L’Europe et le phénomène immigration : vers une horizontalité verticale
L’Europe : inter/Etat-Nation
Inter/Etat-Nation : cette expression porte l’idée que le fondement de l’Europe réside dans une interaction, un accord, un lien existant entre les différents États-Nations qui la composent. C’est pourquoi, avant même de s’intéresser aux transformations des relations qui ont eu lieu entre les Etats européens membres, comme conséquences de leur regroupement, il convient dans un premier temps de se pencher sur la question même de l’EtatNation. En effet, nous allons voir que c’est la naissance de l’EtatNation elle-même qui permet d’établir la relation national étranger que nous traitons dans la question du contrôle des migrants. Reposant sur le principe de souveraineté du peuple, l’ÉtatNation s’inscrit en rupture avec les principes de l’État monarchique. La souveraineté implique l’existence d’un peuple, résultat de l’ensemble des individus qui le composent et qui deviennent alors citoyens, vivant sur un même territoire sous contrôle de l’État. On assiste à une révolution de la relation « commandement/obéissance […] Non seulement les individus qui appartiennent à un État souverain doivent se soumettre à ses lois, mais cette dépendance est légitime que dans la mesure où chacun participe (directement ou indirectement) à l’élaboration de la loi » . C’est là l’expression de l’association de deux principes fondamentaux : celui de la nationalité (appartenance à l’État) et celui de la citoyenneté (participation à la vie de l’État). En reprenant la trinité évoquée par Giorgio Agamben , l’État-nation se constitue de trois composants indissociables : le territoire (une localisation), un ordre juridique (l’État), et l’inscription à la vie (naissance ou nation).
« Le principe de toute souveraineté réside essentiellement dans la nation» Déclaration des droits de l’homme, article 3 .
Ce qui nous intéresse ici, c’est de rappeler que la naissance est le fondement même de l’État-nation. L’individu passe du sujet – sous l’Ancien Régime – au souverain, sa citoyenneté est définie par son appartenance à un État, par sa nation (naissance). On peut d’ailleurs s’intéresser rapidement à la question de la naissance. Odon Vallet, dans un article des Cahiers de Médiologie , revient sur la genèse du mot nation : « Qu’est-ce qu’une nation ? Le fait de naître, répondent les langues européennes ». En effet, la nation dérive étymologiquement de naître. L’auteur fait appel à la linguistique et souligne l’idée que si dans la langue française le verbe naître emprunte une forme active, ce n’est pas le cas en allemand (geboren werden) et en anglais (to be born) où c’est la forme passive qui est prêtée au verbe naître « les hommes ne naissent pas ils sont nés ou créés ». Il apparaît donc que l’homme, parce qu’il « est né ou créé » dispose du droit d’être souverain.
L’une des conséquences primordiales du principe de la souveraineté des peuples que met en avant Gérard Noiriel est le « droit pour chaque communauté de citoyens d’interdire l’entrée sur son territoire aux individus qui n’en font pas partie». En effet, l’État-Nation élargit « l’espace légitime » des activités de ses citoyens en passant de l’aire locale à l’espace national, garantissant ainsi leur liberté de circulation (au sein du territoire national); mais cette ouverture interne va de paire avec un renforcement des frontières de l’État. C’est dans cet effet de la souveraineté que réside toute la question liée à l’immigration. C’est parce qu’une nation – composée d’individus dont la citoyenneté est définie par leur naissance – dispose du droit « d’interdire l’entrée sur son territoire aux individus qui n’en font pas partie » que la question du franchissement des frontières prend naissance à son tour. L’ÉtatNation, en promouvant les libertés fondamentales de ses citoyens, marque parallèlement le clivage entre le national et l’étranger. Finalement, la nation (en tant que naissance) dans laquelle l’homme qui est né a un rôle passif (on lui donne la vie) est le postulat de départ sur lequel se base le principe de l’État Nation, et de la société moderne depuis la Révolution Française. À ce titre, cet acte « passif » de la naissance est à l’origine de l’opposition national/étranger, d’une société qui garantit les droits fondamentaux de ses citoyens nés sur le territoire national, et qui est libre d’entraver les droits de celui qui est étranger (droit de se mouvoir). Elle en est libre, et nous verrons même que le recours à l’exclusion de l’étranger (figure du camp) constitue l’état d’exception qui garantit la survie du système.
Vers une lecture de l’Europe entre horizontalité et verticalité
En ouvrant ses frontières internes, l’Europe a parallèlement observé un renforcement de ses frontières externes, de sa limite avec le « hors-Europe ». C’est à partir de cette idée et d’après les principes de Gherardo Colombo explicitant les modèles contradictoires de société verticale et horizontale, que l’on va pouvoir envisager d’étudier une Europe horizontale composée de ses pays membres, par opposition à une Europe verticale dans son rapport à ce qui est hors Europe, dans son rapport à l’extracommunitario. C’est à travers ce paradoxe entre horizontalité et verticalité que l’on va tenter de situer la position européenne en matière d’immigration.
La justice et les principes de la société verticale et horizontale selon Gherardo Colombo
Gherardo Colombo est un magistrat italien qui a travaillé en tant que juge dans d’importants procès sur la Mafia (Mani pulite par exemple). Il s’est retiré de la justice en 2007, après 30 ans de carrière dans la magistrature italienne, afin de se consacrer à ce qu’il définit comme nécessaire pour garantir un meilleur fonctionnement de la justice et de la vie en société en Italie : rétablir le rapport entre les citoyens et les règles qui composent la justice. Sans respect des règles, nous ne pourrions vivre en société, mais pour garantir le respect de ces règles, il faut qu’elles soient comprises. Les règles garantissent les droits, elles caractérisent la notion de justice d’une société. G. Colombo se consacre depuis 2007 à une réelle entreprise pédagogique. En effet, à son travail d’écriture s’ajoute sa participation à de nombreuses conférences organisées dans des écoles, des paroisses, des associations, des universités qui l’invitent à débattre autour du thème des Règles développé dans son ouvrage Sulle Regole . Colombo se penche sur la question de la culture de la justice et sur le sens profond des règles. La justice est entendue comme point de référence situé à la base des rapports entre les habitants du monde. Le mot « justice » est depuis toujours utilisé pour « justifier» le contenu des lois, le droit. Au commencement de l’histoire de l’humanité, le droit venait de Dieu, Dieu établit les lois et celles-ci sont alors justes par définition. Dans une vision plus laïque de la société, on a cessé à un certain moment, à partir de la Grèce Antique, de faire référence à Dieu seulement pour justifier le droit, et s’est alors développé un point de vue dans lequel la « naturalité» du droit est devenu central : on part alors du présupposé que chaque être détient en lui des principes fondamentaux communs à tous les autres.
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Table des matières
Introduction
Contexte d’étude – Le Centre d’Identification et d’expulsion de Milan, Via Corelli
Chapitre 1 – L’Europe verticale redéfinit ses limites, et s’invente des institutions disciplinaires de contrôle des déplacements des migrants
a) L’Europe et le phénomène immigration : vers une « horizontalité verticale »
1- L’Europe inter/État-Nation
2- Vers une lecture de l’Europe entre horizontalité et verticalité
b) Illustration des nouvelles limites ou bord européen
1- La naissance de l’État-Nation : création du bord national
2- Effacement des limites internes et création d’un nouveau bord : affirmation du hors-Europe
3- Déplacement et franchissement du bord
4- Explosion du bord : apparition de cellules de contrôle satellites
c) Le CIE : fragment interne du bord européen
1- le CIE, une cellule interne du système qui exprime à l’échelle de la ville le bord général européen
2- Redéfinition imposée du propre bord de l’individu détenu
Chapitre 2 – L’Italie au cœur d’un système politique qui sait « convaincre pour justifier »
a) Convaincre pour justifier : l’immigré ou l’ennemi commun désigné
1- La désindividualisation de l’immigré ou la naissance d’un ennemi commun
2- Retour sur un argument récurrent : « Mais est-il aujourd’hui nécessaire d’importer des chômeurs ? »
b) La perception de l’immigré : le cas italien
1- Un pays qui semble avoir oublié son histoire récente d’émigration
2- Introduction du délit d’immigration clandestine ou la pénalisation de l’immigration
3- La mobilisation des médias comme outils pour convaincre
4- Un racisme grandissant
c) Tentatives de résistances et Solidarité
Chapitre 3 – Le recours au CIE : choix affirmé de l’exclusion comme moyen de défense dans la Guerre contre l’immigration
a) De la Guerre
1- L’Europe se défend : de la résistance à l’action
2- « Le peuple en arme »
b) L’anéantissement social par l’exclusion et ses conséquences désavouées
1-Le recours au CIE « L’État des sans état »
2- La reconquête du « Vieux Continent »
3- Cadavres vivants / cadavres morts
c) Le refus de l’intégration
Conclusion
Médiagraphie