Leucémie Lymphoïde Chronique
Epidémiologie
La LLC est la plus fréquente des leucémies dans les pays occidentaux (30%) alors qu’elle est rare en Afrique et en Asie (5%) [5–8]. Aux Etats Unis, environ 15000 nouveaux cas sont diagnostiqués par année [7]. En France, en 2012, on estimait à 4664 le nombre de nouveaux cas diagnostiqués dont 60% survenaient chez l’homme. L’incidence standardisée sur la population mondiale est de 4,4/100000 personnes/année chez l’homme et 2,2/100000 personnes/année chez la femme, soit un sex-ratio de 2. La LLC est une pathologie du sujet âgé. En effet, l’incidence augmente avec l’âge passant chez l’homme de 1,2/100000 entre 40 et 44ans à 52,5/100000 entre 90 et 94 ans ; et chez la femme de 0,5/100000 à 22,6/100000 [7]. Cependant, 14% des patients atteints de LLC ont moins de 55 ans [8].
Facteurs de risque
L’étiologie de la LLC reste à ce jour inconnue [7,9]. Les facteurs environnementaux ne semblent pas jouer un rôle important dans la survenue de la maladie. La LLC serait la seule leucémie pour laquelle il n’a pas été mis en évidence de corrélation entre l’exposition à des irradiations ou à des composants chimiques [10]. A l’inverse, les facteurs génétiques semblent jouer un rôle dans la pathogénie de la maladie. En effet, des études épidémiologiques ont montré l’existence dans 5 à 10% des cas de LLC d’une prédisposition familiale [11,12] avec un risque relatif 8,5 fois plus élevé chez les descendants de patients porteurs de la maladie comparée à la population générale [13–15] avec une apparition précoce de la maladie et une évolution plus sévère [16,17].
Physiopathologie
En dépit des considérables avancées dans la compréhension des mécanismes intimes de développement de la cellule leucémique de la LLC, cette pathologie demeure une maladie mal cernée sur le plan physiopathologique.
Origine de la cellule B CD5+ dans la LLC
L’équivalent normal du lymphocyte B CD5+ de la LLC a été retrouvé au niveau du ganglion sur la bordure du centre germinatif puis dans la rate et les amygdales. Il représente 15% des cellules B du sang normal [5]. La LLC semble ainsi avoir pour origine l’expansion d’un sous clone minoritaire de lymphocytes normaux dont certaines cellules ont subi une transformation maligne. La cellule de la LLC a longtemps été considérée comme dérivant d’un lymphocyte B naïf au repos. Cependant, des études génétiques et phénotypiques ont permis de mettre en évidence deux sous-groupes de LLC : l’un dérivant de lymphocytes B exprimant des gènes d’immunoglobulines mutés et correspondant à la prolifération de lymphocytes B ayant été en contact avec l’antigène dans le centre germinatif ; l’autre exprimant des gènes d’immunoglobulines non mutés et correspondant à la prolifération de lymphocytes B naïfs [5,18].
Rôle de l’apoptose
La LLC a longtemps été considérée comme une maladie cumulative des lymphocytes B bloqués en phase G0 du cycle cellulaire. Il est bien établi que dans la LLC, il existe une dérégulation de l’apoptose en rapport avec des altérations géniques et des changements dans l’expression de nombreux régulateurs apoptotiques [19,20]. Deux principales voies d’apoptose sont connues (Figure1A) et dans la LLC c’est essentiellement la voie de la caspase 9 (voie intrinsèque) qui est en cause. Il existe plusieurs régulateurs de l’apoptose, en particulier les protéines de la famille Bcl-2. Elles sont caractérisées par la présence de 1 à 4 séquences courtes appelées domaines BH (Bcl-2 Homology). Plus de 20 molécules de la famille Bcl-2 ont été identifiées, réparties en 3 sous familles (Figure 1B) : le sous-groupe anti apoptotique (Bcl-2, Bcl-xl et Mcl-1) avec 4 domaines BH ; le sous-groupe pro apoptotique (Bax, Bak et Bok) avec 3 domaines BH et le 3 ème sous-groupe, également pro-apoptotique (Bim, Bad, Bid) avec un seul domaine BH.
Ainsi, une des caractéristiques de la cellule de la LLC est l’hyperexpression de la protéine Bcl-2, conférant à la cellule une résistance à l’apoptose. Cependant, les mécanismes de cette hyperexpression de Bcl-2 restent à éclaircir. Deux interrogations peuvent être émises. D’une part, cette hyperexpression de Bcl-2 serait-elle acquise durant la leucémogenèse ou bien au contraire la LLC trouverait-elle son origine à partir de cellules hyperexprimant cette protéine ? D’autre part, cette résistance à l’apoptose serait-elle autonome (en rapport avec des altérations géniques ou épigénétiques des régulateurs de l’apoptose) ou serait-elle liée à des signaux de l’environnement reçus par la cellule leucémique ? [1,2] Des études ont montré que dans la majorité des cas, la région du promoteur du gène Bcl-2 est hypométhylée, ce qui peut contribuer à une augmentation de la transcription de la protéine Bcl-2 [21]. Egalement, les miRNAs, nouvelle classe de gènes non codants impliqués dans la tumorogenèse humaine, apportent une réponse au moins partielle aux mécanismes de l’hyperexpression de Bcl-2. En effet, des auteurs ont montré que deux miRNA (miR-15a et miR-16-1) qui sont des régulateurs négatifs de Bcl-2 sont délétés ou hypoexprimés au cours de la LLC [22,23]. Par ailleurs, l’apoptose spontanée rapide des cellules de la LLC lorsqu’elles sont cultivées in vitro pourrait laisser croire que l’environnement joue un rôle important dans ces mécanismes de résistance à l’apoptose. Parallèlement à Bcl-2, il a été rapporté des anomalies dans l’expression d’autres protéines de la famille Bcl-2 telles que Mcl-1 et Bax qui appartiennent respectivement aux sous-groupes anti-apoptotique et pro-apoptotique. En effet, l’hyperexpression de Mcl-1 et/ou une diminution de l’expression de Bax seraient associées à une résistance à l’apoptose et à une progression rapide de la maladie [24–27]. Les anomalies observées dans l’expression des protéines de la famille Bcl-2 jouent ainsi un rôle majeur dans la pathogénie de la LLC notamment dans la résistance à l’apoptose. Toutefois, il faut noter que d’autres régulateurs classiques de l’apoptose tels que la protéine p53 et l’ATM peuvent être altérés au cours de la LLC [28,29]. En effet, le gène de la p53, régulateur négatif de la croissance cellulaire, est muté dans 15% des cas de LLC [5].
Rôle de la prolifération cellulaire
En plus des anomalies de l’apoptose observées chez tous les patients atteints de LLC, il y a beaucoup d’arguments témoignant de l’existence probable d’une part proliférative dans la population leucémique. En effet, des études ont été réalisées in vivo, utilisant des techniques de marquage avec l’eau deutériée [30].
Ces études ont permis de mettre en évidence un compartiment prolifératif dans la moelle osseuse et dans les ganglions au niveau des centres de prolifération ou pseudo-follicules. En outre, ce compartiment prolifératif a été quantifié avec un taux de croissance entre 0,1 et 1% du clone par jour ; ce qui correspond à 10⁹ à 10¹⁰ cellules leucémiques fabriquées par jour pour un patient qui possède entre 10¹² cellules leucémiques [1]. D’autres auteurs estiment que moins de 5% des cellules B de la LLC sont en prolifération à tout instant [3]. Parallèlement, il y aurait une association entre un taux de croissance cellulaire actif et une maladie rapidement progressive.
Cette part proliférative dans la population leucémique est variable d’un patient à l’autre et se traduit par la variabilité des présentations cliniques et une hétérogénéité des marqueurs biologiques qui lui sont reliés. Certains de ces marqueurs ont une valeur pronostique : le temps de dédoublement de la lymphocytose ; l’augmentation du taux sérique de la thymidine kinase et du CD23 soluble ; la présence de marqueurs d’activation tels que le CD38 et l’expression de la protéine ZAP70. Le phénomène de croissance cellulaire peut être mis en évidence par l’expression par les cellules leucémiques de certains marqueurs des cellules en cycle tel que le Ki67. Il s’agit d’une protéine nucléaire de 360kDa présente dans les cellules prolifératives en phase G1, S, G2 et M.
Autres facteurs
Rôle du microenvironnement
La résistance à l’apoptose in vivo qui définit la maladie, et à l’inverse l’augmentation de l’apoptose spontanée lorsque les cellules sont cultivées ex-vivo impliquent que ces cellules ont perdu des facteurs nécessaires à leur survie.
Rôle de la stimulation antigénique par le BCR
De nouvelles données suggèrent que la stimulation antigénique est un facteur de promotion qui entraîne la prolifération des cellules de la LLC et qui permet d’éviter l’apoptose [1]. La nature des antigènes reste encore inconnue, mais il est possible que des virus latents ou des bactéries commensales activent répétitivement des clones de cellules B particuliers par leur BCR. La LLC serait alors une conséquence directe ou indirecte d’infections spécifiques et serait entretenue par elles, d’une manière semblable à ce qui a été décrit pour les lymphomes gastriques qui évoluent en réponse à Hélicobacter pylori.
Alternativement, des antigènes de l’environnement ou des auto-antigènes pourraient entraîner une expansion clonale des cellules B.
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Table des matières
INTRODUCTION
PREMIERE PARTIE
1. Leucémie Lymphoïde Chronique
1.1. Epidémiologie
1.2. Facteurs de risque
1.3. Physiopathologie
1.3.1. Origine de la cellule B CD5+ dans la LLC
1.3.2. Rôle de l’apoptose
1.3.3. Rôle de la prolifération cellulaire
1.3.4. Autres facteurs
1.4. Diagnostic
1.4.1. Diagnostic positif
1.4.2. Diagnostic différentiel
1.5. Pronostic
2. Immunocytochimie
2.1. Principe de l’immunoréaction
2.2. Différents types de méthodes immunocytochimiques
2.2.1. Méthode directe
2.2.2. Méthodes indirectes ou à plusieurs étapes
DEUXIEME PARTIE
1. Méthodologie
1.1. Type et cadre d’étude
1.2. Echantillonnage
1.3. Paramètres étudiés
1.4. Méthodes d’analyse
1.5. Analyse statistique
2. Résultats
2.1. Caractéristiques épidémiologiques des patients
2.2. Hémogramme
2.3. Pourcentage d’ « ombres de Gümprecht »
2.4. Stade de Binet
2.5. Immunophénotypage (Score de Matutes et expression de CD38)
2.6. Immunocytochimie
3. Discussion
CONCLUSION
REFERENCES