L’ETRE HUMAIN FACE AUX COMPORTEMENTS A RISQUES
L’analyse des mouvements d’objets mobiles peut avoir de nombreuses fins d’utilisation, telles l’optimisation d’un espace géographique, ou la reconnaissance et la gestion des risques. Elle prend alors part à un processus plus long complexe, auquel elle vient apporter une contribution majeure pour la compréhension de la dynamique d’un système. Dans le premier chapitre de cette thèse, nous présentons de manière générale la notion de risques, ainsi que les différentes étapes dans la gestion et de l’analyse de ces risques, dans lesquels l’analyse de mouvements peut jouer un rôle.
De la gestion des risques à l’aide à l’analyse
Les processus de gestion des risques
Nous retrouvons plusieurs définitions du risque, qui donnent généralement un sens dual à ce concept. Le risque peut être vu comme un concept dual, qui comporte à la fois une dimension quantitative, par les pertes potentielles (vulnérabilité), et une dimension quantitative et probabiliste avec la probabilité que survienne un évènement dangereux (Dufour et Pouillot 2002). Dans le cadre de la maîtrise des accidents majeurs relatifs à des substances dangereuses, la directive européenne du 9 décembre 1996 (Seveso II) propose une définition du risque.
Probabilité qu’un effet spécifique se produise dans une période donnée ou dans des circonstances déterminées. En conséquence, un risque se caractérise selon deux composantes : la probabilité d’occurrence d’un événement donné, la gravité des effets ou conséquences de l’événement supposé pouvoir se produire (Journal Officiel 1997) .
La notion de probabilité se retrouve dans la majeure partie des définitions du risque. Une manière plus graphique d’appréhender le risque est la courbe de Farmer, régulièrement utilisée en gestion de risques. La courbe de Farmer a été mise au point par l’ingénieur nucléaire anglais Farmer : celle-ci permet de classer les risques selon leur occurrence et leur gravité (Farmer 1967). Les risques se répartissent selon une courbe décroissant en fonction de la gravité de ceux-ci, leur fréquence suivant donc une loi inverse. Trois domaines sont alors identifiés, comme nous le montre ce schéma : les risques à fréquence très élevés mais à faibles conséquences ; les risques à fréquence moyenne mais de gravité importante ; enfin, les risques majeurs (évènements incertains dont les conséquences négatives sont considérables) qui doivent être absolument évités. Sous cette courbe se situe la zone de l’acceptable, mais au-dessus de la courbe, il s’agit de la zone des risques non souhaités, interdits, telles que peut l’identifier l’industrie du nucléaire (International Atomic Energy Agency 2014).
Les deux axes de ce graphique sont régulièrement repris pour définir les risques, ainsi que les politiques de prévention et de gestion des risques et crises. En 2005, le secrétaire à la Sécurité intérieure des États-Unis, Michael Chertoff, définit l’ensemble des risques comme une matrice à trois dimensions. Cette matrice prend en compte : les menaces potentielles, la vulnérabilité des installations ou des organisations, et les conséquences qui peuvent être subies (McNicholas 2011). Cette définition du risque vient prolonger la définition de l’ISO du guide 73 (ISO 2009), selon lequel un risque est la combinaison de la probabilité d’un évènement et de ses conséquences (référence directe à la courbe de Farmer). Cette idée de matrice à trois dimensions montre la haute complexité des informations à prendre en compte lors de la modélisation des risques. On retrouve cette formule assez régulièrement, à la fois dans le monde opérationnel et dans le monde académique (Moteff 2005). Toutefois, son utilisation est encore sujet à plusieurs débats, sur l’optimisation de la réduction des risques (Cox 2008).
La boucle OODA : les cycles de décision militaires
A des fins militaires, le stratège américain John R. Boyd invente dans les années 60 un cycle de contrôle pour gérer le cycle des décisions en combat aérien (Boyd 1996). Ce cycle de Boyd, appelé aussi la boucle OODA, est composé de quatre phases successives : Observation, Orientation, Décision et Action (Observe, Orient, Decide, and Act).
● La phase d’observation correspond à l’acquisition et fusion des données «terrain», relatives au système contrôlé et aux évènements qui s’y déroulent.
● La seconde phase, l’orientation, est la base de la prise de décision. Il s’agit de la mise en commun de nombreuses personnes et de connaissances, au sein d’un système socio-culturel complet. Ce système est alors constitué de traditions, d’expériences et d’habitudes variées. Ce système hétérogène est souvent complexe à gérer, car la prise de décision dépend de la mise en commun de nombreux points de vue.
● La phase de décision consiste à choisir une hypothèse réalisable, pour gérer le cours d’un évènement. Cette décision aura été sélectionnée parmi plusieurs autres possibilités, jugées alors moins bonnes pour le cas d’utilisation.
● Cette hypothèse est ensuite testée et exécutée lors de la phase d’action. Une fois l’action effectuée, des changements seront provoqués sur le système contrôlé, nécessitant alors un retour d’expérience. Les nouvelles observations sont prises en compte, ce qui implique un nouvelle orientation et de nouvelles décisions.
La Défense française souligne le rôle fondamental des interfaces homme-machine (IHM) afin de raccourcir la durée de la boucle OODA, afin de limiter l’effet des limites cognitives de la perception humaine (Observatoire du Monde Cybernétique 2013). Le monde militaire doit faire face aux très nombreuses données, qui se trouvent être utilisées dans la boucle OODA et qui doivent donc être visualisées par l’homme. Il est alors fondamental de stimuler la compréhension visuelle de l’information par des interfaces cognitivement adaptées.
La limite de ce modèle de décision se trouve néanmoins à la frontière entre Orienter et Décider. En effet, une équipe de décideurs présentant de nombreux profils différents peut bloquer l’adoption d’une décision commune. S’en suit alors de nombreuses itérations entre l’observation et l’orientation, sans pouvoir passer à la phase de la décision. Cette limite est aussi connue comme le problème OO-OO OO (Ullman 2007). Malgré cette limite humaine à l’utilisation de ce cycle, cette boucle pour la prise de décision a joué un rôle majeur dans la tenue de situations et la maîtrise des risques. La partie suivante présente des modèles proches de la boucle OODA, proposés pour la maîtrise des risques dans le sens général. Nous pouvons ainsi constater que l’héritage militaire guide le contrôle des situations les plus risquées, quel que soit leur contexte.
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Table des matières
INTRODUCTION
Contexte : maritimisation de l’énergie
L’espace maritime, espace de rigueur, de liberté et de risques
Les acteurs de la « Sécurité et Sûreté de la Maritimisation de l’Energie »
Les outils pour la navigation et la surveillance maritime
Analyse et détection des comportements à risques : les systèmes de surveillance de nouvelle génération
Problématique de recherche : aide à l’analyse géovisuelle des données de mouvement
La visualisation, une approche anthropocentrique pour la prise de décision
L’espace géographique, support de l’analyse des mouvements
Une approche formelle pour la géovisualisation
Vers un environnement d’aide à l’analyse géovisuelle
Hypothèses et objectifs
Démarche de recherche
Structure de la thèse
CHAPITRE 1 – L’ETRE HUMAIN FACE AUX COMPORTEMENTS A RISQUES
1.1. De la gestion des risques à l’aide à l’analyse
1.1.1. Les processus de gestion des risques
1.1.2. De l’aide à l’analyse à la prise de décision
1.2. L’utilisateur et l’usage des nouvelles technologies
1.2.1. Les limites de la cognition humaine face à la visualisation
1.2.2. L’acceptation de nouvelles technologies
1.3. Le rôle de l’information géographique pour la gestion des risques
1.3.1. Le processus de raisonnement par la carte
1.3.2. L’analyse des données de mouvement par la visualisation
Conclusion du Chapitre 1
CHAPITRE 2 – ANALYSE GEOVISUELLE ET FORMALISATION DE LA VISUALISATION
2.1. De la représentation de données à l’analyse géovisuelle
2.1.1. Perception de l’information
2.1.2. La cartographie, moyen représenter l’information connue
2.1.3. La visualisation d’information : explorer pour découvrir l’inconnu
2.2. Modélisation formelle des méthodes de visualisation d’information
2.2.1. Modélisation des données
2.2.2. Modélisation des méthodes de visualisation
2.2.3. Utilisation de formalisation pour une visualisation automatisée
2.3. Formaliser des connaissances : recours aux ontologies
2.3.1. Définition générale des ontologies
2.3.2. Constitution d’une ontologie
2.3.3. Raisonnement : utilisation de règles et inférence
Conclusion du Chapitre 2
CHAPITRE 3 – CONCEPTION D’UN ENVIRONNEMENT D’AIDE A L’ANALYSE GEOVISUELLE POUR LES RISQUES MARITIMES
3.1. Méthodologie proposée
3.1.1. Un environnement d’aide à l’analyse géovisuelle
3.1.2. Un système à base de connaissances pour l’analyse géovisuelle appliquée au domaine maritime
3.1.3. Méthodologie de développement de l’ontologie
3.2. Modélisation des concepts d’intérêt
3.2.1. Domaines couverts par l’ontologie
3.2.2. Modélisation du contexte d’utilisation : le domaine maritime et la situation d’utilisation
3.2.3. Modélisation des environnements d’analyse géovisuelle
3.2.4. Lien entre l’utilisateur et la visualisation
3.2.5. Ontologie globale et instances développées
3.3. Modélisation des règles d’inférence : recherche de solutions pour l’analyse géovisuelle
3.3.1. Plan d’exécution des règles
3.3.2. Ensemble de règles développées : processus de raisonnement
Conclusion du Chapitre 3
CHAPITRE 4 – EXEMPLE D’UTILISATION DE L’ENVIRONNEMENT D’AIDE A L’ANALYSE GEOVISUELLE
4.1. Plateforme web de géovisualisation maritime : FishEye
4.1.1. Rôle de la plateforme
4.1.2. Exemples de visualisations
4.1.3. Interface d’utilisation de l’environnement d’aide à l’analyse géovisuelle
4.2. Expérimentation du module
4.2.1. Amélioration de la visualisation du trafic maritime
4.2.2. Un cas d’étude : collision de navires
4.2.3. Exploration et analyse des mouvements de navires
4.3. Performance du raisonneur ontologique
4.4. Retour sur la gestion des risques
4.5. Perspective d’amélioration du module
4.5.1. Ordre de proposition des visualisations
4.5.2. Auto-évaluation du profil utilisateur
Conclusion du Chapitre 4
CONCLUSION