L’excès de confiance comme levier pour comprendre la prise de décision
Le programme heuristiques et biais a apporté un éclairage particulier sur de nombreux comportements jugés comme critiques pour la prise de décision. Il a notamment permis de mieux comprendre l’excès de confiance, en présentant ses sources en vue de proposer des méthodes pour en limiter les effets. La section suivante vise à présenter ce comportement en regard aux biais de jugement, permettant de le replacer dans le cadre méthodologique présenté en amont.
Définition de l’excès de confiance
Parmi les comportements les plus étudiés par le programme heuristiques et biais, l’excès de confiance tient une place toute particulière. Ce comportement est intéressant car il est aisément observable, perturbe l’ensemble de la chaîne de prise de décision, mais reste pour autant difficile à circonscrire et encore plus à corriger. Il peut avoir des conséquences désastreuses lorsque les décideurs y sont sensibles, comme cela peut être le cas dans le domaine de la finance [Bessière 2007]. L’excès de confiance touche notre perception du monde, altérant nos certitudes sur l’environnement et notre jugement des actions et croyances d’autrui. Il s’adresse en définitive aussi bien à nos métaconnaissances relatives à nos connaissances, qu’à celles relatives à notre manière d’utiliser nos connaissances [Russo and Schoemaker 1992].
« La confiance subjective en un jugement n’est pas une évaluation raisonnée de la probabilité que ce jugement soit correct. La confiance est un sentiment, qui reflète la cohérence de l’information et l’aisance cognitive du traitement de cette dernière. Il est sage de prendre au sérieux les aveux d’incertitude, mais les déclarations de grande confiance ne vous disent qu’une chose, c’est qu’un individu s’est fabriqué une histoire cohérente, pas forcément que cette histoire est vraie. » [Kahneman 2012, p. 257] .
Le comportement d’excès de confiance est généralement défini par rapport à un individu et sa confiance en ses propres compétences et connaissances [Bessière 2007], voire dans le rapport d’un individu à d’autres, concernant l’évaluation de leurs compétences et connaissances [Johnson and Fowler 2011]. Mais l’excès de confiance n’est pas uniquement déterminé par la force du jugement intuitif, et s’explique aussi par d’autres facteurs permettant de juger du poids de cette impression. Dans ce dernier cas, les heuristiques de représentativité mais aussi d’ancrage et d’ajustement viennent définir et expliciter le comportement d’excès de confiance, mais aussi de manque de confiance [Griffin and Tversky 1992; Russo and Schoemaker 1992].
En synthèse aux considérables recherches sur l’excès de confiance, et à la richesse de leurs analyses, Moore and Healy [2008] ont choisi d’examiner ce comportement en reprenant les études empiriques déjà réalisées. Selon les auteurs, l’excès de confiance est étudié selon trois formes :
• la surestimation (overestimation) des habilités d’une personne ;
• la sur-disposition (overplacement), s’expliquant par le fait qu’une personne ou un groupe de personnes se considère meilleur qu’un ou une autre ;
• et la sur-précision (overprecision), décrivant la certitude excessive quant à la précision des croyances et/ou informations de quelqu’un.
Ce travail a ainsi permis de distinguer plusieurs composantes de l’excès de confiance, et aussi et surtout de mettre en évidence leurs interactions.
L’excès de confiance face au sentiment d’efficacité personnelle et à l’optimisme
Pour mieux dissocier les différentes formes de l’excès de confiance, il est intéressant de comparer ce comportement à d’autres approches relatives à la motivation, comme le sentiment d’efficacité personnelle ou encore l’optimisme en psychologie sociale. Le sentiment d’efficacité personnelle se rapporte aux croyances personnelles d’un individu qui vont le conduire à évaluer sa capacité à générer une action. Bandura [1977, 2006], qui est à l’origine de cette théorie sociocognitive, distingue dans l’efficacité personnelle deux dimensions :
• Quand une personne réalise une estimation de la finalité de l’action.
• Quand une personne a la conviction que l’action va être un succès, en regard des capacités utiles pour tendre vers ladite finalité de l’action.
Bandura différencie le sentiment d’efficacité personnelle de l’excès de confiance sur la seconde dimension, relative aux conviction du décideur et à sa motivation, et non uniquement comme un jugement probabiliste relatif au dénouement d’une situation. Il définit ainsi différentes sources d’influence du sentiment d’efficacité personnelle articulées autour de l’incidence des convictions d’un décideur [Bandura 1977] :
• L’accomplissement de la personne en termes de performances, comme la répétition de succès ou d’échecs relatifs à une tâche, lui permettant de modéliser une certaine image de lui-même concernant sa capacité à résoudre un problème donné.
• L’expérience par procuration, où la personne est spectatrice d’actions et d’activités qui vont nourrir son jugement.
• La persuasion verbale peut aussi modifier les convictions d’une personne quant à son sentiment de réussite, au travers d’encouragement, d’avertissement, ou indirectement avec des conseils ou toute parole pouvant déclencher une certaine réflexivité chez la personne.
• Finalement, l’état émotionnel de la personne va modifier son sentiment d’efficacité personnelle, que cet état soit subit, comme l’anxiété, ou recherché au travers de la relaxation par exemple.
Ainsi, la différence entre le sentiment d’efficacité personnelle et l’excès de confiance se joue sur la question de la motivation de l’individu. Le sentiment d’efficacité personnel serait nécessaire au décideur pour se lancer dans la complétion d’une tâche, ou la résolution d’un problème ; l’excès de confiance en serait la résultante lorsque les résultats de la prise de décision sont mesurés suivant des critères d’optimalité. A ce titre, il est intéressant de constater que les sources d’influence du sentiment d’auto-efficacité sont utilisées pour limiter le comportement d’excès de confiance . Par ailleurs ces comportements peuvent s’influencer l’un l’autre. Par exemple, Stone [1994] a montré qu’il peut exister un excès de confiance dans une évaluation d’auto-efficacité initiale, c’est-à-dire avant la confrontation avec le problème, affectant en suivant la prise de décision.
L’excès de confiance peut aussi être approché sous l’angle de l’optimisme, ce dernier comportement ayant pour caractéristique d’entraîner une surévaluation des capacités du décideur face à une situation donnée. Il est d’ailleurs intéressant de constater que, dans la littérature, l’excès de confiance est toujours perçu comme un comportement négatif, qu’il faut corriger, alors que l’optimisme serait nécessaire au décideur pour prendre des décisions risquées. Trevelyan [2008] sépare les deux comportements selon leurs caractéristiques sociales : la confiance excessive concerne une tâche spécifique, mesurable et circonscrite dans le temps, qui décrit un ensemble de processus cognitifs touchant la prise de décision ; l’optimisme est plus indirect, il s’agit d’un trait, une marque propre à chacun, touchant l’humeur et le comportement. La frontière entre les deux reste pourtant mince, variant selon la méthode de mesure réalisée.
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Table des matières
Introduction
1 Étude de la prise de décision en situation d’incertitude
1.1 Les heuristiques et biais de décision
1.1.1 Le raisonnement humain et les heuristiques de jugement
1.1.2 L’utilisation des heuristiques de jugement
1.1.3 Exemple de mise en évidence de l’heuristique de représentativité
1.1.4 Questionnements sur l’étude des heuristiques via les biais cognitifs
1.2 L’excès de confiance comme levier pour comprendre la prise de décision
1.2.1 Définition de l’excès de confiance
1.2.2 L’excès de confiance face au sentiment d’efficacité personnelle et à l’optimisme
1.2.3 L’excès de confiance et les biais de jugement
1.2.4 Correction du comportement d’excès de confiance
1.3 Influencer la confiance du joueur et la mesurer
1.3.1 Excès de confiance chez le joueur
1.3.2 Mesurer l’excès de confiance
1.3.3 Mesure psychophysique de l’appréciation de la difficulté
1.4 Synthèse
2 Le jeu pour comprendre les biais de décision
2.1 Le jeu comme support pour analyser et comprendre la prise de décision
2.1.1 La question de la prise de décision dans la définition du jeu
2.1.2 Caractérisation de la décision du joueur dans l’activité ludique
2.1.3 L’importance de l’incertitude dans l’activité de jeu
2.1.4 Le jeu comme expérience réflexive
2.2 Jeux sérieux et formations relatives à la prise de décision
2.2.1 Intérêt du jeu sérieux comme outil de formation pour la prise de décision
2.2.2 Apprendre ou corriger un comportement spécifique
2.2.2.1 Simulations et Business Games
2.2.3 Corriger un comportement biaisé
2.2.3.1 Jeu sérieux et correction des biais cognitifs
2.2.3.2 Jeu et expériences de calibration
2.2.4 Encourager la mise en place de pratiques réflexives
2.2.4.1 Jeu de rôle
2.2.4.2 Le rôle de la médiation et les jeux épistémiques
2.2.5 Aider à développer des stratégies métacognitives
2.2.5.1 Apprentissage et stratégies métacognitives
2.2.5.2 Intégration de stratégies métacognitives dans le gameplay
2.3 Synthèse
3 Méthodes pour orienter le jugement du joueur
3.1 Les difficultés à prévoir le jugement du joueur
3.2 Méthodes de contrôle indirect
3.2.1 Contraindre les choix du joueur
3.2.2 L’utilisation des objectifs
3.2.3 La conception de l’interface
3.2.4 Le rendu visuel
3.2.5 Le rôle des personnages
3.2.6 L’influence de la musique
3.3 Propositions pour biaiser le jugement du joueur
3.3.1 L’information biaisée
3.3.2 Appréciation de la difficulté, effort et confiance du joueur
3.3.3 Mesure des difficultés subjective et objective dans les jeux
3.4 Synthèse
Conclusion