L’euthanasie
L’assistance au suicide et l’euthanasie sont deux choses distinctes. Le mot « euthanasie » provient des racines grecques « eu » qui signifie « bon, doux, heureux » et « thanatos » qui se réfère à la « mort ». Étymologiquement, euthanasie veut donc dire « bonne mort ».12 Plusieurs épithètes s’accolent notamment à ce terme, lui attribuant des sens différents. Tout d’abord il y a les qualificatifs « actif » et « passif ».
L’euthanasie active désigne le fait de provoquer la mort, en administrant un produit létal par voie orale ou par injection. Celle-ci est régie par l’article 114 du Code pénal suisse13 qui spécifie que le fait de donner la mort à quelqu’un est considéré comme un meurtre et donc interdit, même si la personne en question le souhaitait. L’euthanasie passive, quant à elle, consiste à arrêter tout traitement médicamenteux ou à interrompre tout type de techniques palliatives susceptibles de prolonger la vie du malade dans un état comateux, afin de provoquer la mort du patient au bout d’un certain temps.15 Les termes « direct » et « indirect » sont opposés.
L’euthanasie est directe si l’acte a pour intention de donner intentionnellement la mort ; dans le cas contraire, celle-ci est dite indirecte. Par conséquent, l’euthanasie active indirecte consiste à injecter une substance au malade, afin d’atténuer ses souffrances, dans le but indirect de raccourcir la vie de la personne.16 Au final, la principale différence entre « l’assistance au suicide » et « l’euthanasie » réside dans le fait que, dans l’assistance au suicide, c’est la personne concernée qui fait le geste de se donner la mort, ce qui implique que l’acte est considéré comme un suicide. A contrario, dans les cas d’euthanasie, personne ne donne la mort à personne, hormis concernant l’euthanasie active qui est aujourd’hui, en Suisse, considérée comme un meurtre. Cette action vise donc à soulager les souffrances des patients, tout en respectant leur volonté. Dans ces cas-là, la mort est un effet indirect connu, envisagé mais jamais souhaité. Contrairement à l’assistance au suicide, l’euthanasie n’a jamais pour but direct de donner la mort.
Art. 3. Interdiction de la torture « Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants. »29 Voici la définition reconnue de la torture, au sens juridique de l’article 1 de la Convention des Nations Unies : « […] une douleur ou des souffrances aigues, physiques ou mentales, sont intentionnellement infligées à une personne aux fins notamment d’obtenir d’elle […] des renseignements ou des aveux, de la punir […] de l’intimider […], de faire pression […]».3 La torture ne concerne donc pas l’assistance au suicide, sauf dans le cas où celle-ci serait effectuée pour un motif égoïste, ce qui serait alors considéré comme un homicide volontaire. Dans l’article 3 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, les notions de « traitements inhumains ou dégradants » figurent également. De plus, comme cela a été mentionné, l’assistance au suicide est autorisée en Suisse, pour autant que la personne soit capable d’effectuer elle-même le geste fatal. Cependant, n’est-ce pas de la torture que de ne pas prêter assistance à une personne en fin de vie qui est dans l’incapacité physique de se donner la mort par ses propres moyens ?
L’arrêt Diane Pretty sur l’euthanasie a été décrété par la Cour européenne des droits de l’homme, en 2002.31 Dans cette affaire, qui a eu lieu au Royaume-Uni, Madame Pretty, atteinte d’une maladie dégénérative incurable, reprochait au ministère public32 de refuser que son mari l’assiste dans son suicide et qu’il soit exempt de poursuites judiciaires. Selon elle, ce refus enfreignait les articles 2, 3, 8, 9 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales. La Cour a décidé que le gouvernement ne devait, en effet, pas infliger de traitements néfastes à une personne, car son but est obligatoirement de la protéger. Elle a aussi appuyé le fait qu’en aucun cas ces articles conféraient le droit à un gouvernement de permettre ou de faciliter le décès d’un individu.
Le Tribunal fédéral tend aussi à penser qu’un gouvernement n’a pas pour rôle de se positionner positivement dans le souhait de fin de vie d’un citoyen.34 Un point de vue plus tolérant vis-à-vis de cette question est développé dans le préambule de « La recommandation 1418 sur la protection des malades incurables et des mourants » du Conseil de l’Europe, adoptée le 25 juin 199935 : « [l]es malades mourants tiennent avant tout à mourir dans la paix et la dignité, si possible avec le réconfort et le soutien de leur famille et de leurs amis , […] la prolongation de la vie (n’étant pas) en soi le but exclusif de la pratique médicale, qui doit viser tout autant à soulager les souffrances. »
Incitation et assistance au suicide
Celui qui, poussé par un mobile égoïste, aura incité une personne au suicide, ou lui aura prêté assistance en vue du suicide, sera, si le suicide a été consommé ou tenté, puni d’une peine privative de liberté de cinq ans au plus ou d’une peine pécuniaire. » 37 Ces deux articles laissent une certaine liberté d’interprétation. En effet, si la personne demandeuse est, par exemple, en proie à des souffrances terribles, capable de discernement et qu’elle formule sa demande à répétition, elle peut demander de l’aide dans sa démarche, pour autant qu’elle s’administre elle-même la potion létale. C’est seulement dans ces circonstances que l’on parle de suicide assisté.38 De plus, il est également important de différencier l’assistance au suicide et le meurtre sur demande, comme le précise la Commission nationale d’éthique (CNE).
En effet, le meurtre sur demande implique qu’une personne extérieure accomplisse le geste final à la place de la personne demandeuse. A contrario, lors du suicide assisté, le suicidant lui-même cause sa propre mort. Le cadre légal suisse ne règlemente pas positivement l’assistance au suicide. Il a simplement été déduit des articles 114 et 115 que l’assistance au suicide est possible. Face à ce flou législatif, quelques personnalités ont tenté de remédier à ce manque, en essayant de faire accepter des projets de loi au Conseil fédéral. Cependant, ceux-ci ont tous été refusés jusqu’à présent. En effet, en 1975 déjà, un député du Conseil national avait déposé une initiative populaire zurichoise en faveur de l’euthanasie active39 qui avait été refusée par le Conseil national.
Plus tard, en 1994, le conseiller national Victor Ruffy dépose une motion stipulant que « […] devant les différentes formes d’évolutions dégradantes de maladies incurables, malgré les moyens mis à disposition pour prolonger la vie, de plus en plus d’êtres humains, dans notre société, souhaitent avoir la possibilité de prendre une part active à leur fin de vie afin de mourir dans la dignité. Le Conseil fédéral est prié de soumettre un projet tendant à l’adjonction d’un article 115 bis au Code pénal suisse. »40 Suite à cette motion, le Département fédéral de justice et police a créé un groupe de travail « assistance au décès », afin de soumettre un projet de loi42, dans l’idée d’assouplir l’article 114 CP pour des cas extrêmes répondant aux conditions suivantes : « […] caractère incurable de la maladie, imminence du décès, souffrances insupportables et non susceptibles d’être soulagées. »
Malgré la pertinence de cette motion, le Conseil fédéral ne change pas d’avis et argumente que le sujet est trop délicat au sein de notre culture chrétienne. Plus récemment, en septembre 2000, l’oncologue et membre du Conseil national, Franco Cavalli, dépose une initiative parlementaire ayant pour but d’exempter de poursuites pénales l’auteur d’une euthanasie, si « […] la personne en fin de vie souffre d’une atteinte à la santé incurable, et lorsque l’auteur agit pour mettre fin à des souffrances insupportables et irrémédiables. » Cette initiative a également fait l’objet d’un refus de la part du Conseil national. En 2001, l’initiative Vallender44 avait pour but de préciser dans quelles conditions l’assistance au suicide n’était pas punissable. Elle exigeait notamment que la personne concernée soit capable de discernement au moment de l’acte et que cette assistance ne soit pas donnée par un médecin ou par le personnel soignant. Celle-ci est également refusée par le Conseil national.45
Législation cantonale
En 2012, le canton de Vaud a adopté une loi permettant de généraliser la présence de l’association Exit A.D.M.D dans ses hôpitaux et EMS. En 2014, le canton de Neuchâtel promulgue à son tour une loi pour autoriser l’association Exit A.D.M.D à pratiquer l’assistance au suicide dans ses EMS. Le personnel soignant ne doit, en aucun cas, assister à ce type de processus. C’est uniquement l’association Exit qui prend en charge ces patients désireux de mettre fin à leur vie. Seuls les EMS privés peuvent déroger à cette loi et appliquer leur propre politique interne. Il s’agit d’un petit pas pour le suicide assisté en Suisse qui permet aux personnes capables de discernement, dont les problèmes de santé sont incurables et qui n’ont plus de domicile privé, de bénéficier de ces services, si elles le désirent.48 Jusqu’à présent, ces deux dispositifs cantonaux de l’assistance au suicide sont les pionniers en matière de légifération cantonale spécifique concernant le suicide assisté. Suite à cette nouvelle loi, le canton du Valais s’est également penché sur la question. En effet, des députés de tous les partis demandent au Conseil d’Etat de réglementer la pratique de l’assistance au suicide dans les EMS et les hôpitaux du canton.
Une motion a donc été déposée par Xavier Motter du PLR, Sylvie Ancelin-Masserey du PLR, Patricia Casays du PDC, Nadine Reichen de l’UDC et Florian Alter de l’Alliance de gauche, lors de la dernière session du Grand Conseil de septembre 2015. A l’origine du débat, l’hôpital de Rennaz, dont l’ouverture est prévue en 2018, se situera sur le territoire vaudois et prendra en charge autant de patients vaudois que valaisans. Xavier Mottet déclare : « Notre motion n’est pas une apologie de l’assistance au suicide.
Loin de là. Nous voulons simplement offrir la liberté à chaque Valaisan de sa vie et de sa mort […] il faut que les patients valaisans puissent avoir les mêmes droits que les malades vaudois».49 Du côté des EMS valaisans, presque la totalité d’entre eux ne peut concevoir d’autoriser cette pratique dans leurs institutions. L’hôpital du Valais a, quant à lui, créé une commission d’éthique, afin de pouvoir débattre de la question. La décision est donc entre les mains des députés valaisans qui traiteront cette motion au début de l’année 2016.50 Dès lors, une question se pose : les assistants sociaux valaisans en relation avec une clientèle âgée sont-ils informés sur la législation actuelle et les projets d’évolution de celle-ci en matière d’assistance au suicide ?
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Table des matières
1. Introduction
2. Problématique
2.1 Question de recherche
2.2 Objectifs de ce travail de recherche
3. Motivations et choix du thème
4. PARTIE THÉORIQUE
4.1 L’assistance au suicide et ses concepts voisins : définitions et terminologie
4.1.1 Le suicide
4.1.2 Le suicide assisté
4.1.3 L’euthanasie
4.1.4 Les directives anticipées
4.2 Cadre légal
4.2.1 Droit international
4.2.1.1 L’application de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales en Suisse
4.2.2 Législation nationale
4.2.3 Législation cantonale
4.3 Cadre éthique et déontologique
4.3.1 Professionnels de la santé
4.3.2 Autodétermination et devoir d’assistance
4.3.3 Impunité de l’assistance au suicide
4.4 L’association Exit ADMD Suisse romande
4.4.1 Les étapes vers « la délivrance »
4.4.2 Exit : des débuts à aujourd’hui
4.5 Rôle et fonction de l’assistant social
4.5.1 Les principales tâches de l’assistant social
4.5.2 Les outils de l’assistant social
4.5.3 Méthodologie d’intervention de l’assistant social
4.5.4 Savoir, agir et être
4.5.5 L’accompagnement social
4.6 Hypothèses
4.7 Méthodologie
4.7.1 Choix de la méthode et du terrain
4.7.2 L’échantillon choisi
4.7.3 Méthode de récolte de données
4.7.4 Méthode d’analyse
4.7.5 Conclusion
5. PARTIE EMPIRIQUE
5.1 Synthèse de la population concernée
5.1.1 Expériences professionnelles des assistantes sociales en relation avec des situations de fin de vie
5.1.2 Nombre de situations d’assistance au suicide rencontrées
5.2 Synthèse et analyse des données
5.2.1 Accompagnement et orientation
5.2.2 Connaissances théoriques et outils pour l’accompagnement de l’assistance au suicide
5.2.3 Principe fondateur et gestion émotionnelle
5.3 Vérification des hypothèses
5.3.1 Hypothèse 1
5.3.2 Hypothèse 2
6. Bilan et conclusion
6.1 Limites de la recherche
6.2 Les objectifs de recherche
6.3 Les objectifs personnels
6.4 Pistes d’action
6.5 Conclusion
6.5.1 Bilan professionnel
6.5.2 Bilan personnel
6.5.3 Bilan d’apprentissage
6.5.4 Bilan final
7. Bibliographie
7.1 Livres
7.2 Articles
7.3 Sites internet
7.4 Documents électroniques
7.5 Films – documentaires
8. Annexes
8.1 Annexe 1 : Entretien semi-dirigé
8.2 Annexe 2 : Formulaire de consentement libre et éclairé
8.3 Annexe 3 : Tableau récapitulatif des réponses obtenues aux entretiens
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