L’évolution du système de protection sociale en France 

L’évolution du système de protection sociale en France 

Rappel du fonctionnement du système d’aide sociale en France 

Un système de protection sociale hybride 

En France la protection sociale repose sur l’assurance qui garantit au salarié et à ses ayants droit un statut afin de le protéger de certains risques sociaux ou aléas de la vie telles que la vieillesse, la maladie, le chômage, les accidents du travail, la famille… La sécurité sociale instaurée en 1945 suite à la Libération repose ainsi sur un système de cotisations des travailleurs qui peuvent recourir à cette assurance lorsqu’ils sont confrontés à l’un de ces risques. Il s’agit donc d’un régime de type corporatiste dit bismarckien (initié par Bismarck en Allemagne au 19ème siècle) qui actionne la solidarité inter-professionnelle. Ce système qui a été introduit dans des périodes de plein emploi dans les sociétés industrielles en Europe pour protéger les ouvriers et autres travailleurs trouvent cependant ses limites quand la société se transforme au contact de la crise mondiale engendrée par les chocs pétroliers dans les années 70 quand de plus en plus de citoyens se retrouvent à la marge et ne peuvent plus être pris en charge par le système classique de sécurité sociale (chômage de masse et de longue durée).
En effet, le système d’assurance sociale français basé sur une logique professionnelle redouble les
phénomènes d’exclusion sociale si un chômage structurel se développe de façon importante. Cette exclusion d’un pan très large de la population interpelle dans un pays riche et démocratique sur la responsabilité de l’Etat et de la société à faire face à la crise pour fournir des conditions de vie décentes à défaut de fournir de l’emploi. Pour prendre en charge les citoyens non ou mal couverts par les assurances sociales, et pour leur permettre de réintégrer plus facilement le marché du travail, il est apparu nécessaire de mettre en place de nouvelles politiques sociales situés à la périphérie du système principal et plus ciblées sur les populations exclues.
Ces politiques se rapprochent davantage du modèle anglo-saxon de traitement de la pauvreté par des politiques sociales “résiduelles” que du modèle bismarckien de l’assurance sociale : elles sont ciblées et financées par l’impôt. Ces nouvelles politiques sociales ne remplacent pas le système précédent mais viennent le compléter. La coexistence de ces deux modèles en France est à l’origine d’une dualisation du système de protection sociale français, typique du régime libéral de protection sociale. D’un côté, la majorité de la population reste couverte par les dispositifs d’assurance sociale, de l’autre, une frange de la population de plus en plus nombreuse voit ses revenus et sa protection dépendre principalement des prestations minimales délivrées par l’Etat.
Alors qu’au 19ème siècle, l’assistance ou l’aide sociale était destinée à prendre en charge les personnes indigentes ou inaptes à travailler, un devoir de solidarité est invoqué pour l’élargir aux exclus de la société salariale et de la protection sociale qui y est attachée, notamment par l’introduction de prestations sous conditions de ressources pour compenser la difficulté croissante des protections assurantielles à couvrir les populations touchées par le chômage de masse et la précarité du travail en expansion. Toutefois, ces prestations sont remises en cause au nom de la passivité qu’elles induiraient chez leur bénéficiaires, du fait de leurs faibles résultats à sortir les personnes de la pauvreté et du fait que le ciblage crée des effets de seuil dont la légitimité est contesté par les classes à la lisière de la pauvreté et pour lesquelles le coût est élevé car elles doivent contribuer au système mais n’ont bénéficient pas bien qu’elles aient des revenus modestes et proche de ceux des prestataires (travailleurs précaires…).
Cette remise en cause va pousser à la réforme du RMI pour élargir la catégorie des bénéficaires et prendre en compte les travailleurs pauvres. Le passage du RMI au RSA s’accompagne par une logique d’activation des politiques sociales suite à une campagne présidentielle axée sur la valeur travail en 2007 pour répondre à cette contestation à la fois en intégrant les travailleurs pauvres jusqu’à lors invisibilisés et tout en replaçant les aides dans une logique de conditionnalité et d’incitation au retour des bénéficiaires vers l’emploi afin de sortir des prénotions qui assignent les allocataires de l’assistance à l’identité d’individus passifs. Au contraire, nous verrons plus tard comment les personnes qui reçoivent une assistance de la collectivité sont soumises à une véritable injonction à l’autonomie (Duvoux, 2008), produit d’une transformation de la relation de la société à la pauvreté et des instruments qu’elle met en oeuvre pour lutter contre. Celle-ci “réactive une dialectique de l’assistance, indépassable dans un régime démocratique qui protège l’individu mais qui cherche également à la reconnaître comme responsable en tant que personne à part entière”.

Les dispositifs d’assistance : du RMI au RSA

D’après le rapport sur le projet de loi n°1100 généralisant le revenu de solidarité active (RSA) et réformant les politiques d’insertion (enregistré à l’Assemblée nationale le 8 septembre 2008) : Vingt ans après le vote de la loi sur le revenu minimum d’insertion (RMI), le bilan est contrasté : tout le monde reconnaît qu’elle a représenté un progrès social dans la reconnaissance de la dignité des personnes les plus fragiles de la société, mais personne ne considère que le RMI a résolu le problème de la pauvreté en France.
La nécessité de transformer et d’élargir le dispositif actuel est largement partagée au-delà des clivages politiques traditionnels. Cette nécessité procède d’un triste constat : la France est, juste après la Suède, le pays d’Europe qui consent le plus gros effort financier pour sa protection sociale en y affectant plus de 30 % de sa richesse nationale. Et pourtant, les résultats sont inquiétants : 20 ans après sa création, le nombre d’allocataires du RMI est passé de 422 000 à 1 100 000 ; 7 millions de personnes vivent encore sous le seuil de la pauvreté ; le nombre de familles surendettées atteint 1 500 000 et un ménage français sur huit vit avec un revenu insuffisant, avec un nombre croissant de travailleurs pauvres.
Le projet de loi généralisant le revenu de solidarité active et réformant les politiques d’insertion procède d’une nouvelle logique de lutte contre la pauvreté axée sur le soutien au travail.
1. La première nouveauté, c’est que le revenu de solidarité active (RSA) généralisé, à la différence de ceux qui ont été préalablement expérimentés dans plusieurs départements de France, sera ouvert à l’ensemble des travailleurs à revenus modestes, en tenant compte de leurs ressources et de leur situation familiale. De nombreux droits étaient jusqu’ici rattachés au statut de bénéficiaire du RMI, et donc perdus en cas de reprise d’emploi, contribuant ainsi à enfoncer les personnes concernées dans des trappes à pauvreté. En liant l’attribution de ces droits (aides au logement, exonération de taxe d’habitation ou de redevance audiovisuelle) non plus à un statut, mais à un niveau de ressources, le nouveau RSA s’accompagne non pas d’une perte brutale des droits, mais d’une réduction progressive.
2. La seconde nouveauté, c’est la garantie d’une augmentation des revenus en cas de reprise d’activité : quand on gagne 100 euros du fait de son travail, le RSA baisse de 38 euros et la personne garde ainsi 62 euros de revenus d’activité, ce qui modifie considérablement les choses puisqu’elle dispose principalement de revenus d’activité plutôt que de revenus d’assistance.
3. La troisième nouveauté, c’est la simplification : le RSA va remplacer le RMI, l’allocation de parent isolé (API) ainsi que les systèmes d’intéressement et la prime de retour à l’emploi ; il remet de l’ordre dans les différents systèmes qui se sont empilés jusqu’ici en mettant en place un revenu où désormais le travail paie plus que l’assistanat.
4. La quatrième nouveauté, c’est la méthode qui a été choisie avec le Livre vert sur le RSA et le Grenelle de l’insertion, qui a tiré le bilan des expérimentations positives réalisées dans plusieurs départements et a précédé l’élaboration de ce projet de loi d’une large concertation.
5. La cinquième nouveauté, enfin, c’est la réforme en profondeur des contrats aidés, et la création d’un contrat unique d’insertion, qui va beaucoup plus loin que les dispositifs qui avaient été élaborés dans le cadre du plan de cohésion sociale de 2004 avec deux objectifs ; le premier, c’est de mettre le pied à l’étrier à ceux qui ont besoin d’une transition vers l’emploi classique ; le second, c’est de faire bénéficier de la solidarité ceux qui ont des difficultés prolongées mais qui, pour autant, ne doivent pas être condamnés à l’exclusion. Le nouveau contrat unique d’insertion sera ainsi beaucoup plus souple que le précédent et le droit à l’insertion des bénéficiaires du RSA sera désormais inséparable d’une obligation de rechercher activement un emploi, sauf exception justifiée.
Dans l’analyse du texte, le rapporteur s’est attaché à vérifier que dix conditions étaient bien remplies car elles lui semblent nécessaires pour assurer le succès du RSA :
1. Le RSA doit être tout autant un outil de lutte contre la pauvreté et un moteur puissant de retour vers l’emploi. Le retour à l’emploi est la condition indispensable pour sortir de l’assistanat et de l’exclusion. À cette fin, une partie spécifique du RSA doit être consacrée à cet objectif.
2. Le dispositif du RSA doit procurer à son bénéficiaire reprenant un emploi un surcroît de revenu suffisant pour qu’il y ait un intérêt financier à quitter l’assistance.
3. Le dispositif du RSA doit prendre en compte les droits connexes dont bénéficient les allocataires du RMI ou des minima sociaux, afin de supprimer les « trappes à inactivité ».
4. Les financements du RSA doivent être à la hauteur des objectifs qui lui sont fixés. Ces financements doivent reposer à la fois sur le redéploiement de certaines dépenses et sur de nouvelles ressources. Une réflexion parallèle doit être menée sur la prime pour l’emploi (PPE) ainsi que sur les niches fiscales. Le financement du RSA doit être compatible avec le caractère prioritaire de la politique de pouvoir d’achat voulue par le chef de l’Etat.
5. La mise en place du RSA doit s’accompagner d’une action volontariste et efficace de lutte contre le temps partiel subi et encourager le travail.
6. Le RSA doit, dès sa mise en place, s’appuyer sur un équilibre entre droits et devoirs de ses bénéficiaires : le droit de bénéficier d’un accompagnement personnalisé et renforcé vers l’emploi ; le devoir de s’inscrire résolument et de bonne foi dans une démarche de retour à l’emploi.

La nouvelle question sociale : de la dette sociale à la responsabilité individuelle

En France, l’assistance aux pauvres dans tous les âges et dans toutes les circonstances de la vie a été élevée au rang des devoirs les plus sacrés de la nation en 1791 par la première Assemblée Nationale sur la base du travail réalisé par le Comité de la mendicité. Le principe d’une dette nationale à l’égard des plus défavorisés à été rappelé deux siècles plus tard lors du vote et de l’adoption de la loi sur le revenu minimum d’insertion en 1988. On parle alors du devoir d’assistance face à la montée du chômage de masse et dans une conjoncture socio-économique particulière  marquée par la forte croissance du nombre de chômeurs de longue durée en fin d’indemnisation, phénomène induit par la crise économique des années 1980 et la fin des Trente Glorieuses… On verra comment le discours a évolué vers une responsabilisation individuelle des bénéficiaires et une dénonciation de l’assistanat mais surtout l’émergence de l’idée qu’il faut mériter l’assistance en s’engageant à rembourser la dette par la participation économique à l’effort de la collectivité en conditionnant les aides par l’inscription dans un parcours d’insertion.

L’assistance : un rempart au dysfonctionnement de l’Etat-Providence

Les décennies 1980 et 1990 ont marqué une rupture dans le développement des Etats-Providence mis en place dans les pays développé après la Seconde Guerre mondiale. L’ensemble des institutions de la société salariale au tournant de la deuxième moitié des années 70. C ette crise qui s’est accompagné par la transition du capitalisme industriel vers un système de production basé sur la flexibilité du travail, s’est répercuté sur le plan social engendrant un chômage de masse et un travail de plus en plus précaire. Au niveau international, une vaste communauté épistémique s’est formé autour du “consensus de Washington” en lieu et place du “consensus de Philadelphie” qui avait accompagné l’avènement de l’Etat social universaliste durant les Trente Glorieuses. Sur la base d’une critique de ce dernier, un modèle d’action valorisant privatisation, contractualisation et ciblage (régime libéral de protection sociale) a été élaboré fournissant une base intellectuelle au développement de l’assistance pour faire face aux effets de la crise et compenser les failles du système classique de sécurité sociale basé sur le salariat et sur le caractère aléatoire des risques sociaux et dont une partie croissante de la population passait entre les mailles du filet.
La prise de conscience de l’émergence d’une nouvelle pauvreté au milieu des années 1980 fut le révélateur de la crise des mécanismes de socialisation normale par le travail salarié et de leur encadrement par la protection sociale issue de la Libération. Dans un article fondateur sur les enjeux du RMI, Robert Lafore souligne l’importance de la prise de conscience des effets du chômage de masse dans la décision de créer le dispositif : “les nouveaux pauvres sont ainsi dénommés parce qu’ils ne concernent pas le stock résiduel de pauvres connus de longue date par les réseaux d’assistance mais renvoient au flux grossissant de ceux qui sont éjectés de la socialisation normale par le travail salarié et qui, en conséquence se voient privés de la protection sociale qui y est attachée”. La création de nouveaux dispositifs d’assistance vient dès lors répondre au problème identifié des nouveaux pauvres que la protection sociale classique ne permet plus de couvrir. La société salariale était d’abord une société assurantielle. Le calcul statistique des risques et la socialisation de leur coût y euphémisaient la dimension politique de la constitution du lien social.
La crise de la solidarité organique que connaît une frange de la population sous le mode du chômage d’exclusion ou de la précarisation du travail, et la crise des mécanismes assurantiels ont produit un renouveau des débats sur la responsabilité de la société quant à la protection de ses membres et sur l’articulation des droits et devoirs qui définissent la citoyenneté sociale.
Après « La crise de l’Etat-Providence » (1981), Pierre Rosanvallon revient au chevet de la société assurantielle dans « La nouvelle question sociale » (1995). Le diagnostic est sans appel : c’est le contrat social dans son ensemble qu’il s’agit de repenser, notamment par la revendication d’un droit à l’insertion. Son argumentation repose sur une lecture critique de l’histoire de l’Etat-Providence et de ses dysfonctionnements.
Dès le XVIIIe siècle, la notion même d’un système assurantiel destiné à réduire les aléas du destin social était accompagnée de la crainte d’une diminution des responsabilités individuelles. Pourtant la société assurantielle progressera, jusqu’à son point d’apogée avec la création de la sécurité sociale au lendemain de la seconde Guerre Mondiale : il s’agit alors de mutualiser des risques considérés comme imprévisibles et susceptibles de toucher n’importe quel individu. La crise de l’Etat-providence provient, au début des années quatre-vingt, d’une transformation de la perception du risque : la hausse du chômage, l’apparition de nouvelles formes de pauvreté et d’exclusion démontrent que le risque social ne peut plus désormais être conçu comme ponctuel et aléatoire. Or l’inefficacité du vieux système assurantiel est devenue patente face à des risques entraînant des situations de longue durée : les prestations sociales ne permettent plus de lutter efficacement contre le chômage et la précarité qui se sont accentués, sans compter l’évolution démographique qui fait évoluer négativement le rapport entre cotisants et bénéficiaires.
L’individualisme s’exerce désormais aux dépens de la solidarité et engendre une société à deux vitesses : celles des actifs, et celle des chômeurs menacés par l’exclusion. L’une des grandes failles du système selon Rosanvallon réside dans la séparation entre l’économique et le social, dont il faudrait au contraire penser l’harmonisation, et qui entraîne la dissolution du contrat social. L’un des aspects les plus originaux de l’argumentation est sur ce point la reprise critique de la doctrine rawlsienne du « voile d’ignorance » permettant aux individus de pacifier leurs égoïsmes et d’entrer dans un système de coopération équitable en vue d’un avantage mutuel : selon Rosanvallon, la société contemporaine assiste au contraire à un véritable « déchirement du voile d’ignorance », notamment en raison des avancées scientifiques qui permettent une lecture prédictive du génome humain susceptible de remettre en cause l’opacité du social. Si l’on peut prévoir les risques, le système assurantiel fondé sur leur caractère aléatoire s’effondre. Repenser le contrat social est donc devenu une urgence.
Les solutions avancées par Rosanvallon, qui exigent toutes de l’Etat-providence qu’il sorte d’un rôle « passif », se contentant de distribuer des indemnités au lieu de permettre réellement aux individus de s’insérer par une participation active, consistent alors à renforcer le lien civique, sur le mode d’une solidarité responsable, à valoriser un « droit au travail » contre un « droit au revenu », et à renforcer les mécanismes d’insertion. Ainsi le RMI peut-il ouvrir la voie à une nouvelle catégorie de droits sociaux associés à des obligations : celles pour le bénéficiaire de s’engager dans des actions d’insertion.

Débats sur le dispositif : Assistance ou assistanat ?

Avec la dégradation de la situation socio-économique dans les années suivant l’adoption du RMI, ce droit va être remis en cause. Alors que l’Etat-Providence atténuait la responsabilité individuelle dans la régulation de la question sociale, la crise s’accompagne plutôt par une évolution des représentations sociales de la pauvreté vers une mise en avant des facteurs individuels par rapport aux causes structurelles et vers un retour des “mauvais pauvres” dans l’imaginaire collectif. Les assistés apparaissent dans les représentations dominantes comme ayant été rendus passifs par l’intervention trop généreuse de l’Etat dans les questions sociales. En réponse à ce diagnostic, l’activation des politiques sociales s’est imposée comme solution pour réformer les systèmes de protection sociale perçus comme des “trappes à inactivité”. Et alors que les systèmes d’indemnisation du chômage sont bâtis à l’issue de la Seconde Guerre mondiale sur l’idée que celui-ci résulte d’un risque macro-économique qui dépasse la responsabilité des individus, ce sont ses aspects micro-économiques liés à un système d’incitations inadapté qui retiennent aujourd’hui l’attention. L’universalisme qui présidait à la conception des Etats-Providence basés sur la responsabilité collective laisse place à des dispositifs mettant en oeuvre des actions ciblées. La responsabilités individuelle est dès lors invoquée pour lutter contre les effets prétendus de désincitation au travail et de dépendance à l’aide publique qu’aurait l’assistance non contributive. Une rupture majeure intervient au début des années 2000 avec l’instauration d’un nouveau consensus sur la façon de lutter contre la pauvreté et l’exclusion sociale. Cette rupture conduit à fixer l’attention du public sur les cas individuels de rupture de la loyauté citoyenne dont le cas exemplaire est celui du “profiteur”. Cette situation a fait irruption à l’occasion d’un renversement du consensus favorable à la solidarité sur lequel reposait la société française depuis la fin des Trente Glorieuses, à la suite d’une mobilisation intense dans la lutte contre l’exclusion entre les années précédant l’adoption du RMI en 1988, moment où la nouvelle pauvreté fait irruption dans l’espace public, et les années suivant l’adoption de la loi contre les exclusions en 1998. A partir de ce moment, et malgré un attachement global des français aux dispositifs de solidarité, l’opinion publique a commencé à se diviser quant à la multiplication des droits qui avait présidé à une décennie de consolidation du pilier de la solidarité dans le système de protection social français.
En effet, et alors que quelques années auparavant, un consensus sur la nécessité de réduire la “fracture sociale” fait usage de prénotion, le constat sur l’assistance dans la France de 2007 est à la division de l’opinion et de la classe politique sur le sujet. Ainsi, le dossier consacré par l’hebdomadaire Marianne aux “Pièges de l’assistanat” s’ouvre par ces mots de commentaire sur les prises de position des candidats à l’élection présidentielle de 2007 : “L’assistanat ? Pas la peine d’interroger nos deux principaux candidats à la présidentielle. Ils le dénoncent spontanément conscients que le système divise profondément les Français”. Par ailleurs, cette suspicion n’est pas distribuée aléatoirement dans l’opinion. Les travaux de Michel Forsé démontrent que les couches moyennes et supérieures sont moins promptes à exiger des contreparties aux allocataires du RMI que les couches inférieures. L’étude des représentations autour du RMI met en lumière un clivage entre populations modestes et pauvres.
On peut interpréter ce renversement de l’opinion publique comme une transformation du contrat social reposant sur l’idée de dette sociale qui avait été réaffirmée lors de l’adoption du RMI en 1988. Celle-ci avait été précédée par un riche débat parlementaire qui avait donné lieu à un intense questionnement sur les fondements du droit au secours dans une société démocratique, et dont S. Paugam a analysé la proximité avec les débats qui s’étaient déroulés dans le cadre des travaux du
Comité de mendicité au cours de la période révolutionnaire. Cette rupture politique se matérialise dans les transformations de la notion de contrat dans le RMI par analogie au contrat social.
Comprendre l’évolution du premier revient à saisir les transformations que subit le second à partir de l’incarnation concrète de ce principe abstrait dans le contrat d’assistance. De nombreux interprètes ont ainsi souligné la dimension symbolique et politique inhérente à l’utilisation par le législateur de la notion de contrat dans le dispositif RMI en référence à la tradition politique du contrat social en France.

Effets et limites

Non seulement, les programmes d’insertion n’atteignent pas leurs objectifs de lutte contre le chômage et la pauvreté, mais encore ils semblent créer davantage de précarité quand ils sont détournés de leur mission première et utilisés à des fins de flexibilité de la main d’oeuvre par des entreprises qui y voient une opportunité pour faire exécuter des tâches saisonnières à moindre coût par les publics en insertion qui représentent pour elle une main d’oeuvre bon marché. Cette logique de marché se poursuit lorsque les bénéficiaires de ces mesures (stages, contrats aidés…) ne sont pas sélectionnés en fonction des critères sociaux liés leurs difficultés personnelles mais de leurs compétences précises qui pourront être mises à profit, le chômage de masse constituant ainsi une réserve dans laquelle on peut puiser cette main-d’œuvre.
Conscients de ces abus, les pouvoirs publics se trouvent contraints de supprimer telle ou telle mesure qui fait l’objet d’un détournement trop manifeste. Les mesures gouvernementales apparaissent comme instables et chaque gouvernement, faisait le constat de l’échec ou de l’inadaptation des solutions proposées, y voit l’opportunité d’imprimer sa marque et à bénéficier de l’effet médiatique de la mise en place d’un nouveau programme, même si les mesures restent assez proches des précédentes, ce qui produit une inflation des dispositifs renforçant leur complexité et leur illisibilité, et un brouillage des catégories administratives.
Au final, ces aides produisent l’effet contraire des objectifs escomptés : si elles partent d’un objectif d’insertion véritable et d’une volonté de réduire le chômage, elles contribuent à élargir la zone intermédiaire entre l’emploi stable et le chômage et à maintenir les publics visés dans la précarité en renforçant la flexibilité à la périphérie du marché de l’emploi. Pour certaines catégories de salariés, le risque est grand de se maintenir durablement dans ce segment périphérique et de connaître temporairement plusieurs expériences de chômage. Tout ceci nous amène à réinterroger l’objectif de l’insertion lié à la valeur travail et placé au centre des politiques d’assistance et de protection sociale, d’autant plus que la corrélation entre recul du chômage et réduction de la pauvreté n’est plus aussi évidente avec l’apparition de la catégorie des travailleurs pauvres et la multiplication des emplois précaires.
En effet, la pauvreté remplit une fonction économique essentielle dans la société, et bien que l’on proclame en France qu’il est dans le devoir de la nation d’assister les pauvres, il y subsiste comme dans toute société une forme de pauvreté liée au marché du travail et sur laquelle on ferme volontairement les yeux. En effet, H.J. Gans, sociologue américain connu pour son travail sur les fonctions positives de la pauvreté, explique que pour effectuer le sale boulot, il faut qu’il subsiste une catégorie de travailleurs qui n’ont pas le choix et qui n’ont d’autres solutions que d’accepter les tâches dégradantes et faiblement rémunérées. Or la sortie du chômage constitue une telle préoccupation voire un impératif pour les gouvernements et les acteurs de l’insertion qu’ils font souvent l’impasse sur les emplois dégradants ou peu attractifs en assumant que les pauvres doivent les accepter car ils constitueraient une solution préférable au chômage de longue durée. Le système d’assistance français incarne cet état d’esprit en conditionnant les aides sociales par un parcours d’insertion où le bénéficiaire n’a pas d’autres choix que d’accepter les offres de travail qui lui sont faites et qui font souvent partie des jobs les moins rémunérés, ce qui contribue à maintenir
les pauvres dans la précarité et ne constitue pas une remise en cause radicale de l’ordre social.
Par ailleurs, les politiques d’assistance en France ont peu à peu montré leurs limites. Pour N.
Duvoux, « plus on s’adresse aux pauvres directement par des politique ciblées sur eux, moins on résout le problème de la pauvreté. C’est le paradoxe de la redistribution . Le recours à l’assistance a permis de réguler le chômage de masse à moindre frais » . D’un autre côté, la crise avive les critiques envers les politiques sociales et accentue les tensions sociales entre les plus pauvres bénéficiaires de l’assistance et les classes laborieuses modestes qui ont le sentiment de contribuer à un système qui leur rend peu et dont elles contestent de plus en plus la légitimité.
Le ciblage et la concentration des aides sur les plus défavorisés seraient l’une des causes du basculement à droite dans les années 80 (Rosanvallon) dans un système de protection sociale basé sur la dualisation entre ceux qui peuvent travailler et ceux qui ne le peuvent pas, les premiers finançant par l’impôt des programmes de protection ciblées sur les seconds en plus de contribuer à la sécurité sociale dont ils bénéficient en cas de survenue de l’un des risques couverts (mala die, accident de travail, vieillesse, chômage…).

L’injonction biographique (responsabilisation), ou l’injonction à l’autonomie

Alors que le vote de la loi sur le RMI avait suscité un grand élan d’optimisme face à l’avancée que cette loi constituait dans le champs des droits sociaux, cet élan a peu à peu laissé place à un désenchantement face au constat de l’échec de l’insertion et avec le développement des représentations sociales autour de la dépendance des allocataires à l’assistance, du discours sur l’assistanat et de l’idée que ces dispositifs fonctionnaient comme des “trappes à inactivité” rendant leurs bénéficiaires passifs et les enfermant dans le cercle vicieux de la précarité. Une des évolutions majeures est que la responsabilisation des personnes vulnérables s’est considérablement renforcée, devenant plus systématique et plus contraignante en plaçant « la discipline d’autonomie » au coeur des politiques d’intervention sociale.
C’est ainsi qu’une négociation s’instaure entre les institutions et les bénéficiaires qui développent parfois des résistances face à cette responsabilisation. C’est au regard de cette évolution que les chercheurs étudient le rapport que les pauvres entretiennent à l’assistance à partir des résistances qu’ils opposent à leur responsabilisation par la société.
N. Duvoux établit une typologie des relations que les pauvres entretiennent à la norme d’autonomie du contrat d’insertion comme principal instrument de responsabilisation des pauvres à cause de l’injonction à l’autonomie face à laquelle celui-ci place ses signataires. Il distingue ainsi au fil des entretiens les bénéficiaires qui adhèrent à la norme et intériorisent l’attente institutionnelle d’autonomie pour se distinguer des autres allocataires et légitimer la poursuite de leur « projet » en
entrant ainsi dans une logique de mérite pour éviter le déclassement (autonomie intériorisée), de ceux qui ont conscience des limites de cette norme et de la difficulté à s’y conformer ce qui se traduit par une installation durable dans le statut d’assisté et une relation de confiance et de reconnaissance par l’institution qui peut accorder une justification tacite au maintien de l’individu dans un dispositif conçu comme temporaire (autonomie contrariée), et enfin des bénéficiaires qui sont dans la contestation de la norme institutionnelle d’autonomie et s’inscrivent dans des stratégies de retournement du stigmate lié au statut d’assisté (refus de la dépendance).
Ainsi la norme d’autonomie ne s’applique pas de manière homogène à tous les allocataires du RMI dont certains restent assez éloignés des services sociaux et ne signent pas de contrat d’insertion.

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Table des matières
Remerciements 
Introduction 
I. L’évolution du système de protection sociale en France
1. Rappel du fonctionnement du système d’aide sociale en France
A. Un sysètme de protection sociale hybride
B. Les dispositifs d’assistance : du RMI au RSA
2. La nouvelle question sociale : de la dette sociale à la responsabilité individuelle
A. L’assistance : un rempart au dysfonctionnement de l’Etat-Providence
B. Débats sur le dispositif : assistance ou assistanat ?
C. Effets et limites du dispositif
II. La réforme de la caisse de compensation au Maroc : une illustration des obstacles politiques à la conduite de réformes sociales courageuses
1. Une réforme inévitable : les constats amenant à la réforme
2. Ce qui a été annoncé / Débats et compromis
3. Une réforme inachevée : ce qui a été fait et pourquoi
III. Comparons 
1. Un Etat-Providence en crise vs. un Etat social fragile et fragmenté
2. Différentes formes de pauvreté
3. Contraintes budégtaires
4. Les effets-retour de l’assistance
Conclusion
Bibliographie
Annexes

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