui va engendrer un allongement des temps de saignement lors d’épisodes hémorragiques. En situation normale, lors de la rupture de la paroi d’un vaisseau sanguin au cours d’une hémorragie, le corps réagit en deux temps pour arrêter le saignement. Dans un premier temps, les plaquettes viennent former un premier caillot fragile. Dans un deuxième temps, les facteurs de coagulation, parmi lesquels le facteur VIII et le facteur IX, participent à la formation de la fibrine qui transforme le caillot fragile en caillot solide. En raison du déficit en FVIII ou FIX chez les hémophiles, cette deuxième phase est déficiente. C’est ce qui empêche une coagulation efficace et provoque un prolongement du saignement.

Manifestations cliniques et traitements disponibles pour l’hémophilie 

Les hémorragies externes sont, contrairement à l’idée répandue, assez rares et le plus souvent maîtrisées par compression locale. La croyance populaire selon laquelle un hémophile qui se coupe se viderait de son sang est fausse et entraîne des incompréhensions fortes entre les patients et l’encadrement scolaire ou sportif par exemple. Les hémorragies internes sont plus fréquentes. Elles sont généralement dues à un traumatisme, même si elles peuvent être spontanées (pendant le sommeil par exemple). Elles peuvent se situer dans un muscle ou dans une articulation. On parle respectivement d’hématomes et d’hémarthroses.

L’hématome se traduit par une douleur dans le muscle concerné et empêche celui-ci de fonctionner normalement, voire totalement si l’hématome est important. Si les hématomes superficiels (communément appelés bleus) sont généralement assez bénins et ne requièrent qu’un traitement local, certains hématomes mal situés et invisibles dans les minutes suivant le traumatisme peuvent être à l’origine de complications et nécessiter une injection intraveineuse de produit antihémophilique. Les hémarthroses concernent essentiellement les articulations qui « portent » le poids du corps, comme les genoux et les chevilles. Les coudes et les poignets peuvent être touchés suite au port d’un objet lourd. Les hémarthroses sont le plus souvent consécutives à un choc, un coup mais aussi à la marche prolongée ou à une mauvaise position lors du sommeil. La présence de sang de manière prolongée dans une articulation peut aboutir à une altération des cartilages (AFH, 2002) qui, en plus de fortes douleurs, peut donner lieu à des séquelles invalidantes, pour la marche notamment. Nombre d’hémophiles doivent recourir à des aides à la marche comme les béquilles et, dans certains cas, à des fauteuils roulants.

En dépit d’avancées très récentes sur la thérapie génique (Petrus et al., 2010), on ne guérit pas encore de l’hémophilie. Il existe par contre plusieurs moyens thérapeutiques, curatifs ou préventifs, pour l’hémophilie. La thérapie génique constitue, comme pour de nombreuses maladies génétiques, un espoir important pour les hémophiles car elle pourrait permettre d’endiguer sa constante perpétuation. En témoignent les nombreux articles y faisant référence en termes mélioratifs (Tuddenham, 2004, Négrier 2004, Petrus et al., ibid.). Il existe néanmoins, en 2011, encore des obstacles techniques, notamment liés à de possibles infections par des rétrovirus, liées à la manipulation génétique (Giangrande, 2004, Liras et Olmedillas, 2009). Maladie dont l’anomalie n’est présente que sur un seul gène, connu de surcroît, l’hémophilie est une maladie pour laquelle la thérapie génique est particulièrement adaptée. De plus, une petite augmentation du taux de facteur peut améliorer significativement les bénéfices thérapeutiques (Petrus et al., ibid.), et les méthodes de mutation génétique approuvés pourront bénéficier à d’autres maladies dont les manipulation génétiques seraient plus complexes. Si les articles scientifiques consultés n’avancent pas de date à la laquelle la thérapie génique sera exploitable pour tous les patients, il est peu probable que la guérison de la majeure partie de ceux-ci soit effective avant une dizaine d’années dans les pays les plus développés. Et comme le souligne E. Tuddenham (ibid.), en considérant qu’à moyen terme, choisir la thérapie génique soit un simple choix de vie au même titre que la chirurgie réfractive, cette assertion fait fi des 4/5ème des hémophiles pour qui l’accès à des infrastructures et des produits extrêmement coûteux sera reportée sine die . En cas d’accident hémorragique grave, les patients doivent se rendre dans un hôpital pour recevoir des soins adaptés. La plupart des hôpitaux possèdent les médicaments indispensables aux hémophiles mais ils ne disposent pas forcément d’un service d’hématologie spécialisé dans le traitement de l’hémophilie. Il faut donc rapidement établir un relais avec un hôpital adapté ou s’y rendre directement.

L’autre voie explorée par les chercheurs afin d’améliorer les traitements à destination des hémophile concerne les produits antihémophiliques à demi-vie longue. On appelle « demi-vie » le temps mis par une molécule pour perdre la moitié de son activité pharmacologique. Le traitement substitutif repose sur des injections répétées et fréquentes en raison de la demi-vie réduite du FVIII (10h à 12h) ou du FIX qui va de 16h à 18h (Hémophilie n°197, 2012). Le but des recherches menées est donc de prolonger cette demi-vie et d’empêcher la survenue d’anti-corps dans le sang, autrement nommé inhibiteur. Cet inhibiteur neutralise l’activité du FVIII ou FIX injecté et ce, dans une proportion allant de 15% à 30% des patients. L’objectif poursuivi est de réduire le nombre d’injections et d’avoir un taux de facteur en moyenne plus élevé et plus constant. Là encore, il est question de « plusieurs années » avant que des produits dont la demi-vie sera supérieure ou égale à 48h arrivent sur le marché.

Un suivi dont la fréquence est variable en fonction de la sévérité est proposé aux patients dès la détection de la maladie. Il consiste à vérifier l’état de santé général du patient, à faire un bilan sanguin, un dépistage des maladies infectieuses, un point sur la prophylaxie ainsi qu’éventuellement d’autres actions propres à la situation personnelle des patients. Il est préconisé par les Centres Régionaux de Traitement des maladies Hémorragiques (CRTH) de se faire suivre tous les six mois pour les patients atteints par une forme sévère, tous les ans pour les hémophiles modérés et tous les deux ans pour les hémophilies de type atténué. Cette fréquence est généralement augmentée pour les enfants en bas âge et en cas d’accidents à répétition. Ce suivi n’est pas obligatoire et des hémophiles peuvent ne pas s’y contraindre, par choix ou par ignorance de l’existence du traitement ou de la maladie.

A défaut de pourvoir bénéficier de la thérapie génique, les hémophiles sévères, et les autres dans une moindre mesure, ont la possibilité de recourir à la prophylaxie. Ce traitement préventif consiste en l’injection de facteur VIII ou facteur IX en intraveineuse, deux ou trois fois par semaine. Cette injection peut être faite par une infirmière ou, quand le patient le souhaite, par ses parents ou lui-même. Cela nécessite au préalable une formation sous forme de stages pour apprendre à se perfuser ou à perfuser son enfant. Les jeunes hémophiles y ont accès dès l’âge de 10 ans. Ces stages sont organisés par les équipes des CRTH, en lien avec l’Association Française des Hémophiles (AFH). La prophylaxie oblige à s’approvisionner régulièrement en produits dans une pharmacie hospitalière.

L’Association Française des Hémophiles 

L’association française des hémophiles est une association de patients créée en 1955. Elle est reconnue d’utilité publique par décret du 15 mai 1968, agréée pour représenter les usagers du système de santé par le ministère de la santé depuis 2006. Elle fait partie de la WFH (World Federation of Haemophilia) et du consortium européen de l’hémophilie. Son Président est Norbert Ferré (2011) et elle comptait environ 2000 membres en 2009. Parmi ses principales missions, on trouve l’éducation à la maladie et son traitement, les relations entre les patients et diverses entités médicales ou paramédicales, la sensibilisation du grand public, la représentation des patients dans des actions en justice ou les rencontres entre les patients et familles de patients. L’AFH participe également au Collectif hépatites virales (CHV), à l’Alliance des maladies rares (AMR), et elle collabore régulièrement avec les associations concernées par le VIH. Partenaire actif des organismes de santé publique, l’AFH est membre du comité de pilotage des produits anti hémophiliques de l’ANSM, du réseau FranceCoag de l’Institut national de veille sanitaire (InVS) et administrateur de l’Etablissement français du sang (EFS) . Sa bonne structuration et son dynamisme en font une association courtisée par les laboratoires pharmaceutiques. Sa communication s’articule principalement autour d’une revue trimestrielle nommée « Hémophilie et maladie de Willebrand » et publiée à 2600 exemplaires environ. La revue est alimentée à la fois par des patients, des membres de l’association, des chercheurs ou des praticiens hospitaliers. Elle fait le point sur la recherche relative à l’hémophilie, les actions en justice (liées à l’affaire du sang contaminé notamment), les activités de l’association ou le quotidien des patients. 

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Table des matières

Introduction générale
Partie I : Cadre conceptuel, thématique et méthodologique de la thèse
Chapitre 1. L’hémophilie et l’organisation de ses soins en France, une lecture sous l’angle de l’accessibilité potentielle aspatiale
Chapitre 2. Une géographie sociale de la santé pour étudier l’accessibilité aux soins des hémophiles
Chapitre 3. Cadre théorique de la thèse, deuxième partie : l’accessibilité, composantes spatiale, sociale et individuelle
Chapitre 4. Méthodologie : pour une compréhension globale de l’accessibilité
Partie II : Accessibilité potentielle spatiale
Chapitre 5. Analyse des temps d’accès en Bretagne
Chapitre 6. L’accessibilité potentielle spatiale : comparaison des temps d’accès entre cinq centres de traitement de l’hémophilie
Partie III : Accessibilité réelle spatiale et aspatiale
Chapitre 7. Mise en relation des comportements spatiaux et des divers profils des hémophiles bretons
Chapitre 8. Compréhension des parcours d’accès aux soins des hémophiles : facteur individuel et construction de l’expérience
Chapitre 9. Bilan, limites de l’analyse et perspectives de recherche futures
Conclusion générale
Bibliographie
Table des matières
Annexes

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