L’évaluation biomécanique de la gonarthrose
Il est maintenant reconnu que divers facteurs de nature biomécanique sont impliqués dans l’apparition et la progression de la gonarthrose (Chang, Hayes, Dunlop, Hurwitz, Song, Cahue, Genge et Sharma, 2004; Englund, 2010; Heijink et coll., 2012; Hunt, Birmingham, Giffin et Jenkyn, 2006; Kim, Richards, Jones et Hegab, 2004; Lo, Harvey et McAlindon, 2012; Sharma, Chmiel, Almagor, Felson, Guermazi, Roemer, Lewis, Segal, Torner, Cooke, Hietpas, Lynch et Nevitt, 2012).
Sur un plan conceptuel, ces facteurs sont associés à des mesures mécaniques qui ont surtout été observées à la locomotion. Nous faisons référence à titre de mesures : au varus thrust, ou «fléhissement en varus» (Boivin, 2010), un mouvement abrupt du genou qui fléchit vers l’extérieur lors de la mise en charge (Chang et coll., 2004), au moment adducteur externe au genou, une mesure estimant les contraintes de force au compartiment médial (Birmingham, Hunt, Jones, Jenkyn et Giffin, 2007), et au déficit de flexion-extension du genou lors de la phase d’appui à la marche (Bytyqi, Shabani, Lustig, Cheze, Karahoda Gjurgjeala et Neyret, 2014). Il est aussi reconnu que plusieurs compensations (p. ex. augmentation de la largeur des pas et inclinaison du tronc sur le côté affecté) peuvent se présenter lors de la locomotion (Simic, Hinman, Wrigley, Bennell et Hunt, 2011). Ces dernières résulteraient de l’adoption d’une stratégie visant, entre autres, à minimiser les impacts au sol ou au compartiment du genou qui est atteint tout en favorisant la progression du marcheur vers l’avant.
La stabilité articulaire au genou
La stabilité articulaire au genou, bien que ses méthodes d’évaluation varient grandement dans la littérature (Farrokhi, Tashman, Gil, Klatt et Fitzgerald, 2012; Knoop, van der Leeden, van der Esch, Thorstensson, Gerritsen, Voorneman , Lems, Roorda, Dekker et Steultjens, 2012; Kothari, Haughom, Subburaj, Feeley, Li et Ma, 2012; Turcot, Hagemeister, de Guise et Aissaoui, 2011), porte la définition généralement acceptée suivante : la capacité d’une articulation à maintenir une position ou à contrôler un mouvement sous différentes contraintes externes (traduction libre, à partir de (M. van der Esch, M. Steultjens, J. Harlaar, N. Wolterbeek, D. Knol et J. Dekker, 2008a). A l’opposé, l’instabilité articulaire, ici celle au genou, est définie de la façon suivante : « une perte soudaine de support postural autour du genou à un moment où le genou est mis en charge» (citation traduite librement, tirée de Felson, 2007). Elle est rapportée le plus souvent par l’individu comme une sensation du genou qui barre ou qui cède (Felson, Niu, McClennan, Sack, Aliabadi, Hunter, Guermazi et Englund, 2007). C’est une expérience subjective, autorapportée par un questionnaire (Fitzgerald, Piva et Irrgang, 2004; Knoop et coll. , 2012) et elle serait présente chez 60 à 80% des patients gonarthrosiques (Fitzgerald et coll. , 2004; Lewek, Ramsey, Snyder-Mackler et Rudolph, 2005). D’un point de vue global, la stabilité articulaire mobiliserait assurément plusieurs variables (M. van der Esch, M. Steultjens, J. Harlaar, N. Wolterbeek, D. L. Knol et J. Dekker, 2008b) comme la proprioception, la laxité articulaire, la co-contraction ainsi que la force musculaire.
Le test de support unipodal pour la mesure de la stabilité articulaire au genou
Il appert donc que, pour mesurer la stabilité articulaire au genou, un test limitant les compensations présentes lors de la marche et accentuant la période de maintien en simple appui s’impose. Les études portant sur le test de support unipodal (TSU) chez la personne gonarthrosique ont démontré la pertinence d’utiliser celui-ci en guise de mesure de la stabilité articulaire (Hunt, McManus, Hinman et Bennell, 2010; Kim et coll. , 2004; Turcot et coll., 2011). Par exemple, le TSU apporterait de l’information complémentaire à la radiographie, qui se montrerait utile notamment chez le patient avec une symptomatologie ambiguë aux genoux, le tout en limitant les compensations présentes à la marche (Hunt et coll., 2010; Kim et coll. , 2004). Le TSU serait influencé par des facteurs potentiellement modifiables (p. ex., douleur, force musculaire, etc.) (Hunt et coll., 2010), ce qui lui octroie un intérêt clinique (Hunt et coll. , 2010) et il permettrait de discriminer des personnes avec ou sans gonarthrose (Duffell , Southgate, Gulati et McGregor, 2014; Kim et coll., 2004; Turcot et coll., 2011). Dans le cadre de notre recherche, le TSU nous permettra d’analyser la cinématique 3D du genou. Le but recherché n’étant pas de se pencher sur les facteurs étiologiques de la pathologie, nous chercherons plutôt à déterminer quels paramètres cinématiques lui sont sensibles, à partir des rotations et des translations pour ce qui est de l’articulation tibiofémorale. Nous chercherons des paramètres qui permettent de discriminer un échantillon de population gonarthrosique d’un groupe asymptomatique à caractéristiques biométriques similaires, qui sont sensibles pour différencier les divers degrés de sévérité radiologique de l’atteinte gonarthrosique et qui ont une bonne fidélité intra-séance. Ce projet s’inscrit dans une optique de création et de validation d’une batterie de tests permettant d’identifier et d’utiliser des paramètres biomécaniques discriminants afin de bonifier le suivi clinique d’individus présentant des problèmes de genoux tels que la gonarthrose.
Le genou: dualité entre la mobilité et la stabilité
Situé entre le pied et la hanche, le genou, ou plus précisément l’articulation tibiofémorale, doit à la fois être stable et permettre une grande mobilité et une certaine adaptabilité aux nombreuses contraintes quotidiennes. Le genou doit subir plusieurs forces appliquées à distance, appelées moments articulaires, qui viennent soit de la contraction musculaire (moments articulaires internes) ou de l’environnement (moments articulaires externes). Par exemple, le moment de force Il interne en flexion, lors de la phase d’appui initiale à la locomotion, est créé en grande partie par le passage du vecteur de la force de réaction du sol derrière le genou qui doit être compensé par une contraction du quadriceps, sans quoi le genou du marcheur s’affaisserait rapidement en flexion. Cette contraction augmente par le fait même les contraintes articulaires. Le moment externe en adduction (knee adduction moment, KAM, dans la littérature anglophone), mieux connu sous le nom de moment adducteur externe, ou simplement moment adducteur [décrit en détail plus loin], est quant à lui créé par la force de réaction au sol dont le vecteur, en vue de face, passe à l’intérieur du genou (Kim et coll. , 2004). Cela crée un moment de force qui tend à comprimer le compartiment interne du genou de façon disproportionnée par rapport au compartiment latéral (Butler, Barrios, Royer et Davis, 2011). Le rôle du genou dans la locomotion, au-delà de son rôle de support du poids corporel, est patent, en secondant l’orientation du pied pour surmonter les irrégularités du sol (Ribeiro, Venancio, Quintas et Oliveira, 2011). Les structures du genou sont organisées de façon à répartir les contraintes de façon optimale, tant dans leur nature (p. ex., compression, cisaillement) que dans leur origine spatiale (compartiment médial ou latéral), ce qui favorise un équilibre entre l’absorption des chocs, la conservation d’énergie, la mobilité et la stabilité articulaire (Hurley, Scott, Rees et Newham, 1997).
Dispositifs mécaniques, passifs, pour la stabilisation articulaire
L’articulation tibiofémorale est une articulation de type bicondylaire modifiée permettant des translations ainsi que des rotations tridimensionnelles (3D) (Ramsey et Wretenberg, 1999). La superposition des condyles fémoraux, plutôt arrondis, sur le plateau tibial, une surface relativement plane, ouvre donc le jeu à six degrés de liberté de mouvement, soit des rotations et des translations dans les trois plans (Ramsey et coll. , 1999).Les spécifications vues précédemment permettent au genou d’être très mobile et de répondre aux fonctions mentionnées précédemment, telle l’adaptation à un terrain qui n’est pas plan. Cependant, cette (malléabilité ne doit pas se faire au détriment de la stabilité. Tout d’abord, un système intriqué au niveau des ligaments croisés au genou favorise le maintien d’une congruence optimale des surfaces articulaires lors du mouvement en donnant, en quelque sorte, une certaine configuration (guide ou modèle) de mouvement. En d’autres mots, le système des ligaments croisés fait en sorte que les mouvements du genou se réalisent autour de leur point de rencontre (Smith, Refshauge et Scarvell, 2003) tant dans les plans frontal que sagittal . Ce point de rencontre correspond au centre articulaire instantané du genou (Frankel, Burstein et Brooks, 1971), soit un centre articulaire mobile et non un point pivot fixe (Dargel, Gotter, Mader, Pennig, Koebke et Schmidt-Wiethoff, 2007).
|
Table des matières
l. INTRODUCTION
L’arthrite: définition et prévalence
L’arthrose: définition et prévalence
La gonarthrose : définition sommaire
L’évaluation biomécanique de la gonarthrose
La stabilité articulaire au genou
Le test de support unipodal pour la mesure de la stabilité articulaire au genou
Il . RÉCENSION DES ÉCRITS
La gonarthrose en termes de problématique de santé publique
Le genou : anatomie
Le genou : rôle et fonction
Le genou : dualité entre la mobilité et la stabilité
Dispositifs mécaniques, passifs, pour la stabilisation articulaire
Autres mécanismes pour la stabilisation articulaire
L’impact de la gonarthrose sur la stabilité articulaire
Impact sur les structures impliquées dans la stabilité articulaire
Laxité articulaire
Proprioception
Alignement du genou
Force des muscles au genou
L’évaluation de la stabilité articulaire
La pertinence d’évaluer la stabilité articulaire au genou
Limites à l’analyse de la locomotion dans le cadre de l’étude ou de l’évaluation de la stabilité articulaire
Le test de support unipodal (TSU) comme modèle d’analyse de la stabilité articulaire
L’utilisation du TSU dans la littérature
Objectifs et hypothèses sur les réponses attendues de l’analyse des paramètres biomécaniques lors d’un test de support unipodal
III. MÉTHODOLOGIE
Base de données et participants
Critères d’inclusion et d’exclusion
Consentement
Évaluation biomécanique
Préparation des participants
Tâche demandée
Instrumentation
Traitement des données
Découpage de la tâche
Sélection des essais de TSU
Détermination des paramètres biomécaniques
Tests statistiques et analyses
IV. RÉSULTATS
Base de données et paramètres biométriques
Stabilité du signal et valeurs des paramètres angulaire en flexion / extension durant le maintien unipodal
Comparaisons entre les groupes sur les mouvements fins du genou
Capacité discriminante (AS vs OA)
Effet de sévérité radiologique (OAL vs OAS)
Relation des mesures biomécaniques lors du maintien unipodal avec d’autres mesures
Fidélité intra-séance
V. DISCUSSION
Résultats principaux et liens avec les objectifs ainsi que les hypothèses de recherche
Participants
Paramètres angulaires moyens en flexion-extension
Effet de la pathologie
Effet de la sévérité radiologique
Fidélité intra-séance
Limites
VI. PERSPECTIVES ET CONCLUSION
Télécharger le rapport complet