L’étude de l’eau dans le manteau terrestre
Structure et hydratation du manteau
Le manteau terrestre représente environ 70 % de la masse de la Terre, et la quasi-totalité de la Terre silicatée. Sa partie supérieure, située sous la croûte terrestre, représente environ un sixième de la masse de la Terre et est composée majoritairement (à environ 60%) d’olivine ou de ses polymorphes de haute pression que sont la wadsleyite et la ringwoodite. Les autres minéraux composant cette partie du manteau varient aussi en fonction de la profondeur (voir figure 1-1), passant d’un assemblage d’orthopyroxène, de clinopyroxène et de plagioclase à un assemblage d’orthopyroxène, de clinopyroxène, et de spinelle, lequel disparaît pour être ensuite remplacé par le grenat. Les pyroxènes disparaissent progressivement au profit du grenat en formant un grenat contenant un excès de silicium appelé majorite. Cette majorite commence à se déstabiliser à la base du manteau supérieur principalement en CaSiO3 de structure pérovskite. Le fait important à retenir est qu’aucun des minéraux présents dans le manteau supérieur n’est hydraté, au sens qu’aucun ne possède normalement de groupes OHou H2O dans sa structure, ils sont donc dits nominalement anhydres. Plusieurs éléments indiquent cependant la présence d’une source d’eau dans le manteau, que ce soit à cause de la présence d’eau dans les différents produits de volcanisme. De plus, la température du manteau se trouve être largement inférieure au solidus de la péridotite sèche (Andrault et al. 2018), ce qui implique la présence de volatils permettant d’abaisser cette température de fusion (Freitas et al. 2017). L’eau présente et stockée dans le manteau supérieur est en immense majorité contenue dans les défauts cristallins de phases nominalement anhydres (voir par exemple Kohlstedt et al. 1996, Peslier 2010 et Demouchy & BolfanCasanova 2016). La présence d’eau dans ces défauts, contrairement à une eau « structurelle », dépend de nombreux paramètres comme la composition du minéral, la fugacité en eau, la température, ou la pression. Les capacités de stockage de ces phases, une fois rapportés à l’échelle du manteau supérieur, font de ce dernier un réservoir majeur de l’eau terrestre, avec une quantité d’eau totale d’au moins la masse totale des eaux de surface.
L’olivine
La principale phase du manteau supérieur, l’olivine, peut contenir une quantité très variable d’eau, de quelques ppm à basse pression à environ 9000 ppm vers la transition d’olivine à wadsleyite (Smyth et al. 2006). Sa capacité de stockage est très dépendante de la pression, et de la composition, de la température, de la présence de carbone et de la ƒO2 (Férot & BolfanCasanova 2012, Sokol 2010, Yang 2014, 2015 et 2016). La solubilité de l’eau dans l’olivine varie ainsi d’environ 40 ppm à 1 GPa à 180 ppm à 7 GPa, en conditions réductrices et en présence de carbone, et de 90 ppm à 1 GPa à 385 ppm à 7 GPa en conditions oxydantes en absence de carbone, soit une différence de solubilité d’un facteur 2,3 (Yang 2015). L’effet d’un fluide carboné oxydé et le même, mais légèrement plus faible. À plus haute pression, la solubilité de l’eau dans l’olivine continue d’augmenter, atteignant son maximum au niveau de la transition d’olivine à wadsleyite. L’effet de la température sur la solubilité de l’eau dans l’olivine est double, avec d’abord un effet positif, augmentant la solubilité de l’eau (voir Sokol et al. 2010), puis la solubilité de l’eau diminue lorsque la fusion apparaît, diminuant drastiquement l’activité de l’eau par effet de dilution, l’eau étant un composé incompatible (ayant une forte affinité pour les liquides, voir Aubaud et al. 2004, Hirschmann et al. 2009).
La wadsleyite
La wadsleyite est le premier polymorphe de haute pression de l’olivine, et occupe la même fraction massique que cette dernière dans la zone de transition du manteau supérieur, entre 410 et 530 km . La limite entre olivine et wadsleyite marque le début de la zone de transition, qui se poursuit jusqu’à la décomposition de la ringwoodite à 670 km, la limite avec le manteau inférieur. La wadsleyite a une structure cristalline très proche de celle de l’olivine, mais peut contenir bien plus d’eau que l’olivine, jusqu’à un maximum de 3,3 % en masse en conditions idéales (Inoue et al. 1995). Si la température semble avoir un effet important sur la solubilité de l’eau dans la wadsleyite, diminuant sa teneur en eau quand la température augmente (à cause de la fusion), la pression ne semble pas avoir d’effet significatif (Demouchy et al. 2005). Frost & Dolejš (2007) suggèrent que les basses températures ont plusieurs effets, qui sont d’augmenter le champ de stabilité de la wadsleyite vers les basses pressions (passant de 13,9 à 12,4 GPa entre 1400 et 1200 °C) et d’augmenter la gamme de stabilité simultanée d’olivine et de wadsleyite (zone qui augmente de 0,2 GPa à 0,7 GPa de 1400 à 1200 °C).
Les pyroxènes
La solubilité de l’eau dans les pyroxènes a aussi été étudiée ces derniers représentant jusqu’à 20 à 30 % de la masse du manteau sur une grande gamme de pressions. Aux profondeurs où la solubilité de l’eau dans l’olivine est basse, celle des pyroxènes s’affiche comme nettement supérieure, devenant une phase majeure pour le stockage de l’eau dans le haut du manteau supérieur. À des pressions où la capacité de stockage de l’eau de l’olivine se situe autour de 100 ppm, les orthopyroxènes atteignent 200 à 300 ppm, et les clinopyroxènes atteignent 400 à 1000 ppm d’eau (Peslier 2010, Kovács et al. 2012), soit des concentrations respectivement 2 à 3 fois plus, et 4 à 10 fois plus élevées que celles de l’olivine. Dans la zone la plus superficielle du manteau, les orthopyroxènes riches en aluminium peuvent contenir une quantité significative d’eau, jusqu’à quelques milliers de ppm en masse à relativement basse température (800-1100 °C) à 1,5 GPa, mais cette solubilité diminue brutalement passés 2,5 GPa et 1250 °C, ne dépassant pas 100 ppm, rejoignant les capacités de stockage de l’enstatite (Mierdel et al. 2007, Férot & BolfanCasanova 2012). Lorsque la pression continue d’augmenter, les capacités de stockage de l’eau des pyroxènes augmente légèrement avec la pression mais leur fraction massique diminue au fil de leur incorporation dans le grenat (voir figure 1-1). Ceci induit que l’olivine devient rapidement la phase principale pour le stockage de l’eau, essentiellement grâce à sa fraction massique plus élevée dans le manteau, puis grâce à sa capacité de stockage devenant petit à petit supérieure à celle des orthopyroxènes vers le milieu du manteau supérieur et atteignant ensuite celle des clinopyroxènes en s’approchant de la zone de transition. L’olivine devient ainsi la phase majeure pour le stockage de l’eau à 410 km, alors que les pyroxènes tendent de plus en plus à être absorbés dans le grenat (Demouchy & Bolfan-Casanova 2016, voir figure 1-2). La concentration en eau des pyroxènes ne varie pas lors de la transition d’olivine vers la wadsleyite, mais deviennent probablement dès cet instant des phases assez mineures en termes de stockage de l’eau à côté de la wadsleyite.
Autres phases nominalement anhydres
Le contenu en eau des grenats a été étudié surtout à basses pressions (moins de 4 GPa), et reste globalement très bas comparé aux autres phases présentes, avec des concentrations de moins de 10 ppm (Peslier 2010). Des valeurs plus élevées ont été obtenues expérimentalement, avec des concentrations de 100 à 200 ppm à basses pressions (vers 3 GPa), puis augmente jusqu’à 200 à 400 ppm, voire 1000 ppm (Lu & Keppler 1997, Withers et al. 1998, Novella et al. 2014). Il est à noter que les compositions observées varient énormément d’une étude à l’autre, principalement à cause de la grande variabilité chimique du grenat (pyrope, grossulaire, majorite). À basse pression, les spinelles présents sont globalement considérés comme anhydres, et ne constituent de plus qu’une fraction assez minime du manteau, avec environ 5 % de la totalité du manteau dans son étroite zone de stabilité (de 30 à 60 km, voir figure 1-1). Les plagioclases, n’existent globalement dans le manteau que dans une partie superficielle à moins de 30 km de profondeur, et surtout vers les dorsales océaniques. Leur contenu en eau, de l’ordre de la centaine de ppm (Yang 2012), n’a que peu d’impact sur le stockage de l’eau dans le manteau supérieur, du fait de la faible zone de stabilité des plagioclases dans le manteau, représentant environ 10 % de la masse des quelques zones dont la profondeur est inférieure à 30 km.
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Table des matières
Introduction générale
Objectifs
Chapitre 1 : L’étude de l’eau dans le manteau terrestre
1.1 Structure et hydratation du manteau
1.1.1 L’olivine
1.1.2 La wadsleyite
1.1.3 Les pyroxènes
1.1.4 Autres phases nominalement anhydres
1.1.5 Nature et composition des fluides
1.2 Étude de l’eau dans les minéraux nominalement anhydres
1.2.1 Sonde ionique (SIMS)
1.2.2 ERDA
1.2.3 Spectroscopie FTIR
1.2.4 Diffraction de neutrons
1.3 Développements de la spectroscopie Raman
Chapitre 2 : Synthèse et caractérisation des échantillons
2.1 Conditions expérimentales
2.2 Assemblage
2.3 Matériaux de départ
2.3.1 Les capsules
2.3.2 Le tampon de ƒO2
2.3.3 L’échantillon
2.3.4 Analyseur élémentaire
2.4 Préparation des échantillons
2.5 Microscope électronique à balayage
2.6 Microsonde
Chapitre 3 : Spectroscopie Raman
3.1 Principes généraux et différences entre FTIR et Raman
3.2 Identification des phases
3.2.1 Wadsleyite
3.2.2 Olivine
3.2.3 Clinoenstatite
3.2.4 Diopside
3.2.5 Majorite
3.2.6 Magnésite
3.2.7 Autres phases
3.3 Quantification de l’eau au Raman
3.4 Estimation des erreurs et incertitudes
3.4.1 Synthèse et mesures sur cristaux orientés
3.4.2 Identification des sources d’incertitudes
3.4.3 Calculs d’erreurs analytiques
3.5 Établissement de calibrations pour l’olivine et la wadsleyite
3.5.1 Échantillons utilisés
3.5.2 Résumé des mesures
3.5.3 Olivine
3.5.4 Wadsleyite
Chapitre 4 : Étude expérimentale de l’effet de la ƒO2 sur H2O et CO2
4.1 Étude des cartes chimiques et des cartes de phases
4.1.1 Phases observées et leur répartition
4.1.2 Répartition des taux de fusion
4.1.3 Proportions initiales de poudres et répartition des phases
4.2 Compositions chimiques des différentes espèces minérales
4.2.1 Wadsleyite et olivine
4.2.2 Clinoenstatite
4.2.3 Diopside
4.2.4 Majorite
4.2.5 Magnésite
4.3 Compositions totales et bilans de masse
4.3.1 Estimation des compositions initiale et finale
4.3.2 Calculs de bilan de masse de composition des liquides
4.3.3 Influences de la température, de la ƒO2 et du carbone
4.4 Mesure de l’eau
4.4.1 Résumé des mesures : olivine et wadsleyite
4.4.2 Effets de la température et de la ƒO2 dans les expériences sans carbone
4.4.3 Effet du carbone
4.5 Interprétations
Chapitre 5 : Discussion
5.1 Effet de la ƒO2 sur le solidus
5.2 Composition des liquides
5.3 Stockage et coefficients de partage de l’eau entre olivine et wadsleyite
5.3.1 Variation des concentrations en eau
5.3.2 Coefficients de partage de l’eau entre wadsleyite et olivine
5.3.3 Effets du carbone sur la solubilité en eau
5.3.4 Interprétations générales
5.4 Nature et effets de fluides H et C, contrôle de la ƒO2
Conclusions