« L’enseignement de la géographie tant à l’école élémentaire qu’au collège ou au lycée est en question : c’est un constat admis aujourd’hui par la majorité des acteurs. Peu enseignée aux jeunes enfants, voire pas du tout, puis mal enseignée, perçue souvent comme inutile par les élèves et les parents, malmenée, dominée par l’histoire, la géographie enseignée est dans une situation à la fois bien connue mais difficile à préciser. » (Le Roux, 2005) .
Voici ce qui est annoncé au sujet de la géographie dès les premières lignes de l’ouvrage d’Anne Le Roux (2005) intitulé : « Didactique de la géographie ». En effet, la géographie est une discipline qui reste difficile à enseigner pour bon nombre d’enseignants qui, la plupart du temps ont une formation d’historien et non de géographe. La géographie reste cependant une discipline dont sa place est aussi importante que celle de l’histoire. Elle permet la compréhension du monde qui nous entoure et participe au développement de l’élève comme futur citoyen. Ainsi, il est dès lors important que les élèves soient confrontés à la géographie le plus rapidement possible.
L’évolution de la géographie et l’apparition du concept d’habiter
De la géographie physique à la « nouvelle géographie »
C’est lors de la défaite de 1870 face à la Prusse incluant la perte de l’Alsace et de la Lorraine suite au traité de Paris que la Géographie française tend à s’affirmer. Au cours du XIXème siècle, la géographie a connu un essor en Allemagne et la défaite face à l’armée prussienne réveille les consciences. En effet, une idée se répand très rapidement en France. On pense que l’Allemagne a remporté la guerre grâce à sa maîtrise de la géographie qui s’est fait suite à un enseignement de la géographie de plus en plus soutenu par les autorités. Ainsi, en 1872, Jules Simon qui est alors ministre de l’instruction publique fonde de nouveaux programmes en y insérant un enseignement plus modernisé de la géographie (Scheibling & Borne, 2015). La géographie prend sa place comme discipline scolaire et a pour but de faire émerger au même titre que l’histoire un patriotisme unilatéral.
C’est dans ce contexte d’une géographie mise au goût du jour que Paul Vidal de la Blache va lutter pour promouvoir la géographie en tentant de la placer au même niveau que celle de l’Allemagne. Paul Vidal de la Blache est historien de formation. En 1875, il est nommé à l’université de Nancy où il sera plus tard nommé à la chaire de géographie. Pour beaucoup, il est considéré comme le père de la géographie « moderne » française. Il est l’un des créateurs de la revue de géographie, l’Annale de géographie dont le premier numéro paraît en 1893. Sa vision de la géographie est celle d’une géographie qui se veut être une science de la nature. Ainsi, il dit que la géographie n’est pas la science de l’homme mais celle des lieux (Vidal de la Blache, 1913). Néanmoins, c’est Paul Vidal de La Blache qui est l’initiateur d’une géographie politique voir patriotique. La géographie vidalienne reste longtemps comme le modèle géographique à suivre en France. A l’instar de Paul Vidal de La Blache, l’étude de la géographie pose au fil des années, un certain nombre de questions. Ainsi, en parallèle de l’Histoire les géographes vont s’appuyer sur les théories marxistes et vont se lancer dans des études géographiques reposant sur l’économie (Pailhé, 2003, p. 55).
Suivant encore une fois le contexte politique et économique la géographie connaît un tournant dans les années 1950 en France. L’augmentation importante de la population française liée à une forte immigration et au baby-boom ainsi que la forte croissance économique du moment tend à restructurer l’espace et favorise l’émergence d’un nouveau courant géographique. La « nouvelle géographie » naît aux États-Unis, lieu où la littérature géographique devient de plus en plus prolifique. Un certain nombre de théories découlant de l’École de Chicago (dont le fondateur Ezra Park est un sociologue) se réunissent autour d’un même courant. En France, la « Nouvelle géographie » éprouve tout de même certaines difficultés à percer. Cela s’explique par le fait que la géographie vidalienne continue à avoir un poids énorme en Géographie. De plus, la géographie marxiste s’est bien implantée dans les années 50. La lente pénétration de la « nouvelle géographie » aboutit à une nouvelle définition de ce qu’est la géographie. La géographie devient une « science de l’organisation de l’espace » (Scheibling & Borne, 2015, p. 89). Elle fait donc face à l’aménagement du territoire et réunit désormais la géographie physique, la géographie humaine ainsi que la géographie régionale. On est alors loin de l’époque où le géographe ne s’intéresse seulement au milieu naturel et à ses caractéristiques. On s’intéresse dorénavant à la place de l’Homme dans son milieu (Scheibling & Borne, 2015, p. 89).
La « nouvelle géographie » ouvre dès lors de nombreuses portes. Il faut ici noter la place importante que revêt la géographie dite sociale et culturelle. Cette géographie porte sur l’analyse de l’aménagement des espaces par rapport à son organisation sociale. Elle apparaît suite aux travaux d’Armand Frémont, géographe français qui introduit la notion d’espace vécu (Fremont, 1980). L’espace vécu peut être défini comme un espace qui est approprié par l’Homme. La « nouvelle géographie » donne une forte impulsion aux différentes recherches. Il est finalement à noter que la géographie tout comme la « nouvelle géographie » «s’adapte aux mutations du monde contemporain » (Scheibling & Borne, 2015, p. 104). L’idée importante à noter dans l’évolution de la géographie est qu’elle ne considère désormais plus le milieu naturel comme simple explication de l’organisation humaine. Ce phénomène se perçoit avec l’émergence d’un nouveau concept en géographie. Il s’agit du concept d’ « habiter » qui devient incontournable dans le paysage géographie depuis quelques années. Ce concept qui fut mis au goût du jour par le géographe français Olivier Lazzarotti (Lazzarotti, 2006) tend à expliquer par sa seule présence l’organisation spatiale faite par l’Homme.
L’apparition d’un nouveau concept clé : « habiter »
Ce concept prend naissance en philosophie. Martin Heidegger (1889-1976), philosophe allemand dit que : « l’ « habiter » est l’irréductible condition des êtres humains en tant qu’habitant de la Terre ou habitant la Terre. » (Stock, 2004). À partir de ce concept, il crée un lien entre le fait de bâtir et le fait d’habiter. L’importance de la pensée de Martin Heidegger à travers le concept d’ « habiter » se perçoit surtout dans le fait qu’il est l’un des premiers à distinguer radicalement l’« habiter » à « se loger » qui pour lui ne relève que d’un simple acte fonctionnel. C’est cette idée qui est reprise en géographie et qui permet de définir le concept d’habiter au sens géographique du terme. Ainsi, il s’agirait de dire que l’ « habiter » regroupe les différentes manières de pratiquer les lieux. L’habiter est donc pour ainsi dire le rapport à l’espace exprimé par les pratiques des individus. Olivier Lazzarotti, professeur de géographie à l’université de Picardie Jules Verne et auteur de l’ouvrage Habiter : la condition géographique paru en 2006 fait de le concept d’habiter un concept central qui tend à définir sa propre pratique de la géographie (Lazzarotti, 2006). Il en donne une définition partielle : « D’un côté habiter c’est faire une expérience du monde, une expérience géographique donc. Elle est celle de tous et de toutes : être dans son logement, parcourir la ville, traverser les continents en sont autant de formes, de manifestations, parmi tant d’autres. D’un autre côté, l’ « habiter » mis entre guillemets, définit le concept d’une science, la science géographique : son projet est de mettre des mots sur cette humaine expérience : l’ « habiter » situe ainsi la portée et l’intérêt du concept : accéder, par la géographie, aux processus identitaires et sociaux de l’humanité habitante. » (Lazzarotti, 2014, p. 3). Néanmoins, il exprime dans le préambule de sa définition que le terme même d’habiter est relativement complexe et qu’il est souvent assimiler au simple fait de se loger. De plus, il faut ajouter à cela que la définition d’habiter est en constante évolution. Ainsi, nous pouvons ajouter à cette définition que l’Homme est le seul être vivant à habiter le monde. En effet, contrairement aux autres espèces d’êtres vivants qui se contentent d’y vivre, l’Homme s’y inscrit en tant qu’être pensant. L’ « habiter » est pour ainsi dire un ensemble de pratiques des différents lieux qu’il faut aujourd’hui mettre en relation avec un contexte de mobilité accrue. On peut dès lors dire qu’habiter en géographie est défini en tant que rapport aux lieux de la vie quotidienne et non à la Terre, selon ce que font les individus avec les lieux, c’est-à-dire les usages qu’ils en font, selon le fait où nous nous débrouillons avec les lieux dans un contexte de mobilité accrue, selon une variété de manières de pratiquer les lieux. Pour résumer, il s’agit à travers le concept d’habiter d’étudier les différents modes d’habiter.
Définir le concept d’habiter n’est pas chose aisée. En réalité il faudrait voir ce concept comme processus. Ainsi, « habiter » dans sa dimension géographique est: « l’expérience de soi et des autres à travers le monde » (Lazzarotti, 2013). C’est à partir de ces mots qu’Olivier Lazzarotti nous livre un schéma du processus d’habiter disponible sur le site géoconfluence dans son article « Habiter : notion à la une » (Lazzarotti, 2013). Il convient donc dorénavant d’en donner une explication à travers la définition des différentes notions participant au processus d’ « habiter».
Les trois manières de penser l’ « habiter »
En effet, trois géographes français pensent le concept d’ « habiter » de manière différente. Il s’agit de Mathis Stock, professeur ordinaire à l’institut de géographie et durabilité (université de Lausanne) et également responsable du groupe de recherche Cultures et natures du tourisme, d’Olivier Lazzarotti, précédemment présenté et de Michel Lusault, géographe français né en 1960 qui fut président du conseil supérieur des programmes entre septembre 2014 et septembre 2017.
Pour Mathis Stock (Stock, 2004), l’habiter réside dans l’intérêt que l’on porte aux actes, aux actions et aux acteurs. Il insiste surtout sur le fait que l’acte d’habiter ne doit pas être réduit aux activités consistant à résider. En effet, il s’agit, dans sa manière de penser l’habiter du fait de « faire avec de l’espace ». Ainsi son approche se focalise sur les activités dites « concrètes de l’Homme » qui sont les suivantes : travailler, se loger, se déplacer, circuler… Il entend également par le concept d’ « habiter » que l’Homme habite un espace qu’il décrit comme étant complexe et qui est composé de lieux significatifs.
Pour Olivier Lazzarotti (Lazzarotti, 2014), il considère qu’être soi-même dans le monde doit impliquer plusieurs éléments. Il s’agit de la construction dite « réfléchie des habitants » en lien avec leur cohabitation et leur espace habité (cf. Le schéma du processus d’habiter). Il ajoute au concept d’ « habiter » une idée essentielle. Olivier Lazzarotti interroge le principe d’habiter au travers de la mobilité qui se veut de plus en plus accrue chez l’Hommes. Ainsi, il renvoie le concept d’habiter aux espaces de vie et aux lieux qui sont de plus en plus éloignés les uns des autres mais qui continuent d’être fréquentés par les individus. Quant à Michel Lussault il s’intéresse à un autre aspect du concept d’habiter . En effet, il précise que l’Homme est acteur de sa propre géographie tout en insistant sur la relation en tre « habiter » et « habitant ». Ainsi, il insiste sur le rôle des individus dans la construction des espaces et de ce fait, dans les manières d’habiter (Lussault, 2007).
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Table des matières
INTRODUCTION
1ÈRE PARTIE : CADRE THÉORIQUE
1. L’ÉVOLUTION DE LA GÉOGRAPHIE ET L’APPARITION DU CONCEPT D’HABITER
1.1. DE LA GÉOGRAPHIE PHYSIQUE À LA « NOUVELLE GÉOGRAPHIE »
1.2. L’APPARITION D’UN NOUVEAU CONCEPT CLÉ : « HABITER »
1.3. LES TROIS MANIÈRES DE PENSER L’ « HABITER »
2. LA PLACE DU CONCEPT D’HABITER DANS LES PROGRAMMES OFFICIELS DU 26 NOVEMBRE 2015
2.1. LE CONCEPT D’HABITER FIL DIRECTEUR DES PROGRAMMES OFFICIELS DU 26 NOVEMBRE 2015
2.2. POURQUOI LE CONCEPT D’HABITER DANS LES PROGRAMMES ?
3. LE CONCEPT D’HABITER : UN LIEN ENTRE LES DIFFÉRENTS CONCEPTS GÉOGRAPHIQUES
3.1. LE CONCEPT D’ESPACE EN GÉOGRAPHIE
3.2. LE CONCEPT D’HABITER ET LE DÉVELOPPEMENT DURABLE
3.3. DES DÉFINITIONS CLÉS POUR COMPRENDRE COMMENT HABITER
2ÈME PARTIE : MISE EN ŒUVRE PÉDAGOGIQUE
1. LE CONCEPT D’HABITER À TRAVERS LE THÈME 3 : « MIEUX HABITER »
1.1. PRÉSENTATION DE LA SÉQUENCE
1.2. LES SUPPORTS UTILISÉS
1.3. L’UTILISATION VARIÉE DE DOCUMENTS
2. LA MISE EN PLACE PÉDAGOGIQUE DE LA SÉQUENCE
2.1. FAVORISER LA PLACE DE LA NATURE EN VILLE
2.2. LA GÉOGRAPHIE AU SERVICE D’UNE ÉCOCITOYENNETÉ : L’INTÉRÊT DU RECYCLAGE
2.3. LES ÉCOQUARTIERS : LA MANIÈRE DE MIEUX HABITER ?
CONCLUSION
BIBLIOGRAPHIE
TABLE DES ILLUSTRATIONS
ANNEXES