L’ÉVALUATION DU COMPORTEMENT REPRODUCTEUR CHEZ L’ÉPiNOCHE
Différentes tactiques de reproduction
La sélection des mâles par les femelles lors de la reproduction a pour effet d’accentuer la compétition entre ces derniers. Afin d’avoir accès à plus de fertilisations que ses rivaux, un mâle peut adopter quatre tactiques différentes (Taborsky, 2001): 1- être plus rapide, 2- monopoliser les ressources (aire de reproduction, d’élevage et matériaux de nidification) et les femelles, 3- exploiter la monopolisation des ressources et des femelles des autres (parasitisme reproductif) et 4- faire de la coopération avec des monopolisateurs de ressources. Dans les cas où la force décide du vainqueur, les individus les plus gros et en meilleure condition auront l’avantage pour bénéficier des ressources, d’un territoire et des partenaires. Toutefois, la compétition entre les mâles peut se jouer à un tout autre niveau que celui de la force.
Compétition spermatique
La compétition spermatique survient lorsque le sperme de plus d’un mâle entre en compétition pour fertiliser les œufs d’une femelle (Parker, 1970). Ce phénomène est commun lorsque la fertilisation est externe et que les femelles ont très peu de contrôle sur la paternité. Elle permet donc à des individus, qui ont moins de chance de bénéficier de ressources et d’un accès plus facile aux femelles, en raison de leur condition ou d’autres facteurs environnementaux (mâles satellites), d’améliorer leur succès de reproduction (Leach and Montgomerie, 2000).
Voie dJamélioration du potentiel reproducteur
Le potentiel reproducteur peut être amélioré de différentes façons au nIveau gamétique (Leach and Montgomerie, 2000). 1- La rapidité des spermatozoïdes favorise le potentiel reproducteur lorsque le sperme doit franchir une certaine distance pour fertiliser les œufs. La vitesse des spermatozoïdes peut être influencée tant par la capacité métabolique qui fournie l’énergie nécessaire que par leur longueur. En effet, la longueur du flagelle peut influencer les forces propulsives suffisamment pour en faciliter le déplacement (Balshine et al. , 2001). 2- La vitalité du sperme peut être caractérisée par la proportion de spermatozoïdes qui est viable et par l’endurance de ces derniers. Plus la proportion de spennatozoïdes viables sera grande et plus ils seront endurants, plus le nombre d’œufs fécondés pourra être grand pour un volume d’éjaculât donné. 3- En ayant un plus grand nombre total de spermatozoïdes, un individu peut relâcher de plus gros éjaculâts lors d’un événement de reproduction ou encore en relâcher un plus grand nombre au cours de la saison de reproduction. 4- Toutefois, si l’espace d’emmagasinage du sperme est limité ou que le volume de l’éjaculât reste relativement fixe, la concentration du sperme en spermatozoïdes devient un paramètre très important. Dans ce cas, un plus petit volume de sperme est nécessaire pour obtenir une quantité totale de spermatozoïdes donnés.
Compromis entre les caractéristiques des spermatozoïdes
Toutes ces caractéristiques peuvent être avantageuses au niveau du potentiel reproducteur. Toutefois, elles ne peuvent pas toutes être optimisées à la fois . Un compromis doit être fait lors de la production des spermatozoïdes en raison de l’investissement énergétique que nécessite la production des gamètes. Par exemple, des spermatozoïdes longs ont l’avantage d’être plus rapides, mais leur longueur peut être inversement corrélés à leur longévité (Stockley et al., 1997). La vitesse peut être avantageuse pour arriver le premier à fertiliser les œufs, mais la longévité peut être également un très bon atout. Surtout lorsque la distance à parcourir n’est pas fixe comme dans le cas de la fertilisation externe (Taborsky, 1998).
Model « Sneak-Guard »
Différents modèles théoriques présentent les différentes stratégies de reproduction. Un des modèles les plus répandus est celui décrit par Parker et ses collègues (Parker, 1990; Parker, 1998; Parker et al., 1997); le « Sneak and Guard model». Ce modèle présente deux tactiques de reproduction dans lesquelles les «Sneakers» sont des mâles dont le comportement de reproduction est dit furtif et les « Guardians » dont le comportement est dit gardien. La tactique des mâles gardiens implique la défense d’un territoire qui servira à l’accouplement. C’est généralement les individus en meilleure condition et les plus gros. Ils cherchent également à monopoliser les femelles . Quant aux mâles furtifs, ils sont généralement plus petits et plus jeunes. Par faufilage opportuniste ou en restant près des sites de reproduction grâce à leur apparence de femelle, ils tentent de voler des fertilisations à des mâles gardiens qui se reproduisent.
Le risque et l’intensité de la compétition spermatique vont jouer un rôle très important sur l’évolution des caractéristiques spermatiques d’une population (Parker, 1998). Le risque est défini comme la probabilité moyenne qu’une femelle puisse rencontrer un autre mâle pour se reproduire. Quant à l’intensité, elle représente le nombre moyen de mâles qui peuvent entrer en compétition pour un amas d’œufs donné ou le nombre d’éjaculâts avec lequel un mâle devra rivaliser. Ainsi, plus ces deux composantes du système sont importantes, plus les pressions de sélection sont grandes. Ce qui résulte dans le développement de différences au niveau gamétique entre les différents phénotypes comportementaux (Simmons and Kotiaho, 2002). Des variations des caractéristiques spermatiques devraient donc être associées aux différentes tactiques de reproduction lorsqu’elles suivent des modifications du niveau de risque ou de l’intensité de la compétition spermatique.
Exemples de la compétition spermatique
Différents exemples illustrent bien comment la compétition spermatique peut arriver à moduler certains paramètres de la reproduction. Chez une espèce d’oiseau, Riparia riparia, lorsqu’un mâle se reproduit en présence d’un autre mâle (un rival), ce dernier va laisser plus de semence que lors d’une fertilisation sans rival (Nicholls et al., 2001). L’épinoche à trois épines, Gasterosteus aculeatus, présente également le même phénomène (Zbinden et aL, 2004). Chez Viviparus ater, une espèce de gastéropode, il a été démontré que plus les spermatozoïdes étaient gros, meilleur était le succès de fertilisation pendant la compétition spermatique (Oppliger et al., 2003). De plus, ils ont montré qu’une plus grande concentration du sperme était favorable pour faire face à la compétition spermatique. Une étude portant sur des espèces de cichlidés (espèces à fertilisation externe) a montré que la polygamie était corrélée à la compétition spermatique (Balshine et al., 2001). Les espèces les plus polygames posséderaient des spermatozoïdes plus longs que leurs plus proches parents monogames. Ainsi, la grandeur des spermatozoïdes pourrait par le fait même être reliée à la compétition spermatique. Chez une autre espèce de poisson, le Crapet arlequin (Lepomis macrochirus), les mâles furtifs ont une semence qui est presque 50% fois plus concentrée (Leach and Montgomerie, 2000).
Spermatozoïde
La motilité des spermatozoïdes est cruciale pour la fertilisation et particulièrement lorsqu’une certaine distance doit être franchie pour rejoindre les oeufs. Le flagelle du spermatozoïde est la pièce mécanique qui permet au spermatozoïde de se propulser. Cette pièce, particulièrement complexe, est principalement composée de l’axonème. Il est formé d’un complexe de microtubules qui sont articulés autour du centriole, la pièce qui permet la jonction entre la tête et la queue. Ainsi, l’énergie qui est transmise à ce complexe peut générer le mouvement propulseur du spermatozoïde. Cette énergie est principalement issue des mitochondries qui sont situées au niveau de la pièce intermédiaire du spermatozoïde (Gilbert, 1996).
Métabolisme des spermatozoïdes
Des études récentes (Gronczewska et al., 2003; Lahnsteiner et al., 1999) ont permis d’identifier les principales voies métaboliques chez quelques espèces de téléostéens. La voie qui semble la plus sollicitée est la glycolyse aérobie. Mansour et al. (2003) suggèrent toutefois que l’importance des différentes voies du métabolisme énergétique des spermatozoïdes de poisson varie selon les espèces. La motilité des spermatozoïdes peut être affectée par une altération du système mécanique locomoteur, des membranes des mitochondries, ainsi que par une altération chimique affectant les processus enzymatiques (O’Connell et al., 2002).
La capacité métabolique des spermatozoïdes devrait donc traduire de façon juste la performance de ceux-ci. Le développement et la maturation des spermatozoïdes sont également très importants pour que tous les processus physiologiques et métaboliques se mettent correctement en place. Ainsi, encore une fois l’allocation en énergie doit être bien acheminée au cours de la production des spermatozoïdes, et ce, jusqu’à la toute fin pour veiller à ce que leur qualité soit adéquate.
L’épinoche, un bon modèle
L’épinoche à trois épines constitue un excellent modèle pour l’étude des stratégies de reproduction. Ce petit téléostéen, de la famille des Gastérostéidés, a été fort étudié au cours des 20 dernières années. Plusieurs équipes de chercheurs se sont non seulement penchées sur leurs comportements reproducteurs particuliers (Blouw, 1996; Bronseth and Folstad, 1997; Dufresne et al., 1990; Fitzgerald, 1983; Ridgway and McPhail, 1988), mais également sur leur diversification (Kraak et al., 2001; Kristjansson et al., 2002; Taylor and McPhail, 1999). Ainsi, une somme importante d’information est aujourd’hui disponible sur la biologie, l’écologie et l’évolution de cette espèce.
La stratégie de reproduction des épinoches se rapproche fortement du modèle de Parker et collaborateurs puisqu’elle renferme deux tactiques de reproduction similaires. Ainsi, les mâles gardiens vont établir et protéger agressivement un territoire (mâles territoriaux). Ils construisent également un nid avec des algues afin que les femelles viennent y laisser leurs œufs suite à des efforts de séduction. Ces mâles offriront des soins parentaux jusqu’à ce que les jeunes atteignent le stade d’alevin. Ils adoptent également une forte coloration rouge au niveau de la gorge et bleue au niveau des yeux. Quant aux mâles furtifs (mâles non territoriaux), ils vont errer près du nid d’un mâle gardien et relâcher leur semence de façon furtive.
Un des grands avantages à travailler avec cette espèce est la facilité avec laquelle elle se reproduit en laboratoire. De plus, leurs spermatozoïdes restent actifs pendant plusieurs heures (Elofsson et al., 2003a; Elofsson et al., 2003b), ce qui facilite les manipulations et la prise de mesures sur la cinématique des spermatozoïdes.
La population étudiée est anadrôme et se reproduit dans les marelles du marais salé de l’Île Verte (située dans la réserve faunique nationale de la Baie de l’Île Verte à près de 200 km à J’est de la ville de Québec, Canada). En se reproduisant dans ce système de marelles (petits étangs remplis par les hautes marées printanières), les individus se retrouvent confinés par petits groupes isolés les uns des autres. Malgré ce petit nombre, les individus d’une marelle se trouvent en contact avec leurs rivaux, et ce, dans un espace restreint. Cet espace limité favorise les interactions et la compétition entre les mâles.
L’évaluation du comportement reproducteur chez l’épinoche
La plupart des études sur les tactiques de reproduction des épinoches n’évaluent ce comportement qu’une fois et le jugent généralement fixe et stable chez chaque individu. Dans certaines études, la détermination de la tactique de reproduction est effectuée par l’observation d’un mâle isolé ou d’un mâle confronté à une femelle ou encore à un seul autre mâle pour déterminer si le mâle est territorial ou non (Barber and Amott, 2000; Barber et al., 2000; Whoriskey, 1991). Un individu isolé devient plus facilement territorial qu’un individu qui doit faire face à plusieurs mâles lors de la construction de son nid et la défense de son territoire en milieu naturel. Ainsi, bien des mâles pourraient être territoriaux dans une situation isolée en laboratoire et ne pas l’être en milieu naturel. L’ étude de ces comportements et la détermination de critères fiables discriminant les deux comportements reproducteurs deviennent donc plus difficile. Par exemple, FitzGerald et Kedney (1987) ne sont pas arrivés à mettre en relation l’agressivité, l’aptitude au combat et la capacité à obtenir un territoire. Ils expliquent leur insuccès par la difficulté à quantifier ces comportements.
D’autres études ont fait l’évaluation des comportements reproducteurs en laboratoire par petits groupes d’individus (Cubillos and Guderley, 2000; Dufresne et al., 1990), ou l’ont observé en milieu naturel (Guderley and Guevara, 1998; Largiader et al., 2001). Cette approche est plus réaliste, mais ne représente qu’un événement ponctuel qui pourrait être modulé par d’autres facteurs.
Bien que plusieurs études se soient questionnées sur le comportement reproducteur de cette espèce, à notre connaissance, aucune étude ne semble s’être interrogée sur la récurrence de la tactique adoptée par un individu. Pour savoir si les individus sont strictement territoriaux ou non territoriaux, chacun des individus devrait être soumis à différents groupes sociaux. Ainsi, si le comportement reproducteur est conditionnel à l’environnement social, certains individus ne devraient pas conserver la même tactique de reproduction dans les différents groupes sociaux rencontrés.
En étudiant la récurrence de la tactique adoptée par un individu, plusieurs éléments doivent être pris en considération. En essayant de provoquer à plusieurs reprises un cycle de reproduction, il serait difficile d’évaluer ou de quantifier l’effort qui serait associé d’un cycle à l’autre. Il serait également difficile de comparer l’investissement des individus qui auraient obtenu des œufs de ceux qui n’en auraient pas eu. En plus, parmi ceux ayant obtenu des œufs, il serait difficile d’ identifier ceux qui pourraient avoir mangé de leurs œufs, ce qui constitue une excellente source alimentaire.
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Table des matières
INTRODUCTION GÉNÉRALE
STRATÉGIE ET TACTIQUES DE REPRODUCTION
COÛT DE LA REPRODUCTION
DIFFÉRENTES TACTIQUES DE REPRODUCTION
COMPÉTITION SPERMATIQUE
VOIE D’AMÉLIORATION DU POTENTIEL REPRODUCTEUR
COMPROMIS ENTRE LES CARACTÉRISTIQUES DES SPERMATOZoïDES
MODEl « SNEAK-GUARD »
EXEMPLES DE lA COMPÉTITION SPERMATIQUE
SPERMATOzoïDE
MÉTABOLISME DES SPERMATOZoïDES
L’ÉPINOCHE, UN BON MODÈLE
L’ÉVALUATION DU COMPORTEMENT REPRODUCTEUR CHEZ L’ÉPiNOCHE
OBJECTIFS SPÉCIFIQUES
ARTICLE
ABSTRACT
INTRODUCTION
METHODS
FISH SAMPLING
ASSESSMENT OF TERRITORIALITY
MORPHOLOGICAL MEASUREMENTS
SPERM MOTILITY MEASUREMENTS
SPERM METABOLISM ANALYSES
STATISTICAL ANALYSIS
RESULTS
TERRITORIALITY ASSESSMENT
MATING TACTIC DISCRIMINATION
TERRITORIAL SPERMATIC INDEX
SPERM LONGEVITY
SPERM METABOLISM
DISCUSSION
SPERM MOTILITY AND LONGEVITY
SPERM PRODUCTION
SPERM DURATION
INTERACTIONS BETWEEN SPERM TRAITS
REPRODUCTIVE TACTIC DETERMINATION
SPERM METABOLISM
COMPUTER-ASSISTED SPERM PRODUCTION
CONCLUSION
CONCLUSION GÉNÉRALE
CONCLUSION GÉNÉRALE
BIBLIOGRAPHIE
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