Questionnement professionnel
L’art de la sage-femme réside dans l’accompagnement, l’écoute et le soutien des femmes durant cette étape importante de leur vie qu’est la naissance d’un enfant. L’essence même du métier de sage-femme est de promouvoir un accouchement physiologique et harmonieux, le tout dans une atmosphère de bienveillance (Code International de déontologie des Sages-femmes, 2009). A partir de cette conviction, nous, élèves sages-femmes, à l’aube de notre grand pas dans la vie professionnelle, nous nous sommes interrogées, questionnées et avons posé un regard critique sur les pratiques obstétricales actuelles. Lors de notre immersion dans la pratique, nous avons rencontré de nombreuses femmes issues de cultures différentes qui apprivoisaient la douleur de manière singulière et nous avons réalisé que la médicalisation laissait peu de place à la physiologie (Vuille, 2006). Un décalage s’est alors formé entre la philosophie sage-femme qui est la nôtre et les pratiques obstétricales d’aujourd’hui.
Il est vrai que, de tous temps, la douleur a été un aspect indissociable de l’enfantement. Autrefois, on attribuait à cette douleur une signification religieuse et morale. Cette image de l’accouchement faisait alors partie des moeurs et des croyances. La médecine de l’époque progressait dans l’ombre de la religion. Les parturientes s’en remettaient alors au savoir des sages-femmes et à leur sagesse (Salvat, 1980, pp : 87-106). Puis, progressivement, l’avancée de la médecine a révolutionné l’approche de la douleur. La célèbre phrase biblique « tu enfanteras dans la douleur » (Falco, 2002, Genèse chapitre 3) se dissipera pour laisser place à des méthodes antalgiques efficaces pour pallier la douleur ressentie lors du travail et de l’accouchement. Dès la fin du XVIIIème siècle le protoxyde d’azote et l’éther étaient utilisés, mais, il faudra attendre 1830 pour que le chloroforme soit découvert et utilisé par les femmes lors de l’accouchement, si bien que son efficacité et ses effets secondaires furent contestés par de nombreux médecins de cette époque. C’est alors en 1920, que l’analgésie péridurale fait son entrée dans ce qu’on appelle communément « l’accouchement sans douleur » (Morel, 2012).
Actuellement, et au cours de notre formation, nous avons pu constater à la Maternité des Hôpitaux Universitaires de Genève, un taux de péridurale assez conséquent, soit 80 à 85% sur environ 4’000 naissances par an (www.hug-ge.ch, 2015). Ce pourcentage en hausse constante nous amène à nous questionner sur les raisons qui poussent une large majorité de parturientes à opter pour cette technique, certes très efficace pour l’abolition de la douleur physique, mais qui n’a aucun effet sur les peurs des femmes face à cet événement bouleversant qu’est la naissance. D’après Simkin & Bolding (2004), bien que la péridurale soit un moyen antalgique efficace contre la douleur, il convient néanmoins de prendre en compte la dimension psychologique. La clé du soulagement de la douleur étant détenu par d’autres (médecin, sage-femme, etc.), la femme devient alors dépendante et impuissante, non seulement dans la gestion de sa douleur, mais dans tous les autres aspects du travail et de la naissance. Les femmes ne sont donc plus actrices de leurs perceptions et de leurs sensations, elles n’ont plus ce sentiment de contrôle et, dans un certain nombre de cas, l’abolition de la douleur laisse place à l’anxiété et à la peur.
D’après Graffney & Smith (2004), les médecines alternatives et complémentaires (ci-après MAC) adopteraient une approche holistique qui apporterait ainsi une satisfaction aux attentes des femmes contrairement au sentiment d’’insatisfaction lié aux médecines conventionnelles. De plus, il semblerait que ces thérapies donnent aux femmes enceintes un meilleur contrôle et d’avantage de satisfaction dans leur expérience périnatale. Aussi, elles optent pour les MAC afin de vivre pleinement leur accouchement avec un sentiment de contrôle et d’autonomie (Tiran, 2006 ; Warriner, 2007 ; Low Dog, 2009) dans une atmosphère naturelle et physiologique en lien avec leurs croyances. En effet, de nos jours, nous avons pu observer un véritable essor des médecines alternatives et complémentaires. De plus en plus d’individus y ont recours pour se soigner. « Selon l’OFS (Office Fédéral des Statistiques) 23% de la population a eu recours à ce genre de prestations en 2007, contre 15% en 2002 (…). Actuellement, près de 1 personne sur 3 y ferait appel au moins une fois par année » (Bertrand, William & Camille, 2012). En Allemagne, 73.2% des femmes font appel aux MAC durant la grossesse (Skouteris & al., 2008) contre 57.1% au Royaume-Uni. (Hall & Jolly, 2014). En 2012, l’Observatoire Suisse de la Santé (OBSAN) a réalisé un rapport basé sur la santé dans le canton de Genève. Cette enquête a pu mettre en évidence le nombre de personnes ayant eu recours à la médecine complémentaire durant les douze derniers mois de l’année 2012.
Définition de la douleur « La douleur », un terme connu de tous, si bien que sa définition reste néanmoins plurivoque. Il est par conséquent, difficile d’en donner une définition exacte qui s’apparenterait à chaque individu (Fondras, 2007). Depuis toujours, le mot douleur a été rattaché à diverses connotations, à la fois scientifiques et philosophiques (Saint-Pierre, 2005). D’après Seydoux (2004), la douleur « morale » et la douleur « physique » sont deux schèmes psychophysiologiques étroitement liés qui peuvent toutefois s’exprimer de manière singulière. Selon ce même auteur, la douleur « morale » est d’origine psychique, alors que la douleur « physique » est strictement physiologique. Seydoux (2004) affirme que toutes les douleurs appartiennent exclusivement au schème de la douleur « morale », le schème de la douleur « physique » n’étant qu’illusoire. Selon Freud : « le corps et sa douleur protègent d’une souffrance morale plus intense » (Ongenæ, 2004). D’un point de vue scientifique, l’IASP (International Association for the Study of Pain) définit la douleur comme étant « une expérience sensorielle et émotionnelle désagréable associée à une lésion tissulaire réelle ou potentielle, ou décrite en termes d’une telle lésion » (IASP, 1986, citée par Fondras, 2011). Définie comme telle, la douleur a une fonction de survie pour l’être humain. L’influx nerveux ressenti est un mécanisme de défense et de protection qui permet d’éviter que la douleur se répète et altère le bien-être de l’individu. La douleur est une expérience universelle et subjective, propre à l’humain (Wilgaux & Prost, 2006). La douleur se caractérise par l’interaction de nombreux facteurs tels que « biologiques, psychologiques, familiaux, sociaux, culturels et environnementaux » (Jaunin-Stalder & Mazzocato, 2012) ce qui donne, par conséquent, un seuil de tolérance à la douleur propre à chacun. Ainsi, le rôle du soignant face à la douleur est de prendre en considération tous ces paramètres afin de ne pas avoir une vision biaisée de la douleur ressentie par le patient.
La douleur de l’accouchement
De tout temps, la littérature obstétricale s’est penchée sur le mystère de la douleur lors de l’accouchement tentant ainsi d’en trouver un sens et une raison (Vuille, 2006). Autrefois appelé le « Mal-joli », la douleur ressentie était banalisée par les médecins et les philosophes de l’époque (Morel, 2012). La fin du proverbe l’exprime de manière explicite : « dès qu’il est fini, on en rit » pour consoler la femme de ses peines ressenties lors de la mise au monde de l’enfant (Revault d’Allonnes, 1976). Dans les tragédies grecques, on retrouve également des allusions à la douleur de l’enfantement. Dans l’oeuvre d’Euripide, Clytemnestre dit à sa fille Iphigénie : « Chose étrange que la maternité : elle porte en elle un philtre puissant que nous avons toutes en partage et qui nous pousse à souffrir pour nos enfants » (OEuvre d’Euripide cité par Bodiou, Brulé & Pierini, 2005). En effet, jadis, l’essence même de la maternité prenait racine dans la douleur. Autrefois, les femmes s’en remettaient aux pratiques « magico-religieuses » des matrones qui en réalité n’avaient aucune connaissance de l’anatomie. Elles proposaient aux femmes des remèdes issus de matière animale ou végétale pour soulager la douleur de l’enfantement (Nicoli, 2007). Il s’agissait bien là de la fatalité du péché originel que les femmes devaient subir pour enfanter.
D’après les récits d’obstétriques de Mauriceau, pionnier de l’obstétrique, « la plupart du monde croit qu’il n’y a pas d’autre raison de la cause de ce mal, sinon parce que Dieu l’a ordonné ainsi ; et que la femme suivant sa parole, doit enfanter avec douleur, à cause de son péché, comme il est dit au troisième chapitre du livre de la Genèse […] Cette malédiction fut à la vérité bien grande, puisqu’elle s’est étendue sur toutes les femmes qui ont enfanté depuis ce temps-là, et s’étendra sur toutes celles qui viendront ci-après. » (Morel, 2012). En effet, Mauriceau voit en la douleur que ressentent les femmes une malédiction divine indispensable à l’accouchement. Il aura fallu attendre les progrès de la médecine pour que le monde de l’obstétrique révolutionne son approche à la douleur grâce à l’utilisation d’antalgiques lors de l’accouchement. Du protoxyde d’azote en 1776, jusqu’au chloroforme en 1880, puis à la découverte de l’anesthésie péridurale au XIXème siècle, la douleur en tant que telle ne sera plus considérée comme une fatalité (Lazorthes, 2014).
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Table des matières
1. Résumé
2. Questionnement professionnel
3. Cadre de référence théorique
3.1 Définition de la douleur
3.1.1 La douleur de l’accouchement
3.1.2 Le ressenti des femmes face à la douleur de l’accouchement
3.2 Les différents moyens antalgiques
3.2.1 Les moyens médicamenteux
3.2.2 Les moyens non médicamenteux
3.3 Les médecines alternatives et complémentaires
3.4 L’aromathérapie
3.4.1 Bref historique
3.4.2 Définition
3.4.3 Utilisation en obstétrique
3.4.4 Mélanges d’huiles essentielles en lien au travail de l’accouchement
4. Problématique
5. Ethique
6. Méthodologie
6.1 Recherche d’articles pour la revue de littérature
6.2 Tableaux descriptif des articles
7. Analyse critique et structure des résultats de la revue de littérature
7.1 Issue principale : diminution de la douleur
7.1.1 L’évaluation de la douleur à l’aide de l’échelle visuelle analogique (EVA
7.1.2 L’évaluation du niveau d’anxiété des femmes au cours du travail et de l’accouchement
7.1.3 La satisfaction des femmes en rapport à l’utilisation de l’aromathérapie
7.1.4 Le recourt à des méthodes pharmacologiques
7.2 Les issues obstétricales et néonatales de l’utilisation de l’aromathérapie
7.2.1 La durée du travail
7.2.2 Le mode d’accouchement
7.2.3 Score APGAR à la naissance
8. Biais et limites des articles
8.1 Échantillons
8.2 La méthodologie
8.3 Méthodes de recrutement
8.4 Intervention
8.5 Effet placebo
8.6 L’éthique
9. Discussion
9.1 L’aromathérapie en Iran
9.2 Hypothèse n°1 : l’aromathérapie diminue la perception de la douleur chez les femmes.
9.3 Hypothèse n°2 : l’aromathérapie diminue le recours aux méthodes pharmacologiques
9.4 Hypothèse n°3 : l’utilisation médicale de l’aromathérapie n’a pas d’effet négatif sur la santé de la femme et du bébé
9.5 Hypothèse n° 4 : L’aromathérapie diminue l’anxiété des femmes face à la douleur du travail et de l’accouchement
10. Retour dans la pratique
10.1 Utilisation actuelle
11. Conclusion
12. Bibliographies et Références
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