L’expérience professionnelle de massothérapeute
L’idéal professionnel
Les croyances permettent de donner un sens à notre conduite professionnelle. Elles s’érigent
en règles de conduite, nous guident et facilitent la compréhension de notre univers. Ces croyances montrent déjà le chemin à suivre pour atteindre la valeur ultime : l’idéal professionnel. Au niveau de l’idéal, Emile Durkheim a déjà souligné :
Si donc l’homme conçoit des idéaux, si même il ne peut se passer d’en concevoir et de s’y attacher, c’est qu’il est un être social. C’est la société qui le pousse ou l’oblige à se hausser ainsi au-dessus de lui-même, et c’est elle aussi qui lui en fournit les moyens. Par cela seul qu’elle prend conscience de soi, elle enlève l’individu à lui-même et elle l’entraîne dans un cercle de vie supérieure. Elle ne peut pas se constituer sans créer de l’idéal. Ces idéaux, ce sont tout simplement les idées dans lesquelles vient se peindre et se résumer la vie sociale, telle qu’elle est aux points culminants de son développement. On diminue la société quand on ne voit en elle qu’un corps organisé en vue de certaines fonctions vitales. Dans ce corps vit une âme : c’est l’ensemble des idéaux collectifs. Mais ces idéaux ne sont pas des abstraits, de froides représentations intellectuelles, dénuées de toute efficace. Ils sont essentiellement moteurs ; car derrière eux, il y a des forces réelles et agissantes : ce sont les forces collectives, forces naturelles, par conséquent, quoique toutes morales, et comparables à celles qui jouent dans le reste de l’univers. Essentiellement, l’homme cherche donc à grandir, à se réaliser. L’être social qu’il est recherche le partage d’idéaux collectifs, un devenir commun. Fournir une réponse instrumentale à cette réalisation c’est lui permettre de devenir meilleur. Toutefois, d’une personne à rautre, la perception d’un idéal varie considérablement. Pour une personne, ça se vit une semaine à la fois ; pour une autre, il s’agit de conserver l’originalité de notre différence. Pour d’autres, c’est d’obtenir une plus grande reconnaissance professionnelle,
etc. Il y a tout de même une majorité de praticiens qui préconise un meilleur contrôle de la profession, mais encore là avec des moyens tout aussi variés : formation, contingentement de la profession, contrôle de l’appellation, etc.
Cathleen aimerait, afin de protéger le public et la profession, qu’un Tninimnm de formation professionnelle soit exigé. De plus, une légifération par l’Office des professions permettrait, selon elle, de distinguer les professionnels qui interviennent au niveau de la santé, de ceux qui se spécialisent dans les services « autres ». L’idéal professionnel tient donc à une reconnaissance apportée par une légifération de la profession et l’exigence d’une formation minimale plus élevée.
Hélène aimerait que cette profession soit plus connue et mieux contrôlée. Actuellement, l’image de la profession est ternie parce que plusieurs personnes la pratiquent sans formation adéquate. Elle souligne qu’il faudrait une loi empêchant l’utilisation du titre de massothérapeute pour ceux qui n’ont qu’un minimum de cours. Les gens ne savent pas où aller, qui aller voir. Il faut que les massothérapeutes soient réellement des professionnels de la santé pour que la profession, selon ses dires, plaise à tout le monde. Bref, dans l’intérêt supérieur du public, l’idéal de cette profession c’est une reconnaissance réelle du gouvernement, des massothérapeutes comme professionnels de la santé et un contrôle conséquent de l’utilisation du titre de massothérapeute par les instances concernées.
Les étapes chronologiques d’une vie professionnelle
En bref, nous avons tenté d’analyser le parcours professionnel des praticiens à travers cinq types de motivation représentant les étapes chronologiques d’une vie professionnelle : la motivation originelle, le renforcement, le déplacement, les croyances et l’idéal professionnel. Chacune de ces étapes se voulait représentative du chemin de vie professionnelle. Cet ordonnancement reste toutefois fluctuant puisqu’une croyance peut précéder une période de déplacement tout comme la recherche d’un idéal professionnel peut habiter une personne durant une plus grande partie de sa vie professionnelle plutôt que de ne se présenter qu’à la toute fin de son parcours professionnel. Cette représentation a tout au moins le mérite de schématiser une évolution du parcours professionnel tel qu’elle pourrait généralement se présenter.
Nous avons vu que selon les dires de nos praticiens, la motivation originelle, une motivation propre à créer un préjudice favorable à choisir cette profession, prenait la forme d’une expérimentation (découverte) ou d’une certaine prédisposition naturelle reliée soit à un facteur relationnel ou soit à un besoin de développement personnel. Le facteur relationnel s’articule à travers une relation fraternelle pour Jean (sens inné du toucher) ou une relation familiale pour Stéphane (jouer avec ses enfants) et pour Cathleen (massage de son grand-père). Pour certains praticiens, il semble que c’est plutôt un besoin de développement personnel qui a constitué l’essentiel de leur motivation originelle : Mario a érigé la compétition face à lui-même et à son environnement en style de vie et Michel est habité par une quête perpétuelle d’épanouissement. Aux dires des autres praticiens,
l’expérimentation du massage a constitué la pulsion originelle à choisir cette profession : Francine a tout de suite été séduite par ce qu’elle appelle le « principe du massage », Hélène y a vu l’opportunité de faire le lien avec sa profession d’infirmière et Julie a découvert un toucher bienfaisant sans connotation sexuelle.
Le renforcement constitue une étape d’accroissement de l’intérêt par stimuli. La publicité a constitué le moyen privilégié de stimuler cet intérêt pour Stéphane, Cathleen et Julie. Pour
les autres praticiens, les acteurs sont variés : une relation de confiance établie avec une thérapeute pour Francine, un besoin de socialisation pour Jean, un besoin vital de reprendre sa vie en main pour Hélène, une découverte hautement significative pour Michel et un intérêt pour l’aspect nouveauté de la conception orientale de l’être humain pour Mario.
Le déplacement qui tient lieu d’étape de milieu de parcours prend la forme d’un phénomène associatif permettant un repositionnement du choix professionnel et/ou de la pratique
professionnelle. En général, nous observons que l’énergie suscitée par une situation négative est redirigée vers une construction plus positive. Nous avons observé ce phénomène chez Cathleen, victime d’une sollicitation sexuelle, qui a pris ses dispositions pour sécuriser son environnement et bâtir son entreprise. Nous l’avons également observé chez Jean, qui malgré un sentiment d’insécurité financière, se sent investi d’une mission divine à accompagner les autres. Michel, pour sa part, veut aider la collectivité à s’épanouir, à combattre la résignation et le désespoir. Mario s’est tellement investi dans la reconnaissance de la profession qu’il a dû prendre six mois pour se reposer et se reprendre en main. Stéphane a pris contact avec ses propres blessures (souffrance) et considère son cheminement comme une thérapie personnelle. Francine se sent économiquement dépendante, mais conserve tout de même le feu sacré des premiers instants. Enfin, Julie est sortie désenchantée de sa formation, mais continue tout de même à pratiquer. Elle a su intégrer ses acquis d’écoute (acquis qu’elle attribue en partie au massage) à ses interventions
professionnelles d’intervenante en toxicomanie.
Les croyances possèdent une valeur instrumentale. Elles permettent de se doter d’une ligne de conduite (règles de vie) et d’une certaine compréhension de l’univers. Jean est persuadé que le massage constitue un outil de transformation sociale. Michel croit qu’il ne peut s’épanouir sans aider les autres à faire de même. Mario attribue aux massothérapeutes des qualités innées d’aidants naturels. Francine croit que le massage possède des attributs indéfinissables, presque mystiques. Stéphane est persuadé de l’existence d’une mémoire corporelle. Julie croit que le corps est en interrelation avec sa nature divine, avec Dieu. Pour Cathleen, le massage sert de passeport santé, c’est-à-dire qu’il sert à prévenir les maux et enfin Hélène prétend qu’il faut absolument que les massothérapeutes soient considérés comme des professionnels de la santé pour que cette profession plaise à tout le monde, pour que la population s’y retrouve.
Vidéal professionnel polarise et donne une orientation vers une valeur absolue. Une meilleure reconnaissance de la profession répondrait aux attentes de plusieurs praticiens, notamment celles de Cathleen qui milite pour un meilleur contrôle sur la formation minimale et un titre réservé par le biais de l’Office des professions du Québec. Hélène aimerait également que cette profession soit mieux contrôlée et prône l’usage d’un titre réservé. De plus, elle revendique une reconnaissance à titre de professionnelle de la santé ce qui laisse supposer des actes professionnels réservés ou tout au moins un champ de compétence bien défini à cet effet. Julie nous fait valoir la nécessité d’un meilleur contrôle sur l’admissibilité et une formation minimale, Stéphane prône pour l’usage d’un titre réservé, une formation minimale et un bureau d’enregistrement obligatoire ayant pour
mandat de vérifier les antécédents juridiques des praticiens. Une meilleure reconnaissance
par les autres professionnels de la santé et les institutions publiques telles que la CSST et la
SAAQ répondrait aux attentes de Franchie. Mario a milité longtemps pour une reconnaissance de la profession au niveau provincial. Il est convaincu qu’il est possible d’obtenir une meilleure reconnaissance des autres professionnels de la santé au niveau régional. D’autres praticiens comme Jean et Michel considèrent l’idéal comme une orientation de développement personnel. Pour eux l’important c’est de continuer à se développer, à s’épanouir.
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Table des matières
INTRODUCTION 1
CHAPITRE 1 UN BRIN D’HISTOIRE
1.1 L’expérience professionnelle de massothérapeute : la parole aux témoins
1.1.1 Cathleen
1.1.2 Hélène
1.1.3 Michel.
1.1.4 Jean
1.1.5 Jutie
1.1.6 Stéphane
1.1.7 Mario
1.1.8 Franchie
1.2 Les valeurs des praticiens participants du Sagnenay-Lac-Saint-Jean 3
1.3 L’éthique du praticien
1.4 La parole an groupe de discussion
1.5 Tout compte bit
CHAPITRE II LE PARCOURS PROFESSIONNEL
2.1 La motivation originelle
2.2 Le renforcement
2.3 Le déplacement
2.4 Les croyances mobilisatrices
2.5 L’idéal professionnel
2.6 Les étapes chronologiques d’une vie professionnelle
CHAPITRE III L’ÉTHIQUE ASSOCIATIVE
3.1 Une nouvelle structure régionale pour donner la parole aux praticiens
3.2 Pour retrouver son identité
33 L’éthique pour rendre opérante la solution émergente
3.4 Quelques enjeux d’une structure à caractère régional
CONCLUSION
ANNEXE 1
BIBLIOGRAPHIE
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