L’Etrange destin de Wangrin, porteur d’un humanisme moderne ouvert sur la diversité

Mise en scène d’une diversité culturelle

La situation coloniale

« Noirs-noirs », « noirs-blancs » et « blancs-blancs », ou la hiérarchisation de la société coloniale : Le cadre de L’Etrange destin de Wangrin ou les Roueries d’un interprète africain est l’Afrique occidentale française. Les personnages évoluent dans ce contexte de domination politique, économique et culturelle. Cependant l’auteur, bien qu’il présente la colonisation, ne rentre pas dans un manichéisme qui opposerait les européens dominants et pilleurs de traditions d’une part, et d’autre part les Africains tournés vers les traditions subissant la modernité malsaine des occidentaux. Bien évidemment, il ne réfute pas la colonisation ni ses méfaits, il met en relief les rapports de forcemais montre, et c’est là que tient toute l’originalité d’Hampâté Bâ, que ces rapports peuvent s’inverser. En effet, certains comme le héros Wangrin vont savoir profiter de ce qu’apporte la colonisation comme la langue, pour contourner l’idéologie et influer sur la gestion des territoires et des peuples. De plus, l’interculturalité ne se joue pas que sur la couleur de peau -dans l’opposition traditionnelle blancs/noirs-, elle se retrouve également dans les rapports entre les Africains. L’auteur, et cela dès le départ, expose le contexte africain dans lequel s’installe la colonisation et notamment les rivalités, différences entre les ethnies qui cohabitent plus ou moins bien dans un territoire donné – il s’agit ici du territoire du roman. L’auteur adopte par certains égards un point de vue de sociologue, voire d’ethnologue, car décrit les fonctionnements, les modes de vie et de culture de ces peuples qui se côtoient, plus ou moins pacifiquement.
Le premier élément à noter dans le roman est la manière dont est décrite la société. Cette dernière est marquée par une forte hiérarchisation, et les individus sont divisés en trois classes. Celles-ci sont présentées dès le début du roman sous les appellations coutumières : « noirs-noirs », «noirs-blancs » et « blancs-blancs»  qui fonctionnent par synecdoque.
« Blanc-blanc » est utilisé pour parler d’un Français de souche expatrié travaillant pour l’administration ou le commerce -ou tout simplementvenu profiter des richesses du pays-, et ainsi occupant la place la plus haute qui lui confère un pouvoir quasi absolu sur les deux autres « catégories ». « Noir-blanc » désigne un « indigène » qui travaille pour l’administration coloniale, ou de manière plus générale qui est au service des blancs, et en cela dispose lui aussi de pouvoir sur ses congénères -certains, comme le protagonistes ont reçu une éducation française. Cette place est peut-être la plus instable, du fait de « l’entre deux » dans lequel se trouve le fonctionnaire : bien que travaillant pour la France, il n’a pas le statut de citoyen français -sauf exception, nous y reviendrons plus loin-, et la reconnaissance que cela implique à l’époque ; de plus il ne peut accéder à de hautes responsabilités, et reste considéré comme un subalterne par les blancs-blancs. Et même s’il est un indigène, le regard de ses compatriotes change, car il peut exercer une pression sur eux du fait de son statut : il inspire alors la crainte, la jalousie, l’envie… Il est acculturé car peut être rejeté par son milieu d’appartenance qu’il aurait en quelque sorte trahi en travaillant pour le pouvoir colonisateur, voire en le cautionnant. « Noir-noir » quant à lui, désigne un indigène n’occupant aucune position dans l’administration, c’est le plus bas échelon dans la hiérarchie sociale durant la colonisation, bien que représentant la majorité de la population. Dans le roman, ils sont présentéscomme des hommes et des femmes qui tentent de continuer à vivre selon leurs coutumes mais qui subissent de plein fouet les conséquences économiques, politiques et sociales del’occupation française –un peu moins dans les campagnes reculées, où la présence française est moins visible. Cependant, il ne faut pas faire de cette classe une entité homogène ; en effet, l’auteur prend grand soin de décrire les différentes ethnies qui cohabitent et les rapports de forces entre elles. Ainsi le lecteur prend conscience que la colonisation n’est pas seulement française, certaines ethnies imposent leur domination sur d’autres qu’elles jugent inférieures : l’auteur, toujours avec malice, nous fait part des préjugés, de la manière dont est perçue la différence et la notion d’étranger les noirs-noirs sont doublement méprisés : par les blancsblancs, mais aussi par une partie des noirs-blancs qui profitent de leur position, jouent les « petits chefs ». Ce passage illustre bien les modifications d’ordre social dues à l’occupation française :
« En effet, au lendemain de la conquête, seuls les Tubabublen, « blancs-blancs » nés en France, et les Tubabufin, « blancs-noirs » africains devenus auxiliaires immédiats et personnel domestique des premiers pouvaient porter le casque. C’était un emblème de noblesse qui donnait gratuitement droit au gîte, à la nourriture, aux pots-de-vin et, si le cœur en disait, aux jouvencelles aux formes proportionnées pour les plaisirs de la nuit. Les Messieurs Casqués aimaient fort, en effet, se réchauffer à la chaleur féminine qui ne brûle pas et cependant revigore. »
Wangrin, lors de son arrivée à Diagaramba, est doublement étranger : d’une part il est devenu un noir-blanc, il porte le casque colonial ainsi que les insignes de sa fonction; et d’autre part il n’appartient pas à l’empire Macina,il est Bambara et non Peul. On ne peut donc pas parler de rencontre lorsqu’il traverse la ville, tant il inspire la terreur aux habitants. A la suite de son arrivée il prend soin de rendre visite aux personnages importants de la ville pour s’attirer leurs faveurs: en premier lieu le roi Bouagui, puis son fils aîné Lakim Fal : échanges purement diplomatiques.
Wangrin, les « dieux de la brousse » et les anciens tirailleurs : quelles formes d’interaction ?
Le premier échange interculturel du roman est la scène de première rencontre entre Wangrin et le commandant. Bien que le commandant de cercle soit le supérieur hiérarchique de Wangrin –et si l’on reprend la classification par synecdoque, il est un blanc-blanc et Wangrin un blanc-noir- il le traite d’égal à égal –grâce au vecteur qu’est la maitrise de la langue de Wangrin- d’homme à homme en l’appelant « mon ami » et en lui proposant une chaise, privilège refusé aux indigènes. L’auteur en présentant cette rencontre dès le deuxième chapitre, sort de la traditionnelleopposition colonisateur/colonisé. Certes le contexte est bien la colonisation, mais ce n’estpas le thème de la lutte, du conflit qui surgit –comme on aurait pu s’y attendre-, mais celuide l’échange, du respect d’autrui. De ce fait, A.H. Bâ se démarque de ses contemporains, en proposant une rencontre interculturelle, source d’échange bilatéral, et non un rapport de force. Cependant, l’auteur ne nie pas l’état d’esprit conquérant de la France occupant l’Afrique, comme le montre le discours que tient le commandant à Wangrin : « Il faut que tu payes les bienveillances que tu dois à la France en la faisant aimer et en rependant sa langue et sa civilisation. Ce sont là les plus beaux cadeaux que l’histoire humaine ait faits aux Noirs de l’Afrique. Nous avions mission de faire le bonheur des Noirs, au besoin malgré eux. »

Les différents univers symboliques

Amadou Hampâté Bâ, un fond culturel riche

A l’image de son protagoniste, l’auteur Hampâté Bâ est lui aussi polyglotte et a reçu différentes éducations : à l’école orale traditionnelle, à l’école coranique avec son maître spirituel Tierno Bokar et à l’école coloniale occidentale, lui aussi ayant été réquisitionné pour l’Ecole des otages. C’est pour cela que lorsqu’il écrit, Hampâté Bâ fait appel à plusieurs univers de référence ou univers symboliques dans son roman. Cela se manifeste par l’hétérolinguisme défini par Rainier Grutman en 1997 comme « la présence dans un texte d’idiome étrangers, sous quelque forme que ce soit, aussi bien que de variétés (sociales, régionales ou chronologiques) de la langue principale. » , que nous venons d’évoquer précédemment grâce au discours direct des personnages. Mais de manière plus générale, on peut dire que l’auteur en posant sa situation d’énonciation ne la réduit pas à une seule culture. Il mêle références à la littérature orale africaine traditionnelle et à la littérature écrite occidentale aux cultures animiste, coranique et chrétienne. De plus, cela passe par l’insertion de fables, chants, de renvois à des légendes etc. En effet, l’auteur pratique la technique du collage accompagnée d’un discours théorique ou d’un commentaire discursif, comme c’est souvent le cas dans la littérature francophone post coloniale. Cela peut avoir pour conséquence un effet d’étrangéité voire de surprise chez le lecteur occidental, peu familier à cette culture. C’est le cas notamment dans le premier chapitre où la naissance de Wangrinest relatée. Les scènes de naissances ne sont pas en soi surprenantes pour un lecteur occidental, bien que peu souvent décrites dans la littérature sur le mode charnel comme c’est le cas dans L’Etrange destin de Wangrin. De plus, comme nous l’avons noté plus haut, l’auteur insère une mélopée matrimoniale en bambara dédiée à la déesse de la maternité Nykuruba dès les premières pages du roman suivie de sa traduction et accompagnée de notes explicatives. Mais ce qui est le plus déroutant pour le lecteur ce sont les comparaisons et métaphores qui rythment la progression du récit : « la future maman se tord comme une chenille arpenteuse » , « la tête du bébé est molle comme un œuf de sorcier », pour n’en citer que quelques unes. Ces deux comparaisons animales ne rentrent en rien dans les canons de représentation de l’accouchement occidentaux, beaucoup trop prosaïques, et appartiennent forcement à l’univers de référence africain, ici probablement bambara. L’élément qui peut paraître le plus choquant, et source de décalage, dans la description de la mise au monde de Wangrin, est sans aucun doute la dénomination du placenta par le groupe nominal « les petits frères » : « L’enfant était drapé jusqu’aux épaules dans un tissu de chair blanc et léger, souple et transparent.
Sa tête en était également couverte, tout comme s’il portait un bonnet. Les « petits frères » ne tardèrent pas à suivre. La vieille femme eut tout le mal du monde à couper le cordon ombilical reliant l’enfant à ses « petits frères ». Force pour elle d’aller quérir le père de Wangrin qui attendait, assis à l’ombre d’un grand fromager, qu’on lui apportât des nouvelles. »
Ce passage prend même une tournure burlesque avec la métaphore vestimentaire qui apporte un effet de comique. Cependant, on retrouvedes topos de l’accouchement comme la sage femme qui est une vieille « matrone édentéeet chenue » , le futur père qui se tient à l’écart, et le « sempiternel vagissement » du nouveau-né, mais ce sont plus des faits de sociétés que des conventions littéraires.

Etude du bestiaire

De la même façon, le bestiaire fait appel à l’imaginaire du lecteur car les références  animales peuvent ne pas renfermer les mêmes connotations que celles auxquelles nous sommes habitués. En effet, Wangrin est à de nombreuses reprises comparé à des animaux, au fur et à mesure de ses aventures, et ces comparaisons sont le plus souvent à cheval entre les cultures africaines et occidentales. Il faut souligner que les comparaisons animales ne commencent qu’à la fin du deuxième chapitre lorsqueWangrin commence ses roueries, en l’occurrence lors de son premier combat avec Racoutié. Pour bien saisir comment l’évolution du protagoniste est liée au bestiaire, nous allons procéder au relevé de la faune rattachée au personnage de Wangrin présente dans le roman. On note pour ce qui de la première partie du roman, l’étalon pour sa force (p.43), le silure pour son aisance dans les milieux aquatiques (p.43), le lièvre pour sa ruse (p.69), la panthère pour son agilité (p.69), l’épervier pour sa rapidité (p.162), le léopard pour son caractère bondissant (p.162), la hyène pour sa vitesse un peu folle (p.163), le lion pour sa noblesse (p.167), et le caméléon pour sa prudence et sa capacité à se fondre dans tous les milieux (p.183). Dans cette partie, où la course de Wangrin pour atteindre la gloire est sur une pente ascendante, les animaux renvoient à des thèmes assez élevés et fortement positifs (en majorité on retrouve des animaux sauvages de taille assez grande, carnivores et rapides, la plupart vivant dans la savane). Se dessine alors un personnage fort, empreint de noblesse, vif, habile et rusé. Wangrin est régulièrement présenté comme un chasseurpoursuivant des proies ce qui vient corroborer les caractéristiques des animaux, en particulier par rapport aux félins. En marge, on relève l’expression « avoir plus de cordes à sonarc » renforcée par « avoir plus de ruses dans sa tête que dans celle d’un vieux lièvre » la première renvoyant aux archers du moyen âge, et la deuxième étant semble-t-il assez universelle et qui se retrouve dans tous les folklores. La deuxième partie du roman qui constitue le paroxysme de la course du parcours de Wangrin est révélatrice de la vulnérabilité du héros, bien qu’il ne s’en rende pas compte. En effet, la première occurrence du bestiaire rencontrée est une comparaison : « Wangrin se sentait à Goudougaoua comme un épervier en cage » : le complément circonstanciel de lieu qui dénote l’enfermement contraste avec le lexique très valorisant rattaché au protagoniste. Cependant, cette image est très vite contre balancée par les tropes suivantes : Wangrin est associé au taureau pour sa rudesse (p.217), la grenouille « de la fable » pour sa vanité (p.225), le loup pour son expérience (p.228), il invoque lui-même dans une prière le caméléon pour sa capacité d’adaptation en toutes circonstances, l’agneau pour son charme innocent, le lion et le léopard pour leur férocité et leurs armes destructrices (p.231), le caïman pour sa cruauté au combat (p.254), et de nouveau la panthère et son caractère redoutable, ainsi que l’épervier pour sa précision dans l’attaque.
Comme dans la première partie on revient à des animaux sauvages donnant une certaine bestialité au héros, avec une gradation dans cette deuxième partie. On note tout de même des failles avec comme nous l’avons constaté l’épervier qui induit que le chasseur est en train de fabriquer son propre piège, mais égalementla grenouille qui comme nous le dit la fin de la fable, qui voit sa suffisance se retourner contre elle. Ces deux derniers éléments fonctionnent comme des annonces des mésaventures quiguettent Wangrin. Pour ce qui est du dernier tiers du roman, on remarque une diminution sensible de références au bestiaire, comme si le personnage tendait à la fois vers une humanisation, qui ne l’oublions pas se fait par la déchéance, et à la fois vers une dépersonnalisation : en effet, ce sont ces attributs qui font la force de Wangrin, qui lui donnent de la ressource pour arriver à ses fins. Le bestiaire s’efface pour laisser place à la lutte que se livrent ses deux consciences, son « double-espoir » et son « double-objectif ». En marge de ceux-ci, Wangrin possède un double symbolique animal, un python sacré qui habite son « Tana » , qu’il tue involontairement dans le chapitre 30 intitulé « Deuxième et troisième avertissement : l’oubli fatal, le python sacré » : suite à cet incident « il pouvait être considéré comme un « suicidé involontaire » » . A partir de là, Wangrin sombre dans la folie, état propre à l’homme, c’est pourquoi il n’est plus comparé à des animaux. Wangrin, dans un dernier élan de fierté déclare appartenir à la « race des oiseaux de proie » et ne peut en aucun cas accepter que Tenin, sa belle-fille et son compagnonle sortent de sa misère. Wangrin ne parle plus de ce qu’il est au présent mais bien de ses origines évoquée par le substantif « race », et dans ce cas présent il n’est plus acteur mais objet des sollicitudes du couple. En outre, il parle d’une espèce en général et non d’un oiseau en particulier comme l’épervier abordé précédemment. En plus de la folie, le substantif « philosophe » vient accentuer l’humanisation Wangrin. Il devient une sorte de sage, un conteur public narrant ses aventures rocambolesques et rapportant « les fables et les contes qu’il avait recueillis tout au long de sa vie ». A.H. Bâ fait une dernière fois référence au monde animal pour illustrer les différentes phases de dépendance à l’alcool par lesquelles passe Wangrin dans l’avant dernier chapitre « Les trois sangs et la mort ». Le premier stade est celui de l’agneau, qui provoque euphorie et docilité : « Je le bus et je vis un agneau qui me communiqua sa gaité. Je le suivis en bondissant dans la plaine de la joie et du bon appétit. » à propos du premier verre de Wangrin. Le deuxième verre est l’entrée réelle dans le vice, Wangrin le décrit ainsi :

Un roman polymorphe

Après avoir étudié les différents genres ou sous genres auxquels l’auteur fait des emprunts dans L’Etrange destin de Wangrin, on peut se demander dans quelle mesure parler de roman est pertinent alors que « nulle part, ni sur les pages de couvertures, ni dans l’avertissement, ni dans l’introduction, on ne parle de roman. »
Effectivement, « dans ce livre, on est sensible à l’éclatement des frontières, au croisement ou au mélange des formes, des genres et des langues dans la discursivisation romanesque. Chez Amadou Hampâté Bâ, en effet, il n’y a pas de limite, de cloison étanche entre les formes littéraires, à l’exemple du récit traditionnel oral africain où le conteur ou le griot ne se soucient guère de faire un récit unifié, conformément à des règlesétablies. » . En effet, il faut prendre en compte deux faits. D’une part, le récit lui a été conté par le protagoniste lui-même « au son d’une guitare dont jouait excellemment et infatigablement Dieli-Madi, son griot » et l’auteur a fidèlement rapporté les paroles de Ben Daoud. Pour Amadou Hampâté Bâ, « lorsqu’on restitue un événement, le film enregistré se déroule du début jusqu’à la fin en totalité. C’est pourquoi il est très difficile à unAfricain de ma génération de « résumer ». On raconte en totalité ou on ne raconte pas. On ne se lasse jamais d’entendre et de réentendre la même histoire ! La répétition pour nous, n’est pas un défaut. » . On comprend pourquoi il lui est impossible de retailler le récit pour leplier aux contraintes génériques occidentales du roman. D’autre part, comme il se décrit lui-mêmeil est un grand initié de la tradition orale, de la Parole. Il nous livre un récit romanesque, à mi chemin entre la Parole diffusée par les griots et les conteurs traditionnels, et les romans européens qu’il a pu lire. Il mêle donc « la pratique du discours oral africain et l’efficacité de la technique narrative occidentale. » . On retrouve donc bien des éléments du roman dans L’Etrange destin de Wangrin, qui rappellent entre autre le roman historique. Comme nous avons pu le constater au début de cet exposé, l’auteur nous livre des données historiques. En effet, le récit s’appuie sur l’Histoire, et notamment sur la période coloniale. Les faits sont vraisemblables, le récit réaliste. Seuls les noms de villes et de certains fonctionnaires coloniaux sont modifiés par souci d’anonymat, maiscela n’entache en rien le réalisme du récit, qui nous fournit de nombreuses informations sur ce qu’était la vie, la réalité sociale dans l’A.O.F. du début du XXè siècle. En effet, le personnage Wangrin a réellement existé, ce que l’auteur précise dans son avertissement, il est seulement cité sous l’un de ses nombreux pseudonymes. Il suffit de se référer aux Mémoires d’Amadou Hampâté Bâ pour découvrir les dessous de L’Etrange destin de Wangrin: dans quelles circonstances l’auteur a rencontré le héros, les dates de leur rencontre, la promesse faite à Wangrin, le véritable nom de ce dernier et de certains hauts dirigeants qu’a également côtoyé l’auteur… De la même façon des événements historiques rythment le récit comme au chapitre 6, l’entrée en guerre de la France contre l’Allemagne, ou bien encore le rappel de l’historique de la ville de Diagaramba et son siège en 1893 dans le chapitre2…Tous ces éléments, qu’ils soient évènements, espaces, personnages référentiels ancrent le roman dans le réalisme et la vérité historique.

Le roman historique n’est pas le seul sous genre romanesque auquel on peut relier

L’Etrange destin de Wangrin. En effet, l’auteur le présente comme une biographie, voire une autobiographie dans laquelle l’auteur serait l’intermédiaire entre la première personne habituelle en occident et le lecteur. Il faut rappeler qu’en Afrique il n’est pas dans les mœurs pour une personne de rang noble de parler d’elle : cela ce fait par l’intermédiaire d’un tiers qui peut être un griot, un conteur… Amadou Hampâté Bâ endosse ce rôle, tenu qu’il est par la promesse faite à Wangrin de son vivant et transmet la parole de Wangrin en rapportant « fidèlement […] tout ce qui [lui] a étédit de part et d’autres dans les termes mêmes qui furent employés. » . Sans remettre en cause l’éloquence de Wangrin, nous savons que le travail de l’auteur ne s’arrête pas là. Il le dit lui-même, il a complété le récit de Wangrin avec des « informations auprès de tous ceux qui avaient été mêlés sur place à ses aventures » , en particulier avec le fidèle griot de Wangrin, et son ennemi Romo Sibédi. Les notes explicatives, la mise en forme etle style ne peuvent être que le fruit du travail de l’auteur.

Hétérolinguisme et polyphonie

Wangrin, tout comme Amadou Hampâté Bâ, était polyglotte. Grâce aux exemples que nous avons dans le roman, on peut supposer que Wangrin jonglait aisément entre différentes langues lorsqu’il s’exprimait. Ceci est tout à fait rendu par l’auteur, ce qui confère au récit un caractère vivant et dynamique. Nous l’avons constaté, l’univers linguistique du roman est hétéroclite : les languesethniques –majoritairement le peul et le bambara- le français hexagonal, et le français des tirailleurs ou « forofifon naspa ». En dehors du personnage de Wangrin, on peut se demander comment se présente la coexistence de ces langues. Le français des tirailleurs est avant l’arrivée de Wangrin, la langue véhiculaire représentée par Racoutié entre autre. Celui-ci lors de sa rencontre avec Wangrin se sent menacé par son français « tout neuf, couleur vin rouge de Bordeaux ». En effet, le forofifon naspa, bien que témoignant de l’attachement aux langues locales de par ses sonorités, montre la volonté du locuteur de parler en imitant le français hexagonal, objet de convoitise. Qu’il parle le français des tirailleurs ou le français de la métropole, l’interprète fonctionne comme un médiateur. Son champ d’action se concentre sur deux axes principaux : il fait le lien entre soit le français de la métropole et les langues ethniques, soit entre les différentes langues locales. Dans les deux cas, la communication est soumise à l’intermédiaire qu’est l’interprète, qui peut jouer un rôle tantôt positif, tantôt négatif. En effet, selon ses intérêts, il peut favoriser le message en le transmettant au plus près de ce qu’il est, ou faire office d’écran et brouiller le message. Wangrin qui excelle dans ce  domaine, exploite et profite de cette position: ses compétences linguistiques lui permettent de mettre en péril l’hégémonie des français. Cependant, celles-ci sont peu marquées dans le récit : c’est surtout sa maîtrise du français qui prime, il est vrai que c’est cette capacité qui lui confère le plus de pouvoir. Pour ce qui est du français des tirailleurs, Wangrin ne l’utilise qu’une seule fois, lorsque pour se moquer de son ennemi Romo, il lui envoie une lettre écrite en forofifon naspa. Romo, pensant enfin pouvoir se venger de Wangrin, et le faire arrêter pour fraude, se retrouve pris à son propre piège. La lettre écrite par Wangrin est de nouveau introduite par l’adverbeà valeur démonstrative « voici ». Cette lettre pleine d’humour se présente ainsi : « Mon cher Romo, Moi écri toi mon secret. Tu metté mon secret dans zoreil ma commandant. Houissié i parti Nadouna pour miré bouteils pinar-fort, Wangrin, y vendit. Mais son zoy pour Houissié y clairé pas beaucoup. Wangrin malin malin comme lièvre. Lui plus malin toi, plus malin Houissié. Wangin porté campement Moboro beaucoup beaucoup pinar-fort. Wangrin faire avec caisses alcool comme mamanchat y faire avec son petit petit. I caché là, i caché là-bas, i caché partout partout. Je mon lettre y arrêter là. Je moi, ton zami, Bougouri Ken Nyeenan.»
Cette lettre est l’exemple le plus long, de ce qu’est le forofifon naspa, et c’est sa seule occurrence en dehors du groupe des anciens tirailleurs. Comme nous l’avons vu précédemment, le forofifon naspa est parlé par imitation phonétique, sans respect des règles syntaxiques et grammaticales. La signature est en bambara, et signifie « mets de la poussière dans mes yeux », ce qui permet à Romo de savoir que Wangrin est à l’origine de cette missive. Les langues ethniques sont le plus souvent associées à la musique, via des chansons. C’est le cas dans le chapitre 1 avec la mélopée matrimoniale, mais aussi à la fin du chapitre 20, lorsque Wangrin, fier d’avoir de nouveau roulé Romo, s’en va entonnant un chant, « le refrain trivial des Korojuga, bouffons de la couronne de Ségou » , annoncé par la relative « que voici » et immédiatement suivi desa traduction. Les chants jalonnent le récit de manière rythmique, et indiquent qu’elles occupent une place de premier ordre dans la société. Ceci est clairement manifeste lors de la première rencontre entre Wangrin et Romo, ce dernier lui offrant une soirée en son honneur, à laquelle participent conteurs, guitaristes, chanteuses et joueurs de calebasse. L’auteur laisse entrevoir au lecteur la manière dont l’histoire et le patrimoine culturel sont transmis dans ces sociétés orales. Les langues ethniques ajoutent donc une dimension sonore au récit. Cette dimension est personnifiée en la personne du griot, « caste comprenant des musiciens, des chanteurs et aussi des savants généalogistes, itinérants ou attachés à certaines familles dont ils chantent et célèbrent l’histoire. Ils peuvent être aussi de simples courtisans. » . En plus des chants, Amadou Hampâté Bâ traduit littéralement des expressions locales. Par exemple, l’interprète est appelé « Dalamina » ce qui signifie « répond-bouche » ; le télégraphe « fil de fer » ,etc. et fonctionnent par synecdoque. Ces périphrases peuvent être regroupées dans un ensemble qui serait le « français local », c’est-à-dire une « variété proche du français des tirailleurs par ses origines –il apparaît, en effet, suite au contact entre les langues ethniques et le français hexagonal- il s’en distingue du fait qu’il est parlé par l’ensemble de la population et non seulement par les représentants du cadre administratif ou par les interprètes. »
Dans le premier tome de ses mémoires, l’auteur fait référence à ce parler :
« Dans les rues bondées de la ville, où déambulaient des militaires et des gens vêtus des costumes les plus variés, on entendait parler à peu près toutes les langues soudanaises, saupoudrées de mots ou d’expressions français assaisonnés « façon locale » et que l’on appelait alors non pas « petit nègre » mais « moi ya dit toi ya dit  » ».
Amadou Hampâté Bâ utilise une métaphore culinaire pour évoquer le mélange bigarré qui s’opère au contact des différents idiomes. La présence du français local, ou de termes en langues locales, et particulièrement la traduction, peut être considérée.

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Table des matières
Introduction
I. Mise en scène d’une diversité culturelle
I.1. La situation coloniale
I.1. a) « noirs-noirs », « noirs-blancs » et « blancs-blancs », ou la hiérarchisation de la société coloniale
I.1. b) Wangrin, les « dieux de la brousse » et les anciens tirailleurs : quelles formes d’interaction ?
I.2. Wangrin, confluent de cultures
I.2. a) L’œcuménisme de Wangrin
I.2. b) La maîtrise de la langue, clé du succès
I.3. Les différents univers symboliques.
I.3. a) Amadou Hampâté Bâ, un fond culturel riche.
I.3. b) Etude du bestiaire.
II. L’Etrange destin de Wangrin, une œuvre hybride
II.1. Entre traditions littéraires africaines et occidentales
II.1. a) Interférences génériques
II.1. b) Un roman polymorphe
II.2. Le chemin de la Parole
II.2. a) « L’oral-écrit »
II.2. b) Hétérolinguisme et polyphonie
III. L’Etrange destin de Wangrin, porteur d’un humanisme moderne ouvert sur la diversité
III.1. Un roman placé sous le signe de l’échange
III.1. a) Entre traditions et modernité
III.1. b) Dualité ou dichotomie ?
III.2. Amadou Hampâté Bâ, passeur de langue et de culture
III.2. a) Un auteur postcolonial ?
III.2. b) Wangrin, une harmonie retrouvée dans l’alliance des contraires
Conclusion
Bibliographie

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