L’EXPERIENCE ESTHETIQUE CHEZ MAURICE MERLEAU-PONTY

LE FONDEMENT DE L’ESTHETIQUE MERLEAUPONTIENNE

   Avant tout, il serait important de rappeler pourquoi Maurice Merleau-Ponty critique la philosophie réflexive et l’ontologie objective. Tout d’abord, il est question d’un double rejet de la philosophie réflexive et de l’ontologie objective. En effet, la philosophie réflexive a une vision séparatiste du corps et de l’âme, de l’objet et du sujet, de la conscience et de la conscience de soi bref, de l’esprit et de la matière. Cette distinction n’a pas de sens aux yeux de Maurice Merleau-Ponty, car tous ces mots sont intimement liés. Ce sont donc ces réfutations sur le corps qui ont permis à Maurice Merleau-Ponty de développer son propre système philosophique. Il va systématiquement s’opposer au dualisme qui existe entre le sujet et l’objet. La distinction du sujet, d’une part, et de l’objet d’autre part, demeure majeure aussi bien dans la philosophie réflexive que dans l’ontologie objectivice. Pour Merleau-Ponty, ces deux conceptions sont identiques et méritent d’être critiquées parce qu’elles ne soulignent pas les liens qui existent entre le sujet et l’objet. En effet, Maurice Merleau-Ponty, en tant que phénoménologue du corps, se préoccupe de trouver un troisième concept qui va supprimer l’écart entre le sujet et l’objet. Il va donc emprunter le concept chair. Par conséquent, son objectif sera de réconcilier l’objectivité et la subjectivité de la notion du corps. Mais ce concept recherché n’est pas tout à fait nouveau à la phénoménologie parce que Husserl en parlait déjà dans les Méditations cartésiennes. En plus, dans La structure du comportement publié en 1942, nous retrouvons des commentaires qui s’occupent en général de la science du corps. Toutefois, c’est dans son ouvrage intitulé Phénoménologie de la perception écrit en 1945 que nous apercevons l’héritage de la philosophie husserlienne. D’ailleurs son texte Le philosophe et son ombre ainsi que son œuvre Signes en sont les preuves. C’est également dans ce même ouvrage intitulé Signes qu’il va découvrir la notion qui lui permettra de lier le corps dans sa sature et le corps biologique. Il s’agit de la découverte du « corps propre ». Cette dernière permet à la philosophie merleau-pontienne de s’éloigner de l’impasse de la philosophie idéaliste et de la science. De quoi s’agit-il ? Il est question d’un double refus qui consiste à revoir la conception dont l’ontologie objectiviste et la philosophie réflexive ont de l’être. En effet, l’ontologie objectiviste pense l’être comme étant un objet à part entière. Elle est une vision secrète. L’ontologie est définie comme une « conception de l’être et du monde ». La science qualifie l’être comme étant un objet qui est dans le monde. Par conséquent, dans ce monde il n’y a que des relations « sujet à objet », autrement dit, des « rapports de causalité ». La science va donc s’intéresser seulement à l’étude du corps en tant qu’objet. Sur ce, elle pense épuiser l’essence du corps. Cette conception considère le corps comme étant « un mécanisme ». Ce corps-là est ce dont la science s’occupe. En ce sens, nous dit Maurice Merleau-Ponty dans La structure du comportement, « l’organisme dont s’occupe l’analyse biologique est une unité idéale .». Nous sommes en présence d’un corps objectif qui peut être l’objet d’une manipulation. Ce corps ne présente en aucun cas une unité vivante parce qu’il est un corps cadavre. C’est dans cet ordre d’idées qu’il souligne dans l’avant-propos de la Phénoménologie de la perception : « Je ne suis le résultat ou l’entrecroisement de multiples causalités qui déterminent mon corps ou mon « psychisme », je ne puis pas me penser comme une partie du monde, comme le simple objet de la biologie, de la psychologie et de la sociologie, ni fermer sur moi l’univers de la science ». Ce que montre Maurice Merleau-Ponty, c’est que la science est construite sous la forme de vécu et que la connaissance ne peut découler que de l’expérience. Car la science n’est rien d’autre qu’une simple explication. Cependant, Maurice Merleau-Ponty pense que le corps ne doit pas être vu sous le rapport « corps-objet », mais il est comme une entité. Il est donc « un corps -propre ». Autrement dit, il est un corps qui vit, un corps qui sent, qui décrit, voire qui comprend l’ensemble de l’unité corps-âme. En outre, selon lui, un corps isolé du reste du monde n’en n’est pas un corps. Il n’est pas un pur objet ou bien il est un objet pour un « je pense ». Or, selon la conception merleau-pontienne, un corps ne peut être réduit à un objet pour « un je pense ». Quant à la philosophie réflexive, le corps est ce qui empêche l’esprit d’accéder à la connaissance. Donc, il y a une dualité entre l’esprit et le monde. Car l’esprit relève du domaine de celui qui pense et le monde est à son tour du domaine de ce qui est pensé. En outre, l’esprit est immatériel alors que le corps est matériel. Spinoza, abondant dans la même perspective que Maurice Merleau-Ponty, réfute le dualisme cartésien. Pour Spinoza, en effet, il n’y pas une séparation possible entre le corps et l’esprit, parce que ce dernier ne se résume pas à l’idée d’un objet qui ne soit pas la pensée de son corps. L’esprit n’est rien d’autre que cette idée du corps. C’est dans cette atmosphère qu’il souligne que « l’objet de l’idée constituant l’esprit humain est le corps, c’est-à-dire un certain mode de l’étendue existant en acte et n’est rien d’autre »29 . Spinoza conclut en ces termes : l’esprit n’est pas un « réceptacle », il est au contraire « une idée ». En somme, la philosophie spinoziste nie toute opposition entre la conception ontologique du corps et de l’esprit. Selon Spinoza, il y a une union d’égalité entre le corps et l’esprit. Ainsi, dit-il : « L’esprit et le corps, c’est une seule et même chose, qui se conçoit sous l’attribut tantôt de la pensée, tantôt de l’étendue. » Nous notons par-là que le corps et l’esprit ne sont pas considérés comme étant deux substances opposées. Ils sont différents du point de vue de leur structure : étendue et pensée, mais ils sont liés l’un à l’autre et sont une seule substance. Donc « l’esprit est au corps ce que l’idée est à son idéal ». Force est de reconnaître qu’il y a toujours une distinction radicale entre l’esprit, le monde et le corps. Selon la conception réflexive, la conscience est réduite à un pouvoir de retour sur soi et elle ne peut en aucun cas sortir de soi. Dans cette pensée, le « cogito » est une étape où la pensée équivaut à ce qui est pensé. Donc le sujet pensant est enfermé en soi et ne se déploie jamais hors de soi, et il ne sort pas de soi-même. Donc chez Descartes, il est beaucoup plus facile de connaître l’âme que de connaître le corps, parce que le corps est une substance étendue qui change de forme de couleur d’odeur alors que l’âme est du principe de l’unité. C’est cette attitude que dénonce Maurice Merleau-Ponty. Car toute la difficulté de la philosophie réflexive réside dans le fait de considérer le monde et le corps comme des objets pour la conscience. En ce sens, le corps est donc une substance étendue. Il est vu comme un objet pensé et le sujet qui pense dévient alors un esprit. Voilà d’ailleurs, aux yeux de Merleau-Ponty, ce qui est inadmissible, car pour lui, il n’y pas au monde « un je pense » qui est en mesure d’expliquer l’enracinement perceptif de l’être au monde. Par-là, nous assistons à un refus de la philosophie cartésienne du « je pense » au détriment d’une pensée du « je peux ». Il ne s’agit pas de mettre un « je peux » quelconque à la place d’un « je pense ». Son objectif, c’est de critiquer le solipsisme cartésien : son « je pense donc je suis ». Pour lui, l’être n’est pas uniquement une puissance pensante. Mais l’homme est composé de corps et de conscience. Dès l’avant-propos de son ouvrage intitulé Signes, nous retrouvons un passage d’importance capitale, en ce sens qu’il est toujours animé par la volonté de retrouver l’origine de tout ce qui apparaît. Ce philosophe du corps s’intéressa surtout à l’essence des choses et particulièrement à la réhabilitation du corps. Il plaça le corps au cœur de son entreprise philosophique. Dès lors, nous dit-t-il, dans ses recherches, « c’est dans l’épreuve que je vais du corps explorateur voué aux choses et au monde, d’un sensible qui m’investit jusqu’au individuel de moi-même et m’attire aussitôt de la qualité à l’espace, de l’espace à la chose et de la chose à l’horizon des choses, c’est-à-dire à un monde déjà là que se noue ma relation avec l’être ». Ainsi, le monde est donc considéré comme une simple corporéité avant d’être vu comme étant une raison. Cette corporéité n’est rien d’autre qu’une interrogation sur l’être -au-monde. La pensée merleau-pontienne se caractérise par son caractère existentiel qui a pour but de revisiter des notions telles que la perception, le vécu, la corporéité, entres autres. Le sens de la philosophie réside dans le fait de « penser sa vie et de vivre sa pensée ». La vie n’est pas toujours rose. En effet, l’être humain est parfois confronté à des difficultés majeures, d’où le sens de rechercher le propre sens de son existence. Pourtant le sens de l’existence ne saurait exister seul sans l’être, parce que c’est l’homme lui-même qui en est l’origine. De ce fait, l’existence serait donc une simple évidence. Qu’est-ce qu’exister ? « Exister c’est être au monde corporellement et charnellement » Exister veut dire être au monde par le biais du corps. Ce retour au corps vécu va permettre à l’entreprise phénoménologique de pouvoir séparer le corps propre du corps objectif. Ce corps-là n’est celui de personne. Maurice Merleau-Ponty est un phénoménologue qui a été influencé par Edmund Husserl en ce sens que la démarche husserlienne prône un retour aux choses-mêmes. Ce retour a une portée irrécusable de ce qu’on appelle le « Lebenswelt ». Cette notion veut dire que « le monde nous porte ».34Mais Maurice Merleau-Ponty remplace le terme « Lebenswelt » par le mot « Umwelt » qui signifie à son tour « le monde nous enveloppe ». Pour lui, le Lebenswelt ne renvoie pas seulement au « monde où nous vivons ou que nous vivons, c’est d’abord le monde dont nous vivons… et qui vit de nous .»36Maurice Merleau-Ponty est impressionné par la séparation que Husserl fait du « Koïper » et du «Leib » . Le « Koïper » veut dire en français le corps-objet qu’occupe la science. Quant au Leib, il signifie le corps moteur ou bien le corps expressif qui est synonyme du corps que nous avons. Husserl admet donc qu’il y a deux corps : le corps biologique et le corps vivant. L’un est corps anatomique, l’autre est le corps de l’être vivant. Pour Husserl, il doit avoir un changement de paradigme entre le « je » et le « je peux ». Lequel entre les deux doits être sujet ? Pour Husserl, nul sujet ne peut être une conscience pensante, il est un corps. En résumé, Maurice Merleau-Ponty va retenir deux choses importantes chez Husserl : il est question du Koïper et du Leib. Cependant, la philosophie merleau-pontienne se démarque au fur et à mesure de celle husserlienne. En ce sens que Merleau-Ponty rejette le « Umwelt » husserlien parce qu’il est un corps compris comme objet. Un corps pour Merleau-Ponty ne peut être extrait de son environnement. Le corps est « un carrefour », il est le lieu des significations, il habite le monde. Il écrit à ce propos : « mon corps est la texture commune de tous les objets, l’instrument général de ma compréhension .» Paul Valery s’inscrit dans la même logique que Husserl et reconnait la distinction qu’il fait du « Koïper » et du « Leibl ». Mais il y ajoute un troisième sens. Valery pense qu’il y a trois corps. Ainsi, nous dit-il : « le premier est l’objet privilégié que nous nous trouvons à chaque instant quoique la connaissance que nous en ayons puisse être très variable… Chacun appelle cet objet « Mon-corps » ; mais nous ne lui donnons aucun non en nous-mêmes : c’està-dire en lui. Nous en parlons à des tiers comme d’une chose qui nous appartient ; mais, pour nous, il n’est pas tout à fait une chose ; et il nous appartient un peu moins que nous ne lui appartenons .»

LA PRIMAUTE DE LA PEINTURE

   La question de la peinture a intéressé beaucoup de courants tels que le baroque et l’impressionnisme. Les peintres baroques cherchent à rendre visible le monde par les petites choses qui sont juxtaposées. En revanche, l’impressionnisme est un mouvement pictural né dans la moitié du XIXe siècle en France. Il marque la rupture entre les peintres académiques et les peintres modernes. La peinture moderne remonte à l’exposition des impressionnistes du 15 avril au 15 mai en 1874 à Paris. Ainsi, Monet nomme une de ses toiles « d’impression, le soleil levant ». Dans cette exposition, nous retrouvons des exposants comme Pissaro, Sisley, Degas, Monet, Manet, Cézanne, entres autres. Mais ce choix portant sur ces impressionnistes n’est pas du tout gratuit. Car ces peintres vont octroyer à la peinture plusieurs possibilités. Petit à petit, Paul Cézanne se sépare des impressionnistes, parce que la conception impressionniste veut présenter les objets tels qu’ils apparaissent, alors que la peinture moderne vise l’indépendance ou l’autonomie. Le peintre moderne change de paradigme et le respect des canevas n’est plus à l’ordre du jour. Il aspire à la liberté de déconstruire la réalité. En somme, l’artiste transgresse tout sur son passage. D’ailleurs, cette rupture est déjà présente même dans l’impressionnisme. En effet, les artistes impressionnistes cherchent à objectiver l’impression immédiate et à restituer les émotions qu’elle fait engendrer. Ce qui fera dire à Cézanne que l’artiste doit peindre « d’après nature ». Cette idée de « peindre d’après nature » est pleinement une confrontation directe avec de nombreux aspects du « réel perçu ». Dans ce cas, il est question de plusieurs répétitions qui constituent en quelque sorte une originalité pour l’artiste. Cependant, le peintre moderne rejette toute représentation intellectuelle et rationnelle du réel. En somme, il se caractérise par l’apparition du style. Donc, la peinture moderne est l’expression de cette plasticité .C’est sous cet angle que ces peintres vont recourir à « l’expressivité qu’ouvre la perception ». En outre, selon Mercury, « toute peinture est un système d’équivalence et de signification. » Par conséquent, dans la peinture moderne, l’artiste est totalement libre pour dire ou déconstruire voire provoquer le réel. Par ailleurs, il peut exprimer la négativité des choses. Toutefois, Mercury affirme que « la peinture moderne est donc avant tout une praxis , un agir qui s’invente dans son faire , qui garde et développe sa dynamique créatrice en libérant les formes , les lignes , les émotions, les rêves et les styles ». Il s’agit d’une invitation faite à la perception et au corps. On assiste à une réhabilitation du corps par le biais de la perception. Le corps constitue alors le foyer des connaissances. Maurice Merleau-Ponty dira à son tour que « l’expression picturale reprend et dépasse la mise en forme du monde qui est commencée dans la perception ». Cette ambition artistique d’aller au-delà de soi-même est loin de plonger l’artiste dans le « chaos ». Mercury nous dit à ce propos que « c’est véritablement une conversation qui s’ouvre avec le monde et les choses, où seule importe la présence, c’est-à-dire cette capacité d’adhérer aux choses, dans la distance ». Nous sommes dans une « logique allusive du monde », pour parler comme Merleau-Ponty. Pour lui, cette logique ne se résume pas au chaos. En définitive, la peinture moderne a pour objectif de bouleverser le statut de la perception, de transgresser la manière de voir le monde et de redéfinir la vérité. Tout part d’abord d’une perception active qui a pour rôle de structurer et d’investir la multiplicité de ce qui apparaît. Or ce qui apparaît, c’est l’être en question. Le corps ne constitue plus un obstacle à la connaissance comme le pensaient les classiques. En effet, dans la tradition philosophique, le corps est considéré comme une barrière qui empêche l’âme d’être directement en contact avec les essences. Mais cette idée sera plus tard reprise par Descartes pour qui le corps est à l’origine de nos erreurs et de nos illusions. Néanmoins, le corps chez les peintres modernes participe à la découverte de la connaissance parce que c’est la main du peintre qui exprime le réel. Dans ce sens , Merleau-Ponty a eu raison d’écrire qu’« Un corps humain est là, quand entre voyant et visible, entre touchant et touché, entre un œil et l’autre, entre la main et la main se fait une sorte de recroisement, quand s’allume l’étincelle du sentant sensible, quand prend ce feu qui ne cessera pas de brûler jusqu’à ce que tel accident du corps dépasse ce que nul accident n’aurait suffi à faire… ». Nous nous intéressons au monde perçu parce que nous faisons référence à l’unité des sens par le corps. Car toute perception est déjà considérée comme une action. Tout style est comme un moyen de libération de l’artiste et en fin, le vrai ne peut être plus réassuré. Car nous ne sommes plus dans une vérité solipsiste. En revanche, « il s’agit d’une vérité qui n’est pas une prise à plat, qui est plutôt un cheminement et un questionnement propre à l’investissement d’un style et d’une sensibilité » . La vérité ne doit en aucun cas ressembler aux choses, encore moins au modèle extérieur. Elle n’est pas non plus un instrument d’expression prédestiné qui soit alors nommé comme une vérité. En revanche, la peinture de Paul Cézanne constitue un pilier essentiel dans la réflexion merleau-pontienne. Il lui accorde une importance capitale. Sa pensée est largement influencée par Paul Cézanne. En effet, Maurice Merleau-Ponty dira qu’il va philosopher comme Cézanne peint. Car la rencontre entre Cézanne et Merleau-Ponty est basée sur une relation « émotionnelle », artistique, voire philosophique. Il est sous le pas de Cézanne, parce que tous les deux prônent « le retour aux choses-mêmes ». Autrement dit, il est question de rechercher l’essence « des choses- mêmes ». En d’autres termes, il s’agit d’interroger la nature afin de pouvoir percer son mystère. D’ailleurs, la peinture cézanienne est un questionnement du réel et oriente vers la totalité des choses. Mais à vrai dire qui est Paul Cézanne ? Il est né le 19 janvier 1839 à Aix-en-Provence et meurt le 22 octobre 1906. Il est un peintre français, membre du mouvement impressionniste. Il fait partie des fondateurs du post-impressionnisme et du cubisme. C’est en 1903 que ses œuvres commencent à être vendues plus chères. Malgré cela, Cézanne ne supporte pas la visite de ses amis. Il évite les femmes sous prétexte qu’elles peuvent être source d’inspiration. Par conséquent, l’idée de peinture « sur nature » vient de ses faiblesses. Il voue une admiration particulière à la nature et au caractère « inhumain de la peinture ». Selon lui, l’artiste a l’obligation de peindre un visage comme s’il s’agit de peindre un objet. La peinture cézannienne est considérée comme un paradoxe. En d’autre termes, il est question d’une recherche de la réalité sans pour autant se détacher de la sensation, de s’inspirer de l’impressionnisme et de ne se soucier du non-respect des canevas et des contours. Mais également, elle vise la non délimitation de la couleur par le dessin. Ici, il est question d’un « véritable suicide ». Ce qui est étonnant, c’est que Paul Cézanne opte pour le réel et « se prive » des solutions pour y « parvenir ». C’est à partir de cette considération que surgissent toutes les difficultés et « de la déformation » que certains rencontrent entre l870 et 1990. Considérant sa peinture comme son unique monde et sa façon d’exister, Cézanne affirme : « Je me trouve dans un tel état de troubles cérébraux, si grand que j’ai craint, à un moment que, ma faible raison n’y passant…Maintenant il me semble que je vais mieux et que je pense plus juste dans l’orientation de mes études. Arriverai-je au but de tant cherché et si longtemps poursuivi ? J’étudie toujours sur la nature et il me semble que je fais de lents progrès ». Certes, c’est dans des moments instances de travail, de folie, de doute et d’échec que ces tableaux ont connu le plus grand succès. C’est la raison pour laquelle son ami Zola le nomme le « génie avorté ». Mais également, Zola caractérise l’œuvre de son ami d’enfance « d’une manifestation maladive ». Amoureux de son métier, Cézanne passe tout son temps à peindre. Voilà pourquoi nous ditil « Peindre encore et toujours, peindre jusqu’à l’épanouissement et parfois jusqu’à l’aveuglement. » Cette idée est assez révélatrice parce qu’elle montre que seule la peinture habite Cézanne. La peinture est sa seule source de bonheur et de questionnement de l’univers. En ce sens, nous dit-il, « il faut peindre d’après nature »60. En effet, nous notons une confrontation entre le peintre et la nature. Donc l’artiste doit se confronter au réel tel que les objets, les paysages, les ruissellements des eaux, entres autres. Il doit pouvoir déceler « l’énigme du visible ».

LE PASSAGE DU CORPS A L’ŒUVRE ET L’ŒUVRE D’ART AU CORPS

   L’esthétique désigne au sens large le « pouvoir de percevoir » et au sens restreint il signifie cet « ensemble de réflexions sur la création et la réception d’œuvres d’art ». Pour définir l’esthétique, Baumgarten part de la conception cartésienne de la chose. Car, selon Descartes, la chose peut être vue comme « un ensemble de sensations et l’œuvre d’art en tant que chose consiste à son tour en un tel rassemblement : elle devient elle-même un support de sensations ». L’esthétique pose l’œuvre d’art comme étant un objet pour un sujet. C’est sans doute pour cette raison que « l’esthétique est la science de ce rapport sensitif, la logique de la sensation : elle « doit effectuer sur le plan de la sensibilité et du sentiment la même chose que la logique dans le domaine de la pensée… » ». Toutefois, cette définition semble éliminer toute différence entre l’œuvre d’art et la simple chose. L’œuvre d’art est donc un ensemble de sensations. Mais pour Martin Heidegger, les sensations sont en mesure de différencier l’œuvre d’art de la chose. L’œuvre se singularise par sa sensation qu’elle éveille au récepteur. Ainsi l’esthétique va particulièrement s’intéresser à toutes les sensations qu’émet l’œuvre sur le sujet en question. L’esthétique s’occupe donc du rapport qui existe entre le sujet-objet. L’œuvre d’art se veut comme étant un « objet » appartenant à un « sujet ». Cependant, avant tout, il serait important de préciser que dans ses ouvrages, Maurice Merleau-Ponty se fixe pour tâche de montrer l‘importance de la perception ainsi que l’acte de la création dans l’expérience esthétique. En outre, dans ses cours à la Sorbonne de 1949- 1952, il dit qu’il : « il y a toujours un contact personnel avec la chose ; communiquer l’objet à autrui, c’est marquer sur le papier un symbole de notre coexistence avec la chose ». Pour Bonan, « le contraste ainsi obtenu devrait nous permettre de ne pas couper les idées de Maurice Merleau-Ponty sur l’art de leur l’origine véritable, qui est esthétique au sens où tout ce que nous sommes capables de penser provient, à des degrés de sublimation divers, de notre insertion corporelle dans un monde qui affecte sensiblement et dont nous n’avons jamais fini de faire le tour ».Il y a donc une insertion dans le sensible que seule le philosophe a le devoir de décrire afin de « rendre visible » ce qui était auparavant insensé et invisible. C’est pourquoi, l’œuvre d’art aura pour mission de rendre apparent tout ce qui était dans l’ordinaire obscure et sans importance. C’est dans ce contexte que G. Charbonnier déclare dans son livre Le Monologue du peintre que :« De même que le rôle du poète depuis la célèbre lettre du voyant consiste à écrire sous la dictée de ce qui se pense, ce qui s’articule en lui, le rôle du peintre est de cerner et de projeter ce qui se voit en lui . Toutefois, pour créer, l’artiste doit être en mesure de percevoir et de sentir son environnement. Mais comment peut on créer par le corps ? C’est grâce à son corps que l’artiste arrive à transformer le monde. Ainsi le peintre s’appuie sur son corps pour exprimer ce qu’il ressent intérieurement. C’est également en emportant son corps qu’il change le réel. Dans ce sens, dit Paul Valery, le peintre « apporte son corps ». En effet, cette expression se passe dans un espace où il y a une séparation entre l’œil qui voit et la main qui exécute. Donc l’artiste n’est pas conscient de l’alchimie intérieure qui l’habite au moment de la réalisation de son œuvre, parce qu’il est submergé par la nature. Tout comme nous, nous ne connaissons pas ce qui se passe dans nos muscles ou nos esprits lorsque nous exerçons un geste envers un objet que nous désirons obtenir. Nous savons seulement que nos mouvements sont rattachés à nos mains tout comme des couleurs sont choisies par l’œuvre au moment de sa réalisation. L’expression artistique est spontanée et elle ne peut en aucun cas rendre compte d’elle-même. C’est pourquoi, dans son ouvrage intitulé Signes, Merleau-Ponty affirme que «l’opération expressive du corps, commencée par la moindre perception, qui s’amplifie en peinture et en art…nous avons dans l’exercice de notre corps et de nos sens, en tant qu’ils nous insèrent dans le monde de quoi comprendre notre gesticulation culturelle en tant qu’elle nous insère dans l’histoire ». Notre auteur considère l’expérience esthétique comme étant un prolongement de l’expérience quotidienne. L’artiste parvient à créer et à transformer le monde par le biais de son corps. C’est ce qu’il déclare dans la Prose du monde : « Le même pinceau qui vu l’œil nu sautait d’une action à l’autre, on le voyait méditer, dans un temps dilaté et solennel, dans une imminence de commencement du monde, commencer dix actions possibles exécuter devant la toile comme une danse propitiatoire, la frôler plusieurs fois jusqu’à la toucher presque et  s’abattre enfin comme l’éclair sur le seul tracé nécessaire. »Dans ce cas de figure, le véritable artiste est le créateur lui-même, son corps propre va lui servir à mettre en œuvre le monde. En effet, le corps joue ici le rôle de médiateur entre par exemple le peintre et l’objet peint. C’est le corps qui sent les choses et l’artiste ne fait rien d’autre qu’exécuter ce que lui dicte la nature. N’-a-t-il pas raison lorsqu’il écrit dans L’œil et l’esprit : « Restons dans le visible au sens étroit et prosaïque : le peintre, quel qu’il soit, pendant qu’il peint pratique une théorie magique de la vision. Il lui faut bien admettre que les choses passent en lui ou que, selon le dilemme sarcastique de Malebranche, l’esprit sort par les yeux pour aller se promener dans les choses, puisqu’il ne cesse d’ajouter sur elles sa voyance. (Rien n’est changé s’il ne peint pas sur le motif : il peint en tout cas parce qu’il a vu, parce que le monde, a au moins une fois, gravé en lui les chiffres du visibles.) Il lui faut bien avouer, comme dit un philosophe, que la vision est miroir ou concentration de l’univers. » Cependant, pour le philosophe du corps, l’artiste tâche de révéler ce qui, dans l’expérience quotidienne, reste invisible, voire inaccessible. Le peintre perçoit ce que le commun des mortels considère sans importance capitale ou simplement invisible. C’est dans cet ordre d’idées qu’il déclare encore dans le même ouvrage :« Il peut aussi se regarder, et se reconnaître dans ce qu’il voit alors l’« autre côté » de la puissance voyante. Il se voit voyant, il se touche touchant, il est visible et sensible pour soi-même. C’est un soi non par transparence, comme la pensée, qui ne pense quoi que ce soit qu’en l’assimilant, en le transformant en pensée- mais un soi par confusion , narcissisme, inhérence de celui qui voit à ce qu’il voit, de celui qui touche à ce qu’il touche , du sentant au senti-un soi donc qui est pris entre des choses, qui a une face et un dos, un passé et un avenir (…)». Autrement dit, le corps du créateur a un double rôle dans la mesure où il est ce qui nous permet de percer le monde, de le comprendre afin de mieux le représenter visiblement. Le corps est compris comme étant un récepteur et un créateur dans la mesure où il est un « voyant-visible ». Sans doute dit-il dans le Visible et l’invisible, « mon corps n’est pas seulement un perçu parmi les perçus, il est un tout mesurant de tous ». Autrement dit, il se voit voyant et en même temps visible et il appartient au domaine du visible et se situe dans l’espace. Ainsi, dit-il, le créateur « donne existence visible à ce que la vision profane croit invisible ». Par conséquent, pour percer l’invisible, l’artiste fait appel à son sentir et à sa perception originaire. Qu’est-ce que le sentir ? Ou bien qu’est-ce que la perception ? Maurice Merleau-Ponty est le premier à donner une importance capitale à la notion du sentir dans le processus d’expérience esthétique. Ainsi l’œuvre d’art est considérée comme une chose pour tout corps. Le corps en mouvement servira à appréhender l’œuvre. Avant toute perception, le corps appréhende d’abord l’œuvre, ensuite il la configure. Le sentir est ce qui permet à l’artiste d’être en contact avec l’invisible et de reproduire ce qu’il ressent. C’est d’ailleurs le corps qui habite le monde et ses sensations sont en réalité rythmées selon le degré des ponctuations. Le sentir est donc considéré comme étant le mode d’une habitation entre les choses et le corps. Pour Maurice Merleau-Ponty, le corps est créateur dans la mesure où il perçoit un objet et imagine la forme qu’il peut lui donner. Ainsi l’expérience quotidienne révèle une expérience dite primordiale durant laquelle le corps va découvrir la chose. Pendant cette rencontre, la chose va se dessiner et prend forme sous les yeux de l’artiste.

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Table des matières

INTRODUCTION
PREMIERE PARTIE : LA CONCEPTION DE L’ESTHETIQUE CHEZ MERLEAUPONTY
CHAPITRE I : LE FONDEMENT DE L’ESTHETIQUE MERLEAU-PONTIENNE
CHAPITRE II : LA PRIMAUTE DE LA PEINTURE
DEUXIEME PARTIE : LE RAPPORT ENTRE LE CORPS ET L’ŒUVRE D’ART 
CHAPITRE I : LE PASSAGE DU CORPS A L’ŒUVRE ET L’ŒUVRE D’ART AU CORPS
CHAPITRE II : DE L’EXPRESSION ET DE L’EXPRESSIVITE
TROISIEME PARTIE : LA RENCONTRE ENTRE CEZANNE ET MAURICE MERLEAUPONTY
CHAPITRE I : VOIR
CHAPITRE : II LA PROFONDEUR
CONCLUSION

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