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L’acquisition du langage
Les attendus de l’école maternelle par rapport au langage
Le domaine « Mobiliser le langage dans toutes ses dimensions » réaffirme la place primordiale du langage à l’école maternelle comme condition essentielle de la réussite de toutes et de tous. La stimulation et la structuration du langage oral d’une part, l’entrée progressive dans la culture de l’écrit d’autre part, constituent des priorités de l’école maternelle et concernent l’ensemble des domaines.7
Comme l’atteste cet extrait du Bulletin officiel spécial n° 2 concernant le programme de la maternelle, l’acquisition du langage constitue un enjeu majeur de l’école maternelle. Le document d’accompagnement des programmes, le langage à l’école maternelle, précise d’ailleurs cet enjeu puisqu’il préconise « l’acquisition par tous les élèves d’un langage oral riche, organisé et compréhensible par l’autre. »8 Cela signifie que de la Petite Section à la Grande Section, une attention particulière est portée à l’enrichissement du vocabulaire, à la syntaxe et la structuration des phrases, ainsi qu’à la prononciation et l’intonation.
De plus, un travail est mené, tout au long de l’école maternelle, pour mettre en avant les liens existant entre l’oral, spontané et volatile, et l’écrit qui lui est permanent. Ces liens étant régis par un code strict : la langue française.
Par ailleurs, ce travail sur le langage est d’autant plus important qu’il permet de prévenir d’éventuelles difficultés à l’école élémentaire, voire l’échec scolaire.9
Langue et langage
La langue
D’après le document d’accompagnement des programmes, le langage à l’école maternelle, la langue est un produit social et culturel, un « système complexe régi par des régularités que l’on peut observer, objectiver. »10 Cela signifie que la langue est un code rigoureux, construit par une communauté humaine et composé de signes derrière lesquels se cache un sens. La langue s’accomplit par la parole ou l’écriture mais sa maitrise n’apparait pas si évidente à évaluer ou définir. D’autant plus que la langue étant construite par une communauté humaine, elle organise le monde d’une certaine manière. La langue n’est pas universelle : elle ne trouve pas de correspondance exacte dans une autre langue.
Pourtant, certains domaines de réalisation de la langue se retrouvent dans la plupart d’entre elles : l’expression, la compréhension ainsi que l’interaction. C’est pourquoi un Cadre Européen Commun de Référence pour les Langues (CECRL) a été créé. Il permet une évaluation critériée, c’est-à-dire la plus objective possible, de l’utilisation de la langue. De cette façon, il met en avant différents degrés de maitrise pour chaque utilisation de la langue.
Le langage
Toujours selon le document d’accompagnement des programmes, « le langage est le produit d’une activité, spontanée ou réfléchie selon les cas, d’un sujet s’exprimant au moyen d’une langue. »11 En d’autres termes, le langage est le résultat audible de l’activité langagière. Cette dernière impliquant un processus invisible de réflexion, ou de réaction, qui s’appuie sur la langue.
Le langage joue donc un rôle important dans le développement de l’enfant puisqu’il revêt plusieurs dimensions. D’abord, une dimension psychoaffective : grâce au langage, l’enfant peut exprimer ses besoins, ses sensations et ses sentiments. Une dimension sociale : en communiquant avec les autres, l’enfant forge son identité et développe un sentiment d’appartenance à des groupes. Puis, une dimension cognitive : le langage est un « outil pour apprendre » qui permet à l’enfant d’agir de manière réfléchie.
Le langage à l’école
Le langage de scolarisation
Le contexte scolaire met en avant un langage spécifique qui ne correspond pas à celui de la vie quotidienne. Une enfant peut par exemple, s’exprimer et se faire comprendre correctement en dehors de l’école mais éprouver des difficultés langagières au sein de celle-ci. Dans ce cas, l’enfant maitrise tout à fait son langage dans le contexte extrascolaire. Ce n’est que son langage de scolarisation qui est à améliorer. C’est pourquoi, un travail est à mener, avec tous les élèves, sur les spécificités du langage qu’implique chaque situation.12
Deux formes de langage mis en avant
Il existe en fait deux formes de langage. Le langage en situation, souvent sollicité dans les actes de la vie courante, consiste à parler pour accompagner une action. En conséquence, une partie du sens n’est pas portée par le discours mais par l’action elle-même. Quant au langage d’évocation, souvent mis en avant à l’école, il consiste à rapporter des faits. L’intégralité du sens est alors portée par le discours. Aussi, il demande davantage de précision et de structuration que le langage en situation.
Á l’école maternelle, est donc travaillé d’une part, le langage qui sert à communiquer. Lors des activités de groupe notamment, mais également lors des moments plus informels (récréation, cantine, coins jeux, etc.). Et d’autre part, le langage pour réfléchir. Celui-ci présente non plus une dimension sociale mais une dimension cognitive. Il correspond, comme l’a écrit Ginette Barbé dans son article FLS : attention travaux !, au langage que l’enfant doit apprendre pour apprendre d’autres choses.13 Il renvoie, selon Jean Charles Rafoni, à l’acquisition de concepts (vocabulaire, abstraction, nuances, etc.) ainsi qu’à l’étude du discours, tant au niveau de la production (description, temps, reprises anaphorique, etc.) qu’au niveau de la compréhension (connecteurs logiques, inférences, etc.) 14
Le développement du langage chez les enfants
Les paragraphes qui suivent présentent les résultats de recherches sur le développement du langage chez les enfants ayant le français comme langue maternelle. Aussi, les acquisitions de ces derniers seront associées à un certain âge. Toutefois, cet âge ne doit être considéré qu’en tant que repère. Il est tout à fait possible qu’un enfant acquiert une compétence plus tôt ou plus tard que la moyenne des enfants sans que cela ne relève de la pathologie.
Période pré-linguistique : 0-1 an
Dès ses premiers mois de vie, le nourrisson perçoit les spécificités de sa langue maternelle (régularités, intonations, rythme, etc). De ce fait, vers six à huit mois, il n’est plus déjà plus capable de discriminer des sons qui n’existent pas dans sa langue maternelle. Par contre, il devient sensible aux phonèmes et syllabes de sa langue. Á sept mois environ, il comprend ainsi que certaines associations de sons ont un sens. Le nourrisson peut alors discerner et comprendre ses premiers mots.
Au niveau de la production de sons, le bébé commence vers deux ou trois mois à gazouiller. Á cinq mois environ, il commence à jouer avec les sons, notamment avec les voyelles et les consonnes occlusives (p, b, t, d). Á partir de six mois, le nourrisson répète des syllabes simples et à neuf mois, les associe pour former ses premiers mots. Á un an, il est donc capable de se faire comprendre grâce à des mots-phrases.
L’intention de communication, elle, intervient autour du septième mois grâce au regard. Vers neuf mois, le nourrisson utilise des gestes déictiques : pointer du doigt un objet par exemple. Puis, à un an, il commence à imiter les gestes et les postures des personnes de son entourage.
Période linguistique : 1 à 3 ans
Dès dix-huit mois, les nourrissons sont capables d’associer certains mots à leur contexte et de comprendre des phrases simples. En fait, ils développent de manière exponentielle leur vocabulaire entre un et trois ans. D’abord, ils assimilent des noms, puis des verbes, des adjectifs et des adverbes. S’ils comprennent cent à cent cinquante mots à un an, à trois ans, ils sont à l’aise dans toutes les situations qu’ils rencontrent régulièrement.
De douze à dix-huit mois, les nourrissons s’exercent à émettre des sons, des intonations et des mots. Ils se constituent ainsi un répertoire d’environ cinquante mots dont les premières formules de politesse (bonjour, merci, etc.) et quelques onomatopées (boum, aïie, etc.). Ensuite, les nourrissons enrichissent leurs phrases : ils combinent plusieurs mots et utilisent le terme « moi » pour se désigner. En conséquence, ils produisent, à trois ans, des phrases de trois mots de type : Groupe Nominal + Verbe + Groupe Nominal. La phrase « bobo bébé » » d’un enfant de deux ans devient alors « bébé a bobo ». En outre, l’enfant commence à raconter ce qu’il fait et à employer la première personne du singulier pour parler de lui. Il entreprend de poser ses premières questions. De plus, entre dix-huit mois et deux ans, le nourrisson améliore ses capacités à se faire comprendre en combinant ses gestes et sa parole. Il comprend alors que le langage est un moyen de communiquer, un moyen d’obtenir ce qu’il désire.
Période du langage constitué : 3 à 5 ans
Entre trois et cinq ans, l’enfant continue à étoffer son vocabulaire. Il assimile petit à petit des termes en lien avec les émotions, les sensations et les sentiments. Il emploie des pronoms personnels, des comparatifs et la négation dans des phrases de plus en plus complexes. Entre quatre et cinq ans, il est capable de construire des phrases de type : Sujet + Verbe + Complément, comprenant six mots. L’enfant utilise le « je » et expérimente le récit. Il s’exprime donc de manière intelligible et essaie d’adapter son langage à la personne qui l’écoute.
Les élèves allophones
Plusieurs profils
Des situations sociales hétérogènes
Tout d’abord, les raisons pour lesquelles des familles immigrent en France peuvent être de plusieurs natures. C’est ce qu’explique Jean Charles Rafoni dans La nouvelle revue de l’adaptation et de la scolarisation16 en déclinant trois motifs d’immigration. Le premier est lié à la situation internationale (guerre civile, insécurité, dictature, etc.) et revêt une dimension politique. Le deuxième fait écho à une dimension législative où, par exemple, dans le cadre des lois sur le regroupement familial, une mère et ses enfants rejoignent le père de famille qui travaille en France. Quant au troisième et dernier motif d’immigration cité par l’auteur, il renvoie à des raisons professionnelles : échange culturel ou affectation diplomatique pour une durée déterminée.
De même, certains enfants allophones sont nés en France et dans ce cas, ils ont un certain nombre de points communs avec les enfants français « ordinaires ». Bien que leur culture d’origine et leur langue maternelle véhiculent des normes et des valeurs spécifiques, la langue et les codes culturels français ne leurs sont pas inconnus. Mais d’autres enfants, eux, ne sont pas nés en France. Ils y arrivent plus ou moins tôt dans des conditions parfois difficiles. Ils n’ont eux, aucune connaissance, ni de la langue, ni des codes culturels français.17
Dès lors, tous les enfants qui arrivent en France ne sont pas issus des mêmes milieux socioculturels. Tous ont une histoire différente. Celle, par exemple, d’une petite fille arrivée en France parce qu’un de ses parents a été nommé dans un consulat, n’a rien à voir avec celle d’un petit garçon qui a fuit, avec sa famille, un pays en guerre. Un moment d’adaptation plus ou moins long est alors nécessaire à chaque enfant pour pouvoir « faire le deuil » de sa vie passée : sa maison, ses amis, parfois sa famille, ses activités, le climat, la nourriture, etc. Cependant, le fait de partager les expériences de chacun permet à ces enfants immigrés de construire leur identité.
Des rapports spécifiques au français
La langue française dans le pays d’origine
Selon les situations, les enfants qui arrivent à l’école peuvent avoir déjà acquis des rudiments de français. C’est ce qu’explique Michèle Verdelhan-Bourgade dans son ouvrage Le français langue seconde : un concept et des pratiques en évolution. 18 En effet, dans certains pays comme au Cameroun, le français peut-être la langue officielle même si elle n’est pas parlé quotidiennement. Dans d’autres cas, au Maroc ou en Tunisie par exemple, le français est une langue d’origine étrangère mais privilégiée par les habitants car elle véhicule certaines valeurs. Le français est également la langue parlée dans certaines provinces (au Canada, en Suisse, en Belgique) ou dans certains milieux sociaux, la bourgeoisie égyptienne par exemple. Et puis, en France ou au Québec, le français est la langue pratiquée et enseignée.
En conséquence, lorsqu’ils arrivent dans l’hexagone, les enfants ayant déjà pratiqué le français doivent accepter d’approfondir leurs compétences langagières. Quant aux autres qui n’ont jamais côtoyé la langue française, selon leurs capacités et la proximité de leur langue maternelle avec le français, ils doivent tout apprendre. Chaque enfant allophone progresse donc différemment dans l’apprentissage de la langue française.
Les différentes langues
Tout au long de ce mémoire, les notions de langues maternelle, étrangère, seconde, de scolarisation, etc. vont être mentionnées. Aussi, nous nous attacherons dans cette partie à caractériser chacune d’entre elles. Pour cela, nous prendrons appui sur les définitions du document d’accompagnement des programmes, Le langage à l’école maternelle.
La langue maternelle est « la langue dans laquelle l’enfant baigne avant la naissance et qu’il acquiert dès le berceau par interaction avec sa famille. »19 C’est en fait la première langue à laquelle l’enfant est confronté : sa langue d’origine, celle de la maison aussi appelée langue 1 par Nathalie Auger20.
La langue étrangère constitue une « langue non-maternelle, acquise de manière décalée dans le temps par rapport à la langue maternelle et hors de son aire d’usage. »21 Suivant cette définition, la langue étrangère est alors apprise postérieurement à la langue maternelle. Et, l’expression « hors de son aire d’usage » renvoie au fait que la langue étrangère n’est pas pratiqué dans la vie quotidienne. Elle est employée seulement dans les moments où on l’apprend.
La langue de scolarisation représente elle, « la langue apprise à l’école et qui sert de manière prépondérante voire exclusive dans le système scolaire fréquenté. La langue de l’école est faite d’actes de langage et d’un lexique qui peuvent ne pas être indispensables dans la vie ordinaire. »22 C’est-à-dire que l’école met en avant une langue spécifique qui ne correspond pas forcément à celle utilisée par les enfants dans la vie courante.23
Le terme de langue seconde est également employé par certains auteurs mais sa signification est fluctuante. Certains l’utilisent pour désigner une langue apprise en deuxième, après la langue maternelle. D’autres, comme Jean Pierre Cuq24, l’utilisent pour désigner le français parlé dans les anciennes colonies. Là-bas, le français n’est pas la langue maternelle, mais il n’est pas non plus une simple langue étrangère. Il renvoie au passé, à l’histoire même du pays. De ce fait, la langue seconde peut être synonyme de langue étrangère, de langue de scolarisation ou bien de langue ayant un statut particulier.
Le développement du langage chez les élèves allophones
Quand les enfants allophones entre dans le système scolaire français, ils sont confrontés à la langue française à l’école mais, en famille, communiquent dans leur langue maternelle. Pour autant, les enfants allophones bénéficient d’un développement similaire à celui des enfants français dans leur langue maternelle.25
Aussi, ils ne se trouvent pas en échec lorsqu’ils arrivent à l’école : ils ont des compétences langagières dans leur langue maternelle. Toutefois, n’ayant jamais côtoyé le français auparavant, ils n’ont pas développé ces mêmes compétences en français. Au fur et à mesure de leur scolarité, ils vont donc acquérir ce que leurs camarades français avaient acquis beaucoup plus tôt. Puis, au fil des années, voire des mois, ce décalage s’amenuisera. D’ailleurs, comme l’explique Jean Charles Rafoni 26, après quatre mois de scolarisation, la plupart des enfants allophones commencent déjà à parler français entre eux (fratrie, copains, voisins, etc.). Et, au bout de deux ans, ceux-ci s’expriment davantage en langue française que dans leur langue maternelle.
Le plurilinguisme : une construction complexe
La culture du pays d’accueil : une limite à l’ouverture
En premier lieu, il est essentiel de rappeler que chaque culture porte des valeurs spécifiques. Les français ont ainsi une certaine vision de l’intégration et de la réussite qui ne correspond pas à la vision que s’en font les autres pays du monde. Mais « chacun voit pourtant son système linguistique et social comme une série d’évidences et a de grandes difficultés à analyser les particularités de son propre système en regard d’autres langues-cultures. »27 Nathalie Auger pointe là, la difficulté que rencontre chaque être humain pour appréhender l’inconnu. Tout d’abord parce qu’il est nécessaire d’être conscient des spécificités de sa propre culture et donc, de ses propres représentations. Or, c’est cette condition qui rend possible une meilleure compréhension des autres et des situations inhabituelles.
Sans ce travail sur notre propre vision du monde, des amalgames peuvent vite émerger. Par exemple, les français ont tendance à considérer la langue italienne comme une langue « chantante ». Pour autant, cela ne signifie pas que les italiens chantent plus que les français ou qu’ils fassent davantage la fête. Seulement, les sonorités et intonations très différentes de celles de la langue de Molière, évoquent le chant aux français.
Le plurilinguisme : un obstacle à la réussite ?
La valorisation du plurilinguisme
Le fait de parler plusieurs langues n’est pas toujours valorisé par la société. Selon Nathalie Auger, celle-ci envisage couramment le monolinguisme comme un facteur de réussite, contrairement au plurilinguisme.28 Cette idée est d’ailleurs confirmée par Thao Tran-Minh dans son article « Perspectives renouvelées autour des ELCO : la parole aux enfants alloglottes »29 : « Pour les parents et les enseignants, la seule langue de promotion sociale est le français. » Par conséquent la langue maternelle est jugée inutile voire gênante pour s’insérer dans la société. Dans la présentation du périodique Le français aujourd’hui, langue(s) et intégration scolaire de mars 200930, les auteurs mettent en avant les processus d’acculturation et d’inculturation induits par la scolarisation des enfants allophones. Selon ces auteurs, l’école incite les enfants à s’éloigner de leur culture d’origine pour s’adapter au mieux à la culture française.
En outre, certains stéréotypes sur le bilinguisme perdurent31 :
• Lorsqu’un individu maitrise mal deux langues, à l’oral et à l’écrit, alors son bilinguisme est considéré comme un obstacle à l’apprentissage du français. Il est en fait assimilé à un handicap.
• Il n’existe aucune interférence possible entre deux langues. Aussi, aucune des compétences acquises dans la langue maternelle ne pourrait aider à l’apprentissage une nouvelle langue.
• Une personne bilingue possède deux identités distinctes. Selon ce raisonnement, la langue serait alors le seul facteur pris en compte dans la construction de l’identité.
« La valeur des langues »
Comme nous l’avons exposé plus haut, les personnes plurilingues ne sont pas toujours valorisées par la société. En France, pays monolingue depuis la révolution française, beaucoup de malentendus et de préjugés persistent. Toutefois, ces malentendus et préjugés varient du tout au tout en fonction des langues pratiquées. Dans les représentations sociales, il est ainsi possible d’établir une certaine hiérarchie des langues. C’est pourquoi plusieurs auteurs utilisent l’expression suivante : « la valeur des langues ».
Déjà, en 1982, Bourdieu32 constatait que les représentations des langues dépendaient de plusieurs critères. D’abord, d’un critère économique : les langues anglaise ou chinoise étant privilégiées dans les activités commerciales ou financières, elles sont très valorisées par la société. Deuxièmement, des critères affectifs, politiques ou historiques valorisent les langues parlées dans un secteur géographique restreint. C’est le cas de l’espagnol dans les Pyrénées par exemple. Puis, des critères liés aux origines des langues expliquent pourquoi certaines sont considérées comme plus simples à apprendre que d’autres. En France par exemple, il est fréquent d’entendre un individu dire que l’espagnol est plus facile que l’allemand.
L’ensemble de ces considérations affectent aussi le cadre scolaire. Le bilinguisme n’y est généralement pas considéré comme facteur de réussite pour les enfants allophones, alors qu’il l’est pour les enfants des classes européennes et des sections bilingues. De plus, les textes officiels, destinés aux enfants allophones, mettent en avant une approche traditionnelle selon laquelle la maitrise de la langue française permet l’intégration. De ce fait, les enseignants, eux unilingues, ont tendance à penser que le monolinguisme est la norme ainsi qu’à différencier les langues d’immigration des langues européennes.33
Pourtant, comme l’a écrit Nathalie Auger, « la parole est un signal sonore qui peut être matérialisé par un tracé sur un écran d’ordinateur. Cette langue n’est donc ni meilleure, ni plus simple, raffinée ou dangereuse qu’une autre. Elle est langue. »34 Et ce d’autant plus que les langues évoluent. Aucune langue vivante n’est figée dans le temps.
En outre, il est impossible d’ignorer ce que l’enfant a vécu avant d’arriver à l’école. Ceci contribue inexorablement à son bien être, à son développement intellectuel ainsi qu’à sa construction identitaire. C’est ce que nous rappelle Andrea Young dans le numéro 55 de La nouvelle revue de l’adaptation et de la scolarisation.35
Le plurilinguisme en contexte scolaire
Les enfants non francophones ne doivent pas être considérés comme des élèves en difficulté. Lorsqu’ils se trouvent dans l’incapacité de réaliser une tâche, plusieurs raisons peuvent l’expliquer : mauvaise compréhension des consignes, activité inhabituelle, technique nouvelle, etc. Présentée et expliquée dans la langue maternelle de l’enfant, la situation ne lui aurait pas forcément posée problème. En fait, les élèves allophones se trouvent en difficulté parce qu’ils n’ont pas les codes et la langue nécessaires pour comprendre, se faire comprendre et montrer l’étendue de leur capacités. De ce fait, les obstacles qui se dressent devant eux n’ont rien à voir avec ceux des élèves ayant des difficultés durables et/ou sévères.
Un plurilinguisme ou plusieurs unilinguismes en parallèle ?
Plusieurs études scientifiques montrent que peu d’enfants allophones vont évoluer vers un bilinguisme équilibré.36 D’une part, le langage de scolarisation et celui utilisé dans le contexte extrascolaire sont envisagés séparément dans les textes officiels. Et d’autre part, les élèves eux-mêmes ne considèrent pas le bilinguisme comme un atout.37 En effet, ils ont tendance à concevoir leur langue maternelle comme une langue personnelle, destinée exclusivement à l’usage familial.38 De plus, ces enfants imaginent leur avenir en France. Ils pensent davantage à s’intégrer dans la société française qu’à leurs origines car ils ne se sentent pas, comme leurs parents, « héritiers d’un passé familial ».39 En conséquence, les enfants allophones cloisonnent leurs deux langues et développent en parallèle, deux unilinguismes plutôt qu’un plurilinguisme.
Le plurilinguisme : un atout
Définitions
Le monolinguisme, ou unilinguisme, correspond au fait de ne parler qu’une seule langue. Au contraire, le multilinguisme lui, met en exergue la capacité d’une personne à pratiquer couramment plusieurs langues.
Le bilinguisme, selon Nathalie Auger40, correspond à la capacité d’utiliser deux langues dans des situations de communication réelles. La maitrise de ces deux langues étant évaluée par la capacité de l’individu à se faire comprendre, elle est variable. De même, le bilinguisme d’une personne évolue avec le temps. Il n’est pas figé.
Quant au plurilinguisme, le CECRL le définit comme la capacité à « s’intercomprendre ». Cela signifie qu’il ne vise pas l’acquisition de plusieurs langues distinctes mais la faculté de « puiser dans un répertoire de savoir-faire et de connaissances dans plusieurs langues pour faire face aux situations de communication les plus variées. »41 Ainsi, il ne s’agit pas de cumuler la pratique de plusieurs langues mais de les comparer.
Les avantages du plurilinguisme
Des compétences transférables d’une langue à l’autre
Une multitude d’études réalisées concluent que les compétences acquises par les enfants dans leur langue maternelle ne sont pas préjudiciables pour apprendre une nouvelle langue. L’enfant possède effectivement des compétences langagières dans sa langue maternelle qu’il va pouvoir transférer à la nouvelle langue qu’il apprend. Et ce, tant sur le plan oral que sur le plan écrit.42 C’est d’ailleurs ce qu’estimait Vygotsky : dans sa langue maternelle, l’enfant a déjà donné du sens à beaucoup d’objets et de concepts. Aussi, lorsqu’il apprend une nouvelle langue, il n’a pas à acquérir de nouvelles notions, ou très peu. Il lui suffit d’assimiler un mot ou une expression à ce qu’il connait déjà. Cummins, en 2001, soutenait alors que les enfants allophones développaient nombres de capacités linguistiques et intellectuelles.43
De ce fait, les textes officiels préconisent aujourd’hui la valorisation des compétences de l’enfant dans sa langue maternelle. 44 C’est pourquoi Cummins recommande de présenter aux enfants allophones, des activités articulant leur langue maternelle avec la langue française. Mais également, de proposer des activités dans diverses langues dès le début de la scolarité. Les enfants bénéficieraient ainsi d’une meilleure compréhension des processus langagiers.
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Table des matières
Introduction
Des enfants allophones en classe de Petite Section
A. Les enjeux de l’école maternelle
I. L’intégration dans un groupe
II. L’acquisition du langage
B. Le développement du langage chez les enfants
C. Les élèves allophones
I. Plusieurs profils
II. Le plurilinguisme : une construction complexe
III. Le plurilinguisme : un atout
IV. Désignation des élèves non-francophones
D. Les préconisations pédagogiques
I. L’Europe et la France, terres d’accueil depuis longtemps
II. Les apports des différentes approches du français
III. Les préconisations pédagogiques actuelles
Investigations menées en classe
A. Le contexte
I. La classe et les élèves
II. L’organisation de la classe
B. Le recueil des données
I. Les trois objets d’études
II. Le dispositif de recueil de données
C. Les évolutions observées
I. L’entrée en communication
II. De l’utilisation de la langue maternelle…
III. … Á l’utilisation de la langue française
IV. Des apprentissages culturels
Conclusion
Index des sigles utilisés
Bibliographie
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