L’évolution du modèle français de gestion des services d’eau et d’assainissement

Dans le domaine des services publics, il est d’usage de parler de l’exception française . La distribution d’eau et l’assainissement n’échappent pas à la règle et le « modèle français de l’eau » fait même parler de lui à l’étranger.

Quels sont donc les caractéristiques de ce modèle ? 

L’alimentation en eau et l’assainissement sont des services de première nécessité. Rattachés à un territoire, à des infrastructures de réseau, à une population donnée, ces services sont en situation de monopole local. Ces raisons expliquent que l’organisation en soit confiée aux responsables publics locaux : les communes ou leurs regroupements. Ceux-ci doivent veiller à la bonne mise en œuvre de ces activités, dans le respect des principes de service public (égalité, continuité, adaptabilité…) et en évitant la constitution de rente de situation.

L’organisation effective des services peut prendre en France deux formes assez différents. Le premier mode de gestion possible est la régie : la commune exerce ellemême l’exploitation du service en fournissant le personnel et les moyens. La délégation constitue le second mode de gestion. Les moyens du service sont alors, pour tout ou partie, fournis par un opérateur privé qui, en échange, gagne le droit d’exploiter le service (et sa clientèle captive) pendant une certaine durée. A la différence du marché public où la concurrence est organisée de manière stricte, la délégation obéit au principe de l’intuitu personae (négociation de gré à gré).

« Le » modèle français cache donc « des » situations de gestion assez diverses, faisant ou non intervenir des partenariats publics/privés. Ces diverses organisations n’ont pour seul point commun que d’être soumises, en dernier recours, à la responsabilité des élus locaux.

Bien que le système de délégation soit relativement ancien , c’est surtout au XIXe et au XXe siècle que les services d’eau urbains se développent et, avec eux, la gestion privée. Le modèle français va faire ses preuves durant l’après-guerre : dans le contexte de la reconstruction, le succès du système s’exprime à travers le nombre d’infrastructures construites et l’augmentation continue de la desserte. Cette période faste va rendre possible le développement de grands groupes spécialisés dans les services publics locaux tels que la Compagnie Générale des Eaux ou la Lyonnaise des Eaux. Le rayonnement international de ces entreprises n’est pas indifférent à la diffusion du modèle de gestion de l’eau « à la française ».

Pourtant, avec le début des années 90, ce système florissant va être mis en défaut. Cette crise, largement relayée par les médias et les associations de consommateurs, est également ressentie par les exploitants eux-mêmes . Cinq évolutions permettent de comprendre pourquoi ces tensions ne traduisent pas un simple effet de mode, mais bien d’une remise en cause du système lui-même, dans sa capacité à organiser la gestion de l’eau de manière satisfaisante.

L’influence du courant de pensée anglo-saxon de dérégulation

Comme le rappelle Nicolas Curien (1994), ce bouleversement des conditions techniques, réglementaires et économiques, dans lesquelles s’exerce l’activité des services publics s’appuyant sur une infrastructure de réseau, a pris naissance aux Etats Unis dans les années 70, avant de passer successivement en Grande Bretagne, puis aux autres pays membres de l’Union Européenne. La dérégulation vise à créer une concurrence accrue dans des secteurs de services à caractère commercial dont la gestion était jusque là confiée à un opérateur unique, pour des raisons historiques (monopole national d’Etat) ou pratiques (monopole naturel). Nicolas Curien souligne que trois processus se sont conjugués dans la déréglementation : privatisation (transferts de droits de propriété du secteur public vers le secteur privé), ouverture à la concurrence et enfin modification des mécanismes réglementaires mis en œuvre pour contrôler ces marchés. Ainsi il s’agit d’une « re-réglementation », bien plus que d’une « dé-réglementation », qui vient bouleverser les vieux modèles d’organisation.

L’impact du contexte juridique

La pression juridique dans le secteur de l’eau s’est construite en trois temps.

Tout d’abord, les exigences techniques se sont progressivement renforcées pour répondre aux préoccupations spécifiques de santé publique et de préservation du milieu.

Les directives européennes « eau potable » et « eaux résiduaires urbaines » ont été transcrites en droit français respectivement par le décret du 3 janvier 89 modifié et par la loi sur l’eau du 3 janvier 1992, complétée par son décret d’application du 3 juin 1994. Ces obligations légales induisent des investissements et donc une augmentation des coûts qui s’est répercutée de manière brutale sur le prix de l’eau. J. Fialaire précise que le coût de ces réglementations était évalué, à l’origine, entre 1 050 et 1 400 F par habitants (environ 150 à 200 euros). D’après l’observatoire du prix de l’eau du Ministère de l’Economie, le prix total de l’eau est effectivement passé de 10,23 F à 15,00 F par mètre cube entre 1991 et 1995.

Cette pression réglementaire est toujours d’actualité. Non seulement les systèmes existants ne sont pas encore tous en conformité avec ces directives (retard pris sur la directive eaux résiduaires, problèmes chroniques de la pollution en nitrates dans certaines zones agricoles…) mais de plus l’Europe adopte des règles supplémentaires. La directive eau potable, en révision en 1999, va par exemple imposer l’abaissement du seuil de potabilité en plomb, ce qui devrait entraîner des travaux importants dans les réseaux existants .

Le deuxième impact législatif fort est de portée politique : il s’agit des lois de décentralisation de 1982. Ces lois vont en particulier abolir les cahiers des charges types qui régissaient jusque là les délégations de service public. Comme le souligne Michel Desmars , spécialiste de l’eau à la Fédération Nationale des Collectivités Concédantes et Régies (FNCCR) : « Après une période d’une quarantaine d’années de tutelle étroite de l’Etat, les collectivités ont donc soudainement retrouvé, en 1982, une totale liberté contractuelle. Mais en matière de délégation de leurs services de distribution d’eau potable, les collectivités ont appris depuis lors à mesurer les responsabilités découlant d’une liberté, dont les conséquences ne leurs sont pas toutes favorables. » Cette liberté était d’autant plus grande – et d’autant plus dangereuse – que le principe de l’intuitu personae, déjà cité, prévaut dans les délégations.

Est-ce par inexpérience ou, plus insidieusement, par tentation d’excès de pouvoirs ? Toujours est-il que la décennie 80 a fourni un terreau fertile à la corruption dans le secteur des marchés publics et des délégations. Ces « affaires » sont remontées à la surface au début des années 90. Les cas de Grenoble (affaire Carignon) ou de Saint Etienne sont exemplaires.

Même si tous les élus ne se sont pas fourvoyés dans ces dérives, le législateur a jugé bon de mettre fin à des pratiques qui nuisaient à l’image de bonne gestion des services. Un troisième corpus de lois est venu assainir la gestion et introduire de la transparence :
– La loi du 29 janvier 1993, dite loi Sapin, pose les principes d’une « procédure de publicité permettant la présentation de plusieurs offres concurrentes ». Elle oblige également à limiter les délégations dans la durée (annulation des tacites reconductions).
– La loi du 2 février 1995, dite loi Barnier, oblige les maires à éditer chaque année un rapport annuel sur la qualité et le prix des services, comportant un certain nombre d’indicateurs et de données chiffrées. De plus, l’article 75 de la loi limite la durée des délégations à 20 ans (sauf conditions particulières définies par la loi).
– La loi du 8 février 1995, dite loi Mazeaud, introduit le principe de rapport annuel du délégataire comportant notamment « les comptes retraçant la totalité des opérations afférentes à l’exécution de la délégation […/…] et une analyse de la qualité du service ». Les Chambres Régionales des Comptes se voient ouvrir l’accès aux comptes du délégataire .

Clairement ce nouveau corpus juridique institue, d’une part, un certain encadrement contractuel et, d’autre part, une plus grande transparence. Cet objectif était d’ailleurs clairement affiché, dès le débat parlementaire : ces textes visaient à « améliorer la transparence des délégations de service public et renforcer les contrôles sur ces délégations, ainsi que sur les procédures de marchés publics » .

Ces éléments objectifs traduisent le désir des législateurs de faire évoluer le modèle français. Mais la remise en cause prend toute son ampleur avec l’évolution de l’opinion publique et la dégradation progressive de l’image des services d’eau.

Le rapport de stage ou le pfe est un document d’analyse, de synthèse et d’évaluation de votre apprentissage, c’est pour cela chatpfe.com propose le téléchargement des modèles complet de projet de fin d’étude, rapport de stage, mémoire, pfe, thèse, pour connaître la méthodologie à avoir et savoir comment construire les parties d’un projet de fin d’étude.

Table des matières

INTRODUCTION GÉNÉRALE
1 Le contexte : l’évolution du modèle français de gestion des services d’eau et d’assainissement
2 La question soulevée : gestion des services d’eau et régulation
3 La méthode de recherche : une articulation entre l’analyse théorique, les études de cas et la recherche-intervention
PARTIE 1 – ANALYSE DE DIFFÉRENTS MODÈLES DE GESTION ET DE RÉGULATION DES SERVICES PUBLICS DE RÉSEAU : LA MESURE DE PERFORMANCE PEUT-ELLE APPORTER UNE AMÉLIORATION ?
Chapitre 1 -Mobilisation du cadre d’analyse des théories contractuelles des organisations
1 La théorie des coûts de transaction
2 La théorie de l’agence ou des incitations
3 La théorie des droits de propriété
4 Conclusion
Chapitre 2 -L’analyse du modèle français de gestion des services publics d’eau et d’assainissement
1 Les spécifications du modèle français de l’eau
2 Mécanismes de contrôle et d’incitation en place
3 Un modèle qui justifie la mise en place d’une régulation
4 Conclusion : le besoin de nouvelles propositions pour améliorer la régulation
Chapitre 3 -Les modèles de régulation des services publics : analyses monographiques comparatives
1 Performance et régulation : comparaison entre trois services publics de réseau en France, électricité, télécommunications et services d’eau délégués
2 L’Allemagne : une gestion autonome des communes sans régulation centralisée
3 L’Angleterre : une gestion privatisée sous la stimulation des régulateurs
4 Le Portugal : un système mixte
5 L’Italie : une tentative de réorganisation et de régulation de services éclatés
6 Synthèse des analyses monographiques
Chapitre 4 -Un nouveau modèle de régulation pour la France ?
1 L’analyse des défaillances du modèle actuel par Jean Gatty
2 Les principes d’un nouveau modèle d’organisation, basé sur la concurrence pour la propriété
3 Une régulation pour encadrer la concurrence
4 Une analyse critique du modèle de Gatty
5 Les conclusions à retenir
Chapitre 5 -Mise en perspective de la pratique et des théories : l’utilité de la mesure de performance pour la régulation
1 Les principales difficultés soulevées
2 Des ébauches de solutions convergentes
3 En quoi la mesure de performance permet-elle d’aller plus loin ?
Introduire la mesure de performance dans la régulation des services d’eau et d’assainissement
PARTIE 2 – CONSTRUCTION D’UN NOUVEL INSTRUMENT DE RÉGULATION : LA MESURE DE PERFORMANCE PAR INDICATEURS
Chapitre 1 -Les principes fondant la construction des indicateurs
1 Définir les objectifs et les missions des services d’eau et d’assainissement
2 Sur quoi faire porter la régulation
3 Un système d’évaluation induisant deux formes d’incitation
4 Les caractéristiques structurelles du système d’indicateurs
Chapitre 2 -La démarche de recherche-intervention pour la construction des indicateurs
1 Une première base de proposition : les éléments disponibles dans la bibliographie en 1997
2 Les groupes de travail pour élaborer un nouveau panel
3 La nature des difficultés rencontrées lors de l’élaboration des indicateurs
Chapitre 3 -La mesure de performance par indicateurs : instrumentation
1 Le choix et la définition du panel d’indicateurs
2 Constituer les critères de synthèse
3 Conclusion
Chapitre 4 -Le test de la méthode sur le terrain
1 Les objectifs du test
2 Méthode adoptée
3 Le suivi de performance par indicateurs : exemple de résultats obtenus
4 Les principaux apports du test
PARTIE 3 – L’ORGANISATION D’UNE RÉGULATION DES SERVICES D’EAU ET D’ASSAINISSEMENT UTILISANT LES INDICATEURS DE PERFORMANCE
Chapitre 1 -Les degrés d’adhésion des différents acteurs à la mise en place de la régulation de la performance
1 Les acteurs encore méfiants face aux évolutions
2 Les acteurs prêts à s’impliquer dans le suivi de performance au niveau local
3 Les acteurs envisageant un organisme de régulation national
4 Conclusion : un processus évolutif plutôt qu’un contrôle prescriptif
Chapitre 2 -Les grands choix liés à l’organisation de la régulation de la performance des services d’eau et d’assainissement
1 Entre le niveau local et la centralisation : quel équilibre ?
2 Une régulation sectorielle plutôt que généraliste
3 L’indépendance du régulateur
Chapitre 3 -Les premières validations d’une organisation possible de la régulation : les leçons à tirer de l’expérience
1 L’organisation du suivi de performance au sein des services déconcentrés du Ministère de l’Agriculture
2 Examen des autres terrains d’application en cours
3 Conclusion
Chapitre 4 -Quelle organisation de la régulation se dessine ?
1 Deux modes d’utilisation de l’information : régulation par coup de projecteur et régulation par pseudo-concurrence
2 Associer quatre niveaux de régulation
3 Synthèse : proposition d’un schéma de régulation équilibrée Lætitia Guérin-Schneider
4 Prospective : l’impact sur ce schéma de régulation d’une éventuelle dissociation verticale des activités des services d’eau
Chapitre 5 -Les dispositifs complémentaires à la mesure de performance pour assurer la régulation
1 La construction de références représentatives
2 La sécurisation de l’information transmise
3 L’articulation avec le contrôle des moyens : la réintroduction des risques et périls via l’intéressement à la performance
4 Conclusion
CONCLUSION GÉNÉRALE

Rapport PFE, mémoire et thèse PDFTélécharger le rapport complet

Télécharger aussi :

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *