L’expansion des efflorescences d’algues nuisibles dans le monde
Les proliférations d’algues nuisibles ne sont pas un phénomène nouveau. Dans la plupart des régions présentement affectées, on peut trouver dans la tradition orale ou dans les sédiments des indications de la présence de ces algues nuisibles dans le passé (GEOHAB, 2001). Au Québec, par exemple, les Amérindiens connaissaient les risques d’intoxication liés à la consommation des mollusques avant l’arrivée des Européens (Medcof et al., 1966). Mais, depuis environ 30 ans, on semble assister à une expansion de la distribution géographique des efflorescences d’algues nuisibles et à une augmentation de leur fréquence et de leur intensité (Hallegraeff, 1993). Bien qu’on reconnaisse que la multiplication des études dans le domaine des algues nuisibles et un meilleur contrôle des produits des pêcheries et de l’aquaculture puissent expliquer en partie cette perception (Hallegraeff, 1993), différentes hypothèses ont été proposées pour expliquer cette apparente expansion. Elle pourrait avoir été provoquée en partie par la dispersion des espèces nuisibles par l’intermédiaire des eaux de lest des navires et des introductions de nouvelles espèces de mollusques (Hallegraeff, 1993; Lilly et al., 2002). De plus, un enrichissement en nutriments des eaux côtières, par les effluents industriels, agricoles et domestiques, mais aussi éventuellement provoqué par le développement des installations aquicoles, pourrait stimuler les efflorescences nuisibles. Dans ce cas, deux scénarios sont possibles. Dans le premier scénario, une eutrophisation des eaux côtières provoquerait une augmentation globale de la production phytoplanctonique.
Les espèces nuisibles seraient donc plus abondantes, mais représenteraient toujours la même fraction relative de la biomasse phytoplanctonique totale. Selon le deuxième scénario, l’eutrophisation des eaux côtières favoriserait les espèces nuisibles en modifiant les rapports entre les nutriments. Par exemple, une augmentation du ratio azote: silice favoriserait le développement des dinoflagellés au détriment des diatomées (Smayda, 1990; Hallegraeff, 1993).
Le cycle de vie des dinoflagellés
Le cycle de vie de plusieurs dinoflagellés comprend une phase haploïde végétative et une phase diploïde sexuée . Lors de la phase haploïde, les cellules végétatives présentes dans la colonne d’eau se divisent par mitose. La phase sexuée commence lorsque les cellules végétatives produisent des gamètes qui fusionnent pour former un planozygote, une grande cellule mobile à quatre flagelles. Le planozygote peut rester dans la colonne d’eau quelques jours, puis il perd ses flagelles et sa thèque et forme un kyste de dormance qui sédimente au fond. Après une période de dormance dans les sédiments (période de maturation physiologique durant laquelle les kystes de dormance ne peuvent pas germer), chaque kyste germe pour donner une grande cellule, peu pigmentée et mobile, le planoméiocyte, qui donnera deux cellules haploïdes par méiose. C’est le début d’une nouvelle phase végétative (Anderson and Wall, 1978; Anderson and Morel, 1979). La formation de kystes de dormance permet aux populations de dinoflagellés de survivre aux conditions défavorables. Les kystes présents dans les sédiments constituent un réservoir benthique pour l’initiation des efflorescences.
Pendant la phase asexuée de leur cycle de VIe, les cellules végétatives de certains dinoflagellés, tels que Alexandrium, peuvent s’enkyster temporairement, par exemple en réponse à des conditions environnementales défavorables. L’existence de ces formes de résistance temporaires permet aux cellules de supporter les fluctuations à court terme des conditions environnementales (température, salinité, turbulence) (Anderson, 1998; Garcés et al. , 2002).
Les facteurs environnementaux influençant l’initiation des efflorescences
La germination des kystes de dormance joue un rôle important dans la dynamique des efflorescences de dinoflagellés nuisibles en contrôlant leur initiation. Ainsi, certaines études rapportent une coïncidence entre les périodes de forte germination des kystes de dormance présents dans les sédiments et les proliférations de cellules végétatives dans la colonne d’eau (Anderson and Morel, 1979; Kim et al., 2002). Il est donc important de comprendre les mécanismes physiologiques et les facteurs environnementaux qui contrôlent la germination.
La période de dormance des kystes peut affecter la dynamique des efflorescences en déterminant quand les kystes sont prêts à germer et donc à initier, potentiellement, de nouvelles proliférations (Anderson, 1998; Kremp and Anderson, 2000). La durée de cette période de dormance est variable selon les espèces et les conditions environnementales, de quelques heures à plusieurs mois, et semble être sous contrôle physiologique (Anderson and Keafer, 1987; lmai and Itakura, 1999; Kremp and Anderson, 2000). Les espèces des hautes latitudes semblent être caractérisées par les périodes de maturation les plus longues (Perez et al., 1998; Kremp and Anderson, 2000). La température et la lumière peuvent influencer la durée de la période de dormance (Anderson, 1980; Montresor and Marino, 1996).
Les facteurs environnementaux influençant le développement des efflorescences
Croissance cellulaire
Comme chez toutes les espèces phytoplanctoniques, la lumière, la température, la salinité et les nutriments affectent la croissance des cellules végétatives des dinoflagellés nuisibles (Tyler and Seliger, 1981; Watras et al., 1982; Doucette et al., 1989; Morton and Norris, 1990; Bricelj and Lonsdale, 1997; Garcés et al., 1998; Parkhill and Cembella, 1999; Grzebyk et al., 2003). De plus, certains dinoflagellés peuvent modifier leur mode de nutrition, en passant de l’autotrophie à la mixotrophie et en utilisant des substances organiques dissoutes (Carlsson and Granéli, 1998; Carlsson et al., 1998; John and Flynn, 1999; Oh et al., 2002; Grzebyk et al., 2003). Plusieurs espèces sont aussi phagotrophes et l’ingestion de particules leur permet de survivre et même de croître à l’obscurité (Granéli et al., 1997; Granéli and Carlsson, 1998).
De nombreuses études ont montré que les substances humiques apportées par les eaux douces des rivières peuvent stimuler la croissance des dinoflagellés (Doblin et al., 1999; Granéli et al., 1999).
Migrations verticales
Certaines espèces de dinoflagellés peuvent se déplacer verticalement dans la colonne d’eau au moyen de leurs flagelles. Ces migrations verticales peuvent avoir un impact important sur le développement des efflorescences. En effet, certaines espèces nuisibles effectuent des migrations verticales journalières en se déplaçant entre les couches profondes, riches en nutriments, la nuit et la couche de surface éclairée le jour. Cela leur permet d’augmenter pendant la nuit leur prise de nitrates et d’assimiler ces derniers pendant le jour. Ce comportement migratoire pourrait aussi leur permettre d’éviter leurs prédateurs zooplanctoniques, ce qui réduirait l’impact du broutage (Turner and Anderson, 1983; Uye, 1986). Certaines espèces de dinoflagellés utilisent aussi leur capacité natatoire pour éviter les fortes intensités lumineuses en surface pendant le jour (Heaney and Eppley, 1981; Cullen and Horrigan, 1981; Passow, 1991; McIntyre et al., 1997). Les migrations verticales sont contrôlées par différents facteurs, incluant le géotactisme, le phototactisme, la température et l’état nutritionnel des cellules (Cullen and Horrigan, 1981; Anderson and Stolzenbach, 1985; Passow, 1991; Nielsen et al., 1993; MacIntyre et al., 1997; Cullen and MacIntyre, 1998; Kamykowski et al. , 1998; Kamykowski et al., 1998).
Les différents types de modèles d’efflorescences d’algues nuisibles
Le modèle nécessaire à l’étude d’ une efflorescence d’algues nuisibles en particulier peut être plus ou moins complexe selon que l’on souhaite tester des hypothèses théoriques sur des étapes ou des processus précis, identifier et quantifier les processus qui contribuent à la formation et au déclin de cette efflorescence ou aider à prédire son développement spatial et temporel.
Plusieurs modèles biologiques de complexité variable ont été développés pour les efflorescences d’algues nuisibles. Ces modèles ont été utilisés pour étudier le rôle de différents processus biologiques dans la dynamique des efflorescences. Ils ont été utilisés par exemple pour étudier le rôle des migrations verticales, du broutage par le zooplancton et des variations du taux de croissance des algues (e.g. Kamykowski and Yamazaki, 1997; Truscott, 1995). La structure typique de ces modèles comprend une espèce de phytoplancton capable de migrations verticales, un ou plusieurs nutriments limitants pour la croissance phytoplanctonique et, dans certains cas, une fonction de broutage. Cependant, comme nous l’avons vu précédemment, les interactions entre la physique et la biologie sont très importantes dans le contrôle des efflorescences d’algues nuisibles. Il est donc important de prendre aussi en compte les processus physiques et leurs interactions avec les processus biologiques.
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Table des matières
Chapitre 1 Introduction
1- Les efflorescences d’algues nuisibles dans le monde
1.1- Les différents types d’efflorescences d’algues nuisibles
1.2- L’expansion des efflorescences d’algues nuisibles dans le monde
2- Contrôles environnementaux des efflorescences de dinoflagellés nuisibles
2.1- Le cycle de vie des dinoflagellés
2.2- Les facteurs environnementaux influençant l’initiation des efflorescences
2.3- Les facteurs environnementaux influençant le développement des efflorescences
2.3.1-Croissance cellulaire
2.3.2-Migrations verticales
2.3.3-Facteurs physiques et interactions physique – biologie
2.4- Les facteurs environnementaux influençant le déclin des la efflorescences
2.4.1- Le broutage
2.4.2- L’enkystement
2.4.3- Autres facteurs influençant le déclin des efflorescences
3- La modélisation, un outil essentiel pour l’étude des efflorescences d’algues nuisibles
3.1- Les différents types de modèles d’efflorescences d’algues nuisibles
3.2- Modèles permettant d’étudier l’influence de la dynamique des kystes
3.3- Modèles permettant d’étudier l’influence des migrations verticales
3.4- Modèles permettant d’étudier l’influence des sels nutritifs et du broutage
3.5- Modèles permettant d’étudier l’influence des interactions physique-biologie
4- Les efflorescences de dinoflagellés nuisibles dans l’Estuaire Maritime du Saint-Laurent: le cas d’Alexandrium tamarense
4.1- L’Estuaire Maritime du Saint-Laurent
4.2- Le dinoflagellé toxique Alexandrium tamarense
4.2.1- Alexandrium sur la côte est de l’Amérique du Nord
4.2.2- Taxonomie et cycle de vie d’Alexandrium tamarense dans l’EMSL
4.3- Contrôles environnementaux des efflorescences d’Alexandrium tamarense dans l ‘EMSL
4.3.1-Initiation des efflorescences d’A. tamarense dans l’EMSL
4.3.2-Développement des efflorescences d’Alexandrium tamarense dans l’EMSL
4.3.3-Déclin des efflorescences d’Alexandrium tamarense dans l’EMSL
5- Objectifs et hypothèses de cette étude
Chapitre 2 Environmental factors controlling Alexandrium tamarense (Dinophyceae) growth rate during a red tide event in the St. Lawrence Estuary (Canada)
1- Introduction
2- Material and methods
2.1- Study area
2.2- Sampling
2.3- Salinity and temperature measurements
2.4- Nutrient analysis
2.5- Wind measurements
2.6- A. tamarense enumeration and growth rate determination
2.7- Estimation of nitrogen and phosphorus required by A. tamarense during incubations
3- Results
3.1- Temporal variations in A. tamarense abundance and growth rate
3.2- A. tamarense growth rate variability – the importance of salinity
3.3- A. tamarense growth rate variability – the influence of nutrients
3.4- Nitrogen and phosphorus budget
4- Discussion
4.1 – The relationship between A. tamarense and salinity in the St. Lawrence Estuary
4.2- Nutrients and A. tamarense growth in the brackish waters of the St. Lawrence Estuary
5- Conclusion
Chapitre 3 Daytime and nighttime vertical migrations of Alexandrium tamarense in the St. Lawrence estuary (Canada)
1- Introduction
2- Material and methods
2.1- Survey(48h)
2.2- Sampling at the drifter
2.3- Nutrient addition experiment
2.4- Alexandrium tamarense enumeration and growth determination
2.5- Nutrient analysis
2.6- Light measurements
2.7- Statistical analysis
3- Results
3.1- Environmental conditions during the 48h survey
3.2- Alexandrium tamarense migratory behavior
3.3- Alexandrium tamarense growth rate and nutrient addition experiments
4- Discusssion
4.1- Noctumal vertical migrations of Alexandrium tamarense to deep nitrate-rich layers
4.2- Daytime vertical migrations: avoidance ofhigh light intensities
4.3- Nutrient control of Alexandrium tamarense growth rate
5- Conclusion
Chapitre 4 Importance of wind-driven nver plume dynamics for the development of toxic Alexandrium tamarense blooms in the Lower St. Lawrence Estuary (Canada): a modeling study
1- Introduction
2- Material and methods
2.1- The three-dimensional circulation model
2.2- The biological model of A. tamarense bloom development
2.3- Observations at coastal monitoring stations and surveys in the LSLE during the summer 1998
3- Results
3.1- Influence of the interaction between cyst germination and the estuarine circulation on the simulated inoculation of surface waters with A. tamarense vegetative cells
3.2- Influence of the simulated Manicouagan and Aux-Outardes (M-O) freshwater plume dynamics on the generated A. tamarense bloom
3.3- Importance of the simulated salinity limitation of A. tamarense growth
3.4- Comparison with the observations
4- Discussion
4.1- Ability of the coupled model to reproduce the A. tamarense bloom during the summer 1998
4.2- Preferential inoculation of north shore waters in the M-O plume reglon
4.3- Importance of the M-O plume dynamics for the spatio-temporal distribution of the bloom
5- Conclusion
Chapitre 5 Conclusions et perspectives
Bibliographie
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