L’apprentissage est évidemment l’une des raisons d’être fondamentales de la présence des élèves au sein du système de l’Education Nationale. Toutefois, cet apprentissage ne peut être appréhendé de façon isolée, sans le relier à ses corrélats naturels. Apprendre c’est assimiler un savoir mais c’est également disposer de compétences et réaliser des performances dans des tâches concrètes qui actualisent et illustrent les acquis. L’apprentissage sans la performance se réduirait à une espèce d’objet formel sans contact avec le réel. Inversement, la performance sans l’apprentissage s’apparenterait à des tentatives plus moins désordonnées et aléatoires pour accomplir des objectifs et des tâches pratiques. Ainsi, l’apprentissage et la performance forment à la fois un couple conceptuel et théorique mais encore un couple concret et pratique.
Pourtant, au-delà du dualisme de la théorie et de la pratique, de l’abstrait et du concret se pose la question de la singularité des individus. Chaque élève est différent et chaque élève manifeste un savoir-être différent dans une situation de classe. Le pari et le but de cette étude est ainsi d’articuler des éléments qui ne sont pas spontanément mis en lien les uns avec les autres. Il s’agit plus précisément d’étudier la motivation propre de chaque élève en posant la question de savoir dans quelle mesure elle affecte son apprentissage et, partant, ses performances. A l’universalité des concepts d’apprentissage et de performance est ainsi ajoutée la singularité des contextes d’apprentissage qui incluent la motivation des élèves. L’étude présentée se situe ainsi au carrefour des théories de l’apprentissage, de la psychologie cognitive et de la psychologie sociale.
L’originalité et l’enjeu de ce travail consiste à réinvestir les concepts de psychologie sociale (spécialement ceux de la théorie de la réactance) qui sont habituellement utilisés pour rendre compte des comportements des individus. Dans notre cas, il s’agit de les employer pour comprendre le processus d’apprentissage des élèves et ainsi questionner et enrichir les théories de l’apprentissage d’une nouvelle perspective critique.
L’évolution des modèles des théories de l’apprentissage : l’importance croissante du contexte
L’apprentissage, concept complexe
Le contexte l’apprentissage a évolué au fil du temps grâce à l’influence des divers courants de pensée en sciences humaines et particulièrement en psychologie au cours du XXème siècle, transformant ainsi de manière durable l’activité d’enseignement et les pratiques pédagogiques. Pour De Ketele (1989, p.26) : «l’apprentissage se définit comme un processus systématiquement orienté vers l’acquisition de certains savoirs, savoirfaire, savoir-être et savoir-devenir ». Les Travaux de Giordan (1989) ont permis de regrouper les apprentissages en dimensions : cognitive, affective, méta cognitive et sociale. Les apprentissages peuvent se classer en fonction de leur objet (Grooaters 1994) :
➤ Les connaissances
➤ Les compétences
➤ Les habilités
➤ Les attitudes .
Le modèle transmissif
Avant le développement de la psychologie, l’apprentissage était traditionnellement analysé seulement d’un point de vue pédagogique sans théories dans une perspective de transmission. Cette vision de la pédagogie ancienne est encore dominante dans l’institution scolaire d’aujourd’hui, elle trouve son origine dans les travaux de Locke au XVIIème siècle sur la neutralité conceptuelle de l’apprenant et la non déformation du savoir transmis. On part du postulat selon lequel l’apprenant ou l’élève est vierge de tout savoir, il n’a pas de conception sur le thème traité, c’est une tête vide qu’il faut remplir dès lors, si l’enseignant est clair dans son exposé et si l’élève est attentif, il va intégrer l’information transmise par son enseignant.
De cette idée découle un modèle dit transmissif ou modèle magistral qui repose sur le schéma de la communication émetteur-récepteur . L’enseignant fait « cours », il est au centre de l’apprentissage, en tant qu’émetteur il a pour fonction de délivrer le savoir, l’information qui va remplir la tête de l’élève qui ne sait pas. Ainsi, l’enseignant est chargé de présenter de manière structurée le savoir. Tandis que l’’élève occupe une position passive qui consiste à recevoir l’information par l’écoute attentive, On est dans une logique cumulative de connaissances ou l’élève mémorise ce qui lui est transmis.
Si les apports du modèle transmissif sont non négligeables en termes de gain de temps, dans l’enseignement à un grand nombre d’élèves, il trouve néanmoins des limites. En effet, il est laissé peu de place à l’erreur aussi bien chez l’enseignant que chez l’élève, en outre l’élève n’est pas acteur dans ses apprentissages et les interactions entre les élèves sont inexistantes. De plus pour certains auteurs comme Bachelard, l’hypothèse de la neutralité conceptuelle chez l’apprenant est fausse, car selon lui : « quel que soit son âge, l’esprit n’est jamais vierge, table rase ou cire sans empreinte ».
Du mentalisme au comportementalisme
Les théories de l’apprentissage issues du champ de la psychologie proposent un cadre conceptuel pour comprendre le processus d’apprentissage et d’acquisition des connaissances. Si les premières thèses sur l’apprentissage ont fait leur apparition au début du XXe siècle avec le mentalisme ou l’étude des phénomènes psychiques, elles ont évolué au cours du temps vers un modèle socio-constructiviste mettant en avant le rôle social des apprentissages. Les premières conceptions sur l’apprentissage étaient dominées par le courant mentaliste. Selon ce courant de pensée, pour comprendre le lien entre processus mentaux et apprentissage, il est nécessaire d’étudier les phénomènes psychiques (sensations et perceptions) sousjacents car les activités mentales ne se traduisent pas dans le comportement observable de l’apprenant.
Autrement dit, l’apprentissage est appréhendé au travers de l’étude et l’analyse de la conscience qui ne peut se faire que dans une démarche introspective donc subjective (ressenti individuel). La psychanalyse et la estalt (perception) sont des approches représentatives de ce courant. Les travaux de Wundt sur l’approche expérimentale introspective qu’on peut qualifier d’expérience subjective ont permis de poser les premières bases d’une psychologie moderne. La naissance du béhaviorisme marque la rupture ainsi que l’opposition au mentalisme et à la psychologie introspective. En effet, pour Watson (1942), « la psychologie introspective est fondée sur des hypothèses erronées et ne pourra jamais parvenir à des conclusions vérifiables» . Il définit ainsi les jalons d’une psychologie scientifique fondée sur des observations objectives du comportement. Cette prise de position s’explique par l’émergence de la psychologie animale ou psychologie comparée dont les résultats des travaux seront étendus à l’homme.
Avec le behaviorisme, l’apprentissage est le résultat d’une modification du comportement de l’apprenant. En effet, pour les behavioristes, les processus cognitifs internes sont considérés comme une boîte noire non accessible, non observable. L’environnement extérieur tel que le comportement constitue un indicateur observable. Pour ce courant provenant de la physiologie animale et de la psychologie expérimentale, l’apprentissage repose sur le modèle « simulus-réponse» développé par Pavlov avec le conditionnement répondant. En associant un stimulus à un comportement, L’apprentissage se fait par essai-erreur ou loi de l’effet (Thorndike 1932), c’est-à-dire que le sujet est actif dans l’apprentissage car c’est en multipliant les essais qu’il va écarter les comportements conduisant à l’échec pour ne garder que les comportements efficaces sources de réussite et résoudre ainsi plus rapidement le problème auquel il est exposé. . L’objectif de ce courant de pensée porté par Watson (1913) est d’agir sur le comportement. L’acquisition des connaissances se fait par paliers successifs. Pour franchir ces paliers, il est donc nécessaire de définir des objectifs à atteindre progressivement afin d’arriver à un objectif final. Le conditionnement s’opère par des renforcements positifs lors des bonnes réponses du sujet. C’est la manifestation du comportement observable, de la maîtrise de la connaissance qui permettra de considérer que l’objectif final est atteint. D’un point de vue pédagogique, il s’agit de modifier le comportement de l’élève en renforçant les réponses positives. C’est dans ces conditions que l’apprentissage va se produire. Le rôle de l’enseignant est donc déterminant en guidant l’élève vers les réponses positives. Il devra non seulement utiliser des renforcements positifs pour favoriser l’émergence du comportement attendu (acquisition des connaissances) mais aussi construire et organiser les apprentissages sur la base d’objectifs fins, hiérarchisés par niveaux de complexité préalablement déterminés et qui seront atteints étape par étape. L’élève devra réaliser les tâches en étant guidé par l’enseignant.
Bien que le behaviorisme constitue un véritable apport dans l’acquisition de connaissances automatiques, il ne permet pas de saisir et d’analyser les processus cognitifs sous-jacents aux apprentissages. Car même si le comportement observable est produit, cet observable ne permet pas de saisir la compréhension ou non de l’élève. De plus, l’approche béhavioriste de l’apprentissage ne tient pas compte de l’hétérogénéité et de la diversité des élèves.
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Table des matières
Introduction
1. L’évolution des théories de l’apprentissage : l’importance croissante du contexte
1.1 L’apprentissage, concept complexe
1.2 Le modèle transmissif
1.3 Du mentalisme au comportementalisme
1.4 Le cognitivisme
1.5 Le constructivisme
1.6 Le socioconstructivisme
2. Le contexte, ingrédient essentiel de l’apprentissage
2.1 Dynamique des interactions sociales et apprentissage
2.2 Le conflit socio-cognitif, moteur didactique
2.3 Les situations de groupe, apprentissage par l’interaction
2.4 La performance, fruit de l’apprentissage
3. La motivation, facteur clé de l’apprentissage
3.1 La motivation, facteur régulateur de l’apprentissage
3.2 L’importance de l’autodétermination en contexte scolaire
4. La théorie de la réactance : l’influence du contexte de liberté
4.1 La réactance psychologique
4.2 Mesure de la réactance
4.3 Réactance psychologique et autodétermination
5. Problématique
E. Rouvière & Z. Mhoumadi
1. Méthodologie
1.1 Hypothèses opérationnelles
1.2 Participants
1.3 Variables dépendantes et indépendantes
1.4 Dispositifs
1.5 Procédures expérimentales
2. Résultats
2.1 Résultats classe n°1
2.2 Résultats classe n°2
3. Discussion
4. Conclusion
5. Bibliographie
Conclusion
Annexes