L’éthique publique et la gestion de la diversité

Les modèles canadien et québécois d’intégration des immigrants

On voit que les politiques d’immigration mises en place par les gouvernements canadien et québécois présentent des différences fondamentales. Pour le gouvernement fédéral, les règles d’immigration s’articulent autour du multiculturalisme qui établit la valeur du pays dans sa diversité, cherchant ainsi à mettre en place un modèle inclusif, alors qu’au gouvernement provincial , on a mis sur pied en 1991 , une politique interculturelle axée sur l’intégration, permettant au Québec d’établir de façon autonome ses critères de sélection et de mettre en place ses programmes d’accueil des immigrants. Au Canada, on encourage la diversité culturelle, on fait l’éloge de la différence. La source de cette conception est liée à l’idée que le Canada est lui-même né de l’immigration et de l’amalgame de différentes cultures. Le pays étant dès le départ coloré par une diversité d’origines, le gouvernement canadien a voulu tirer parti de cette richesse des peuples en mettant l’accent sur la nécessité de s’ouvrir aux autres cultures pour mieux comprendre et accepter les différences. Ainsi, la politique du multiculturalisme postule qu’en reconnaissant et en acceptant l’autre dans sa différence, on lui permet de participer à la vie sociale, politique et culturelle du Canada.

En prenant activement part à la société, l’immigrant y laisse sa marque. De plus, puisqu’il se sent concerné et reconnu à titre de citoyen ainsi qu’à travers sa culture et ses valeurs, il s’y implique davantage. Se sentant de cette façon véritablement représenté, partie intégrante de ce pays et inclus dans les décisions étatiques, son adhésion au pays d’accueil donnerait une certaine unité et la possibilité de gouverner. En résumé, on pourrait dire que le Canada accorde à tous les membres des communautés culturelles un statut de « citoyen » à part entière, permettant ainsi à chacun d’exercer ses droits de Canadien tout en demeurant lui-même dans sa différence. Ce modèle mis de l’avant initialement par le gouvernement Trudeau a soulevé et soulève encore des critiques. Loin de faire l’unanimité, on reproche notamment au multiculturalisme de reconnaître les différences en théorie seulement, et non en pratique. En fait, on semble vouloir apprécier les différences culturelles tant que leurs ressortissants ne réclament pas de statut particulier.

C’est ainsi que le Québec, ne se sentant pas inclus dans le multiculturalisme canadien, a choisi d’instaurer son propre système d’intégration des immigrants basé sur l’interculturalisme. Celui-ci propose un « Contrat moral » qui balise les devoirs et les obligations non seulement pour les postulants immigrants, mais également pour la société d’accueil. Ainsi, avec ce Contrat moral, le Québec émet clairement sa position sur la nécessité de la francisation , encourage la participation citoyenne et confirme son ouverture à la différence dans le respect des valeurs démocratiques propres à la société québécoise. L’interculturalisme ne nécessite pas l’abandon de la culture d’origine par les immigrants, mais incite plutôt à y intégrer certains éléments qui permettront à tous de bâtir un terrain commun où poser les bases de la discussion démocratique. En fait, là où le multiculturalisme construit à partir des différences pour atteindre une cohésion, l’interculturalisme veut implanter des balises communes qui permettraient ensuite d’accepter les différences 10 . C’est dans cette recherche d’un meilleur vivre-ensemble que s’insèrent différents modèles politiques visant l’intégration des immigrants. Dans une perspective d’éthique appliquée, c’est-à-dire dans une volonté de réflexion menant à une action concrète dans le souci du bien commun, ces modèles cherchent à redéfinir les fondements collectifs encadrant notre espace public pour le rendre plus inclusif, plus apte à incorporer des visions différentes, des cultures autres.

Québec la province et Québec la ville: même combat?

Les modèles d’intégration étant définis par des gouvernements centraux, ils tiennent peu compte de la diversité des situations particulières des villes et des régions du pays. On est donc en droit de se demander si ces modèles collent véritablement à la totalité du territoire sous leur juridiction. En fait, on comprend que le Québec, par sa double spécificité linguistique et culturelle, ait la volonté de se distinguer du reste du Canada dans sa politique d’immigration. Se considérant distincte du Canada par sa culture, la province choisit de quelle façon les immigrants doivent ou devraient s’y intégrer. Mais peut-on assurer que l’intégration des immigrants est la même à Montréal, à Sherbrooke, à Québec ou en région? Est-il logique de croire que la réalité migratoire est la même pour toute la province? Peut-on alors établir hors de tout doute que l’interculturalisme est réellement porteur, est véritablement la « clé d’une intégration réussie 11 » pour les immigrants qui s’établissent dans une partie ou l’autre de la province? S’il existe des différences dans l’intégration des immigrants suffisamment importantes pour créer des politiques d’immigration diamétralement opposées entre le Québec et le Canada, peut-on postuler qu’il existe, au sein d’une même province, des différences suffisantes entre les régions, voire même entre les villes, pour nécessiter des politiques d’immigration différentes selon la portion du territoire où l’intégration se fera? En d’autres termes, si le modèle canadien ne convient pas à la réalité québécoise, le modèle québécois convient-il à toute la province? C’est la question que nous désirons poser.

Le fait de poser les bases de la culture (francophone, démocratique, participative) permet effectivement aux immigrants de comprendre ce à quoi ils s’engagent en s’établissant dans la Belle province, mais est-ce suffisant pour qu’ils s’y intègrent?

Hypothèse et objectifs de la recherche Nous l’avons dit, l’immigration est essentielle au développement des sociétés modernes. Celles-ci doivent mettre en place un modèle leur permettant d’accueillir un nombre toujours grandissant d’immigrants en respectant les valeurs culturelles des nouveaux arrivants tout en ne négligeant pas la culture de la société d’accueil. Plusieurs modèles sont proposés, chacun tentant de répondre aux besoins des administrations publiques tout en respectant les valeurs les plus significatives.

Les différents modèles doivent correspondre et s’adapter à la réalité migratoire d’un milieu pour être porteurs et pertinents à la fois pour les immigrants et pour les populations qui les accueillent. Nous croyons que le modèle proposé au Québec ne répond que partiellement à cette exigence. En fait, il semble tout à fait approprié à la réalité migratoire de la grande région de Montréal, mais ne cadre pas avec celle du reste de la province. Cette recherche vise, par conséquent, à déterminer les spécificités des régions de la province en matière d’immigration, de manière à établir le ou les modèles d’intégration les mieux adaptés à ces spécificités. Pour ce faire, nous utiliserons la ville de Québec comme point central, comme modèle « hors Montréal». Notre hypothèse de recherche se formule de la façon suivante:

Les valeurs et les principes du modèle d’intégration des immigrants développé par le Gouvernement du Québec sont en décalage avec la culture locale et les valeurs collectives de la ville de Québec. De là, nous en venons à penser que la conception du modèle d’intégration doit être décentralisée au niveau local, dans le but de mettre en liaison les valeurs et la culture locale d’une collectivité urbaine et les possibilités d’accueil ouvertes par ces valeurs et cette culture. Ceci doit nous amener à établir le modèle ou les modèles pertinents pour le milieu de vie étudié, ou encore, à constater qu’il n’y a aucun modèle existant qui soit adapté aux réalités de la capitale québécoise. Une telle réflexion sur le contexte de l’immigration à Québec doit nous permettre d’appréhender les questions du vivre-ensemble et de l’ouverture à la différence dans un contexte d’homogénéité, afin de valider la pertinence d’un modèle d’intégration spécifique à la ville. Il pourra également être démontré que la démarche réflexive initiée ici est justifiée et applicable à d’autres communautés hors métropole.

MULTICULTURALISME ET INTERCULTURALISME

On sait que les sociétés sont de plus en plus multiculturelles et qu’elles se doivent, pour diverses raisons, d’ouvrir leurs frontières aux gens de multiples horizons. Ce mélange nécessaire ne se fait pas forcément sans heurts. Les immigrants apportent avec eux un bagage culturel qui ne trouve pas toujours de résonance dans la société d’accueil. Comment alors arriver à rendre à un groupe de personnes, à une culture, à une partie de la société, la place qui lui est justement attribuable, qui lui est justement due? Et comment peut-on le faire tout en s’assurant de conserver les valeurs fondamentales de la société d’accueil? Dans quelle mesure accepter la différence sans pour autant verser dans le particularisme à l’emporte-pièce où « tout le monde il est beau, tout le monde il est gentil » et comment jouer le protectionnisme sans basculer dans l’universalisme homogénéisant, à la limite de l’assimilation? Ce sont là les grandes difficultés liées à l’intégration des immigrants. En fait, on considère qu’un immigrant est intégré à sa société d’accueil lorsqu’il se sent concerné par les décisions des élus et lorsqu’il s’implique dans sa communauté, sa province, son pays. Bref, lorsqu’un immigrant acquiert et fait usage de son statut de citoyen participant, on juge qu’il fait alors partie intégrante de sa société d’accueil. Mais comment faciliter cette intégration des immigrants? Comment arriver à concilier à la fois le particularisme et l’universalisme?

Ces considérations alliant le respect des différences et du vivre-ensemble à l’époque de la mondialisation et de l’ouverture des frontières, trouvent une résonance dans l’administration publique. En effet, les administrations publiques tentent d’insérer dans leur pratique des méthodes et modes de fonctionnement de plus en plus éthiques. Nous débuterons ce premier chapitre en examinant comment définir cette notion d’éthique publique et comment notre mémoire s’inscrit dans cette nouvelle pratique de la gouvernance. Les modèles promettant d’optimiser l’intégration, le sentiment d’appartenance et la citoyenneté participante sont nombreux et variés; ils présentent chacun des forces et des faiblesses et s’accordent avec plus ou moins de succès aux changements sociaux inhérents à une population de plus en plus diversifiée. Tout au long de ce premier chapitre, nous nous attarderons aux modèles d’intégration prônés par les gouvernements fédéral (le multiculturalisme) et provincial (l ‘interculturalisme). L’analyse de ces modèles nous permettra de dégager les valeurs et les enjeux éthiques sous-jacents à chacune de ces théories ainsi que de mettre en relief leurs faiblesses. Ces informations nous donneront de premières pistes de réflexions pour déterminer le ou les modèles les plus appropriés au cadre migratoire propre à la Ville de Québec.

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Table des matières

INTRODUCTION
Les modèles canadien et québécois d’intégration des immigrants
Québec la province et Québec la ville: même combat?
Hypothèse et objectifs de la recherche
Méthodologie
CHAPITRE 1- DEUX MODÈLES: MULTICULTURALISME ET INTERCULTURALISME
1.1 L’éthique publique et la gestion de la diversité
1.2 Le multiculturalisme canadien
1.3 L’interculturalisme québécois
Conclusion
CHAPITRE 2- DEUX MODÈLES PHILOSOPHIQUES D’INTÉGRATION
2.1 La théorie de la reconnaissance de Charles Taylor
2.2 Le Traité sur la tolérance de Michael Walzer
CHAPITRE 3- UN PORTRAIT DE LA VILLE DE QUÉBEC
3.1 Le rôle des villes dans l’intégration des immigrants
3.2 La ville de Québec à travers les publications officielles
3.2.1 Volet 1 – Accès aux services
3.2.2 Volet 2 – Promotion de l’immigration
3.2.3 Volet 3 – Accueil, intégration et rapprochement interculturel
3.3 Une vue de l’intérieur
3.3.1 Les forces de la ville de Québec
3.3.2 Les faiblesses de Québec
3.4 La ville de Québec et les modèles d’intégration des immigrants
3.4.1 Québec et les modèles d’intégration canadien et québécois
3.4.2 Québec et les modèles philosophiques d’intégration
Conclusion
CONCLUSION GÉNÉRALE
Retour aux sources: pourquoi intégrer les immigrants?
BIBLIOGRAPHIE
ANNEXE – Questionnaire des entrevues

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