L’exsanguinité du champ opératoire

 L’exsanguinité du champ opératoire

L’anesthésie de la chirurgie de l’oreille moyenne et interne nécessite le recours à un ensemble de procédés concourant à une réduction souhaitée du risque de microsaignement local, dans le but d’obtenir une exsanguinité totale du champ opératoire (1). En effet, l’apparition d’une simple goutte de sang pose deux problèmes : le saignement peut entrainer une gêne majeure du chirurgien compromettant son geste, et la pénétration de sang dans le labyrinthe peut entrainer une cophose irréversible. Le contrôle du microsaignement est essentiel pour garantir le meilleur pronostic fonctionnel ainsi que le bon déroulement de la chirurgie en limitant le recours à l’aspiration qui peut être traumatique dans cette zone très fragile.

Les déterminants macro-hémodynamiques et microcirculatoires du saignement 

Les mécanismes circulatoires de survenue de microsaignement au niveau du site opératoire dans l’oreille sont complexes et intriqués. Deux niveaux sont à considérer simultanément : le niveau macro-hémodynamique général, et le niveau microcirculatoire local. Par souci de simplification, le niveau macro-hémodynamique général sera présenté en le distinguant du niveau microcirculatoire local, bien qu’il existe un continuum entre ces deux éléments. Nous présentons successivement ces deux niveaux.

Le niveau macro-hémodynamique : deux composantes

Le rôle du niveau macro-hémodynamique lors d’une chirurgie est dominant par rapport au niveau microcirculatoire. Il peut s’envisager selon deux aspects : une composante artérielle et une composante veineuse. Nous présentons dans cette partie les composantes artérielle et veineuse au niveau général ; dans la partie suivante, l’aspect microcirculatoire local. Les relations invoquées ci-dessous entre les différentes grandeurs hémodynamiques sont bien connues et décrites dans la plupart des traités d’anesthésie, nous n’aborderons ces relations qu’à travers une approche générale, faisant ainsi le choix délibéré de ne pas décrire finement la biomécanique cardiovasculaire comme l’ont fait certains auteurs (2).

La composante artérielle du microsaignement 

La composante artérielle du microsaignement dépend du débit sanguin céphalique. Puisque que celui-ci dépend lui-même de la pression artérielle (PA) et du débit cardiaque (DC), la composante artérielle du saignement dépend du DC et de la PA. La PA est une grandeur dépendante du temps qui est décrite :

– soit en fonction du cycle cardiaque, définissant la pression artérielle systolique (PAS) et la pression artérielle diastolique (PAD),
– soit en calculant la pression artérielle moyenne (PAM), intégrant la pression sur le temps.

La composante artérielle du saignement dépend de la PAS, de la PAD, de la PAM et du DC. Ces grandeurs sont toutes interdépendantes. La PAS est un des principaux déterminants du saignement. Les déterminants de la PAS sont la pression pulsée (PP), différentielle de pression proportionnelle au volume d’éjection systolique (VES), et de la PAD puisque PAS = PAD + PP. La PAD dépend du rapport contenu/contenant entre la volémie et les résistances vasculaires systémiques périphériques. Par ailleurs, la PAD n’est pas indépendante de la fréquence cardiaque (FC). Par exemple, une tachycardie augmente mécaniquement la PAD, ce qui favorise la perfusion coronaire. La PAM dépend du DC, des résistances vasculaires systémiques (RVS) et de la pression veineuse centrale (PVC) selon la relation : PAM = (DC × RVS) + PVC ≈ DC × RVS.

Le DC est égal au produit de la fréquence cardiaque par le volume d’éjection systolique (DC = FC × VES). Il en résulte que le DC, la FC, le VES, la PP, la PAS, la PAD et la PAM sont étroitement liés et contribuent tous à la composante artérielle du saignement.

L’adrénaline illustre l’importance de cette interdépendance. En effet, qu’elle soit d’origine exogène − provenant de l’infiltration par exemple − ou endogène − due à la réponse sympathique à un stimulus nociceptif – l’adrénaline agit principalement à trois niveaux du système cardiovasculaire selon des récepteurs aux effets spécifiques : l’effet β1-adrénergique chronotrope positif, l’effet β1-adrénergique inotrope positif, l’effet α1-adrénergique vasoconstricteur. L’effet β1-adrénergique chronotrope positif au niveau du tissu cardionecteur auriculaire augmente la FC et la PAD ; il augmente donc la PAS et le DC par sa composante fréquence . L’effet β1-adrénergique inotrope positif au niveau du myocarde, principalement ventriculaire gauche, augmente le VES et la PP ; il augmente donc la PAS et le DC par sa composante contractile. L’effet α1-adrénergique vasoconstricteur au niveau artériolaire systémique périphérique augmente les RVS et la PAD, de même que la vasoconstriction au niveau veineux augmente le retour veineux. D’après la loi de Frank-Starling, plus le retour veineux (précharge) est important, plus le VES et donc la pression pulsée (PP) seront importants. L’effet α1-adrénergique vasoconstricteur au niveau vasculaire périphérique augmente ainsi conjointement la PAD et la PP, donc la PAS, puisque PAS = PAD + PP. Au total, un effet β1-adrénergique cardiaque augmente le débit cardiaque (DC), et un effet α1-adrénergique vasculaire augmente la pression artérielle (PA). C’est une augmentation excessive du débit sanguin céphalique, résultant d’une PA et d’un DC élevés, qui va être la cause principale du saignement. Tout passage systémique d’adrénaline, engendrant une tachycardie et une hypertension, favorise le saignement. Par contre, si au niveau purement local limité au site opératoire, son effet vasoconstricteur aura tendance à diminuer le risque de microsaignement, au contraire en cas de diffusion systémique au niveau du corps entier, elle engendrera une augmentation de la pression artérielle et du saignement .

Le DC est difficile à évaluer en peropératoire dans le cadre de la chirurgie de l’oreille puisque nous ne disposons pas de moyens de mesure directe en l’absence de pression artérielle invasive, d’échographie ou de doppler œsophagien pour en assurer un monitorage continu non invasif. En revanche, nous savons que DC = FC× VES. Or VES = k × PP avec k une constante propre à chaque patient qui correspond à leur compliance aortique. Puisque PP = PAS − PAS alors DC = k × FC× (PAS − PAS). Ainsi, le suivi de la FC, de la PAS et de la PAD nous fournit une estimation simple du DC, à l’approximation près par une la constante k, faisant le lien entre le VES et la différentielle PP. C’est la raison pour laquelle le suivi de la FC, de la PAS et de la PAD durant la chirurgie à partir des données du scope nous informe sur la composante artérielle macro-hémodynamique potentiellement responsable d’un microsaignement.

La composante veineuse du microsaignement. 

La composante veineuse est liée à la pression veineuse, par conséquent à la volémie, à la position du patient et aux pressions respiratoires qui influencent le retour veineux. Il peut donc être contrôlé par la position du patient (proclivité, déclivité), les réglages de la ventilation et le remplissage. D’une part, les réglages de la ventilation : volume courant (VT), PEEP et FR influencent tous le retour veineux. Ils ont donc une influence majeure sur la composante veineuse du microsaignement. D’autre part, La position du patient conditionne la pression hydrostatique par simple effet de la pesanteur. Une position de +15° à +20° permet de diminuer les pressions artérielles et veineuses au risque d’augmenter le risque d’embolie gazeuse (3). Bien qu’il soit faible, ce risque d’embolie gazeuse peropératoire en chirurgie céphalique en position proclive justifie la capnométrie. Le saignement veineux peut donc être contrôlé par la position du patient en proclive, les réglages de la ventilation (qui limitent les pressions respiratoires) et la limitation du remplissage.

La capnométrie 

La capnométrie consiste à mesurer le CO2 en fin d’expiration (end tidal CO2 ou etCO2). Elle est un moyen indirect d’évaluer le CO2 alvéolaire et donc un moyen indirect de mesure de la PaCO2.

En dehors de la situation pathologique d’embolie gazeuse, on remarque que le DC est lié à l’etCO2 et qu’une chute de l’etCO2 peut traduire une chute du DC. D’une façon plus générale, l’etCO2 intègre trois éléments :

– la production de CO2 au niveau des mitochondries par le métabolisme, couplée à la consommation d’oxygène,
– le transport sanguin du CO2 depuis les cellules périphériques jusqu’aux alvéoles pulmonaires, lié au DC,
– et enfin, l’élimination du CO2 par la ventilation qui est parfaitement maîtrisable en anesthésie générale, avec intubation et ventilation mécanique dont on fixe les paramètres, en particulier la ventilation minute (VM) qui est égale à VT × FR.

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Table des matières

1 Introduction
1.1 L’exsanguinité du champ opératoire
1.2 Les déterminants macro-hémodynamiques et microcirculatoires du saignement
1.2.1 Le niveau macro-hémodynamique : deux composantes
1.2.2 Le niveau microcirculatoire
1.3 L’anesthésie générale dans la chirurgie de l’oreille moyenne et interne
1.3.1 Le rôle du rémifentanil
1.3.2 Anesthésie en hypotension contrôlée : le propofol, le desflurane et le
sévoflurane
1.3.3 L’anesthésie intraveineuse totale et l’anesthésie balancée IV/gaz
1.3.4 Neuroprotection et neuromonitorage
1.4 L’infiltration locale dans la chirurgie de l’oreille
1.4.1 L’utilité de l’infiltration locale
1.4.2 Les deux types d’infiltration utilisés dans le service de chirurgie ORL
1.5 Objectifs
1.5.1 Objectif principal
1.5.2 Objectifs secondaires
2 Matériel et méthodes
2.1 Type d’étude
2.2 Population de l’étude
2.2.1 Recueil des données
2.2.2 Période d’inclusion et prise en charge des patients pendant l’étude
2.2.3 Prise en charge anesthésique dans le service
2.3 Méthodes
2.3.1 Critères de jugements
2.3.2 Autres informations recueillies mais non analysées
2.3.3 Méthodes statistiques
3 Résultats
3.1 Description de la population d’étude
3.2 Résultats principaux
3.2.1 Description générale des saignements pour les otospongioses et les
tympanoplasties
3.2.2 Comparaison des patients selon le type d’infiltration
3.2.3 L’infiltration par SHA est associée à une diminution du risque de
microsaignement
3.2.4 Le passage d’adrénaline, observée chez les patients du groupe SHA, est associé à une augmentation du risque de microsaignement
3.3 Résultats secondaires
3.3.1 Comparaison des patients ayant un saignement absent ou contrôlé versus ceux présentant un saignement persistant ou aggravé
3.3.2 L’etCO2 bas est associé à un saignement absent ou contrôlé
3.3.3 BIS et etCO2 sont linéairement associés
3.3.4 Description des patients triade low
4 Discussion
4.1 Principaux résultats
4.1.1 L’infiltration locale dans le contexte de l’anesthésie générale
4.1.2 La gestion du saignement et le neuromonitorage
4.2 Limites
4.2.1 Le SHA nécessite des équipes médico-chirurgicales expérimentées
4.2.2 Limites générales relatives au type d’étude
4.2.3 Limites relatives à la définition des saignements
4.2.4 Le geste chirurgical et l’anesthésie sont complexes
4.2.5 Limites relatives au recueil des informations
4.3 Perspectives
4.3.1 Amélioration des protocoles existants
4.3.2 Une question de Big Data en anesthésie-réanimation
4.3.3 Le neuromonitorage à préciser
5 Conclusion
6 Bibliographie

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