PROBLEME DES SOURCES ET REVUE DE LA LITTERATURE SCIENTIFIQUE
Cette étude a nécessité une investigation bibliographique menée en Mauritanie et au Sénégal. Les documents traitant notre sujet ont été faits de façon générale et souvent très sommaire. Ces ouvrages n’en demeurent pas moins importants. Leur rareté a été compensée par les sources manuscrites et les sources archivistiques. Les premières, si elles ne sont pas des chroniques sèches, exposent des opinions jurisprudentielles sur une question sociale, dans un milieu donné, et à une date plus ou moins précise. Leur caractère partial dénote les circonstances de leur élaboration et l’état d’esprit de leurs auteurs. Les secondes sont abondantes à Dakar et inaccessibles à Nouakchott. Les renseignements fournis par ces types de documents ont été complétés par les sources orales. C’est avec elles que nous avons trouvé le plus de difficultés. L’insuffisance des moyens matériels et financiers face à l’immensité du terrain d’enquêtes, l’attitude plus ou moins méfiante d’un grand nombre de personnes contactées et interrogées et l’existence de sujets tabous parmi nos centres d’intérêt nous ont handicapés. Aussi, par souci de commodité, nous avons procedé à la traduction des citations et extraits en langue arabe et les termes en langue hassaniya pour preserver l’esprit des textes. Les instruments de recherche utilisés pour rassembler et exploiter les sources écrites et les documents littéraires sont nombreux. Nous avons utilisé une bibliographie incomplète et non mise à jour. La plus importante source bibliographique remonte en 1959 et est l’œuvre de C. Toupet. Celle-ci est publiée dans le n°21 du Bulletin de l’IFAN1 et porte sur l’historiographie coloniale et l’ethnologie coloniale. Plus tard, en collaboration avec A. Heymowski, B. Van Maele a produit en 1971, une bibliographie. Intitulée : Bibliographie de la Mauritanie, elle renferme une rubrique dénommée Histoire, contact avec les Européens, qui comporte plusieurs erreurs, comme celle qui attribue « l’étude de la tribu maraboutique des Ahel Barikalla » à A.B. Miske alors qu’elle est l’œuvre d’A. Miske. Il y a le travail de M.S. Ould Homody, très récent et qui est la bibliographie la plus complète . Bien documentée, elle reprend les travaux précédents en y adjoignant les documents d’archives répertoriés en Mauritanie, au Sénégal et en France. Toutefois, ce document ne mentionne pas les manuscrits (en nature ou en microfilm) conservés à l’Institut mauritanien de recherche scientifique (IMRS). En ce qui concerne les manuscrits, nous avons comme premier travail les répertoriant celui de Ould Hamidoun et Heymowski en 1965. Il y a aussi la bibliographie de Sid Ahmed Ould Ahmed Salem . Un autre inventaire, plus complet encore sur les manuscrits a été réalisé par Ahmed Ould M. Yahya. Concernant les documents conservés à Dakar, ancienne capitale de l’AOF, ils se partagent entre le Fonds du Sénégal ancien et le Fonds de l’AOF. Le premier est le fonds du microfilm connu sous l’abréviation C6 ; il concerne la période de 1689-1810 et contient des mémoires et des correspondances sur le commerce de la gomme, les habitants et les convoitises entre les puissances d’alors sur ce commerce. Le second fonds concerne la période 1810 à 1950. et renferme des missives, des notices, des monographies, des rapports, des correspondances, des traités et des textes officiels (des décrets, des décisions et des instructions). Le guide des Archives du Sénégal donne une vue d’ensemble avec des commentaires et des références utiles sur ces fonds. A l’Institut IFAN-Cheikh Anta Diop, outre d’importants ouvrages (dont ceux de R. Basset et I. Hamet), produits par « l’Ecole d’Algérie » qui a vu la consécration des travaux de Depont, Coppalani, Arnaud, Marty etc., constitués d’analyses historiques, de transcription des manuscrits locaux et d’importantes cartes, on trouve le fonds Brévié et le fonds de Sheykh Moussa Camara, constitués de documents historiques en langue arabe. La bibliothèque de cet institut contient nombre d’ouvrages sur l’histoire.
Les langues utilisées et l’instruction dominante
La société maure, bien qu’elle soit arabo-berbère, disposait au XIXème siècle de deux dialectes distincts. Le premier, le plus utilisé, est le hassanya ; parler arabe avec quelques légères déformations et des emprunts linguistiques. La difficulté de ce dialecte parlé et écrit réside dans l’existence de certains mots employés autrefois dans les panégyriques des émirats. Le fait que le hassanya était une déformation de l’arabe proviendrait des métissages avec d’autres communautés (négro-afrcaines et berbères essentiellement). Le second dialecte est le clam aznagua ou l’azer. Il existait au sud où il était largement répandu. Quelques populations du centre le parlaient aussi à cette époque. D’ailleurs, les noms des reliefs et des puits en pays maure étaient déclinés en azer. Ould Ahmed Youra a écrit une épître faisant office d’histoire, tout en donnant la signification des noms attribués aux différents puits de la région d’El Guebla (le Sud). La prédominance de ces deux dialectes en milieu maure était accompagnée par un renforcement de la culture arabe à travers les nombreuses écoles traditionnelles disséminées dans tous les campements et les cités. « Cette culture, note Ould Bah, déborde le domaine religieux pour s’étendre à toutes les connaissances accessibles à l’époque». Ainsi, dans les mahadras (écoles), l’enseignement couvrait la littérature, la grammaire arabe et les disciplines scientifiques. L’écho de cette culture a atteint l’Orient Islamique à travers les pèlerins érudits. On comptait parmi eux des professeurs d’université, des jurisconsultes et de grands cadis. La production scientifique est une autre caractéristique de cette culture arabophone d’un niveau élevé. Dans les écoles traditionnelles ou mahadras, l’enseignement était facultatif. Le maître enseignait bénévolement. Ses liens avec ses étudiants étaient circonscrits par la coutume. L’étudiant connaissait ses obligations et celles de sa famille envers le maître. Arrivé au niveau d’instruction dit supérieur, l’étudiant devenait plus autonome qu’il ne l’était au stade de l’enseignement primaire. En plus de cette instruction, le Maure s’évertuait à être poète et consommateur de musique. Il était poète lorsqu’il arrivait à produire en arabe ou en hassanya un texte dont la versification est très proche du modèle prosaïque arabe. La musique maure était le domaine des Igawen, les griots. Peu nombreux, ceux-ci évoluaient uniquement dans les tribus guerrières, en l’occurrence émirale. Le propre des griots était de raconter les généalogies et les bravoures des guerriers. Mais, avec le temps, ils ont trouvé leur importance dans la société et sont devenus des acteurs de divertissement dans ce milieu austère en la matière. Pour jouer, le griot dispose d’un ensemble d’outils : la tidinit (petite guitare) l’ardine (harpe).
LES ANCETRES DES MAURES
La présence de l’homme sur l’espace habité par les Maures est relativement ancienne. Pour le Paléolithique, les fouilles et les recherches ont mis en exergue « des éléments de la culture des galets aménagés, de l’Acheuléen (du rudimentaire au plus élaboré) de l’Atérien, des industries à substrat moustéroïde et enfin un Epipaléolithique». Les traces de la présence humaine abondent dans le nord du pays, surtout en Adrar, au Zemmour, dans le Tiris et le Mekteir. D’abord, nous sommes en présence de galets taillés sur une ou deux faces. Sont venus après « des outils plus évolués caractéristiques de l’Acheuléen (fin du Paléolithique inférieur)». L’Atérien, venu de l’Afrique du Nord, apparaît il y a quelque 20.000 ans. Il est caractérisé par des outils plus évolués que les précédents avec des parties saillantes. L’Atérien couvre la partie septentrionale du pays, en plus des quelques « pièces incertaines » provenant du dhar de Tichit-Oualata. L’auteur de l’Atérien est un Homo sapiens qui avait ses origines en Afrique du Nord, et évoluant de façon autonome. Ses outils pédonculés, tant grattoirs, racloirs et perçoirs que pointes sont caractéristiques du faciès africain du Moustérien. A l’Atérien succède l’Epipaléolithique, où se dissout le pré-Néolithique avec son industrie sur lames et « surtout sur éclats relativement homogènes dans le nord-ouest du pays». Au Néolithique, une civilisation d’agriculteurs, de pasteurs et de pêcheurs s’est développée aux abords du lac existant autrefois dans l’Aouker. Elle couvrait un espace situé entre Tichitt et Oualata. Seules l’insécurité grandissante et la sécheresse poussèrent les habitants vers le dhar où ils durent construire un nombre impressionnant de villages fortifiés. L’outillage et l’armement se perfectionnaient et se diversifiaient. Au Néolithique, a été découvert un ensemble d’occupations humaines qui datait d’environ 5000 ans comme la parure, l’art, les gravures rupestres et même une industrie de cuivre. La fin du Néolithique est marquée par le changement climatique notable qui, au début du deuxième millénaire avant notre ère, avait été la source de l’introduction du dromadaire avec de nouvelles vagues d’immigrants venus d’Afrique du Nord. Les transformations climatiques ont dû contraindre les populations locales à chercher refuge dans des zones plus clémentes ou à changer complètement de mode de vie. La période historique trouva en place les Berbères et le dromadaire, ce qui joua un rôle important dans la dispersion des tribus berbères dans l’ouest saharien et la liaison commerciale entre l’Afrique du nord et l’Afrique au sud du Sahara. Al Lemtouni, cite une dynastie de chefferies berbères qui ont régné sur le Sahara jusqu’à l’apparition des empires noirs du Ghana et du Tekrour. Avec l’Islam, les Berbères ont pu établir un Etat dès la fin du XIème siècle. La domination berbère musulmane fut de courte durée parce que cet espace fut partagé entre l’empire du Mali et des chefferies berbères tribales au début du XIIIème siècle. Déjà au XIIème siècle, les tribus hassanes (arabes), venues de la Haute Egypte, envahirent la partie nord du Sahara ouest-africain en vagues successives. La tension, sans cesse en augmentation entre ces nouveaux venus et les berbères autochtones, a déclenché, au début du XVIIème siècle, les hostilités entre les deux parties. Après trente ans de guerres, les hassanes vaincurent leurs adversaires et établirent des pouvoirs sur place, en réduisant les vaincus (les zwaya) aux « activités pacifiques de la religion et du commerce». La mise en place de la nouvelle société maure a repris, à son profit, l’ordre de hiérarchie sociale des Almoravides. Avec la généralisation du hassanya (dialecte maure), l’azer (dialecte aznaga) prend du recul et la société maure, telle qu’elle fut connue depuis des siècles, acheva la mise en place de ses institutions. Les origines supposées des Maures, les perceptions qu’ils en ont et les imaginaires qu’ils sous-tendent permettent de saisir l’historicité de la configuration actuelle de la société.
|
Table des matières
INTRODUCTION GENERALE
1. PROBLEMATIQUE
2. PROBLEME DES SOURCES ET REVUE DE LA LITTERATURE SCIENTIFIQUE
3. LE PLAN DU TEXTE
PREMIERE PARTIE : LA SOCIETE MAURE PRECOLONIALE AU XIXEME SIECLE
CHAPITRE I : LES HOMMES DANS LEUR ENVIRONNEMENT AU XIXe SIECLE
I – L’ESPACE GEOGRAPHIQUE
1) Le relief
2) Le climat et l’hydrographie
3) Le sol, la flore et la faune
II – LES POSSIBILITES ECONOMIQUES
1) L’élevage
2) L’agriculture
3) Cueillette, chasse, pêche et extraction minière
4) Le commerce
5) L’artisanat
III – LANGUES, CULTURE MATERIELLE ET MATRIMONIALITE
1) Les langues utilisées et l’instruction dominante
2) Culture matérielle et matrimonialité
Conclusion
CHAPITRE II – LES ORIGINES DES MAURES
I – LES ANCETRES DES MAURES
II – QUESTION D’ETYMOLOGIE
III – VERS L’ARABITE
IV – IMAGES SUR L’ORIGINE DES MAURES
1) L’auto-perception
2) La perception de l’autre
Conclusion
CHAPITRE III : LA STRUCTURE SOCIALE
I – LA DIVISION TRIPARTITE OU FONCTIONNELLE
1) Les arab ou guerriers
2) Les zwaya ou marabouts
3) Les atbaa ou dépendants
a) La lahma, louhma ou tributaires
b) Les igawen ou griots
c) Les m’allmin ou artisans
d) Les hrekat ou courtisans
e) Les imraguen ou pêcheurs
f) Les nmadi ou chasseurs
g) Les hratin ou affranchis
h) Les abid ou esclaves
II – LA DIVISION HORIZONTALE OU TRIBALE
Conclusion
CHAPITRE IV : L’ORGANISATION POLITIQUE
I/ LES POUVOIRS CENTRAUX : EMIRATS ET CHEFFERIES
A – ESSAI DE CARTOGRAPHIE
1) Les chefferies
2) Les émirats
B – LES INSTITUTIONS DES EMIRATS ET DES CHEFFERIES
1) Emir et chikh
2) L’assemblée des notables
3) La justice
C – LES RESSOURCES DES EMIRATS ET DES CHEFFERIES
1) Les types d’impôts
2) Un versement problématique
3) L’armée
II – ETUDE DE CAS : L’EMIRAT DU TRARZA
A – LE TERRITOIRE
1) Les limites
2) Territoire revendiqué, contesté ou contrôlé
B – LE POUVOIR EMIRAL AU XIXEME SIECLE
1) Insignes et institutions
2) Les ressources de l’émirat
C – LE DECLIN DE L’EMIRAT
Conclusion
CHAPITRE V : L’ISLAM DANS LA SOCIETE MAURE
I – LA PROPAGATION DE L’ISLAM
II – LE SYSTEME RELIGIEUX
1) – La prépondérance du rite malikite
2) L’Islam confrérique
a) Le phénomène de la confrérie
b) Les confréries locales
III – LES FONCTIONS DES LETTRES MAURES
1) La quête du savoir
2) Une pluralité de fonctions
IV – L’IMPACT DE L’ISLAM
Conclusion
CHAPITRE VI : LES CHANGEMENTS SOCIAUX A LA FIN DU XIXème SIECLE
I – GUERRE ET PRECARITE SOCIALE
1) Les guerres émirales
2) Les guerres entre tribus
3) La précarité de la vie bédouine
II – LE CHARISME DES MARABOUTS ET L’ELAN CULTUREL
1) Les marabouts charismatiques
2) L’influence des confréries
3) L’élan culturel
III – L’ECONOMIE ET SON IMPACT SUR LA SOCIETE
Conclusion
CONCLUSION
DEUXIEME PARTIE : LA SOCIETE MAURES ET LA COLONISATION AU XXEME SIECLE
CHAPITRE I : LA COLONISATION DU PAYS MAURE
I – UNE MINUTIEUSE PREPARATION DE LA COLONISATION
1) L’emprise française sur l’environnement immédiat des Maures
2) La politique d’apprivoisement
3) Correspondances et traités des chefs maures
II – LA CONQUETE ET L’ADMINISTRATION
1) La conquête « pacifique » et l’administration
2) La conquête militaire 1904-1934
3) L’administration coloniale de la Mauritanie
III – LA RESISTANCE A LA COLONISATION
2) Les fondements théoriques de la résistance
2) Les formes de résistance
Conclusion
CHAPITRE II : CLIENTELISME DES NOTABILITES TRADITIONNELLES ET EMANCIPATION DES DEPENDANTS
I – LES NOTABLES MAURES, DE NOUVEAUX CLIENTS DU POUVOIR COLONIAL
A. LE COLONISATEUR ET L’IMPERATIF D’ADMINISTRATION
B. LE NOUVEAU CLIENTELISME DES NOTABILITES TRADITIONNELLES
II – LES DEPENDANTS INCITES A S’EMANCIPER
A – LES TRIBUTAIRES
B – LES ESCLAVES
Conclusion
CHAPITRE III : LES NOUVELLES COUCHES SOCIALES
I – AUX SOURCES DE LA RECOMPOSITION SOCIALE : L’ECOLE COLONIALE
A. UNE DIFFICILE IMPLANTATION
1) Renseignement et surveillance des écoles traditionnelles
2) L’implantation de l’école coloniale
B – BILAN DE L’ENSEIGNEMENT COLONIAL
1) Le retard dans l’implantation de l’école
2) Perdants et gagnants dans l’implantation de l’Ecole coloniale
II – TROIS NOUVELLES FIGURES SOCIALES : LETTRES EN LANGUE FRANÇAISE, NOUVEAUX FORTUNES ET NEO-CITADINS
A – LES SORTANTS DE L’ECOLE COLONIALE ET LEURS FONCTIONS
1) Exemple de sortant de l’Ecole coloniale : l’interprète
2) Recrutement des interprètes
3) L’interprète entre l’administration coloniale et la communauté indigène
B – LES NOUVEAUX FORTUNES
C. LES NEO-CITADINS
1) Emergence de cités urbaines
2) Les nouveaux citadins
Conclusion
CHAPITRE IV : LES NOUVELLES MANIERES DE VIVRE
I – LES FONDEMENTS
A – DE L’ECONOMIE RURALE A L’ECONOMIE DU MARCHE
B – LES NOUVEAUX BESOINS
C – LE RELACHEMENT DE LA SOLIDARITE
D – LA SOIF DE LIBERTE DES JEUNES
II – LES NOUVELLES CONDUITES ET PRATIQUES SOCIALES
III -LES NOUVELLES CULTURES MATERIELLES ET IMMATERIELLES
A – LE MODE VESTIMENTAIRE
B – LES EMPRUNTS LINGUISTIQUES
Conclusion
CONCLUSION
CONCLUSION GENERALE
ANNEXES
BIBLIOGRAPHIE ET SOURCES HISTORIQUES
Télécharger le rapport complet