La pauvreté au Cambodge et les stratégies pour la combattre
Histoire contemporaine : chaotique sur fond de passé glorieux
Etat successeur de l’empire des khmers, l’une des plus riches civilisations du monde de 900 à 1200, le Cambodge est aujourd’hui l’un des pays les plus pauvres de l’Asie du Sud Est (et de la planète), toujours hanté par le génocide et la guerre civile dont il vient à peine de sortir. Il est situé entre deux grands pays voisins, la Thaïlande à l’ouest et le Vietnam à l’est (ainsi que le petit Laos au nord-est), dont la population des deux premiers est de 5 à 7 fois plus grande que les 13 millions de Cambodgiens, inégalement répartis sur ses 181.040 km² (le tiers de la France). Le pays est divisé en 20 provinces et 4 municipalités. Le pays compte également une côte longue de 460 km. Carte 1 : L’Asie du sud-est. Après de longues années de déclin du royaume khmer pendant lesquelles ses territoires furent grignotés par ses puissants voisins, le Cambodge est devenu un protectorat français de 1863 jusqu’à son indépendance en 1953. La politique coloniale a favorisé l’installation de Vietnamiens et de Chinois, jugés plus « travailleurs » que les Khmers (Crochet, 1997). Cette politique a réussi à aggraver la haine déjà existante pour les Vietnamiens chez les Khmers, soucieux de rétablir le contrôle des territoires abandonnés aux pays voisins. La présence de la majorité des Chinois et des Vietnamiens dans les centres urbains a contribué par la suite à la création d’une division croissante entre milieux urbains et ruraux. Les activités usurières des Chinois ont aussi endetté beaucoup de paysans khmers dont certains ont perdu leurs terres (Delvert, 1961 ; Hu, 1965 et 1982). En dépit d’une politique de neutralité, la guerre américaine au Vietnam pendant les années 60 a fini par gagner le Cambodge aussi, soumis à des bombardements aériens américains pour éliminer les Viet Congs qui traversaient le nord-est du pays. Simultanément, les Khmers Rouges gagnaient du terrain en milieu rural, et suite au coup d’Etat de 1970, lorsque le Président Sihanouk a perdu le pouvoir, le pays est rentré de plain-pied en guerre du côté du gouvernement américain. En guise de remerciement, davantage de bombes ont été larguées sur le Cambodge que sur l’Europe entière pendant la Deuxième Guerre mondiale, rendant la plupart des terres inutilisables pour l’agriculture. Un million de personnes ont été tuées, blessées ou mutilés, et les deux tiers des animaux de trait ont péri (Mysliwiec, 1987). Tandis que les Etats-Unis soutenaient le régime du Général Lon Nol avec des armes, la corruption et l’anarchie se sont répandues, paralysant le pays jusqu’à la prise de la capitale de Phnom Penh par les Khmers Rouges en avril 1975. Le pays a été vite coupé du monde avec l’évacuation de tous les étrangers, et le départ massif de la population de toutes les villes du pays vers la campagne. La religion était prohibée, les écoles étaient fermées, et la médicine occidentale interdite. La tuerie a commencé avec les intellectuels – toute personne qui portait des lunettes ou qui parlait des langues étrangères, des Vietnamiens et des Chinois, ainsi que les minorités religieuses, notamment les chams musulmans et les chrétiens – pour finir par des purges internes. Le pays était transformé en un gigantesque chantier de travaux forcés pour rebâtir un « nouveau » Cambodge de « l’année zéro », nettoyé de toute influence étrangère, une sorte d’utopie rurale selon la vision d’inspiration maoïste des Khmers Rouges. Les banques étaient fermées, l’argent et la propriété privée abolis pendant que la population travaillait sur des projets d’infrastructures rurales mal conçus, destinés à améliorer l’irrigation pour augmenter la production rizicole par une hausse de 300 % des rendements (Helmers, 1997). Cette utopie a plutôt fini en famine : on estime à 1,7 millions (un quart de la population d’alors) le nombre de Cambodgiens qui ont perdu la vie au cours des trois ans, huit mois et 21 jours que les Khmers Rouges ont été au pouvoir.1 En fin 1978, le Vietnam a envahi le pays pour « libérer » le peuple cambodgien de ses bourreaux, et il a rapidement réussi à déloger les Khmers Rouges du pouvoir en janvier 1979. Le régime fantoche installé par les Vietnamiens n’a pas été reconnu par la communauté internationale qui a imposé un boycott de l’aide au développement et du commerce tandis que le siège du Cambodge à l’ONU était toujours occupé par les Khmers Rouges malgré le bilan meurtrier de leur régime. Le boycott a eu comme effet de sanctionner les pauvres à cause de l’état d’isolement dans lequel le pays est resté (Mysliwiec, 1988). Une guerre civile à des degrés d’intensité variables selon la région et la période a suivi, repoussant des centaines de milliers de réfugiés dans des camps frontaliers en Thaïlande. Avec la fin de la guerre froide et l’arrêt des subventions soviétiques au Vietnam et sous la pression de la communauté internationale, ce dernier pays a enfin retiré ses troupes du Cambodge en 1989, et des négociations de paix ont commencé à Paris sous l’égide des Nations Unies. La signature des accords de paix est enfin intervenue en 1991, suivie de l’installation d’une autorité transitoire de l’ONU (UNTAC) avec un énorme effectif de 22 000 militaires et civils pour assurer la stabilité et organiser des élections. Une aide internationale massive s’est mise en place à travers une armada d’ONG pour reconstruire le pays et développer l’économie (Conway, 1999). C’est dans ce contexte que les programmes de microfinance et de formation agricole du CRS, que nous étudions dans cette thèse, ont été conçus dans les années 90. Après dix ans d’exil à l’étranger, quelque 350 000 réfugiés sont rentrés au pays entre 1992 et 1993, et ils ont été réintégrés surtout dans les provinces du nord-ouest près de la frontière thaïe. Les premières élections organisées par l’ONU en 1993, auxquelles les Khmers Rouge avaient refusé de participer, ont débouché sur un gouvernement – avec deux premiers ministres –, qui n’a pas réussi à mettre fin à l’instabilité chronique du pays et le factionnalisme de la politique. Un coup d’Etat en 1997 par l’actuel premier ministre (qui était à l’époque, « deuxième » premier ministre) a replongé le Cambodge dans de nouvelles perspectives de guerre, mais les élections nationales de 1998 et le gouvernement de coalition qui en est issu ont réussi à rétablir un climat de paix propice au développement du pays. C’est en 1998 également, lors de la mort de Pol Pot et la désintégration des forces militaires des Khmers Rouges avec la reddition progressive de plusieurs factions au gouvernement, que la guerre civile a enfin pris fin. Le nouveau gouvernement a mis en place une politique de « triangle » pour orienter ses actions de développement. Le triangle est composé de trois grandes stratégies : restaurer la paix et la stabilité, intégrer le pays dans les échanges régionaux et internationaux et promouvoir le développement économique et social (BAD, 2001).
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Table des matières
LISTE DES TABLEAUX
LISTE DES GRAPHIQUES
LISTE DES FIGURES
LISTE DES CARTES
LISTE DES SIGLES
INTRODUCTION
1. Contexte de l’étude
2. Objet de la thèse
3. Résumé de la problématique et de la méthodologie
4. Organisation de la démonstration
CHAPITRE 1 – La pauvreté au Cambodge et les stratégies pour la combattre
Introduction
1. Histoire contemporaine : chaotique sur fond de passé glorieux
2. Climat, démographie et indicateurs sociaux
3. Economie : une croissance soutenue grâce au retour à la paix
4. Pauvreté : peu de progrès et davantage d’inégalités
5. Secteur agricole : de nouveau l’autosuffisance rizicole
6. Le marché financier : un passé difficile et une offre toujours très limitée
7. La province de Svay Rieng et les programmes du CRS
Conclusion : une pauvreté et des inégalités malgré le retour à la paix
et à la croissance
CHAPITRE 2 – La problématique et la méthodologie de recherche
Introduction
I. L’évolution des débats sur la pauvreté et les stratégies en vue de sa réduction
1. La pauvreté : qu’est-ce que c’est et quelles en sont les causes ?
2. La mesure de la pauvreté : une multiplicité de méthodes
3. Où sont les pauvres ?
4. Les stratégies de lutte préférées : le développement rural et la microfinance
5. Les acteurs et les modes d’intervention des politiques de lutte contre la pauvreté
II. La problématique : l’efficacité de la microfinance et de la formation agricole pour
réduire la pauvreté
1. L’hypothèse principale : la satisfaction de la demande et la réduction de la pauvreté
III. La méthodologie : une approche quantitative et qualitative
1. Introduction
2. Des considérations épistémologiques
3. Les quatre niveaux d’analyse
CHAPITRE 3 – L’offre en services financiers et en formation agricole
Introduction
1. Les défaillances du marché financier : les enseignements de la théorie économique
2. Le crédit rural au Cambodge : une offre largement déficitaire malgré le succès de la
microfinance
3. L’offre en crédit dans la province de Svay Rieng
4. L’offre en services de développement agricole
5. L’évolution de la mission du CRS
6. Le CRS au Cambodge
Conclusion : Vers la création d’un marché financier rural concurrentiel
CHAPITRE 4 – Les dotations en ressources et les portefeuilles d’activités des ménages
selon une typologie du livelihood
Introduction
1. Productivisme agricole, développement rural intégré, et sustainable livelihoods
2. Le cadre conceptuel du livelihood
3. La construction de la typologie du livelihood
4. Les différentes dotations des ménages en ressources : Qui a quoi ?
5. Les portefeuilles d’activités : Qui fait quoi ?
Conclusion : une liaison entre dotations en ressources et portefeuilles d’activités
CHAPITRE 5 – L’utilisation des services de crédit et de formation agricole
Introduction
1. Qui emprunte et qui participe à la formation agricole?
2. Les portefeuilles de revenus et les stratégies
3. Les projets d’investissement
4. L’utilisation effective du crédit et de la formation agricole
Conclusion : du crédit pour les ménages non-agricoles et de la formation pour les
autres
CHAPITRE 6 – Les performances économiques des ménages et leur intégration au marché
Introduction
1. Des considérations théoriques et méthodologiques sur la performance économique
2. La production : des paysans maximisant leurs profits et d’autres peu disposés au
risque
3. L’autosuffisance : une condition préalable pour la prise de risque
4. Les revenus : plus élevés chez les ménages non-agricoles
5. L’enrichissement : plus rapide chez les ménages bien dotés en ressources
6. La prédisposition au risque du marché : le rôle déterminant de l’autosuffisance
alimentaire
Conclusion : Une réduction de la pauvreté surtout pour les « riches »
CHAPITRE 7 – Les modes d’intervention et d’institutionnalisation des programmes du
CRS et leur efficacité pour réduire la pauvreté
Introduction
1. La place et l’évolution des ONG dans la lutte contre la pauvreté
2. La critique des ONG
3. Les programmes du CRS : quels résultats par rapport aux critiques du secteur
Conclusion : vers le concept d’un réseau de services interactifs entre secteurs public,
privé et volontariste
CONCLUSION GENERALE
1. Les principaux enseignements de la recherche
2. Les politiques pour réduire la pauvreté des ménages pauvres
3. Les apports et limites de la recherche
4. Réflexion sur les nouvelles pistes de recherche pour l’avenir
BIBLIOGRAPHIE
TABLE DES MATIERES
LISTE DES ANNEXES
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