Depuis la fin de la seconde guerre mondiale, l’industrie aéronautique s’est particulièrement investie dans le développement des turbomoteurs. En effet le rendement associé à ce type de moteur est plus élevé que celui des moteurs à piston à haute vitesse (subsoniques – Mach 0,7 à 0,9), et nécessite un encombrement et un poids moindres à puissance équivalente. Ce type de moteur ou ses dérivés se retrouvent ainsi dans l’aviation commerciale ou militaire, mais aussi dans la plupart des hélicoptères. Parmi les composants des turbomachines, les turbines HP (hautes pressions) constituent un des éléments les plus critiques. En effet, elles sont soumises à de fortes sollicitations thermo-mécaniques en raison de la vitesse de rotation pouvant atteindre 60000 tours par minute, ainsi qu’à l’exposition partielle aux gaz de combustion portés à très hautes températures (supérieures à 1500°C). Le disque, partie centrale de la turbine, va ainsi subir des contraintes de fatigue notamment au niveau de l’alésage, du fluage au niveau des interpales, de la corrosion favorisée par l’exposition en température (jusqu’à 600°C), ainsi que de la fatigue thermique en raison des cycles de vols. Parmi les matériaux compatibles avec ces sollicitations extrêmes, les superalliages à base de nickel se sont révélés être de très bons candidats. En particulier, le PER72® , qui fait l’objet de cette étude, est un superalliage base nickel élaboré par voie coulé-forgé par la société Aubert & Duval. Il est constitué d’une matrice de nickel dans laquelle sont répartis les différents éléments d’addition soit en solution solide, soit en phase précipitée de type Ni3(Ti, Al).
Cet alliage acquiert ses propriétés au travers d’un traitement thermique constitué d’une mise en solution, d’une trempe, puis de deux revenus. La mise en solution permet de dissoudre tout ou partie de la précipitation selon la température appliquée, et permet également un grossissement des grains d’autant plus important que la quantité de précipités restante est faible, les précipités contrôlant ainsi la mobilité des joints de grains. Plus précisément, un alliage dit « High Strength » (haute résistance) sera obtenu par une mise en solution subsolvus. L’application « creep resistant » (résistant au fluage) sera quant à elle obtenue après un traitement supersolvus, permettant d’obtenir une macrostructure constituée de gros grains. La mise en solution s’achève ensuite par la trempe. Ce refroidissement entraine une sursaturation de l’alliage en titane et aluminium. Une précipitation intragranulaire est alors formée. C’est cette dernière qui confère à l’alliage ses excellentes propriétés mécaniques en traction, en particulier sa forte limite d’élasticité aux températures de service (600°C) qui atteint des valeurs de l’ordre de 600MPa (PER72® « High Strength »). Le traitement thermique s’achève par deux revenus consécutifs pendant lesquels la taille des précipités est affinée. La limite d’élasticité s’en trouve alors augmentée d’une centaine de mégapascals.
De part la massivité de la pièce et la variation de contraction de l’alliage avec la température, la trempe peut générer des contraintes à l’origine de déformations plastiques. La plasticité se traduit alors en fin de traitement thermique par la présence de contraintes résiduelles, qui sont à l’origine, dans les cas extrêmes, de microfissurations (figure 0-2) parfois difficilement détectables, ou, dans une moindre mesure, de distorsions après usinage.
En raison des besoins de puissance et de fiabilité toujours croissants exprimés par les motoristes, la compréhension de l’évolution de la microstructure et des propriétés mécaniques avec le traitement thermique représente un réel enjeu pour les élaborateurs. C’est dans ce contexte que le projet collaboratif COMMETAD 720 (COmportement Métallurgique, Mécanique Et Thermomécanique pour l’Alliage pour Disque de type Udimet® 720) a été lancé au début de l’année 2011, réunissant Turboméca du groupe Safran, Aubert & Duval, L’institut P’-ENSMA et l’Institut Clément AderMines Albi (ICAA). Mon travail de thèse s’est déroulé au sein de l’ICAA et s’inscrit dans le cadre de ce projet.
Afin de comprendre les phénomènes conduisant à la génération de ce type de contraintes, la trempe du PER72® a été particulièrement étudiée. Comme le montre le schéma de la figure 0-3, l’origine des contraintes résiduelles est associée à deux effets. D’une part, une contrainte d’origine thermomécanique est générée par les variations de température qui diffèrent d’un point à l’autre de la pièce. D’autre part, ces différences de température et de vitesses de refroidissement entrainent des différences de microstructure et donc des propriétés mécaniques locales dans la pièce. Cette combinaison peut alors être à l’origine de déformations plastiques qui, une fois la pièce complètement refroidie, génèrent des contraintes résiduelles. Autant la simulation du comportement thermomécanique d’un matériau donnée est connue, autant la prise en compte de l’évolution du matériau au cours du traitement ne l’est pas. Cet aspect innovant représente l’enjeu principal de ce travail de thèse.
Ainsi, dans l’optique de définir un premier modèle permettant d’estimer les contraintes résiduelles, plusieurs objectifs ont été définis au préalable : Tout d’abord, il est nécessaire de reproduire en laboratoire, sur un élément de volume de l’alliage, une trempe contrôlée in situ en mesurant précisément la température, la vitesse de trempe et permettant de plus d’accéder aux caractéristiques mécaniques en cours de refroidissement.
Matériau étudié : le PER72®
Structure
Le PER72® (ou NiCr18Co15TiMoAl dans la désignation normalisée européenne) [1] est un superalliage à base de nickel à durcissement structural par précipitation élaboré par la société Aubert & Duval. De part ses bonnes propriétés mécaniques à haute température et sa résistance à la corrosion, il est utilisé dans la confection de disques de turbines d’hélicoptères, pièces soumises à de fortes sollicitations mécaniques et thermiques.
Cet alliage est constitué d’une matrice austénitique γ de nickel, de structure CFC. Les divers éléments d’alliages sont d’une part répartis en solution solide dans la matrice γ, et d’autre part précipitent (Ti et Al principalement) sous la forme de particules de Ni3(Ti, Al). Cette phase est appelée phase γ’ et possède une structure cristallographique ordonnée de type L12. Elle peut atteindre 45% de la fraction molaire de l’alliage [2].
Cette précipitation se répartit dans l’alliage sous la forme de différentes populations, classées suivant leur taille et séquence de formation au cours du traitement thermomécanique :
• les γ’ primaires (γ’p) : ils sont formés lors de la solidification du lopin et sont localisés principalement aux joints de grains. La taille moyenne de ces précipités peut atteindre 1 à 10 microns. Ces précipités sont incohérents avec la matrice.
• les γ’ secondaires (γ’s) : ces précipités intragranulaires sont formés pendant la trempe et les revenus. Leur taille moyenne est de l’ordre de la centaine de nanomètres, avec une morphologie qui peut varier selon les conditions de traitement thermique (globulaires, cubique, …). Contrairement aux précipités γ’ primaires, les γ’ secondaires présentent une relation d’orientation cristallographique avec la matrice.
• les γ’ tertiaires (γ’t) : tout comme les secondaires, les précipités tertiaires sont intragranulaires, formés pendant la trempe et les revenus, et ils sont cohérents avec la matrice. Leur taille moyenne est cependant bien plus petite, de l’ordre de quelques dizaines de nanomètres. Leur morphologie est globulaire.
Procédés d’élaboration
Le développement des superalliages a été rendu possible par le développement de procédés d’élaborations sous vide et de refusion, limitant ainsi les inclusions d’oxyde ainsi que les ségrégations chimiques. Les superalliages polycristallins sont élaborés suivant deux principales méthodes : la voie « lingot coulé – forgeage » et l’élaboration par « métallurgie des poudres ».
Élaboration par voie « lingot coulé – forgeage »
La gamme de fabrication est constituée de plusieurs étapes :
– Une première coulée est réalisée par fusion sous vide par induction (VIM : Vacuum Induction Melting). Lors de cette étape, les différents éléments d’alliage sont incorporés au nickel afin d’obtenir la composition chimique souhaitée, tout en limitant l’oxydation d’éléments tels que l’aluminium ou le titane.
– Afin de réduire les inclusions indésirables et de réduire le taux de soufre, l’alliage est refondu sous laitier (ESR : Electro Slag Remelting), puis par arc sous vide (VAR : Vacuum Arc Remetling).
– L’homogénéisation de la composition chimique est ensuite réalisée par un traitement thermique. Puis, différentes étapes de forgeage à chaud sous presse hydraulique permettent d’affiner la microstructure. Le demi-produit ainsi réalisé se présente sous la forme d’une billette.
– Le matriçage d’un tronçon de billette permet d’obtenir un disque forgé dont la géométrie est proche de ses cotes finales. Après usinage, la pièce est enfin contrôlée.
Cette voie « lingot coulé-forgeage » est encore la plus employée du fait de son plus faible coût que la métallurgie des poudres. Cependant elle présente les inconvénients de générer des ségrégations chimiques, des hétérogénéités microstructurales ou encore des phases fragilisantes. Afin de réduire ces risques, on peut être amené à considérer une taille limite pour les lingots, qui diminue avec la fraction d’éléments d’additions.
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Table des matières
INTRODUCTION
1 MATERIAU ETUDIE : LE PER72®
1.1 STRUCTURE
1.2 ÉLEMENTS D’ALLIAGE
1.3 PROCEDES D’ELABORATION
1.3.1 Élaboration par voie « lingot coulé – forgeage »
1.3.2 Élaboration par « métallurgie des poudres »
1.3.3 Elaboration de la nuance de l’étude
2 INFLUENCE DU TRAITEMENT THERMIQUE SUR LA MICROSTRUCTURE DE L’ALLIAGE
2.1 EFFET DE LA MISE EN SOLUTION
2.2 EFFET DE LA TREMPE
2.2.1 Effet de la vitesse de refroidissement sur la taille des précipités
2.2.2 Effet de la vitesse de refroidissement sur la morphologie des précipités
2.3 EFFET DES VIEILLISSEMENTS
3 TECHNIQUES DE CARACTERISATION DE LA MICROSTRUCTURE
3.1 EXTRACTION PAR DISSOLUTION
3.2 DIFFRACTION DE RAYONS X
3.3 ANALYSES CHIMIQUES PAR SPECTROMETRIE D’EMISSION OPTIQUE (ICP‐OES)
3.4 PREPARATION METALLOGRAPHIQUE
3.5 MICROSCOPIE OPTIQUE ET MEB
3.6 ANALYSE D’IMAGES
3.7 DIFFUSION DE NEUTRONS AUX PETITES ANGLES (DNPA)
3.7.1 Diffusion neutronique
3.7.2 Dispositif expérimental
3.7.3 Traitement des données brutes
4 CARACTERISATION MECANIQUE
4.1 MOYENS D’ESSAIS
4.1.1 Essais de dureté
4.1.2 Essais de traction
4.1.3 Ligne d’amarrage pour les essais de traction « hautes températures »
4.2 CONTROLE DE LA TEMPERATURE
5 CONCLUSION
CONCLUSION