L’extension de la convention d’arbitrage, un enjeu actuel de la justice arbitrale

L’extension de la convention d’arbitrage, un enjeu actuel de la justice arbitrale

L’extension de la convention d’arbitrage à des personnes qui ne l’ont pas signée initialement constitue un des sujets les plus fondamentaux et florissant du monde de l’arbitrage contemporain, notamment en matière d’arbitrage international. Le mécanisme d’extension de la clause d’arbitrage semble remettre en cause, au moins en partie, le principe fondamental de respect du consentement d’être lié par un contrat. Plus exactement, c’est la volonté des tiers non signataires de participer à la convention d’arbitrage qui est discuté. C’est ce principe de protection du consentement que le droit anglas entend protéger avant tout. La doctrine arbitrale de l’extension de la convention d’arbitrage se trouve ici analysée au regard non seulement de la jurisprudence de la CCI mais aussi de la jurisprudence des Cours d’appel et de la Cour de cassation française ainsi que des Cours anglaises. La question est de savoir si on peut encore qualifier de « tiers à la procédure d’arbitrage » une personne qui n’a pas signé la convention alors que pour le reste elle est intervenue dans la relation contractuelle litigieuse. La réponse ne peut pas être univoque et dépend surtout de l’intervention concrète de chaque partie dans une relation contractuelle. Si la position de la France en matière d’arbitrage semble d’avantage correspondre à la réalité du monde des affaires, elle peut aussi représenter une remise en cause du droit commun des contrats et porter préjudice aux tiers.

La reconsidération de l’effet relatif de la convention d’arbitrage au nom de l’efficacité de la justice arbitrale

L’arbitrage étant un mode privé et contractuel de résolution des litiges ses avantages souffrent aussi de certaines limites qui peuvent affecter son efficacité. En théorie, le principe de l’effet relatif des conventions, fondamental en droit contractuel français et anglais, devrait systématiquement empêcher le tribunal arbitral d’imposer à un tiers les modalités d’un contrat auquel il n’a pas été parti. L’arbitre n’a de légitimité que parce que, par l’effet d’une convention d’arbitral, les parties lui donnent le pouvoir de trancher leur litige. Le respect strict de l’effet relatif des conventions implique que le tribunal arbitral ne pas devrait pouvoir, via aucun mécanisme, obliger un tiers à rejoindre l’arbitrage. Suivant la logique de ce principe propre à la matière contractuelle, le tribunal arbitral ne peut pas non plus obliger des parties à des instances arbitrales portant que des litiges liés entre eux à être tranchés au sein de la même instance arbitrale. La convention d’arbitrage organise un mode privé de résolution d’un litige et la jonction des instances décidée par le tribunal arbitral serait contraire au caractère privé et contractuel de l’arbitrage. Néanmoins, cela peut conduire à des procédures parallèles aboutissant à des décisions très différentes. Au contraire, le juge national peut par exemple, lorsqu’il y a un intérêt à ce que deux affaires fassent l’objet d’un seul et même jugement et qu’il existe un lien suffisant entre elles, ordonner la jonction des instances dont elle est saisie. Il peut aussi faire droit à l’intervention forcée d’un tiers afin qu’il se joigne à l’instance. En arbitrage, l’extension de la convention à des parties non-signataires permet de combler le manque d’instrument de concentration des contentieux. L’arbitrage interne français, comme anglais, reste encore attaché au principe de l’effet relatif des contrats. C’est surtout en arbitrage international, où la jurisprudence est plus libérale, que cette politique d’extension est pratiquée.

Les voies de recours des faux tiers contre la décision d’extension de la convention d’arbitrage

Les faux tiers, par l’effet de l’extension de la convention d’arbitrage, acquièrent les mêmes droit d’accès aux voies de recours que les parties signataires d’origine. Toutefois, elles peuvent décider d’axer leur stratégie de contestation sur l’opposition contre la décision d’extension des effets obligatoires de la convention d’arbitrage. En droit français, le recours contre cette décision peut être sollicité dans le cadre d’un recours en annulation, en invoquant l’article 1492.1° du Code de procédure civile. L’équivalent de ce recours en droit anglais est ouvert par l’article 6751 de la loi anglaise sur l’arbitrage de 1996. Elle dispose que les parties à l’arbitrage peuvent contester la sentence rendue par un tribunal arbitral sur le fondement de son incompétence matérielle. Car le tribunal arbitral est tenu par les limites de la convention d’arbitrage et ne peut connaitre de demandes qui n’auraient pas été formées devant lui. Ainsi, au Royaume-Uni comme en France, la partie non-signataire, qui s’est vu étendre les effets d’une convention d’arbitrage à laquelle elle n’était pas partie à l’origine, peut faire grief au tribunal arbitral de s’être déclaré compétent malgré l’absence de toute convention d’arbitrage la liant aux autres parties. Autrement dit, en l’absence de toute signature, les tiers peuvent donc défendre le fait qu’ils ne se sont pas engagés à résoudre leurs litiges devant un tribunal arbitral.

Ce cas d’ouverture du recours en annulation recouvre toutes les causes d’absence ou de nullité de la convention d’arbitrage, lorsque qu’un tiers n’a pas consenti à ce qu’une convention l’engage, que cette convention ne lui est pas opposable ou encore lorsque le consentement a été vicié. La décision partielle de la cour, qui statue sur la compétence arbitrale pour l’annuler au motif que le tribunal arbitral avait statué en l’absence de toute convention d’arbitrage, entraine par voie de conséquence l’annulation de la sentence arbitrale dans son ensemble. Il est intéressant de noter que la loi anglaise de l’arbitrage prévoit, dans son article 7255, le cas particulier d’une voie de recours pour les parties à la convention d’arbitrage qui n’auraient cependant pas pris part au processus d’arbitrage.

La notion de représentation à l’arbitrage et l’appréhension stricte de la notion de tiers

Sont considérés comme véritables tiers ceux qui sont à la fois tiers au contrat et tiers à l’instance. Les tiers à l’instance sont ceux qui n’ont pas été partie, intervenante forcée ou volontaire, ou représenté à l’instance. En arbitrage, toute la difficulté à cerner la notion de partie et, par conséquent, de tiers ressort de l’absence de critère permettant d’identifier avec assurance ces deux catégories. On peut toutefois procéder à une méthode de définition par exclusion : sont des véritables tiers à l’arbitrage sont auxquels les tribunaux arbitraux n’ont pu étendre la convention d’arbitrage et qui sont restés étrangers à la fois à la convention d’arbitrage et à l’instance arbitrale. Ce sont les seuls à conserver la possibilité d’exercer la tierce-opposition. Or la faculté de former tierce opposition est très encadrée par le législateur, soucieux d’assurer la stabilité juridique d’une situation de droit ou de fait constatée en justice.

La notion de représentation est souvent utilisée par la jurisprudence afin de borner la tierce opposition. De façon générale, la représentation est un procédé juridique qui permet à une personne, le représentant, d’agir au lieu et place d’une autre personne, le représenté. Mais en procédure civile la notion reçoit une conception plus large, se référant aux notions de « communauté d’intérêt » ou de « partie nécessaire », et délivre une approche extensive de la représentation dans le but de restreindre le champ des véritables tiers ayant qualité à recourir à la tierce opposition. Finalement, elle englobe tous les cas où les intérêts d’une personne ont eu, de fait, un défenseur à l’instance. Les hypothèses de représentation du tiers sont nombreuses. Par exemple, les associés sont représentés par le mandataire social dans les litiges opposant la société à des tiers, ils ne peuvent donc pas former tierce opposition à la sentence rendue à l’encontre de la société. La tierce opposition des minoritaires est irrecevable, ceux-ci ayant été représentés par les majoritaires.

La faible protection des véritables tiers en droit anglais

Le droit anglais n’offre pas de recours particulier pour les véritables tiers à l’arbitrage. Il n’existe pas de voie de recours équivalente à la tierce opposition dans le droit de l’arbitrage anglais. En revanche l’Arbitration Act 1996 réserve un article particulier pour les « personnes qui n’ont pas pris part à l’arbitrage » . Il est certain que ne peut se prétendre tiers la partie qui a totalement refusé de comparaitre devant les arbitres et de participer au débat, fut-ce pour contester la sentence de la juridiction arbitrale. Pour autant, la loi anglaise de l’arbitrage offre des voies de recours particulières aux personnes n’ayant participé, d’aucune façon, à l’instance arbitrale. L’article 72 de la loi dispose en effet qu’une personne « présumée partie à l’arbitrage mais qui n’a pas pris part à la procédure arbitrale » peut contester l’existence d’une convention d’arbitrage valide, 72(a), la constitution du tribunal arbitral, 72(b), les domaines des litiges soumis à l’arbitrage, 72(c). Dans certains cas, ces tiers très particuliers amenés à contester leur implication dans l’arbitrage, et plus largement à la convention d’arbitrage, ont en droit anglais des voies de recours privilégiés. En revanche, le droit procédural n’envisage pas de moyens de recours pour ces véritables tiers qui pourraient alors être contraint à trouver, voir revendiquer, d’autres moyens d’éviter les effets nuisibles, par ricochet, de la sentence arbitrale.

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Table des matières

Introduction générale
I. Les voies de recours des faux tiers suite à l’extension de la convention d’arbitrage
Introduction
A. L’extention de l’effet obligatoire de la convention d’arbitrage à des tierces personnes : la France favorable, le Royaume-Uni réticent 
1. L’extension de la convention d’arbitrage, un enjeu actuel
2. L’extension de la notion d’opposabilité des conventions d’arbitrage
3. La reconsidération de l’effet relatif de la convention d’arbitrage au nom de l’efficacité de la justice arbitrale
4. L’interprétation de la convention d’arbitrage par le tribunal arbitral
5. En arbitrage international, les juridictions françaises ont une conception libérale, voire extensive, du constement
6. En droit anglais le caractère sacré du consentement restreint les possibilités d’extension de la convention d’arbitrage aux tiers
7. Extension rationae personae de la convention d’arbitrage dans les groupes de société, en matière d’arbitrage international
8. Extension rationae personae de la convention d’arbitrage à des tiers représentés
B. Les recours des « faux tiers » contre la décision d’extension de la convention d’arbitrage et contre la sentence arbitrale
9. Les voies de recours de faux tiers contre la décision d’extension de la convention d’arbitrage
10. Le mécanisme de l’estoppel, limite au recours contre la décision d’extension de la convention d’arbitrage
11. En arbitrage interne français, le faux tiers a le même accès aux voies de recours que les parties
12. En arbitrage international français, le faux tiers a également accès aux peu de voies de recours ouvertes aux parties
13. Les voies de recours du faux tiers en droit anglais
II. L’insuffisance des voies de recours ouvertes aux véritables tiers
Introduction
A. La nécessité d’une protection des véritables tiers à la convention d’arbitrage 
14. La notion de représentation à l’arbitrage et l’appréhension stricte de la notion de tiers
15. Application aux véritables tiers des principes de relativité et d’opposabilité de la convention d’arbitrage
16. La sentence arbitrale revêt le caractère d’autorité de la chose jugée
17. La nécessité en droit français de l’existence d’une voie de recours des tiers à l’instance
B. Les voies de recours ouvertes aux véritables tiers en arbitrage 
18. Présentation générale de la tierce opposition
19. Les conditions strictes de mise en œuvre de la tierce opposition en arbitrage
20. La détermination délicate du tribunal compétent pour recevoir la tierce opposition
21. Les exceptions ouvrant la tierce opposition à des tiers représentés
22. La faible protection des véritables tiers en droit anglais
23. Recherche de paliatif à l’absence de voie de recours ouverte aux tiers en arbitrage international
24. L’intervention volontaire du tiers à l’instance arbitrale, un moyen de protection préalable
25. L’immixtion du tiers au sein même de la convention d’arbitrage
26. La nécessaire capacité d’évolution de la justice arbitrale

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