L’éxposition internationale du livre moderne à l’Art nouveau

Par : Léo Rivaud Chevaillier

Mémoire de Master – Histoire de l’Art

Les sculptures inspirées des Fleurs du Mal

Si le dessin de Rodin glisse vers la figure féminine, la sculpture également est influencée par Baudelaire. Si bien qu’à l’exposition à la Galerie Georges Petit en 1886, Rodin présente Trois études du rut humain, dont Je suis belle (ill. 37), qui porte à sa base l’inscription des premiers vers du poème « La Beauté » ainsi que Trois femmes lasses (ill. 38) qui portent une strophe du poème « Le Grignon ». Initialement, le texte des Fleurs du Mal est ainsi explicitement rapproché de l’œuvre rodinienne par la sculpture, et non par le dessin. Le critique Armand Silvestre parle alors d’une « série baudelairienne », mais ce n’est que trois ans plus tard, toujours à la galerie Georges Petit, que « ces rapports entre Dante, Baudelaire et Rodin s’imposent aux yeux de la critique ». Le correspondant à Paris du Journal de Bruxelles, Georges Rodenbach, écrit ainsi que « c’est d’ailleurs avec l’auteur des Fleurs du mal que Rodin présente le plus d’affinités cérébrales », quand Hugues Le Roux témoigne : « J’ai connu un temps où les murs, le parquet de l’atelier, les selles, les meubles étaient couverts de ces petits corps de femmes, nus, tordus dans les poses de la passion et du désespoir. Rodin était alors sous l’influence toute récente du livre de Baudelaire. Il en paraissait enivré ».

Ainsi Rodin était-il déjà plongé, à travers sa sculpture, dans un rapport direct avec le texte poétique. Les dessins pour l’exemplaire de Gallimard sont donc complètement inscrits dans une période propice à la « descente », pour reprendre l’expression de Rodin , dans les Fleurs du mal, puisqu’il s’agit bien d’un « gouffre » dans lequel il semble s’enfoncer. La notion de « gouffre » revient d’ailleurs régulièrement dans les poèmes de Baudelaire, ici dans « De Profundis Clamavi » – « Du fond du gouffre obscur où mon cœur est tombé » (ill. 11) -là dans « Le Voyage », « Plonger au fond du gouffre, Enfer ou Ciel, qu’importe ? / Au fond de l’Inconnu pour trouver du nouveau ! ». Rodin n’a-t-il pas annoté à la plume, sous le dessin qu’il réalise pour « De Profundis Clamavi », les vers associés au poème ? Si, au premier regard, l’on pourrait penser que le personnage féminin s’élève, dans ce dessin à la plume et au lavis d’encre brune, l’on peut également y voir la chute du personnage masculin à gauche, qui se sépare douloureusement de l’étreinte charnelle. Peut-être était-ce là le sens métaphorique de la descente ambitieuse à laquelle Rodin songeait.

Un autre aspect, enfin, du lien direct à Baudelaire vient en 1892, avec la commande d’un monument en hommage au poète, pour lequel le critique Charles Morice se souvient : « Il y a longtemps que Rodin rêve d’un monument à Baudelaire. L’occasion manquait : la voici. Le sculpteur se rappellera et nous dira quelle date fut dans sa vie d’artiste et d’homme la lecture des Fleurs du mal ». En effet, l’idée d’une souscription pour un monument en hommage au poète est lancée le 1er août 1892 par Léon Deschamps, le rédacteur en chef de la revue symboliste La Plume, sous l’égide d’un comité auquel participent activement Mallarmé et Leconte de Lisle. Rodin a accepté de réaliser l’ouvrage, qui devait prendre place soit sur la tombe de Baudelaire au cimetière du Montparnasse, soit au jardin du Luxembourg. Rodin expliquait son projet : « Ce n’est pas Baudelaire mais une tête de Baudelaire. Ce buste est celui du dessinateur Maleste qui présente toutes les lignes caractéristiques du masque baudelairien ». Dans ce cadre, si Rodin n’a, à notre connaissance, jamais commenté les dessins qu’il a réalisé pour les Fleurs du Mal, un article écrit par Charles Formentin à propos de « la Statue de Baudelaire » rapporte les propos du sculpteur qui délivrent un aperçu de sa considération pour le poète : « Depuis un mois, je lis, je relis les Fleurs du mal ; je me pénètre de la pensée du poète, je me grise du parfum capiteux qui sort de ses strophes. Tous les jours je découvre en Baudelaire quelque chose de nouveau, quelque trait inaperçu d’abord qu’il me faudra faire revivre dans le marbre ». Et l’écrivain d’ajouter : « puis, quand le monument modeste s’élèvera sous les cyprès du cimetière, il faudra demander à Félicien Rops d’illustrer les Fleurs du mal : l’hommage rendu au poète honni de M. Brunetière sera alors complet ».

En effet, une polémique éclate avec le critique Ferdinand Brunetière qui s’oppose au génie baudelairien – André Guyaux retrace ce moment clé de la réception de Baudelaire à la fin du XIXe siècle – et bientôt Rodin renonce au projet. Enfin, André Guyaux montre bien que cet épisode inspira, par exemple, au journaliste Paul Foucher de placer Rodin dans la même « famille intellectuelle » que Baudelaire, et Dante également.
Ce moment cristallise la réputation de Rodin comme un sculpteur baudelairien, littéraire. La préface qu’écrit Camille Mauclair dès 1914, mais publiée seulement en 1918, à l’édition en fac-similé des Fleurs du mal de Rodin, achève d’écrire cette légende baudelairienne associée à Rodin sculpteur et dessinateur. Y défendant l’œuvre graphique de son ami, Mauclair, à la vue seule des dessins, tente d’inclure son lecteur pour le plonger dans un véritable mythe artistique :
On sent que Rodin a manié le livre, l’a repris et quitté cent fois, l’a lu en marchant, l’a rouvert tout à coup sous la lampe, les soirs de fatigue, hanté par une strophe et prenant la plume. On devine où il s’est arrêté, quelle page il a froissée, sans ménager le volume. Ce n’est pas un bel exemplaire qu’on lui a confié et qu’il craignait de gâter. C’est alors « son » Baudelaire de poche, et voici ce qu’il s’en disait à lui-même. C’est émouvant comme une de ces pages maculées des manuscrits de Balzac, qui sentent la fièvre, la rage, l’enthousiaste insomnie.
Précieux livre ! Et que Baudelaire ne l’a-t-il vu ! […] Et LES FLEURS DU MAL sont une des expressions du génie humain qui l’ont le plus touché, et il nous en a donné d’autres, que Baudelaire avait rêvés sans les cueillir. Les croquis de ce volume nous disent la parenté de ces deux grandes âmes pour lesquelles le monde n’a été que le décor d’une volonté, et la douleur le prétexte d’une création.

Par ailleurs, Rodin connaît les illustrateurs de son temps. Il a lui-même déjà illustré avec deux dessins l’édition d’Enguerrande (ill. 39), un poème dramatique d’Emile Bergerat (1845-1923), en 1884, pour lesquels le poète répondra à Rodin : « Rodinopolis ! Le dessin est superbe rembrandtesque et d’un bel effet ». Après ce premier essai à l’illustration, Rodin se confronte alors aux Fleurs du mal. Toutefois, comme le rappelle François Chapon, « on ne peut tout à fait considérer une telle œuvre – publiée en fac-similé par la Société des Amis du livre moderne en 1918 – comme un véritable livre illustré, puisqu’elle n’a pas été prévue, typographiquement parlant, pour cette illustration ». Revenons alors à la genèse plus précise de ce projet, initié par Rodin, en étudiant les différents acteurs réunis : Rodin, Frantz-Jourdain et Paul Gallimard.

Un livre doublement unique : le vêtement des Fleurs du Mal par Henri Marius Michel

L’exemplaire est par ailleurs rendu « unique » une deuxième fois puisque Gallimard confie entre 1888 et 1892 son édition à Henri Marius-Michel (1845-1925), relieur alors fort connu et maître de Charles Meunier qui allait fonder avec Gallimard la Société des Amis du Livre moderne, afin qu’il réalise une reliure unique (ill. 30). Dans un article intitulé « La reliure française à l’exposition du Cercle de la Librairie », le spécialiste Henri Beraldi écrit ainsi à propos de cette reliure : « dans le vert foncé de la reliure est placée une plaque, nous dirions presque une dalle de cuir, foncée comme un marbre funéraire ; une fleur du mal, un chardon à l’air méchant y est tracé, et, au bas, est une petite tête de mort, venue en teinte d’ivoire par la réserve de la couleur naturelle du cuir. Ceci est un pur chef-d’œuvre, exécuté avec autant de fermeté que de décision. Marius a le travail facile et rapide, les idées claires ». Dans les archives du musée Rodin, on trouve ainsi une note sur le relieur : Henri Marius-Michel avait suivi les cours de l’Ecole des Arts Décoratifs, puis de l’Ecole des BeauxArts. A la recherche d’un style nouveau, il commence dès 1881 à créer des reliures avec application de cuir incisé. Il est célèbre pour ses décors « floraux », où les feuilles et fleurs sont stylisées.

Cette tendance à singulariser à l’extrême les livres est courante dans le milieu de la bibliophilie, et les Goncourt sont à ce titre un exemple incontournable. Ainsi, Bernard Vouilloux a étudié la collection que se constitue Edmond de Goncourt à partir de 1890 avec vingt-neuf livres d’écrivains contemporains. Le photographe Paul Cardon l’immortalise dans son cabinet de travail dans les dix dernières décennies de sa vie, il est entouré, songeur, de ses bibliothèques et estampes cachées de la lumière du jour (ill. 43). De Goncourt était au même titre que Gallimard un bibliophile attaché à la singularisation de ses exemplaires. A peu près systématiquement, « le plat de couverture, après intervention du relieur, était orné d’un portrait de l’auteur peint ou dessiné par un artiste, celui-ci comme celui-là étant en principe des familiers du Grenier de la maison d’Auteuil ». Il en est ainsi du Portrait à l’huile d’Edmond et Jules de Goncourt par Eugène Carrière (juillet 1892), signé par l’artiste, pour l’exemplaire de Germinie Lacerteux illustré par Raffaëlli et imprimé par Paul Gallimard (Paris, Fondation Custodia, collection Frits Lugt. Ill. 45). Il en va de même pour un exemplaire sur papier de Hollande du Sébastien Roch d’Octave Mirbeau (Paris, Charpentier, 1890) où Rodin a dessiné à la plume un triple portrait de l’auteur en 1892 et dont les traits (ill. 44) rappellent fortement la technique employée pour les Fleurs du Mal. Bernard Vouilloux s’intéresse à la constitution de la collection à partir de certains critères comme le fait que « l’auteur et l’artiste retenus sont des “habitués du Grenier”, le titre choisi est “le mieux aimé” par lui, l’exemplaire est “presque toujours en papier extraordinaire”, et enfin il comporte “une page du manuscrit autographe de l’auteur” ». Mise en relation avec le contexte de la bibliophilie, cette pratique correspond selon lui une logique de la rareté poussée à l’extrême : « du livre, objet multiple, il fait un objet unique (tirage de luxe numéroté, quand il y en a un, reliure ad hoc, portrait peint ou dessiné, annotation manuscrite d’Edmond, envoi autographe de l’auteur, insertion d’une page du manuscrit autographe)».

Bernard Vouilloux souligne les enjeux sémiotiques, sociaux et symboliques d’un tel collectionnisme. La pratique de Paul Gallimard s’inscrit donc totalement dans un cadre plus large d’un éloge de la rareté, qui ne peut se comprendre que grâce à l’évolution du marché du livre que nous avons évoqué plus haut. Cette rareté place le livre unique, dessiné plutôt qu’illustré, à la limite de l’œuvre d’art, ce qui amène également Paul Gallimard à défendre systématiquement le « livre moderne » lors d’expositions publiques.

Une réception mitigée : exposer les dessins de Rodin pour Les Fleurs du Mal

Le livre est un objet qui fascine car il concentre un savoir-faire et une histoire qui finalement ne remonte qu’au XVe siècle. A la fin du XIX e siècle, moment où les expositions se multiplient largement au-delà des cercles principalement institutionnels, les beaux livres deviennent aussi des sujets d’exposition. Autrefois conservés et cachés dans les bibliothèques des érudits ou des amateurs, il s’agit désormais de les considérer comme autant d’objets capables d’entrer en résonnance avec l’idéal de réunion entre l’art et la vie, au même titre que l’architecture et que le mobilier pour le mouvement de l’Art Nouveau. Or, Paul Gallimard entend participer à cet élan de diffusion des arts du « livre moderne », en contribuant à l’organisation de plusieurs expositions voire en créant des sections consacrées au livre dans des lieux où, quelques années auparavant, les visiteurs auraient été étonnés de voir ces livres.

L’Exposition internationale du livre moderne à l’Art nouveau

A notre connaissance, Paul Gallimard attend huit ans avant de présenter publiquement son précieux exemplaire des Fleurs du Mal avec les dessins de Rodin, à l’occasion de l’Exposition internationale du livre moderne à l’Art Nouveau organisée en mai 1896 à la galerie de l’Art nouveau de Samuel Bing . La décennie 1890 marque par ailleurs la reconnaissance de Rodin, qui reçoit de nombreuses commandes publiques et des distinctions non seulement en France mais aussi à l’étranger. Toutefois, l’exposition à l’Art nouveau n’est pas consacrée à Rodin en particulier, et il nous a étonné de voir à quel point les dessins pour les Fleurs du Mal y ont été peu remarqués. L’année 1896 marque par ailleurs une étape supplémentaire dans la réception baudelairienne à la fin du XIXe siècle puisque paraît alors le Tombeau de Baudelaire avec les éditeurs de la revue La Plume et Stéphane Mallarmé.

Au 22 rue de Provence à Paris, la Maison de l’Art nouveau est ouverte depuis peu, en décembre 1895, par le marchand et collectionneur d’origine allemande Siegfried Bing, promoteur central du japonisme avec la revue Le Japon artistique et défenseur de nombreux artistes post impressionnistes, puis des arts décoratifs de l’Art nouveau. Cette exposition venait à la suite de celle que Bing avait consacrée à Edvard Munch, qui la même année devait illustrer les Fleurs du Mal. L’histoire de la Maison Bing a été mis en lumière par l’historien de l’art américain Gabriel P. Weisberg dans plusieurs études et expositions. Dans le carton d’invitation à l’inauguration, le visiteur pouvait ainsi lire : « L’Art nouveau luttera pour éliminer le laid et le luxe prétentieux de toutes les choses de la vie, pour faire pénétrer l’affinement du goût et un charme de beauté simple jusque dans les moindres objets d’utilité ». Le livre devait faire partie de ces objets.

Le Salon d’Automne de 1906 : une non-réception ?

Dix ans plus tard, les dessins originaux de Rodin sont exposés au IVe Salon d’Automne, en octobre 1906. L’exposition est organisée au Grand-Palais. Le Salon d’Automne a été créé en 1903 par Frantz-Jourdain, pour proposer un salon plus sélectif que celui des Indépendants, inclure tous les arts, tous les pays, et proposer des salles spéciales. Le livre en fait partie, et Paul Gallimard est chargé d’y organiser la section du Livre jusqu’en 1913. En 1905, le Jardin des Supplices de Mirbeau illustré par Rodin y était exposé . Rodin, de son côté, attend quelques temps avant de soutenir officiellement le Salon, dont il est président d’honneur en 1906, pour remplacer Eugène Carrière décédé la même année. Cette période annonce une réflexion supplémentaire quant aux livres modernes illustrés. Pour Frantz-Jourdain, cette synthèse des arts s’exprime ainsi : « Nous pensons par exemple que la musique de Debussy doit être logiquement exécutée dans une galerie dont les meubles sortiraient de l’Atelier Dufrène et dont la décoration serait exécutée par Vuillard ou Bonnard».

Quant aux livres, en 1905, ils sont inclus à l’Exposition du Salon d’Automne, « présentement installée au premier étage du Grand Palais (Entrée latérale du Palais, sur l’Avenue des Champs-Elysées) et il est probable que ses organisateurs lui réserveront un emplacement de plus en plus important à l’avenir ». L’auteur de la Revue biblioiconographique poursuit, la section jouit « elle même d’un bon éclairage, mais se trouve un peu étriquée par le petit nombre de vitrines qui lui est consacré ». Les choix de Gallimard sont déjà ventés : « M. Paul Gallimard, qui a su réunir un très beau choix des éditions et des reliures les plus intéressantes, françaises et même anglaises, de ces dernières années ». Le rôle des sociétés de bibliophiles est souligné, notamment les productions des Bibliophiles Français, les Amis des Livres, les Cents Bibliophiles, les XX, le Livre Contemporain, le Livre d’Art ; ainsi que le rôle des éditeurs Carteret, Floury, Pelletan, Plon, etc., toutefois, il n’est pas fait mention d’Ambroise Vollard.

Du livre illustré unique au livre d’artiste : les éditions en facsimilé des Fleurs du Mal de Rodin (1918-1940)

La réception des dessins de Rodin pour les Fleurs du Mal était donc réservée à une élite, un club, sinon à quelques amateurs lors d’expositions du livre moderne. La crainte de Rodin était donc avérée, puisque la diffusion de son œuvre graphique a été limitée à ce moment précis de sa carrière. Il lui faut attendre 1897 pour que l’Album Goupil joue ce rôle, dont nous parlerons dans ce troisième chapitre. Par ailleurs, ce n’est qu’en 1918, soit un an après le décès de Rodin, que la Société des Amis du Livre moderne tire à 200 exemplaires un fac-similé de l’exemplaire unique de Paul Gallimard. Cette édition semble correspondre à un changement d’époque : on passe d’une conception de la bibliophilie très radicale, où l’unique triomphe sur la production commerciale de masse, à une conception plus proche des pratiques en vogue au début du XXe siècle, à savoir la production d’estampes et de livres d’art par des galeristes-éditeurs comme Vollard , pour lequel Rodin travaille sur le Jardin des Supplices d’Octave Mirbeau – mais dont la technique diffère largement des premiers dessins des années 1880. La pratique du fac-similé va donc à rebours de l’intention initiale du collectionneur Paul Gallimard. Malheureusement, le manque de sources d’archive disponibles ne nous permet pas de connaître précisément la raison pour laquelle Gallimard décide d’éditer les dessins de Rodin.

Les techniques de reproduction photomécaniques se perfectionnent, et le fac-similé connaît progressivement une vogue dès la fin du XIXe siècle : il revêt un intérêt pédagogique, un rôle éducatif, et une source iconographique, ainsi que cela a été souligné récemment lors d’un séminaire de l’Institut National d’Histoire de l’Art à Paris, consacré en partie à la production de fac-similés par l’Ecole des chartes . A la vue du caractère complexe de la conservation des œuvres graphiques, le fac-similé revêt également un intérêt pour la conservation à plus long terme de documents. Par ailleurs, un véritable marché se constitue, et des marchands comme ceux de la galerie Bernheim-Jeune promeut ainsi ses artistes . Mais qu’en est-il d’une œuvre d’art et de sa reproduction ? C’est l’interrogation que Walter Benjamin pose lorsqu’il écrit : « à la plus parfaite reproduction il manque toujours quelque chose : l’ici et le maintenant de l’œuvre d’art – l’unicité de sa présence au lieu où elle se trouve. […] au temps des techniques de reproduction, ce qui est atteint dans une œuvre d’art, c’est son aura ». Ce dernier réagit, comme le rappelle Emmanuel Pernoud dans Le Serviteur inspiré, au « débat provoqué par une exposition de 1929 à Hanovre, intitulée Original et reproduction, où l’on avait sciemment mélangé des originaux et des fac-similés, à charge pour le visiteur de distinguer le vrai du faux ». Enfin, Octave Uzanne, dans son Dictionnaire bibliophilosophique de 1896 , accorde une entrée au terme « fac-similé ». Pour lui, c’est « le calque fidèle d’une écriture ou d’un dessin, mais un calque imprimé, gravé, photographié ou obtenu par quelque procédé mécanique ». Ce dernier donnerait « l’illusion aussi complète que possible d’une œuvre ; il n’interprète pas, il reflète, moyen précieux pour révéler, dans toutes leur expression réelle, leur vie, les dessins originaux, les vieux manuscrits, les documents imprimés de toute nature ». Pour Uzanne, le fac-similé pourrait être une avancée heureuse, mais il regrette la facilité de l’obtention du fac-similé et s’inquiète, bien avant Walter Benjamin, en ces mots : « Le moment approche où le document original deviendra sans valeur, tellement parfaite sera la reproduction. Cela nous annonce des temps monotones et dont la banalité, la torpeur, l’ennui ne sont pas à exposer – Voyez-vous ça d’ici… non, mais le voyez-vous ? »

Au cœur des débats pour ou contre les reproductions mécaniques et non manuelles, il semble que Rodin ait été d’accord assez tôt pour donner une chance aux procédés photomécaniques. Un an avant la publication de l’Album Goupil, en 1896, le maître aquafortiste Adolphe Lalauze forme « une Société destinée à protéger l’art de la gravure à l’eau-forte », c’est-à-dire la Société des amis de l’eau-forte, à laquelle participe activement Félix Bracquemond. Ce dernier vantait « l’entière similitude de la taille en creux et du dessin, l’une au bout de l’outil comme l’autre au bout du crayon, alors que la gravure d’épargne du coupeur de bois n’est que réserve d’un tracé, non tracé elle-même ». De même, les partisans de la gravure sur bois et la lithographie tentent de résister aux nouvelles pratiques jugées trop industrielles. Se sont développés, à la fin du XIXe siècle, les techniques dites « directes », comme la décalque mécanique (procédé Firmin Gillot) et le report photomécanique en relief ou en creux (procédés Charles Gillot et Goupil). Philippe Kaenel traite brillamment ces débats autour de l’authenticité de la reproduction des œuvres dans les livres.
Ce troisième et dernier chapitre pose la question du devenir des Fleurs du Mal de Rodin à partir de sa reproduction. Comment le fac-similé permet de faire mieux connaître ces dessins et pourquoi ce renversement de situation constitue-t-il un reflet du changement d’attitude des bibliophiles d’avant-garde au tournant du XXe siècle ? Du vivant de Rodin, à notre connaissance, les projets d’édition n’ont pas abouti. Des sources nous permettent toutefois de savoir que Rodin savait que de tels projets étaient en cours. Celui-ci connaissait bien les mécanismes de reproduction de son époque, puisqu’il a lui-même participé à l’élaboration de l’Album Fenaille édité par la Maison Goupil. Ce n’est qu’après sa mort, en 1917, que les dessins sont diffusés, jusqu’aux Etats-Unis.

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Table des matières

Introduction
Chapitre 1
Chapitre 2
Chapitre 3
Conclusion
Bibliographie

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