L’évaluation des comportements en Sciences Humaines et Sociales
Comportement
Comme nous cherchons à analyser les comportements d’agents logiciels, nous devons avant tout préciser la définition de ce terme. Les comportements d’un individu sont l’ensemble des actions et réactions observables de ce dernier dans l’environnement [10]. La notion de comportement englobant différents concepts (individuel ou collectif, comportement moteur ou comportement social, . . . ), il est nécessaire de préciser ce que nous entendons par ce terme.
Définition première
Le comportement est la manière dont un objet fonctionne et évolue dans certaines circonstances. Nous nous concentrerons ici sur les comportements présents dans le vivant et plus précisément ceux des organismes pourvus d’un système nerveux. Le comportement correspond alors aux actions observables d’un organisme, c’est-à dire sa capacité à agir sur l’environnement extérieur. Le fonctionnement habituel d’un individu d’une espèce est la réponse à un stimulus. Le comportement permet alors une conséquence prévisible et est mis en œuvre dans un but précis [10]. Les comportements peuvent être observés par une étude au niveau physiologique (la maîtrise des interactions entre nerfs, muscles et sens) et par l’analyse des conséquences des comportements sur l’individu dans son milieu. L’éthologie est la branche zoologique qui a pour but de répertorier les unités comportementales animales pour chaque espèce [90].
Comportements humains
L’être humain a la capacité d’attribuer un état mental à un individu, permettant ainsi la prédiction de ses actions et de celles des autres. De plus, il peut adopter une multitude de comportements complexes, notamment lors d’interactions sociales : communication, collaboration, compétition, . . . [113]. Ses comportements nécessitent donc une étude particulière. De nombreuses disciplines ont donc pour objet d’étude le comportement humain spécifiquement. C’est le cas de la psychologie (expérimentale, clinique, psychiatrique, sociale), des neurosciences (neuropsychologie, neurologie), de la sociologie, de l’économie, . . . Ces disciplines n’étudient cependant pas les mêmes comportements, par exemple la neurologie s’intéresse au système nerveux alors que la sociologie étudie les relations entre les individus.
La complexité des comportements humains vient notamment de la variabilité interindividuelle [74]. Les variations de comportement d’un individu dépendent de ses préférences, ses désirs, ses motivations, ses affects, ses pensées et ses croyances [113]. Ils ne sont ainsi pas nécessairement rationnels (i.e. basés uniquement sur un raisonnement) et parfois difficilement explicables. C’est pourquoi l’analyse du comportement humain est une tâche difficile. Nous verrons dans les sous-sections suivantes les disciplines s’y intéressant.
Disciplines
La reproduction de comportements humains est un problème de recherche actuel. Le domaine de la simulation qui modélise ces comportements a un besoin de validation de ces derniers. Afin de valider ces comportements simulés, il est nécessaire d’avoir des outils d’analyse de ces comportements. Pour cela, il est nécessaire de définir le comportement humain et ce qui l’influence. Nous allons donc voir ici les différentes définitions utilisées et leurs implications.
Éthologie : Pour les éthologistes comme Darwin, le comportement est exécuté de manière invariante pour l’ensemble d’une espèce. Il est la réponse préprogrammée à un stimulus exogène (réactif) ou endogène (proactif). Cette réponse se manifeste sous la forme d’une chaîne de réflexes. Cette définition place intégralement le comportement comme instinctif et inné [132]. L’éthologie nous montre ainsi l’importance de l’inné pour les comportements. De plus, elle démontre la nécessité de prendre en compte l’environnement au sens de stimuliréponses.
Béhaviorisme : Les béhavioristes se sont séparés de la psychologie pour devenir une science naturelle. En effet, ils se limitent uniquement aux conséquences observables des comportements évitant toute introspection. Cette théorie se base sur l’association stimulus-réponse, concept clé du modèle de réflexe conditionné pavlovien [109]. Ce domaine intègre les comportements au sens éthologique (inné) et y ajoute la notion d’acquis. Cette notion permet une adaptabilité à un environnement dynamique [42]. Dans ce domaine, un comportement est initialement aléatoire ou inné. Par la suite, l’individu visant à s’adapter, son comportement se modifie dans une recherche de maximisation de l’utilité (notion de succès, de plaisir, satisfaction, . . . ). L’apprentissage de comportements est nommé conditionnement opérant ou apprentissage skinnerien [128]. Si la conséquence d’un comportement tend à ce qu’il apparaisse plus souvent (respectivement moins souvent), c’est un renforcement (respectivement une punition). Si cet apprentissage nécessite l’ajout (respectivement le retrait) d’un stimulus, il est alors dit positif (respectivement négatif). Le béhaviorisme apporte donc la notion d’apprentissage et donc d’acquis.
Psychologie : La psychologie cognitive ajoute la présence d’états mentaux [107]. Elle propose des modèles qui intègrent la capacité de représentations [28]. Les comportements peuvent alors dépendre des activités internes (pensée, affects, . . . ) [88]. Un être humain a la capacité de se représenter ses propres états mentaux ainsi que ceux des autres. Ses états mentaux modifient alors sa compréhension des comportements observés ainsi que les comportements qu’il adopte [113]. Cette caractérisation de l’individu nous concerne particulièrement car les agents virtuels sont construits de manière similaire, c’est-à-dire avec une boucle perception cognition-décision-action. De plus, le fonctionnement cognitif décrit par les chercheurs en Sciences Cognitives est basé sur des modèles qui sont parfois transposables à l’informatique. L’utilisation de cette définition nous permettrait ainsi d’analyser les comportements des agents dans leurs causes et leurs effets en faisant des parallèles avec les comportements humains. Il est à noter que la psychologie sociale montre l’importance de la société et l’influence de la culture sur les comportements adoptés [133]. Cette dimension impacte donc la portée des comportements d’agents modélisés : les cultures, les règles juridiques (ainsi que leur respect) et les normes sociétales peuvent différer par exemple selon la nationalité. Cela devra être pris en compte dans la portée des résultats obtenus qui dépend de la population de participant étudiée.
La définition que nous adopterons pour la suite de ce manuscrit est la suivante : les comportements sont un ensemble de réactions observables d’un individu sur son environnement. Ils dépendent fortement des stimuli de l’environnement extérieur pour réagir de manière rapide et adaptée. Ils ont un état initial provenant de l’inné puis évoluent par apprentissage via l’acquis obtenu lors du vécu. Ces comportements sont sujets à modification en fonction de l’état mental de l’individu. Les pensées et les émotions font varier les comportements habituels et leurs déclencheurs. Aussi, la dimension sociale impacte les comportements.
Niveau de comportement
Le comportement humain peut être analysé selon plusieurs angles. D’une part, considérant les processus cognitifs engagés dans une tâche spécifique, il est possible de séparer différents niveaux de comportements selon la difficulté. Rasmussen [118] propose par exemple une hiérarchisation des comportements en trois niveaux (voir figure 1.1) :
• ceux basés sur les compétences sensori-motrices. Ils sont automatiques et ne demandent pas d’attention ;
• ceux basés sur des règles apprises par l’expérience et le savoir-faire ;
• ceux basés sur les connaissances en vue de la satisfaction d’un but, demandant un choix de planification fait sur des prédictions.
D’autre part, il est possible de différencier les comportements en fonction de la difficulté de la tâche. Par exemple, dans le cadre de la conduite, Michon [100] a proposé de diviser les tâches en trois niveaux :
• la tâche de niveau opérationnel est principalement inconsciente et de l’ordre de l’automatisme, par exemple rester au centre de la voie ;
• la tâche de niveau tactique correspond à des situations nécessitant une prise de décision comme dans le cadre d’un dépassement. Les interactions avec les autres individus font partie de ce niveau de comportement ;
• la tâche de niveau stratégique définie la planification d’itinéraire ou encore le choix du véhicule.
Nous nous intéressons à la capacité comportementale des agents virtuels en simulation. Des parallèles peuvent être faits entre les niveaux de comportement chez les humains et chez les agents. Nous considérons les différents niveaux de comportements suivants :
• le plus bas niveau est le niveau opérationnel. Il correspond aux actions simples de type réflexes comme passer en première vitesse dans une voiture. Ces comportements sont identiques aux opérations élémentaires d’un agent ;
• Un type de comportement de niveau intermédiaire met en place une tactique tel le changement de voie d’une voiture sur autoroute. Cela correspond chez l’agent à l’application d’une suite ordonnée de comportements élémentaires ;
• Le comportement de niveau plus élevé est le niveau stratégique sur le long terme. Il est basé sur des choix et évolue suivant la dynamique de l’environnement, l’état mental de l’individu et ses émotions [50] comme choisir de doubler une file ralentie de camion. Pour un agent, cela représente l’état du modèle cognitif (et possiblement émotionnel) de l’agent. Cet état mental virtuel modifiera la prise de décisions, impactant alors les tactiques adoptées.
Il existe déjà des moyens d’analyse des comportements de niveau opérationnel basés sur les compétences sensori-motrices, par exemple sur le système moteur [52]. Les travaux s’attardant sur les tâches de niveau tactique ou stratégique demandant la mise en œuvre de règles ou de compétences sont rares [19]. Or, comme expliqué précédemment, la “cohérence” des comportements adoptés par les agents est importante en simulation. C’est donc à ces niveaux de comportement que nous souhaitons évaluer la crédibilité comportementale des agents.
Dans notre méthode, nous voulons évaluer le comportement (c’est-à-dire les réactions observables) des agents aux niveaux tactique et stratégique : nous considérons que le comportement est adopté selon un choix tactique, qu’il évolue selon la dynamique de l’environnement et qu’il dépend de l’état mental de l’individu, comme proposé par [50]. C’est pour cela que nous distinguons les traces de simulation (c’està-dire les données numériques brutes recueillies après simulation) – qui ne sont que le résultat partiel du comportement sur l’environnement – du comportement lui-même tel qu’il peut être examiné et compris par un observateur humain [113]. Cette distinction nous amène à considérer différents types de recherches effectuées sur l’analyse de ce niveau de comportement.
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Table des matières
Introduction
I États de l’art
1 L’évaluation des comportements en SHS
1.1 Comportement
1.1.1 Définition première
1.1.2 Comportements humains
1.1.3 Disciplines
1.1.4 Niveau de comportement
1.1.5 Conclusion
1.2 Évaluation en SHS
1.2.1 Simulation immersive
1.2.2 Moyens d’évaluation
1.2.2.a Réactions physiologiques
1.2.2.b Questionnaire
1.2.2.c Discussion et entretien d’autroconfrontation
1.2.3 Évaluation a priori
1.2.3.a Propension à l’immersion
1.2.3.b Comportement de conduite
1.2.4 Évaluation a posteriori
1.2.4.a Présence
1.2.4.b Dimension comportementale
1.2.5 Conclusion
2 L’évaluation des comportements en IA
2.1 Échelles d’évaluation
2.1.1 Validation au niveau macroscopique
2.1.2 Validation au niveau microscopique
2.1.3 L’humain comme référence
2.1.4 Conclusion
2.2 Catégoriser pour évaluer
2.2.1 Classification non-supervisée
2.2.2 Les méthodes de classification non-supervisée
2.2.2.a Classification Ascendante Hiérarchique
2.2.2.b Cartes Auto-Adaptatives
2.2.2.c K-moyennes
2.2.3 Nombre de classes
2.2.4 Cas des données temporelles
2.2.5 Comparaison de classification
2.2.6 Conclusion
II Méthode
3 Méthode d’évaluation des comportements d’agents
3.1 Motivations
3.2 Approche globale
3.2.1 Recueil des données de simulation
3.2.2 Recueil des annotations des rejeux vidéo
3.2.3 Classification et agrégation
3.2.4 Comparaison des classifications
3.2.5 Analyse et explicitation des classes
3.3 Cas d’étude : la simulation de trafic routier
4 Recueil et prétraitements des données
4.1 Recueil de traces de simulation
4.2 Recueil d’annotations
4.2.1 Questionnaire
4.2.2 Annotations
4.3 Prétraitements
4.3.1 Prétraitement des annotations
4.3.2 Prétraitement des traces
4.3.2.a Indicateurs haut niveau
4.3.2.b Données temporelles
4.3.2.c Des distances mutuelles aux positions multidimensionnelles
4.3.2.d Décorrélation
4.4 Conclusion
5 Comparaison entre comportements d’agents et humains
5.1 Classification et agrégation
5.1.1 Classification des participants
5.1.2 Agrégation des agents
5.1.3 Traitement des annotations
5.1.4 Conclusion
5.2 Comparaison et analyse
5.2.1 Méthode de comparaison
5.2.2 Analyse des classes
5.2.2.a Type de classes
5.2.2.b Taux de confiance
5.2.2.c Scores de type de classe
5.3 Conclusion
6 Cycle de conception
6.1 Calibration
6.2 Ensembles de paramètres
6.3 Exploration de l’espace des paramètres
6.4 Cycle
6.5 Conclusion
7 Conclusion
III Expérimentations
8 Matériel et méthode
8.1 Simulation de trafic ARCHISIM
8.2 Simulateur de conduite
8.3 Scénario
8.4 Protocole expérimental
8.4.1 Populations
8.4.2 Données de simulation
8.4.3 Application de la méthode de classification
8.5 Questionnaires de SHS
8.5.1 Propension à l’immersion
8.5.2 Annotations et autoévaluation
8.5.3 Évaluation de la crédibilité
8.5.3.a Questionnaire Général de Comportement
8.5.3.b Questionnaire Spécifique de Comportement
8.5.4 Questionnaires ad hoc
8.6 Implémentation
8.7 Conclusion
9 Résultats
9.1 Étude d’une situation de dépassement
9.1.1 Situation de conduite
9.1.2 Classification de traces
9.1.3 Classification d’annotations
9.1.4 Scores
9.1.5 Discussions
9.1.6 Cycle de conception
9.1.7 Conclusion
9.2 Étude d’une situation de trafic ralenti
9.2.1 Situation de conduite
9.2.2 Annotations et habitudes de comportement
9.2.3 Classes de traces et classes d’annotations
9.2.4 Classes de traces et classes d’habitudes
9.2.5 Scores
9.2.6 Conclusion
9.3 Étude des facteurs de différence dans la conduite
9.3.1 Annotations et traces
9.3.2 Composition sur trois situations de conduite
9.3.3 Discussion
9.3.4 Corrélations avec les questionnaires
9.3.5 Conclusion
9.4 Conclusion
Conclusion
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